NOS LECTURES ROMANS - ESSAIS

Coups de coeur
Romans

  • Le pays des loups – Craig JOHNSON

    Après ses folles péripéties au Mexique (lire en amont « Western Star » et « Le cœur de l’hiver » du même auteur), le shérif Walt Longmire est de retour dans son comté d’Absaroka dans le Wyoming. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il retrouve des affaires « plus rurales ». Il est appelé en renfort, après qu’un cadavre de mouton ait été retrouvé. Et qui dit mouton attaqué dit loup forcément inquiété. De plus, il se répand comme une trainée de poudre qu’un vieux mâle a été entraperçu. Et ça la population locale n’est pas prête à le supporter. Mais ce qui va surtout intéresser Longmire, c’est qu’à quelques encablures du cadavre du mouton, il va tomber sur une victime autrement plus délicate : un pendu. Suicide ? Meurtre ? rien ne peut être écarté. La victime est un berger, engagé par une puissante famille de la région. Longmire va donc rendre visite au patriarche qui parait assez évasif et surtout qui semble entretenir des liens étranges avec son petit fils. Et si le pendu avec vu, entendu ou même assisté à des choses qui ne doivent pas être dévoilées ?


    Un retour au bercail réussit pour Craig Johnson et son shérif fétiche, la nature sauvage, les animaux et son humour tenant une place prépondérante dans son récit. Il parvient également à conserver une approche toujours mystique, comme l’atteste la présence d’étranges signes provenant de Virgil White Buffalo, le guide spirituel de Longmire, pour l’aider dans son enquête qui va s’avérer plus complexe qu’une simple agression de mouton. 


    Un bon roman Gallmeister, comme on les aime, qui mêle la nature sauvage aux turpitudes de l’Amérique qui le sont tout autant. 


    Gallmeister – 24.50 euros

  • L’intuitionniste – Colson WHITEHEAD

    Ce n’est pas tous les jours que l’on peut lire un livre sur l’univers des ascenseurs ! 


    Dans ce qui s'avère être son premier roman, Colson Whitehead construit un récit entremêlant le monde des affaires et la lutte raciale aux Etats-Unis. Lila Mae est la première femme noire exerçant le métier trop méconnu d’inspecteur d’ascenseurs. Un accident impromptu, pour laquelle elle est immédiatement suspectée, vient relancer le conflit ancestral entre les « empiristes », de « purs techniciens » et les « intuitionnistes », avec leur approche plus « émotive » pour assurer l’entretien des fragiles outils d’élévation. Lila Mae va devoir mener son enquête pour prouver son innocence et se rapprocher du graal de l’ascenseur parfait, la boîte noire, objet de toutes les convoitises. 


    Teinté d’humour cynique, profondément métaphorique, un roman qui flirt aux frontières du polar, de la science-fiction et de la fable sociale.


    Albin Michel- 22.90 euros

  • M, les derniers jours de l’Europe – Antonio SCURATI

    Le troisième tome de la série M d’Antonio Scurati couvre la période de mai 1938 au 10 juin 1939, date à laquelle l’Italie a déclaré a guerre à la France et au Royaume-Uni. Entre ces deux dates, Mussolini va mettre en place les pires lois contre les juifs, encore plus extrêmes que celles prônées par l’Allemagne nazie, et va surtout tenter de garder la face devant la communauté internationale. Tour à tour chantre de la paix à Munich tout en jouant le belliciste revenu à la maison, le compte n’y est pas. Malgré vingt années de fascisme, l’Italie n’est pas prête à affronter un conflit mondial. Mis à part le succès obtenu en Ethiopie, en termes de capacité, le pays reste une petite nation au niveau de l’armement et des ressources. Le propre gendre de Mussolini joue ainsi l’acrobate dans les relations internationales pour que la comédie de son maître perdure. Mais Hitler, qui était considéré au début des années 30 comme l’élève du Duce a amplement dépassé son maître en termes de tromperie, de manipulation, d’horreur surtout. Mussolini ne peut que suivre le mouvement, contraint et forcé par sa propre folie des grandeurs et son amour propre hypertrophiée.


    Avant dernier tome de la fresque historique initiée en 2020, celui-ci se déroule sur une période beaucoup plus restreinte, une seule année, mais aux effets destructeurs. Toujours avec le même mode opératoire, l’auteur alterne les passages romancés et les témoignages documentés en fin de chapitre, recontextualisant ce qui vient d’être restitué en s’appuyant sur les journaux intimes des protagonistes ou des extraits des articles de presse de l’époque. 

    Il sera beaucoup question dans ce tome de Mussolini et Hitler et bien entendu de leur entourage. Beaucoup moins du peuple que l’on aperçoit seulement au détour d’un grand discours ou d’une manifestation organisée par le Duce et ses sbires. A l’issue de l’ultime déclaration de Mussolini, entraînant l’Italie dans la seconde guerre mondiale, « tout le monde rentre chez soi avec ses pensées. Ne reste qu’une seule et grande passion : la peur ».


    Les Arènes – 24.90 euros

  • Croix de cendre – Antoine SÉNANQUE

    Deux frères dominicains, Antonin et Robert, sont envoyés en mission par leur prieur, Guillaume. Nous sommes en 1367, dans le Languedoc, au monastère de Verfeil, et Guillaume souhaite mettre par écrit ses mémoires. Pour cela il exige un vélin d’une extrême qualité pour recueillir un contenu des plus précieux. Car le prieur, quelques années auparavant, a été le compagnon de route d’un personnage controversé et dangereux pour l’Eglise : Maître Eckhart. Ce théologien et philosophe allemand a en effet développé des concepts peu en rapport avec les courant dominant (le Libre Esprit par exemple consistant à se débarrasser du superflu, ce qui ne sied par vraiment au pouvoir religieux…) et, avant de disparaître, c’est Guillaume qui a été le témoin le plus proche de ses derniers développements théologiques. Lors de leur périple Antonin et Robert vont faire la connaissance d’un terrifiant et ambitieux inquisiteur, revanchard et prêt à tout pour que les précieux souvenirs de Guillaume puissent servir à ses aspirations de grandeur ; à titre personnel bien sûr mais aussi pour la Sainte Inquisition qu’il trouve insuffisamment reconnue. L’un des deux frères va pourtant expérimenter le talent de cette dernière à influer lorsqu’il est question de changer le cours de l’Histoire.


    Antoine Sénanque mêle personnages historiques et fictionnels dans son ouvrage qui navigue entre polar et roman d’aventure. Les passages évoquant la théologie ou la peste noire sont étayés sans pour autant venir surcharger le récit. L’auteur dépeint un monde instable, ébranlé par la maladie qui a touché l’Eglise dans sa prédominance. Des mouvements contestataires, alternatifs viennent remettre en cause sa toute puissance et même la Sainte Inquisition et son triste cortège d’exécutions et de châtiments odieux ne semble plus pouvoir tout endiguer.


    Croix de cendre est un roman avec une assise historique solide, des personnages charismatiques. Il s’agit d’une virée dans les derniers soubresauts d’un Moyen-Age en fin de course. Apparaissent alors les premiers glissements inéluctables vers la Renaissance, période pendant laquelle les idées, les sciences, la médecine prendront le dessus sur l’obscurantisme et un certain immobilisme défendue bec et ongle par l’Eglise et dont le siècle des lumières viendra parachever la lente agonie.


    Grasset – 22.50 euros.


  • Le grand feu - Léonor DE RECONDO

    En 1699, naît à Venise une petite fille, Ilaria, que sa mère destine à devenir chanteuse: elle est confiée, nourrisson, à la Piéta de Venise qui recueille les bébés abandonnés, les filles uniquement, les sauvant de la mort et de la prostitution. Dans cette institution, on enseigne la musique au plus haut niveau et les Vénitiens sont nombreux à venir écouter les concerts donnés dans l'église. Les jeunes filles sont cachées derrière des panneaux de moucharabieh, interprétant des pièces composées exclusivement pour ces occasions: on venait écouter la voix des anges.


    Ilaria va grandir dans cet univers clos et rigoureux, où les signes d'affection sont exclus, ne rendant visite à ses parents qu'une fois par an pour Noël.

    Alors qu'elle admire la merveileuse voix de Maria et rêve de lui ressembler et peut être même de prendre sa relève, maestro Antonio (Vivaldi) place dans ses mains un petit violon: trop jeune pour les cours de chant, Ilaria va apprendre à faire chanter la voix de cet instrument qui va devenir un prolongement d'elle-même. Cet éveil musical souffle comme un vent de liberté sur la petite fille qui devine inconsciemment que ce violon est une porte de sortie, pour son esprit qui s'envole avec la musique, et pour sa personne toute entière car c'est grâce à lui qu'elle va pouvoir sortir du couvent pour des concerts privés.


    Elle devient la copiste des partitions de Vivaldi qui lui confie peu à peu des compositions secondaires. L'amitié qu'elle noue avec Prudenzia lui permet de surmonter les épreuves de l'adolescence. Grâce aux sorties organisées par la famille de Prudenzia, elle va rencontrer un jeune homme, le frère aîné de son ami, et l'amour qui va naître entre ces deux adolescents l'entraîne avec sa musique hors des murs de l'institution. Certes ces murs l'ont protégée mais en grandissant, ils l'enferment. Dans le coeur d'Ilaria, se mélangent le désir et la musique, les sentiments se confondent entre amour et envolées de notes.


    Léonor de Récondo est  violoniste et ce roman rend hommage à la musique et à la force des émotions que procure la pratique de cet instrument, une pratique exigente autant que celle de l'écriture. Tout le texte est empreint d'une musicalité remarquable et nous plonge dans la Venise de l'époque, sons, couleurs, odeurs, sensations... Un très beau roman.


    Grasset - 19.50 euros

  • La maison vénéneuse – Raphaël ZAMOCHNIKOFF

    Artie ne se sent pas bien dans sa maison. Pire, parfois il a l’impression qu’une entité l’étouffe, le surveille. Situé dans un petit village, il ne parvient pas à expliquer ce qui se passe dans une bâtisse réalisée par son propre père architecte. Agé d’une dizaine d’années, il y vit donc avec ses deux parents et son frère Franck, un peu plus âgé. Il partage ses angoisses avec ses amis d’école et plus particulièrement Anna, de deux ans sa cadette, avec qui il parvient à s’ouvrir, à exprimer ses angoisses. Mais Anna va rentrée au lycée et leurs rapports prendront forcément une autre tournure. Franck lui aussi semble avoir eu maille à partir avec la maison, mais de par son caractère fonceur, en pleine adolescence, se rapprochant bientôt de la majorité, il ne paraît pas aussi bouleversé que son cadet. On pourrait donc penser qu’Artie somatise jusqu’au moment où un incident intriguant va toucher un de ses proches…


    On ne peut pas vraiment qualifier « La maison vénéneuse » de roman horrifique bien que le sujet et le titre fassent penser aux grands livres de Stephen King. Il sera surtout question de secrets enfouis, appréhendés par un enfant de dix ans, et de toute la difficulté de grandir et de comprendre les interactions entre les personnes et leurs sensibilités propres. On découvre une famille type des années 80, période pendant laquelle se déroule le récit, qui a la structure et la situation paraissant des plus normales mais qui est en fait une illusion : les belles histoires que chacun souhaite raconter aux autres et celles qu’on préfère oublier. La maison, en tant que sujet maléfique ne serait-elle pas plutôt l’expression de tout ce qui se cache, tous les non-dits qui viennent nourrir l’imagination et le mal être d’un individu en pleine construction ? Finalement, le symbole même de la quiétude et de la protection familiale comme ennemie désignée ou tout du moins ressentie comme telle. 


    Une lecture intrigante sur le déni, la peur de grandir et sur les silences qui laissent l’imagination galoper. Mais peut être aussi d’une maison véritablement diabolique…


    Belfond – 22 euros.

  • William - Stéphanie HOCHET

    Vous reprendrez bien un peu de Shakespeare? A l'instar de Maggie O'Farrell avec son inoubliable "Hamnet", Stéphanie Hochet se projette dans ces années "perdues", de 1585 à 1592, sept années contre lesquelles butent les biographes du grand tragédien. 


    Si l'autrice irlandaise s'était centrée sur le personnage d'Hamnet, un des enfants du couple Anne/William, durant ces années difficiles que la peste n'aura pas épargné, l'autrice de ce nouveau roman aborde le personnage sous l'angle de la fuite comme terreau de la création artistique. Et il va beaucoup fuir ce jeune, très jeune homme, trop jeune père, rongé par la fièvre de l'écriture et le jeu sur les  planches. Il va faire des rencontres déterminantes avec des acteurs de renom qui vont le former et lui inspirer ses histoires.


    Là où le livre de Stéphanie Hochet est remarquable, c'est qu'elle fait appel à son propre besoin de fuir pour pouvoir écrire; elle éclaire ainsi d'un jour nouveau ces quelques années pendant lesquelles William a disparu, puisant peut-être dans cette disparition, la force de créer; un élan qui ne lui serait certainement jamais venu s'il était resté sagement à Stratford: sept années pour devenir Shakespeare.


    Rivages - 19 euros

  • Le grand secours – Thomas B REVERDY

    Un matin d’hiver à Bondy. Mo, un jeune lycéen assiste à une altercation entre un autre élève de son établissement et un adulte pour ce qui semble une histoire de cigarette et de propos racistes. L’adulte prend rapidement l’avantage sur l’adolescent. Mais l’histoire ne s’arrête pas là puisque Mo parvient à prendre en photo l’agresseur au moment où il monte dans un bus. L’identité de ce dernier ne peut rester cachée à l’heure des réseaux sociaux et des téléphone portables et il ne faut pas longtemps pour que des braises s’enflamment. En parallèle, Candice, un professeur de français à poigne, respectée par les élèves (elle ne peut pas supporter l’expression « ses » élèves) essaie tant bien que mal de leur donner envie de s’ouvrir à la magie des mots. Surtout elle souhaite les faire s’exprimer par écrit sur leur quotidien, eux qui n’ont pour horizon que l’autoroute A3 et la zone industrielle attenante au lycée ou même le Darty ne trouve plus beaucoup de clients. Pour cela, elle va faire appel à Paul, un écrivain en galère, qu’elle fait venir pour animer un atelier d’écriture susceptible de donner des idées à des élèves qui ont plus l’habitude de « scroller » sur leurs écrans plutôt que de prendre un stylo et une page blanche.


    Thomas B Reverdy dépeint un lycée de banlieue des années 2020 : des professeurs démotivés ou apeurés et pourtant certains encore motivés à vouloir faire bouger les choses et à se battre contre leur hiérarchie et les décisions arbitraires. Un constat aussi sur les conditions matérielles déplorables lorsque les élèves doivent vivre dans un établissement dont les travaux qui devaient être provisoires s’éternisent dans le temps. Le livre est découpé en fonction des heures de la journée ce qui donne un rythme dynamique au récit. Le grand secours du titre est peut-être l’espoir qu’il peut encore exister de pouvoir verbaliser et s’exprimer sur ses attentes, ses rêves même si ces derniers semblent inatteignables plutôt que de se cantonner à la violence et au ressentiment. 


    Une photographie de l’époque qui aborde l’extrême sensibilité d’un sujet pourtant majeur : l’éducation pour inculquer les valeurs du vivre ensemble. Ce qui parait bien difficile.


    Flammarion – 21.50 euros.


  • Western - Maria POURCHET

    "J'entends par western un endroit de l'existence où l'on va jouer sa vie sur une décision". Nous ne sommes pas dans les plaines de l'Ouest américain mais bien en France, de nos jours, point de règlement de comptes à coups de pistolets mais une métaphore de l'amour post #MeToo.


    C'est la rencontre improbable entre Alexis Zagner, comédien qui a trop joué de son charme auprès de ses admiratrices et Aurore, femme en questionnement qui a quitté Paris et ses tracas et qui tente de trouver un nouveau sens à sa vie.

    Alexis est l'archétype du cow-boy viril mais qui, sentant le vent tourner, quitte lui aussi la ville et part en cavale à la recherche de la rédemption. Aurore est cette femme qui sert et ressert le café dans une maison perdue dans les Causses, qui le retient, le séduit, cherche à percer son secret au risque de dévoiler les siens. La tempête médiatique se déchaîne contre l'acteur tandis qu'Aurore engage un combat contre ses propres démons, provoquant un duel impudique entre les deux personnages.


    Un roman porté par une écriture somptueuse qui nous pousse à la réflexion sur notre époque, ses relations compliquées, ses rapports amoureux incompréhensibles, ses violences et ses faiblesses. Maria Pourchet confirme une fois encore son talent à mettre en scène des personnages dont elle transcende les vies banales, à la limite de l'ennui, en un jaillissement de mots, de description de sentiments: le western ici, c'est aussi le voyage intérieur pour repousser ses propres frontières.


    Stock - 23.90 euros (parution 23/08/2023)

  • Quand on eut mangé le dernier chien - Justine NIOGRET

    Expédition Aurora, Antarctique 1912. Récit d'une expédition scientifique menée par trois hommes où rien ne se passera comme prévu, l'imprévisible sous ces latitudes étant la règle.


    Tempêtes, températures extrèmes, crevasses, auront raison de l'équipée. Comme un décompte funèbre, les pertes successives de leurs chiens rythment le récit. Ces chiens de traineaux sont le fil ténu qui les maintient en vie et en humanité.


    Qu'adviendra-t-il, quand par nécessité vitale, les hommes seront contraints à s'en nourrir et quand ils auront mangé le dernier chien?


    Au Diable Vauvert - 19 euros (parution le 24/08/2023)

  • Lapvona – Ottessa MOSHFEGH

    Après le succès de son roman « Mon année de repos et de détente » publié en 2019, l’écrivaine américaine Ottessa Moshfegh nous propose un des titres de la rentrée littéraire des plus original. Dans un monde médiéval non localisé ni vraiment temporalisé, Jude, un berger vit avec son fils difforme Marek au pied du domaine de leur souverain Villiam, qui assure le rôle de protecteur pour la population de Lapvona, la localité où ils vivent. Sa mère disparue, Marek trouve du réconfort auprès de la nourrice Ina, une vieille guérisseuse aveugle, aux méthodes particulières qui communique avec les oiseaux (…) et qui a participé à la mise au monde d’une bonne partie de la population locale. C’est alors qu’une escapade de Marek, dans les hauteurs du village, va lui donner l’occasion de rencontrer Jacob, le fils de Villiam et l’entrainer dans un tourbillon auquel il ne pouvait guère s’attendre. 


    Lapvona est un roman particulier : mi-fable, mi- conte, les différents personnages issus de l’imagination galopante d’Ottessa Moshfegh vivent pour le moins des aventures intrigantes. Des situations surprenantes, imprévisibles qui s’enchaînent de manière brutale (la mort rode souvent du côté de Lapvona) mais qui paraissent tout à fait normales pour la galerie de protagonistes dont le sens moral et la capacité de bouleversement semble fortement émoussés. Une chose est certaine, la cupidité, l’hédonisme, le ressentiment, la frustration font partie du canevas concocté par l’auteure. C’est aussi l’absence de toute empathie de la majorité des personnages qui frappe, comme une allégorie sur l’indifférence, chaque individu vivant dans sa bulle, sans se soucier vraiment de ses actes et surtout de son « prochain ».


    Un titre assurément différent, dérangeant, malaisant, mais qui tant à prouver qu’il est encore possible d’écrire des romans curieux dans la forme et la construction, où la liberté d’interprétation laissée au lecteur l’emporte sur la facilité de tout vouloir expliquer.  


    Fayard – 22 euros (parution le 23/08/2023)

  • Tout part à la nuit – Louis CABARET

    La vie de famille de Tiffanie est brisée. Depuis que son mari est en prison, elle doit assurer les charges du foyer tout en canalisant ses deux enfants, Joris âgé de 7 ans et Chris, son ainé de 15 ans. C’est surtout avec ce dernier qu’elle éprouve le plus de difficultés, que ce soit par son comportement à l’école et surtout du fait d’une violence (physique et verbale) qu’il ne parvient pas à maîtriser. C’est lors d’une de ses rares sorties que Tiffanie fait alors la rencontre de Marvin : enfin une véritable bouffée d’oxygène pour la mère de famille. Une respiration puis une épaule espère-t-elle sur laquelle s’appuyer au quotidien. Marvin se heurte tout de même à une certaine réticence des deux enfants et son intégration dans le foyer déstructurée n’est pas des plus aisé. Petit à petit cependant, il parvient à se faire une place, de partie de pêche en moments de complicité rendus de plus en plus naturels. Cependant, le doute persiste quant aux bons sentiments développés par le nouveau venu, notamment dans le regard de Joris, pour qui ce nouveau papa, qui prétend ne surtout pas vouloir le devenir, semble surjouer la perfection.


    « Tout part à la nuit » est le premier roman de Louis Cabaret qui a puisé dans son expérience de travailleur social avec des enfants souffrant de troubles du comportement pour exprimer avec réalisme les scènes de tension entre des adultes et des enfants perdus dans leurs rapports familiaux. Le roman aborde aussi avec tact le thème de la parentalité en prison avec des scènes de rencontres rendue douloureuses du fait de l’éloignement et des difficultés à recréer des contacts entre de quasi-inconnus. 


    Ce court roman est une bonne surprise, ne tombant ni dans le misérabilisme ni dans le larmoyant pour exposer une famille aux liens distendus, détruits, qui compte sur une « bonne personne » pour essayer de reprendre pied. Tout ne peut que s’arranger puisque Marvin a fait son apparition. Ou peut-être pas. 


    Liana Levi – 19 euros (parution le 24/08/2023)

  • Le chant des innocents – Piergiorgio PULIXI

    Un meurtre d’enfant est toujours choquant, traumatisant. Et ce même pour un professionnel expérimenté comme l’est le commissaire Strega. Bien qu’étant pour l’instant suspendu par sa hiérarchie pour un « accident », son ancienne collègue enquêtrice Teresa Brusca ne peut se passer de lui demander ses conseils avisés dans l’investigation dont elle a la charge en son absence. Car la multiplication des drames s’enchaine avec le même mode opératoire : les victimes sont retrouvées sur les scènes de crime avec leurs bourreaux. Mais pas n’importe quels tueurs : d’autres enfants, habités par une haine et une détermination paraissant sans faille et sans aucun remords. Devant le nombre d’exécutions, les autorités s’interrogent : effet de mimétisme ? liens existants entre les victimes et leurs assassins ? Strega, qui n’est pourtant pas au mieux, professionnellement ou personnellement, va malgré les embûches de sa situation s’impliquer dans l’enquête et essayer d’expliciter cette soudaine épidémie meurtrière.


    Piergiorgio Pulixi, l’auteur Sarde à qui nous devons déjà deux romans, « L’illusion du mal » et « L’île au diable », publiés chez Gallmeister, nous dévoile cette première enquête du commissaire Vito Strega sous forme d’une histoire policière des plus classique : un personnage principal torturé et à contre-courant mais tellement efficace que sa hiérarchie ne peut que fermer les yeux devant ses errements. Il s’agit surtout dans cette première affaire de semer les prémices d’intrigues qui nous donneront certainement la chance de retrouver très rapidement le nouveau policier charismatique « prisonnier d’un besoin inassouvi de justice et prêt à tout pour apaiser en lui le chant assourdissant des victimes ».


    Comme l’indique l’éditeur, un « page turner » efficace et implacable qui joue avec les nerfs du lecteur et interroge les notions de bien et mal.


    Gallmeister – 23.80 euros (parution le 17/08/2023)

  • Un très honnête bandit – Antoine ALBERTINI

    Nous sommes en Corse à la fin du XIXème siècle. Tout débute par la mort d’un chien. Apparemment ce dernier n’a pas succombé de manière naturelle, mais plutôt de la main d’un homme. L’animal appartenait à la famille Tafani. En corse, il existe un dicton « chi tomba u ghjacasu, tomba l’omu » : qui tue le chien tue son maître. Et du fait des antécédents, les soupçons se portent tout de suite sur la famille Rocchini. Depuis des années, les sources de conflits et de tension entre les républicains Rocchini et les bonapartistes Tafani ne manquent pas. Mais jusqu’à présent, c’était l’indifférence, teintée de méfiance, qui donnaient un semblant de normalité à leurs rapports. Mais l’occasion étant bonne, l’implacable machinerie se met en route : une première exécution, puis une autre et un homme se révèle : Xavier Rocchini. Il va devenir une figure locale, puis nationale, un bandit qui va au fur et à mesure créer sa propre renommée, au point d’être surnommé l’ »animali »( la bête sauvage). Mais en 1882 débarque sur l’ile de beauté Victor Franchi, un gendarme singulier, bègue, peu expressif voire taciturne qui va devenir pourtant l’un des plus grands traqueur de bandits corses.


    Tiré d’une histoire vraie (seul le personnage de Victor Franchi semble romancé), Antoine Albertini nous précipite dans cette Corse hostile du XIXème siècle, un territoire où les règlements de compte sont légion, les rancœurs tenaces et où on ne fait que moyennement confiance à la Justice des tribunaux. L’auteur dépeint donc un quotidien fait de silence, de ruminations, de vieilles querelles qui réapparaissent alors qu’on les pensait oubliées, d’habitant apeurés, de forces de l’ordre démunies. Il faut dire que la terre Corse se prête très bien aux disparitions, à la vie cachée au sein du maquis, le temps que les choses se tassent. Et qu’elles puissent reprendre de plus belle. 


    L’auteur insiste également sur le folklore Corse, la façon dont se développés les clichés sur l’île, contextualisés grâce à des chapitres indépendants du cheminement de son roman, ces histoires que la Corse perpétue elle-même pour créer et faire vivre sa propre légende. Antoine Albertini, dans ses remerciements, salue la mémoire d’un vieux berger qui n’a pas voulu le rencontrer pour lui parler des origines de la vendetta entre les Tafani et les Rocchini, parceque 135 ans après les faits, « cette histoire, par ici, c’est encore un peu chaud »…faut-il préciser que l’auteur est lui-même d’origine Corse ?


    JC Lattès – 21.90 euros (parution le 23/08/2023)


  • La contrée obscure - David VANN

    Hernando de Soto est un conquistador espagnol du XVIème siècle. Il participe à la conquête de l’Amérique centrale et aussi, aux côtés de Pizzaro, aux épopées en Amérique du sud au début des années 1530. Son parcours d’explorateur et ses réussites l’amènent alors en 1539 à entreprendre une des premières expéditions coloniales espagnole en Amérique du Nord où il traverse une bonne partie du sud-est des Etats-Unis avec comme point de départ « La Florida ». Au-delà de la découverte de nouveaux horizons, il a surtout une seule chose en tête : L’OR. 


    C’est ce passage de l’histoire auquel se consacre le dernier roman de David Vann qui reste très fidèle aux évènements historiques quant à l’avancée heurtée de de Soto et de ses compagnons. Outre le conquistador, il développe le personnage (ayant lui aussi existé) de Juan Ortiz, un jeune espagnol capturé et torturé par une tribu amérindienne lors d’une précédente expédition et qui va jouer un rôle central en tant qu’interprète, lors des souvent sanglantes rencontres entre les collons et les autochtones. Il essaiera plus d’une fois de canaliser de Soto mais souvent en vain. Car il va être souvent question dans ce roman d’échanges brutaux, de fourberies, de tromperies prodiguées par des conquistadors espagnols découvrant une faune, une flore, des cultures jusque là inconnues. Et dont l’aspect culturel et bien le dernier des soucis en comparaison de leur appétit de nourriture, de femmes et d’or. 


    David Vann a choisi d’alterner son récit historique avec des phases plus oniriques, dans lesquelles nous ferons connaissance avec l’Enfant Sauvage et tout un univers issu du mythe de la création Cherokee qui imagine notre monde comme une ile flottant dans une mer et retenue par quatre cordes (comme les points cardinaux) avec le risque qu’elles se coupent un jour provoquant la disparition de la Terre.


    David Vann remonte le temps pour relater les premiers contacts rugueux entre les conquistadors et les Cherokee et rend ainsi hommage à ses ancêtres, comme il le notifie à la fin du roman. Son dernier ouvrage se démarque par sa violence et sa crudité et des scènes souvent peu soutenables émanant d’hommes obnubilés par l’or et la gloire, éternels insatisfaits, semant la désolation et la terreur. 


    Gallmeister – 25.50 euros (parution 17/08/2023)


  • Paradise, Nevada – Dario DIOFEBI

    Dans la grande majorité, les romans se déroulant dans l’environnement d’un casino, qui plus est à Las Vegas, abordent la mafia ou bien une sombre histoire de braquage ou de cambriolage. Dario Diofebi lui s’est approprié le cadre de la ville du Nevada pour se consacrer aux vies des personnes qui y jouent, y travaillent, ou tout simplement gravitent autour des temples du jeu et de la démesure. Son lieu d’étude (fictif) est donc le casino de (grand) luxe Paradise, un espace dédié 24h sur 24 et 7 jours sur 7 au jeu, à la dépense, un univers parallèle au quotidien du commun des mortels. Ses personnages ont en commun de ne plus trop savoir où ils se trouvent eux-mêmes dans leur propre vie. On découvre ainsi Ray, un ancien joueur de poker en ligne qui fuit à la fois sa famille et sa précédente carrière et pense pouvoir se refaire une santé dans une véritable salle de jeu, en continuant à considérer les mathématiques comme couteau suisse capable de solutionner toutes les problématiques de l’existence. Il y a aussi Mary Ann, une ancienne mannequin ayant à peine franchi la vingtaine et déjà épuisée par sa propre image et celle qu’elle souhaite proposer aux autres, qui va vouloir tracer sa propre voie en intégrant le personnel du casino. Autre profil, Tommaso, un italien fraîchement débarqué de Rome après avoir remporté un tournoi local, qui vit dans l’ombre de son frère à qui tout semble réussir et qui veut devenir le fameux homme « alpha » dont on parle dans les médias, celui qui ne doute pas et sait s’imposer. Enfin, quelques mots sur Lindsay qui rêve de succès littéraires sur la Côte Ouest et qui résiste jusque là à profiter de ses (bonnes) relations pour parvenir à faire son trou dans le milieu. Mais jusqu’à quand ? Et bien entendu, au-delà de ces personnages centraux, d’autres qui le sont tout autant : ceux qui font tourner la machine à rêves, qui ont bien du mal à se faire entendre lorsqu’il est question de reconnaissance, d’obsolescence programmée pour une femme lorsqu’elle a passé la trentaine et qui voient l’IA s’approcher dangereusement et venir empiéter sur leurs métiers demain.


    Dario Diofebi connaît bien son sujet lui qui est né à Rome (comme Tommaso), est devenu professionnel dans le poker en ligne (comme Ray) et qui s’est installé aux Etats-Unis pour suive un programme à la New York University pour se consacrer à l’écriture (comme Lindsay). Au-delà de ces points communs, il a su mettre en avant un jeu complet de profils et de personnalités attachantes que l’on suit avec entrain. Il parvient également parfaitement à restituer le côté 100% factice de Vice City, Las Vegas comme le parangon de l’imitation (on y trouve aussi bien la tour Eiffel en format réduit que des jardins de la côte italienne), de l’excès et du non-sens écologique (doit-on vraiment aborder le sujet de l’exploitation de l’eau ?). 


    Ce premier roman nous plonge dans un huis-clos, dans ce monde à part de Las Vegas, un milieu interlope légendaire car il est bien connu que « ce qui se passe à Vegas, reste à Vegas ».  C’est aussi un roman sur l’Amérique, qui essaie toujours de vendre ses rêves avec des moyens quasiment illimités mais qui fait également tout pour cacher les revers de fortune qui peuvent l’être tout autant.


    Albin Michel – 23.90 euros (parution le 23/08/2023)

  • Perspective(s) – Laurent BINET

    Laurent Binet s’immisce de nouveau dans l’Histoire, après HHhH et Civilizations, pour son nouveau roman Perspective(s). Cette fois, c’est à Florence et durant l’année 1557, avec le peintre Pontormo qui est retrouvé mort devant la fresque sur laquelle il œuvrait au sein de l’église de San Lorenzo, missionné par Cosimo De Médicis, duc de la Ville. Son décès pourrait être envisagé sous l’angle de suicide tant la tâche semblait peser sur les épaules de l’artiste, mais le fait qu’il ait été retrouvé frappé à la tête et poignardé laisse à penser qu’une raison plus sombre peut entourer sa disparition. Dans la foulée, la famille Médicis et plus précisément la fille du Duc Maria, se retrouve malgré elle dans la tourmente, potentiellement exposée à la vue de tous dans une posture scabreuse sur une peinture retrouvée à l’occasion de la mort de Pontormo, représentation qui pourrait nuire à la bonne réputation de la famille, qui plus est dans l’optique d’un mariage stratégique. Alors, est-on face à un véritable suicide, ou à un meurtre perpétré sous le coup de la vengeance d’un serviteur frustré, d’un concurrent jaloux ou d’une personne haute placée soucieuse de la renommée de la famille Médicis ? Ne doit-on pas non plus exclure l’action d’une puissance extérieure ? C’est Georgio Vasari, lui-même peintre et homme de confiance des Médicis qui va devoir se charger de faire la lumière sur cette mystérieuse affaire.


    Perspective(s) est construit sous forme d’échanges de lettres entre les différents personnages historiques de l’époque autour de cette mort suspecte et pour le coup sortant tout droit de l’imagination de l’auteur. Le lecteur aura donc le privilège d’accéder à la correspondance des Médicis mais aussi d’autres illustres protagonistes tels que Michel-Ange ou Catherine de Médicis.  


    Laurent Binet se penche avec talent sur la période de la Renaissance pour y inscrire un polar historique épistolaire pertinent. Il installe rapidement ses personnages que l’on parvient facilement à identifier de par leur façon de s’exprimer, avec leur point de vue sur le crime mais aussi ce qu’ils ont à y gagner ou perdre. Dans une Europe morcelée et instable, l’art endosse plus que jamais un rôle majeur, le XVIème siècle est peut-être la période de l’Histoire qui l’a le plus utilisé à des fins éminemment politiques. Pouvoir, ambition, vengeance, ressentiments, les ingrédients sont mélangés avec adresse et dextérité pour nous embarquer. 


    Grasset – 21.50 euros (parution le 16/08/2023)

  • Okavango - Caryl FEREY

    Après l’univers glacial de « Lëd », voici le grand retour de Caryl Ferey en Afrique et plus précisément dans une réserve entre Rwanda, Namibie et Angola, un endroit où la faune africaine est protégée… en principe ! Car l’auteur dénonce dans ce polar une des plaies, parmi tant d’autres, de ce continent : le trafic d’animaux.


    Il nous entraîne dans les pas des rangers qui veillent sur des espaces immenses et qui tentent de surprendre et d’arrêter les braconniers dont les techniques de chasse se perfectionnent chaque jour davantage, recrutant des pisteurs ou des chasseurs en profitant de la misère des populations locales. Ranger, c’est le métier de Solanah Betwase qui a fait de cette lutte un engagement total ; aussi, quand le cadavre d’un jeune homme est retrouvé dans la réserve privée de Wild Bunch, elle commence une enquête dont elle est loin d’imaginer toutes les ramifications. Le propriétaire de la réserve au passé militaire inquiétant est-il réellement de son côté ? Des rumeurs courent également sur la présence du pire braconnier de la région, connu sous le nom du Scorpion.


    Un polar mais pas que ! Ce roman est aussi un hymne à la beauté de cette faune africaine si menacée et aux personnes qui vouent leurs vies à la sauver. 


    Gallimard série Noire - 21 euros - Parution le 17/08/2023

  • Trust - Hernan DIAZ

    Roman qui nous plonge dans le Wall Street de la fin du XIXème siècle jusqu'à la crise de 1929, à travers la vie d'un magnat de la finance, surdoué, Benjamin Rask.


    Benjamin Rask ou Andrew Bevel? qui est-il vraiment? Quelle relation entretenait-il avec son épouse, philanthrope et amie des arts? 


    La construction du roman est à la fois déroutante et géniale. Construit en quatre parties, les deux premières sont relativement similaires par rapport à l'histoire qui y est narrée, mais avec des variations qui interrogent le lecteur.


    Les clés de lecture commenceront à être délivrées à partir du troisième chapitre. 


    Roman exigeant et d'une grande originalité formelle.


    (Le roman a reçu le prix Pulitzer 2023).


    Editions de l'Olivier - 23.50. (Parution le 18/08/2023)

  • Chien sauvage – Pekka JUNTTI

    Les éditions Gallmeister poursuivent leur diversification éditoriale en nous proposant le premier roman d’un auteur finlandais, Pekka JUNTTI. « Chien sauvage », se passe à la fin des années 2000, et il est donc question d’un jeune homme, Samuel, dit « Samu » qui refuse le parcours tout tracé que voudrait lui voir suivre son père, à savoir travailler comme lui dans la mine locale et rejoindre chaque soir une barre HLM sans âme. Le rêve de Samu est plutôt une vie de liberté, de nature. Son idéal serait de participer à une course de chiens de traîneau, bien que cette pratique soit une pure importation nord-américaine (en Finlande, ce sont les rennes et non pas les chiens qui étaient utilisés pour traverser les étendues enneigées). Samu va alors quitter sa famille et s’orienter vers la Laponie pour aller travailler dans une ferme locale avec le secret espoir de pouvoir assouvir son rêve. L’occasion va se présenter lorsque deux chiens vont s’échapper d’un chenil et redevenir sauvages. Et deux chiens sauvages relâchés dans la nature, au milieu des élevages de rennes et en pleine saison de chasse, cela ne plait que moyennement aux locaux. Samu va tout de même s’entêter à vouloir retrouver les deux fuyards, pour le pire mais aussi le meilleur puisqu’il croisera la route de Aava. Cette jeune fille, serveuse faute de mieux, vit chez sa grand-mère et voue une haine farouche à son père. Le récit nous mènera à la fin des années 40, époque pendant laquelle d’étranges arrangements ont eu lieu sur fond de relance économique de la Patrie finlandaise qui avait beaucoup souffert de la présence Nazie sur son sol.


    Voici un récit étonnant, de par son rythme, du fait que l’auteur, tout comme les deux chiens récalcitrants, ne nous facilite pas la tâche, se plaisant à nous perdre parfois dans l’espace-temps. A ce sujet, la temporalité, exprimée en chaque tête de chapitre est primordiale pour assembler les pièces du puzzle qui nous est dévoilé à la fin du livre. Pour le reste, nous sommes face à un pur moment de natural writing, ses épisodes de pêche, de communion avec la nature et comme garde-fou cette nature prête à happer ceux qui pense pouvoir lui tenir tête.


    A noter que Pekka JUNTTI, dans sa conception de respect de ladite nature, s’attache à se déplacer en train dès qu’il le peut, y compris pour des trajets allant jusqu’à plusieurs jours. 


    Gallemeister – 24.50 euros (parution le 07 septembre 2023)

  • Par-delà l'oubli - Aurélien CRESSELY

    Le frère cadet de Léon Blum, René,  a été une figure de son temps. Moins connu que son célèbre frère, il a fait carrière dans la culture: d'abord journaliste et critique à la Revue Blanche, il est surtout un directeur artistique de casinos et de théâtres, apprécié, travailleur infatigable, il reprend notamment le théâtre de Monte Carlo et contribuera au succès des ballets russes. Il a également été celui grâce à qui Proust a fini par trouver un éditeur, relatant une querelle entre Grasset et Gallimard à propos de la Recherche du temps perdu.


    Mais en décembre 1941, il fait partie de cette rafle des notables organisée par les nazis assistés par la police française: emprisonné comme tant d'autres dans les camps de Drancy puis de Compiègne avant d'être déporté à Auschwitz alors qu'il a une soixantaine d'années. Il ne reviendra pas.


    Alternant entre les affres de la survie dans les camps et les facettes de sa vie d'avant, l'auteur brosse un portrait tout en nuances d'un homme profondément humaniste, d'un courage sans faille et pourtant miné par une vie de famille chaotique et un certain complexe d'infériorité vis à vis de son frère.


    Un premier roman qui nous fait découvrir le destin d'un homme méconnu dont l'engagement pour la France était sincère et profond.


    À lire en parallèle: "La rafle des notables" d'Anne Sinclair, texte auquel l'auteur se réfère.


    Gallimard - 18,50 euros

  • Les affreux – Jedidiah AYRES

    Parfois les titres sont sibyllins. Pour ce roman de l’auteur américain Jedidiah Ayres il n’en est rien : voici 335 pages remplies d’affreux. Souvent sales. Vraiment méchants. Une galerie d’une dizaine de personnages, un shérif, des adjoints, des petites frappes spécialisées dans les hold-up de stations-services, un gérant de magasin d’article de pêche/bar obscure avec activité de prostitution, tous doté d’une solide absence de tout scrupule. Sans aucun état d’âme, avec une haine commune pour les empêcheurs de magouiller tranquillement, cette petite communauté d’une ville du Missouri n’a pas de temps à consacrer aux remords. La drogue, la prostitution, le blanchiment d’argent c’est aussi un moyen de garder une unité et un certain calme dans la juridiction. Et c’est bien ce qu’a intégré le shérif Jimmy Mondale qui n’est pas le dernier dans tout ce qui touche à l’illégalité. Mais lorsque sa famille, à savoir sa propre fille quelque peu rebelle, se trouve mêlée aux histoires, comme le mentionne bien la quatrième de couverture, une seule chose est certaine : « bastos, cadavres et fractures ouvertes au programme »


    Il ne faut donc pas chercher de morale, de sens caché dans ce roman. Seulement apprécier un livre de 335 pages qui se lit d’une traite, dont les personnages, comme dans un chamboule-tout géant, se télescopent, s’unissent, se frappent (beaucoup), chacun dans sa logique, dans son intérêt, et qui se moque bien comme de son premier cadavre de l’impact de ses actes sur ses semblables. La loi du plus fort, et surtout du plus tordu, a toujours raison !


    Une lecture jubilatoire, l’occasion de déposer le cerveau et de se laisser entraîner par des personnages qui se permettent tout, qui osent tout (c’est paraît-il à cela qu’on reconnait une certaine catégorie de population…) dont le sens de la conservation et de la débrouillardise sont sublimés. Malgré leur pédigrée, qu’on qualifiera de « chargé », on s’attache bien vite à Terry, Chawder, au shérif Mondale, aux adjoints dans la combine, à la serveuse, aux filles acariâtres ou misanthropes, tous entraînés dans une spirale infernale revigorante. A noter que le premier roman de l’auteur s’intitulait « Les Féroces » ce qui donne une idée plus précise sur sa conception de l’humanité et de ses rapports sociaux !


    Equinox les Arènes – 20 euros

  • Eclipse totale – Jo NESBO

    Déjà treize romans au compteur avec le personnage de Harry Hole pour Jo Nesbo, et autant dire que son flic bourru, alcoolique et misanthrope n’est pas au mieux. Après les déboires qu’il a affrontés (cf les 12 romans précédents), il a quitté la Norvège pour les Etats-Unis afin d’essayer de se réapproprier sa propre vie. C’est ainsi qu’il a fait connaissance de Lucille, une actrice septuagénaire au passé glorieux. Toujours alcoolique, bien qu’essayant de lever le pied, il a bien entendu rencontré cette dernière au coin d’un zinc et Lucille n’est pas au mieux non plus, devant beaucoup à des recouvreurs de dettes mexicains. Et leur patience est proche très proche de la limite mortifère. Entraîné dans la boucle, on ne se refait pas, Hole va recevoir un coup de téléphone provenant de Norvège qui va peut-être tout arranger : l’avocat d’un éminent homme d’affaire lui demande de rentrer et de venir mener l’enquête, à titre privé, pour arriver à disculper son client des doutes émis par la police locale : deux jeunes filles ont disparu juste après une soirée festive organisé par le magna. Le fait qu’il soit considéré comme leur « sugar daddy », qu’il soit également question de drogues, potentiellement de chantage quant à des révélations qui pourraient s’avérer mauvaises pour les affaires, autant dire qu’Harry va avoir du travail. Une forte somme d’argent lui est promise, qui viendrait sortir son actrice vieillissante de l’embarras. Mais il aura seulement 10 jours et pas un de plus, pour trouver une issue sinon Lucille viendra rejoindre le rang des victimes…


    Nous retrouvons avec plaisir Harry Hole, l’inspecteur fétiche de Jo Nesbo. Un Harry très abimé, très abattu après les épreuves qu’il a dû surmonter lors de ses précédentes aventures mais n’ayant toujours pas perdu son talent lorsqu’il est question de débusquer un criminel. Au sujet du passé de Hole, Jo Nesbo parvient à nous rafraichir la mémoire, en recontextualisant son histoire tout en évitant l’effet « fiche wikipédia » des différents personnages de son passé qui reviennent dans cette histoire. Eclipse totale peut donc être lu même par un lecteur n’ayant pas encore fait connaissance avec « dirty » Harry. Les autres apprécieront de retrouver des protagonistes qu’ils ont déjà croisé. Hole saura les fédérer pour tenter de faire la lumière sur cette histoire sordide. Car oui, comme souvent chez Nesbo, l’horreur écœurante n’est jamais bien loin…


    Un très bon retour aux sources après l’épisode « Leur domaine », un roman noir qui continue d’explorer la complexité des rapports humains, l’atrocité qu’il peut en découler, dans lequel le passé, que ce soit du côté des « gentils » ou des « méchants » n’est jamais anodin…


    Série Noire Gallimard – 22 euros

  • L'épaisseur d'un cheveu -Claire BEREST

    Vive va mourir, l'autrice nous l'annonce dès les premières lignes et on connaît déjà son assassin: son mari, Etienne Lechevallier. Vive est, à l'image de son surnom, une femme pétillante, rayonnant d'une aura qui attire autour d'elle de nombreux amis. Tout le contraire d'Etienne qui mène une vie millimétrée, ne supportant aucune contrariété, aucun écart  un emploi du temps figé: vacances en Italie tous les étés, concerts de musique classique les mardis. Il travaille comme correcteur dans une maison d'édition, prenant très à coeur sa mission de relecteur, traquant les fautes, les tournures de phrases maladroites, prenant l'initiative de réécrire des paragraphes entiers, persuadé de rendre service à l'auteur, de sauver sa maison d'édition d'une faillite certaine, bref il est devenu indispensable à la littérature.


    Quand Vive annule leur sacro-sainte soirée du mardi sous un prétexte qu'il estime futile, il commence à ruminer, à ressasser les petites mesquineries de sa femme, ses habitudes de plus en plus insupportables. Ne voit-elle pas tous les efforts qu'il fait pour elle? D'accord, il n'a pas vu qu'elle avait changé de coiffure, mais elle, elle ne fait pas attention à son bien être alors qu'il s'apprête à lui révéler son grand Projet sur lequel il travaille depuis quelques temps; il va l'étonner et la rendre fière mais il faut qu'elle arrête de l'ignorer. Et si elle lui mentait?


    Claire Berest décortique la mécanique du couple dans ses derniers soubresauts et comment la folie peut gagner un esprit. Mais justement, est-ce vraiment un coup de folie ou cet homme, au patronyme si chevaleresque, préméditait-il son geste depuis plusieurs années?


    D'une écriture resserrée et oppressante Claire Berest nous propulse dans la tête d'un homme qu'on sent sombrer peu à peu, jusqu'au point de bascule. Il n'avait rien d'un assassin, elle n'avait rien d'une victime et il aurait suffi d'un détail, de l'épaisseur d'un cheveu pour que les choses se passent autrement.


    Albin Michel - 19.90 euros

  • Mary - Anne EEKHOUT

    Ce titre très sobre cache un grand destin: celui de Mary Shelley, l'autrice du célèbre Frankenstein. Anne Eekhout revient sur ces années déterminantes qu'ont été l'adolescence puis sa vie de jeune femme mariée. Elle évoque en fait deux séjours qui ont semble-t-il, marqué l'esprit déjà débordant d'imagination de la jeune fille.


    Orpheline de mère, élevée à Londres par son père, philosophe, et par une belle-mère un peu folle, avec sa demie-soeur au caractère chagrin, on l'envoit en cure pour une maladie de peau en Ecosse chez des amis. Elle a une quinzaine d'années et dans cette maison très accueillante où l'on passe les soirées devant la cheminée à se raconter des histoires inquiétantes, elle rencontre Isabella, jeune fille instable mais dont l'imagination n'est pas en reste. Elles se promènent dans les landes torturées cherchant à percer les mystères des anciennes légendes, dénichant des monstres aux bords des lacs. Un homme au comportement d'autant plus troublant qu'il s'agit du beau-frère d'Isabella, semble cacher de bien étranges expériences dans son laboratoire. Les deux amies se promettent de percer à jour cet homme mystérieux alors que les événements de plus en plus étranges s'accumulent jusqu'à une tragédie qui bouleversera le cours des choses... à moins justement qu'elles ne retrouvent un cours normal.


    Quatre ans plus tard, Mary séjourne en Suisse avec son mari Percy Shelley, poète, sa demie-soeur ainsi que Lord Byron et John Polidori, médecin et écrivain, dispensant largement du laudanum dans le vin de ce groupe aux amours très libres. Le temps est à la pluie diluvienne, et chacun essaye d'écrire, ils se réunissent, lisent, se racontent des histoires effrayantes. Reviennent alors à la mémoire de Mary, ces mois passés en Ecosse, et le souvenir d'une créature entr'aperçue ou rêvée se mélangeant au désespoir de la perte de son premier enfant, une petite fille qui n'a pas vécu et que la présence de son fils, bébé bien vivant, ravive douloureusement. Dans cette ambiance gothique, où se mêlent réalité, cauchemars, rêves baignés de laudanum, hallucinations, Mary va trouver l'exutoire à ses monstres intérieurs: l'écriture.


    Ce roman sensuel nous plonge dans le bouillonnement d'un esprit à l'imagination sans limite, "portrait d'une jeune fille en feu", qui fait tour à tour, l'expérience de l'amour et de la perte.


    Gallimard - 24 euros (parution le 07/09/2023)

  • La Sentence - Louise ERDRICH

    La sentence, c'est celle qui a été prononcée contre Tookie, jeune femme d'origine amérindienne: elle aurait dû passer 60 ans en prison pour trafic de cadavre et de drogue, manipulée par une "amie". Les livres deviennent son refuge. Quand elle bénéficie quelques années plus tard d'une libération conditionnelle, elle met à profit cette culture acquise au fil de ses lectures et ose pousser la porte d'une petite librairie de Minneapolis, la librairie de Louise, qui propose un fonds de littérature autochtone. Sa vie se stabilise et s'écoule paisiblement. C'est juste après la mort d'une fidèle cliente, d'aucun dirait envahissante, passionnée de culture amérindienne au point de s'imaginer une grand-mère indienne, que l'histoire s'emballe, aux Etats-unis et dans le monde entier. 


    C'est d'abord une histoire de fantôme, celui de Flora, cette fameuse cliente qui vient hanter la librairie et bousculer les certitudes de Tookie. Puis c'est une pandémie qui met le monde à genoux alors que la ville était encore à feu et à sang suite à l'assassinat de George Floyd.


    Louise Erdrich aime les livres et les librairies: elle connaît les tourments des libraires quand ils doivent porter le costume de gestionnaire, mais elle connaît également leurs joies et cet engagement quotidien voué à la littérature: quand elle décrit les sentiments de ses personnages quand les librairies sont devenues commerces essentiels, il faut l'avoir vécu de l'intérieur. Et c'est avec tout son talent de conteuse qu'elle nous régale avec ce grand roman qui nous parle de fantômes bien plus dangereux que ceux qui hantent l'Amérique toute entière et se nomment racisme et intolérance.


    (Attention, les listes de conseils de livres vont vous faire retourner dans votre librairie favorite pour les trouver de toute urgence! :-) )


    Albin Michel - 23.90 euros (parution le 06/09/2023)

  • Les insolents – Ann SCOTT

    Alex, l’héroïne principale du nouveau roman de Ann Scott a réalisé ce que tout bon parisien envisage un jour ou l’autre : partir s’installer au milieu de nulle part, et en l’occurrence ici le Finistère. Déçue par ses relations qui ne la mène nulle part (que ce soit avec les femmes et hommes avec qui elle partage « ses morceaux de vie »), pouvant matériellement se le permettre (musicienne, elle compose notamment des bande-originales pour des grosses productions cinématographiques), un univers aventureux et intriguant s’offre à elle : faire ses courses lorsqu’on ne possède pas de voiture et que le premier supermarché est à plus de 7 kms, découvrir les plages isolées et la solitude également lorsque le voisinage reste un concept inconnu. Partir loin, c’est aussi et surtout se couper de ses proches et voir apparaître petit à petit une fêlure, puis un gouffre dans les rapports avec ceux dont on partageait le quotidien. En parallèle, il sera aussi question de Léo, un jeune trentenaire qui contrairement au choix d’Alex, va voir son quotidien bouleversé et remis en question, à l’aube d’un avenir prometteur, lors d’une violente rencontre dans une ruelle sombre. Une autre forme de solitude, lorsqu’on ne comprend plus son environnement et inversement.


    Les insolents est un roman qui aborde l’introspection, le recentrage sur soi-même et surf (avec talent) sur les sentiments développés par une partie de la population à l’issue de l’épidémie de COVID du début des années 2020 (qui sera abordé dans le dernier tiers du roman). Ann Scott nous invite à partager les saisons de cette parisienne déracinée, qui réalise un constat sévère mais argumenté sur l’état d’une société qui accorde « trois millions de ‘likes’ quand Timothée Chalamet post un gobelet de noodles à moitié vide » sur un réseau social. Elle aborde aussi la place de l’art et de la culture comme refuge de plus en plus précaire. 


    On pourrait alors craindre en ouvrant ce roman de se retrouver rapidement face au terrible « c’était mieux avant » mais au-delà de ce constat, certes tout de même un peu évoqué, Ann Scott laisse s’exprimer ses personnages pleins d’humanité. Plutôt de grands blessés que des donneurs de leçon patentés, des victimes plutôt que des bourreaux qui tâchent de tenir la barre coûte que coûte au sein d’une société toujours plus agressive, impatiente, clivante. 


    « Cela fait longtemps que dans les dîners, les conversations, plus personne ne se retrouve autour d’un film, d’un roman » Un constat amer mais plutôt lucide, qui nous donne un beau cadre de réflexion sur la façon dont le monde nous impacte. Et malgré tout, comment faire avec.


    Calmann Levy – 18 euros (parution le 23/08/2023)

  • Pour mourir, le monde - Yan LESPOUX

    En exergue de ce grand roman d'aventure, l'auteur cite un poème d'Antonio Vieira (1608-1697): "un lopin de terre pour naître; la Terre entière pour mourir. Pour naître, le Portugal; pour mourir, le Monde." C'est dans cet état d'esprit que les navigateurs, et pas seulement les portugais, parcourent les mers du globe. Dans cette première moitié du XVIIème siècle, la route des Indes attirent des navires, tombeaux flottants pour la plupart, de toutes nationalités, en quête de poivre, de cannelle, de tissus précieux et de marchandise humaine (entre nous soit dit, la moins précieuse de toutes). En plus de subir des conditions de navigation des plus incertaines, les affrontements entre portugais, espagnols, hollandais, anglais se soldent régulièrement par des naufrages aussi meurtriers que spectaculaires dont peu d'hommes réchappent.


    Yan Lespoux nous entraîne dans le sillage de Fernando et de son ami Simao, de Diogo et enfin de Marie dont les destins vont se trouver réunis lors d'une tempête dantesque sur la côte à hauteur de Saint Jean de Luz.

    Sur cette côte landaise, la jeune Marie s'est réfugiée auprès de son oncle pour échapper aux autorités suite à un "accident" laissant pour mort son agresseur. Le refuge devient cependant rapidement une prison, car l'oncle est un homme brutal qui régimente d'une main de fer, une petite communauté de résiniers doublés de pilleurs d'épaves.


    De l'autre côté de l'océan, au Brésil, c'est un siège qui s'organise autour de Salvador de Bahia gagnée par les Hollandais mais que les Portugais et les Espagnols espèrent bien reprendre. Diogo, un orphelin, s'engage dans la guérilla portugaise avec l'espoir de sauver sa peau et de connaître un destin plus grand que celui de ses parents.

    A Goa, Fernando, toujours au mauvais endroit, au mauvais moment, cherche à tout prix à rentrer au Portugal: engagé dans l'armée portugaise, il est prêt à tout pour changer son destin.

    Roman d'aventures au souffle épique, cette histoire puise ses racines dans le récit véridique d'un naufrage dont l'auteur a trouvé la trace sur des cartes et dans des textes du XVIIIème siècle. Une flotte de galions, de retour de Salvador de Bahia, que les espagnols et les portugais venaient de reprendre aux Hollandais, s'est abimée corps et biens lors d'une terrible tempête. Dans cette flotte se trouvaient également deux caraques (navire à voiles, de fort tonnage, très haut sur l'eau) qui revenaient d'Inde chargées de marchandises et de diamants, cadeau du sultan de Bijapur à la reine d'Espagne.


    Un roman très réussi, qui ne laisse aucun répit au lecteur en dépit de descriptions détaillées du siège de Salvador de Bahia ou des manoeuvres de navigation.


    Agullo - 23.50 euros (Parution le 24 août 2023)

  • Plan américain – Seth GREENLAND

    Paul préfère qu’on l’appelle Pablo depuis l’école. Nous sommes à la fin des années 70 à New York et ce fils d’un modeste marchand de boutons juif rêve de réussir sa vie en devenant cinéaste. Harold préfère qu’on l’appelle Jay, et surtout dans sa propre famille. Il s’agit de Jay Gladstone que nous avons déjà croisé dans le précédent roman de Seth Greenland « Mécanique de la chute » qui se déroulait 40 ans plus tard. Pour le moment, ce jeune homme issu d’un milieu aisé, rêve lui aussi de cinéma et d’émancipation. Les deux amis se retrouvent donc après que leurs chemins se soient séparés à la fin de leurs études et comptent bien rattraper le temps perdu et pourquoi pas rencontrer par la même occasion la gloire cinématographique. Mais avant cela, la route est longue : dénicher un scénario original, concocter un casting soigné et surtout parvenir à trouver un financement digne des ambitions certaines du projet. Petit à petit, leur (chef)œuvre se dessine : le film s’intitulera « Le dernier homme blanc » et abordera le sujet délicat et ambitieux de la couleur de peau. 


    Le nouveau roman de Seth Greeland aborde donc avec une certaine habilité le fait de pouvoir évoquer par un narrateur un sujet dont il n’a pas la même origine ethnique. Pablo va ainsi expérimenter toutes les difficultés d’un jeune qui ne possède que son ambition et son envie pour parvenir à percer. Jay quant à lui n’est pour l’instant que l’esquisse du magnat de l’immobilier qu’il sera par la suite, mais qui laisse déjà entrevoir de belles promesses dans sa façon de « gérer ses affaires » et dans sa capacité à nager en eaux troubles.


    « Plan américain », c’est aussi une immersion réussie dans la ville de New York au moment où cette dernière est en équilibre plus que précaire entre sa situation économique dégradée et sa position culturelle. A l’orée des année 80, la métropole de la côte Est est un véritable bouillon de culture où la musique (le punk), le théâtre et donc le cinéma, permettent encore aux jeunes de rêver de créer leur propre légende. Ou tout du moins d’essayer. 


    Liana Levi – 22 euros (parution le 07/09/2023)


  • Les aiguilles d’or – Michael MCDOWELL

    Après « l’hénaurme » succès de la série Blackwater, Monsieur Toussaint Louverture va publier sur plusieurs années cinq livres de Michael McDowell, jusqu’alors (étonnamment) restés inédits en France. Le premier s’intitule « Les aiguilles d’or » et se déroule à New York en l’an de grâce 1882. La ville est alors en plein développement mais s’avère être aussi un véritable coupe gorge, notamment le quartier appelé « le triangle noir » où les jeux, la prostitution et les meurtres font partie de la normalité quotidienne. Dans cette partie de la ville s’épanouie la famille Shanks. Ses membres sont cornaqués par Léna, une solide femme d’origine allemande, qui exerce le métier officiel de prêteuse sur gage et celui plus officieux mais tout aussi apprécié de prestataire accommodante pouvant s’occuper de la revente des objets ayant perdus de manière impromptue leur propriétaire d’origine (par voie de meurtre, vol ou autre…). Du côté des beaux quartiers, c’est James qui occupe la place de patriarche au sein de la famille Stallworth. Ce dernier est un juge aussi intraitable qu’expéditif qui souhaite éradiquer, en tant que bon Républicain, le vice provoqué par la misère et ceux qui aiment à s’y complaire. Pour cela, ses espoirs reposent beaucoup sur son gendre, Duncan Phair, une bonne marionnette qu’il souhaite aider à faire conquérir la ville et pourquoi pas faire triompher à plus ou moins long terme grâce à lui, le camps des Républicains dans une contrée qui leur est hostile. Dans les faits, Duncan va être bien malgré lui un des héros de cette histoire, le chainon manquant qui va, sans le vouloir, faciliter le rapprochement impensable entre deux familles que tout oppose. Mais pas pour le meilleur, loin de là.

    Il est incroyable que les écrits de Michael McDowell aient pu rester aussi longtemps inconnus en France tant cet auteur parvient avec malice, style et sens du rythme à transformer des histoires sommes toute classique en galerie de personnages charismatiques et inoubliables. Ainsi, Léna Shanks n’a rien à envier à Elinor de Blackwater et chaque membre des familles est facilement incarné, cerné, avec une réelle densité. On retrouve de nouveau dans « Les Aiguilles d’or » des éléments entraperçus dans Blackwater à savoir des personnages féminins très forts, une critique de la bien-pensance, de l’affairisme et de l’hypocrisie. Aucune dimension fantastique dans ce roman par contre, mais le récit d’un combat sans pitié entre le (supposé) bien et le (supposé) mal. Une lutte à mort et grâce au travail une nouvel fois remarquable sur la couverture réalisée par Monsieur Toussaint Louverture et dessinée par Pedro Oyarbide, il sera amusant d’aller y débusquer quelques indices sur l’histoire qui se cache au sein des pages de ce très bel objet littéraire. Et ensuite se laisser porter, car le moins que l’on puisse dire, c’est que l’an de grâce 1882 a été une année très chargée et très très éprouvante pour les familles Shanks/Stallworth. 

    Vivement les quatre prochaines publications.


    Toussaint Louverture – 12.90 euros (parution le 06/10/2023)

  • A ma soeur et unique - Guy BOLEY

    Qui fut Elisabeth Nietzsche Förster? La sœur du célèbre philosophe aura consacré toute sa vie, ou presque, à assister son frère. Il l'aura aimé plus que tout, au point qu'on les a souvent considérés comme un couple. Sans son soutien, sans sa

    présence, Friedrich, de santé fragile, n'aurait certainement pas pu s'adonner corps et âme à l'écriture. Mais elle aura été également celle par qui la trahison la plus impardonnable, arrive. En épousant Förster, elle adhère à l'idéologie antisémite en pleine expansion en Allemagne et le penseur n'admettra jamais qu'elle ait choisi cette voie. Pendant qu'elle accompagne son

    mari au Paraguay dans la fondation de Nueva Germania, aryenne et pure, le philosophe, marche, écrit, marche encore et écrit

    sans cesse. Jusqu'à l'épuisement et la catatonie. Revenue veuve après trois années d'exil mais persuadée qu'elle ne peut

    connaître d'autre destin que celui d'une reine, elle reprend sa place auprès de son frère qui ne peut guère protester. Il a été retiré de l'asile par sa mère: refusant le diagnostic de la folie, elle entreprend de le soigner à la maison à coup de prières, de tisanes et de chocolat Van Houten. Si Elisabeth comprend très vite que les écrits de Nietzsche vont lui permettre de gagner

    de quoi vivre (largement) et d'atteindre cette reconnaissance dont elle rêve, elle est heurtée, en bonne protestante, par les mots de son frère qui n'hésite pas à clamer que Dieu est mort. Elle va donc faire ce dont tout bon censeur est capable: elle va "arranger" les manuscrits de façon à ce qu'ils collent à ses propres convictions. Et qui, pour la blâmer ou la contredire?

    Surtout qu'elle se donne un mal fou pour récupérer le moindre billet, le moindre brouillon portant l'écriture de son frère: en cela, on peut lui reconnaître une certaine obstination qui aura permis de récolter la majeure partie de son oeuvre.


    Elle fut sa seule et unique sœur. Et seule la prose hors du commun de Guy Boley, pouvait retracer les destins de ces

    personnages: le drame qui se joue sous nos yeux prend des allures d'épopée mythologique on assiste, fascinés, à la naissance d'un mythe.


    Grasset - Parution 23/08/2023

  • De braves et honnêtes meurtriers - Ingo SCHULZE

    Norbert Paulini est un libraire spécialisé dans les livres anciens à Dresde. 

    Au moment où débute ce roman, l’Allemagne est encore séparée et Norbert semble s’épanouir dans son métier. Certes, il éprouve un peu de difficulté à se séparer des ouvrages qu’il a précieusement collecté et il se considère avant tout comme lecteur, étant capable de citer des paragraphes entiers de ses livres préférés et étant plutôt fier des trésors qu’il est parvenu à proposer à ses clients. 

    Et le temps passe. La réunification, les rencontres de la vie, vont faire évoluer Norbert Paulini. On va même découvrir petit à petit que ce profond humaniste développe des raisonnements réactionnaires, comme si l’évolution de la société qui lui est proposée avec la suppression des blocs de l’ouest et de l’est semblait profondément l’impacter. On va même commencer à voir poindre des accointances avec l’extrême droite, lui le libraire de l’est. 

    Est-ce un sentiment de trahison qui l’a terrassé, une profonde inadaptation au monde moderne, où ne serait-ce que les manipulations d’un tiers pour lui nuire et nous rendre Norbert Paulini antipathique ? 

    Le roman d’Ingo Schulze est déstabilisant.

    On est « attiré » par ce personnage de Norbert Paulini, érudit, amoureux des livres, passionné de lecture, mais au fil des pages, cet intérêt s’estompe au profit d’un sentiment de malaise. Comme si un autre personnage avait pris la place de Norbert. Ou celle de celui qui raconte son histoire.


    Un roman particulier et original, dans lequel il est plaisant de se perdre, et bien malin le lecteur qui pourra, une fois la dernière page tournée, savoir qui est vraiment Norbert Paulini. 


    Fayard – 22 euros (parution le 23/08/2023)


  • Méduse – Martine DESJARDINS

    Elle s’adresse directement au lecteur. Elle se considère elle-même comme un monstre de la pire espèce depuis sa naissance. Ce sont ses yeux qui la rendent différente. Elle ne peut pas pleurer. Elle ne peut qu’entrainer la destruction de ceux qui croisent son regard. C’est donc tout naturellement qu’elle s’est vue attribuée le surnom de Méduse. Placée dans une institution « spécialisée » composée d’autres « personnes différentes », elle a été abandonnée par sa propre famille qui ne l’a jamais acceptée. Au sein de la structure, elle va découvrir une autre forme de torture en plus du sentiment d’être en marge : une fois par mois, les pensionnaires, exclusivement féminines, reçoivent la visite des bienfaiteurs, les notables de la place, et passent ainsi des nuits éprouvantes dans une aile privée de l’institution. Le lendemain, les jeunes filles ressortent avec leurs robes déchirées, les cheveux défaits et les lèvres étrangement noircies. Méduse, va elle aussi participer à ces rencontres et ses yeux lui seront d’un grand secours pour affronter le pire.


    L’autrice québécoise Martine Desjardins évoque par le biais de cette réappropriation du mythe de la gorgone, toutes les formes de pressions sociales, de jugements qui s’exercent sur l’individu pour qu’il se conforme aux règles, à la normalité pour faire partie de la société. C’est donc de différence et de sa perception dont il sera question dans ce récit qui flirte entre roman d’apprentissage, gothique mais aussi féministe. 


    L’Atalante – 15.50 euros (parution le 17/08/2023)

  • Alain Pacadis Face B - Charles SALLES

    Alain Pacadis est le fruit d’une époque, celle courant sur deux décennies, du milieu des années 1960 au mi-temps des années 80. Celui qui est devenu petit à petit un dandy dépravé, a connu tous les excès d’une période où tout semblait encore possible. Issue d’une famille modeste d’émigrés (son père était d’origine grecque, sa mère polonaise, tous deux ayant du fuir leur pays précipitamment), il a perdu ses parents jeunes et ne s’est jamais véritablement remis surtout de la disparition de sa mère, dont il a trouvé le corps après son suicide. Ainsi, au début des années 70, après s’être petit à petit installé dans le milieu du « showbiz », il est aux premières loges pour découvrir des artistes tels qu’Iggy Pop ou Nico avec qui il partagera les joies des paradis artificiels. Dans les années 80, se sentant déjà vieux alors qu’il rentre tout juste dans la trentaine, il assistera à l’avènement de « la variété » et de sa fadeur en comparaison des artistes qu’il avait pu croiser (Lou Reed et autres Rolling Stone et devant côtoyer Francis Lalanne ou Chantal Goya…) ce qui coïncidera avec la perte de son insouciance, l’émergence du SIDA venant faucher bon nombre de ses amis. Car Pacadis en plus d’un amoureux de la vie et surtout de ses excès aura aussi multiplié les conquêtes sans pour autant ne jamais se sentir rassasié.

    Alain Pacadis a été un journaliste détonnant, spécialisé pour ses compte-rendu de soirées, baignant dans les nuits parisiennes, apportant une touche « gonzo » au genre, comme pouvait le faire outre atlantique Hunter Thompson. Ses articles parus dans Libération lui apporteront la reconnaissance sans pour autant, loin de là, faire l’unanimité au sein de sa rédaction. Egérie officieuse du Palace, la célèbre boîte de nuit parisienne, le nom de Pacadis deviendra petit à petit synonyme de décadence, la drogue et les excès en tous genre le transformant en junkie peu fréquentable jusqu’à sa mort en 1986.

    Charles Salles nous livre une biographie fidèle de la vie d’Alain Pacadis, du petit garçon de la rue de Charonne jusqu’au pantin détruit des années 80. Il aborde avec tact le poids du passé et les non-dits de cet enfant d’une mère juive ayant survécu aux rafles des années 40. Pacadis était connu pour sa plume acérée et virevoltante, piquante comme ses aiguilles le menant à l’héroïne, compagne sûre pour traverser l’existence. L’auteur nous présente un être effrayé par la solitude et le sentiment d’abandon, prêt à tout pour s’en échapper. Une biographie qui se lit comme un roman tant le journaliste se prête au récit d’un personnage décadent, sans limite dans le désespoir et dont les circonstances de la mort, un soir de décembre 1986 à l’âge de 37 ans, restent encore sujettes à questionnement.


    La table Ronde – 22 euros (parution le 24/08/2023)

  • L'enragé - Sorj CHALANDON

     C'est l'auteur qui en parle le mieux: 

    «  En 1977, alors que je travaillais à Libération, j’ai lu que le Centre d’éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer allait être fermé. Ce mot désignait en fait une colonie pénitentiaire pour mineurs. Entre ses hauts murs, où avaient d’abord été détenus des Communards, ont été «  rééduqués  » à partir de 1880 les petits voyous des villes, les brigands des campagnes mais aussi des cancres turbulents, des gamins abandonnés et des orphelins. Les plus jeunes avaient 12 ans.

      Le soir du 27 août 1934, cinquante-six gamins se sont révoltés et ont fait le mur. Tandis que les fuyards étaient cernés par la mer, les gendarmes offraient une pièce de vingt francs pour chaque enfant capturé. Alors, les braves gens se sont mis en chasse et ont traqué les fugitifs dans les villages, sur les plages, dans les grottes. Tous ont été capturés.Tous  ? Non  : aux premières lueurs de l’aube, un évadé manquait à l’appel.

      Je me suis glissé dans sa peau et c’est son histoire que je raconte. Celle d’un enfant battu qui me ressemble. La métamorphose d’un fauve né sans amour, d’un enragé, obligé de desserrer les poings pour saisir les mains tendues.  » S.C.


    Grasset - 22.50 euros - Parution 16 août

  • Pauvre folle - Chloé DELAUME

    A l'orée de la cinquantaine, Clotilde Mélisse décide de faire un voyage en train, allogeant les étapes jusqu'à Heidelberg. Ce temps suspendu lui est nécessaire pour faire le point sur sa vie et en particulier, sur ce qui l'a toujours poussée en avant: sa quête d'une histoire d'amour absolu. Elle pensait l'avoir trouvé avec Guillaume mais l'homme est complexe et se dérobe: pourquoi cherche-t-elle obstinément à obtenir de lui un engagement qu'il lui refuse? 

    C'est sa mémoire qu'elle jette sur la tablette des wagons de train comme des petits cailloux colorés qu'il va falloir, un à un, trier et étudier. Chacun est un souvenir précis: certains sont doux et d'autres sont épineux. Le plus important remonte à l'enfance, cette enfance brisée par un coup de fusil qui fera mourir sa mère alors qu'elle n'avait que 10 ans. Si le fusil, d'abord pointé vers elle a bien failli arrêter net son histoire, c'est finalement son père qui le retournera contre lui-même mettant en place un drame à jamais inscrit dans ses gènes. Depuis ce "drame conjugal", aujourd'hui qualifié de féminicide, elle est adoptée par sa tante, elle développera une adolescence aux pulsions suicidaires avant que le diagnostic de sa bipolarité ne soit posé. 

    L'autrice décortique les sentiments de Clotilde à l'aune de sa propre histoire car, on l'aura compris, Clotilde est le double de Chloé. Elle met en avant les difficultés auxquelles les femmes sont confrontées depuis #MeToo dans leurs relations amoureuses, le désir féminin étant lui aussi, devenu difficilement exprimable.

    Un roman puissant, une écriture incandescente pour dire les ressacs des traumas de l'enfance.


    Seuil - 19.50 euros - Parution 18/08

    (rappel: "Le coeur synthétique" Prix Médicis 2020 est paru en poche chez Points)

  • Le chien des étoiles - Dimitri ROUCHON-BORIE

    On trouve dans ce roman tout ce que la misère peut semer de violence et de noirceur dans l'âme humaine mais également tout l'amour dont un homme est capable. 

    Après "Le démon de la colline aux loups", Dimitri Rouchon-Borie frappe encore plus fort avec ce texte aux allures de conte gitan d'une beauté terrible. 

    Gio a vingt ans, environ, et sa vie n’est plus la même depuis qu’un coup de tournevis dans le crâne l'a rapproché du ciel. Dès lors, Gio voit les choses qui l'entourent avec une acuité différente et surtout, il refuse de se complaire dans la violence et la vengeance. Fuyant sa "famille", il prend sous son aile de géant deux gosses cabossés, Papillon et Dolores. Commence alors un étonnant road trip pour ces 3 personnages avides de liberté et de tendresse. Ils rêvent d'une vie plus douce, loin de ces phrases toutes faites qui résonnent à leurs oreilles comme des sentences. Mais comment trouver la paix quand l'humanité vous rejette ou n'aspire qu'à développer vos penchants les plus brutaux? Sur quel chemin avancer pour trouver la rédemption?

    Une nouvelle fois, l'auteur parvient par la magie des mots, à faire émerger de la lumière du fin fond des ténèbres. Immense coup de coeur!


    Le Tripode - 19 euros - Parution 17/08

  • La mémoire délavée - Nathacha APPANAH

    Ce récit est celui de la migration des aïeux de l'autrice, partis d'un village d'Inde en 1872 pour rejoindre l'île Maurice.

    C'est le début d'une grande traversée de la mémoire, qui fait apparaître autant l'histoire collective des engagés indiens que l'histoire intime de la famille de Nathacha Appanah. Ces coolies venaient remplacer les esclaves noirs et étaient affublés d'un numéro en arrivant à Port-Louis, premier signe d'une terrible déshumanisation dont l'autrice décrit avec précision chaque détail. Mais le centre du livre est un magnifique hommage à son grand-père, dont la beauté et le courage éclairent ces pages, lui qui travaillait comme son propre père dans les champs de canne, respectant les traditions hindoues mais se sentant avant tout mauricien.La grande délicatesse de Nathacha Appanah réside dans sa manière à la fois directe et pudique de raconter ses ancêtres mais aussi ses parents et sa propre enfance comme si la mémoire se délavait de génération en génération et que la responsabilité de l'écrivain était de la sauver, de la protéger. Elle signe ici l'un de ses plus beaux livres.


    Mercure de France - 17.50 euros - Parution 31/08

  • La propagandiste - Cécile DESPRAIRIES

    On peut toujours s'arranger avec l'histoire, se mentir et construire toute une mythologie familiale autour de ses mensonges. Mais le silence est assourdissant et les échos se répercutent et ressurgissent à travers les descendants.

     

    Dans le Paris d'après-guerre, une enfant assiste aux rituels étranges des femmes de la famille qui se réunissent quotidiennement chez sa mère, Lucie, dans un immeuble haussmannien. Ces femmes semblent avoir des souvenirs d'une vie dont elles ne parlent qu'à demi-mots. De silences entendus, de pleurs en cris, se dévoile peu à peu le portrait d'une Lucie qui aurait connu un grand amour, pendant la Seconde Guerre mondiale, avant de se remarier.


    Qui est vraiment Lucie ? 


    "De fil en aiguille, perçant les mensonges et les non-dits de cette mère énigmatique, l’enfant, devenue adulte et historienne de profession, met à nu la part d’ombre de Lucie et de toute une partie de sa famille. Les masques tombent, et l’histoire de cette femme, collaboratrice zélée, en France, sous l’Occupation, se révèle en plein, à l’image d’un passé collectif dont on n’a, aujourd’hui encore, pas fini de faire l’inventaire. La Propagandiste jette un regard sans concession sur la France de la collaboration et son empreinte sur notre mémoire collective."


    Née à Paris en 1957, Cécile Desprairies est germaniste et historienne de l’Occupation en France. Elle a publié de nombreux ouvrages sur les images de propagande, les lieux et les lois de cette période, notamment Paris dans la collaboration (Seuil, 2009). La Propagandiste est son premier roman.


    Seuil - 19 euros - Parution 18/08

  • Dès que sa bouche fut pleine - Juliette OURY

    C'est une expérience de lecture totalement inédite que nous offre Juliette Oury avec ce premier roman. Imaginez une société dans laquelle les tabous ne concerneraient pas le sexe mais la nourriture. En inversant les codes de la table et de la sexualité, elle transpose les problématiques des relations de couples en les étudiant sous un angle nouveau.


    En mettant le lit au milieu du salon et en reléguant la cuisine aux oubliettes voire en en faisant une pièce  interdite, l'autrice met à jour les névroses d'une société arc-boutée sur ses principes.


    Le décalage, accentué par des trouvailles linguistiques et des jeux de mots, en font un livre à la fois drôle, rafraichissant et plus profond qu'il n'y parait au premier abord. Elle aborde dans une langue charnelle, presque organique, la notion de désir/appétit, la manipulation, le consentement, l'éducation, l'empathie et notre fâcheuse tendance à prendre au pied de la lettre les conseils d'experts en blouse blanche quant à notre obligation de rester en bonne santé et aux injonctions pour y arriver. 


    Une invitation à suivre son bon sens et son instinct et à garder intacte notre curiosité.


    Flammarion - 19 euros

  • Nos cœurs disparus – Celeste NG

    Aux Etats-Unis, pratiquement à notre époque, le PACT a été instauré. Il vise à interdire la promotion des valeurs antiaméricaines, exige la participation de tous les citoyens pour signaler les menaces potentielles et surtout protège les enfants des environnements qui les exposeraient à des opinions nocives. C’est ce que Bird, un jeune garçon « POA » (Personne d’Origine Asiatique) doit répondre dans ses devoirs scolaires pour espérer ne pas être inquiété. Car le PACT a sauvé le pays d’une crise économique sans précédent, avec la stratégie habituelle du repli sur soi et de la définition d’un ennemi mortel, en l’occurrence la Chine et toute personne qui par son nom ou son physique peut être affilié à ce pays. Il a entrainé une mise au pas de la société, où personne n’a plus trop intérêt à se faire remarquer, où la censure vient s’abattre sur les livres et créations intellectuelles qui peuvent semer le doute sur la réelle pertinence du PACT. Il s’accompagne également de la disparition d’enfants, dans les cellules familiales où le doute sur le patriotisme et la fidélité aux idéaux de la nation peut être mis en défaut. Dans la famille de Bird, il ne reste plus que son père Ethan. Sa mère Margaret Miu, poétesse, du jour au lendemain n’a plus donné signe de vie. On peut peut-être imaginer un lien avec le séditieux mouvement « Nos cœurs disparus », mots tirés d’un des poèmes de Margaret, qui grâce au recours à l’art sous forme d’happening ou de textes écrits à même les murs ou le sol, vient rappeler que le désordre à parfois du bon quand la peur étouffe la population et annihile toute perspective d’évolution. Bird va donc essayer de retrouver sa mère, aidé en cela par un réseau clandestin de bibliothécaires…


    Celeste Ng s’est inspire de faits réels pour son roman, puisant dans l’histoire américaine pour aborder ces disparitions d’enfants qui ont toujours existé, que ce soit lors de la période de l’esclavage, dans les réserves indiennes ou plus récemment à la frontière sud du pays. Elle a puisé également dans les rapports « difficiles » entretenus avec la communauté asiatique, que ce soit avec les camps d’internement pour les américains d’origine japonaise pendant la seconde guerre mondiale ou les récentes tensions issues de la pandémie du COVID en 2020. Bien que s’agissant d’une dystopie on ne peut qu’être interpelé par la vraisemblance de son roman, par les signaux d’alerte qui sont pourtant bien là, dès aujourd’hui : l’instauration de règles décidées de manière unilatérale pour le bien de la communauté au dépend de l’individu, la surveillance des uns par les autres notamment sur les réseaux sociaux qui font et défont la réputation, un monde dans lequel la liberté est exprimée à chaque publicité mais qui se transforme petit à petit en prison à ciel ouvert.


    Et pourtant et toujours l’art, la littérature, les histoires, les contes, la poésie pour tenter de faire vaciller les murs invisibles. Et la nécessité toujours de porter la voix des opprimés haut et fort pour ne pas le devenir peut-être un jour soi-même…


    Sonatine – 23.50 euros.

  • L’enfant des forêts – Michel HAUTEVILLE

    A une période indéterminée, des migrants sont pris en chasse par des patrouilles autoproclamées détentrices du droit de vie et de mort. Malheur à celles et ceux qui se font prendre. Et pourtant, il existe encore pire. Tomber dans un piège de Gundrup. Cet homme entre deux âges vit dans une cabane isolée dans la forêt loin de toute route et accès à la civilisation. Sa spécialité ce sont donc les pièges. Ceux pour attraper et tuer animaux et humains pour le nourrir. Ceux pour attraper et conserver pour son bon plaisir. Et si possible des enfants. Car Gundrup se sert des enfants comme moyen d’échange avec son voisin Gundir qui partage la même horrible passion. Pourchassé, c’est donc le malheureux Gun Aîdrinn (le nom que lui donnera Gundrup) qui vient de tomber entre les mains de l’ogre. Il aurait peut-être mieux fallu qu’il meurt tant ce qu’il va subir est inhumain. Il faut dire que Gundrup n’est pas à son coup d’essai, il a essayé de conserver près de lui déjà d’autres enfants, mais à la fin cela s’est toujours mal terminé. Il a l’impression qu’il peut en être autrement avec sa nouvelle victime, détectant un potentiel qu’il va essayer de sublimer. Au programme tortures physique et morale, séquences de survie en milieu hostile, et bien entendu assouvir ses pulsions déviantes. Faire de l’enfant sa marionnette et pourquoi pas lui inculquer les vices et lui promettre aussi un avenir de tortionnaire ?


    Attention, « L’enfant des forêts » n’est pas un roman facile. Il faut avoir le cœur bien accroché pour assister (ou imaginer) des scènes qui ont en commun d’être insoutenables. Il s’agit bien d’un roman sur le mal, dans la façon dont il s’exprime lorsqu’il ne semble plus exister de limite. Très certainement dans un monde postapocalyptique, les hommes sont laissés à leur pires travers, la satisfaction des besoins primaires et sans société pour apporter un garde-fou, juger et sanctionner des comportements déviants. On alterne ainsi les points de vue de Gundrup et de Gun Aîdrinn, ce dernier s’exprimant de manière particulière puisque la syntaxe et la ponctuation sont différentes, comme si l’indicible ne pouvait être exprimé par des tournures normales.


    Un roman original mais très dur, qui s’adresse à un lectorat averti. 


    Le Tripode – 21 euros

  • Les étoiles doubles - Laurent BÉNÉGUI

    En 1811, au Siam, l’arrivée de jumeaux fusionnés par le sternum bouleverse une famille modeste de pêcheurs. Considérés comme un mauvais présage, par superstition, le roi les condamne à mort. La sentence n'est cependant pas appliquée, et l'amour infini de leur mère, son dévouement et sa volonté sans faille vont leur permettre de vivre et de s'épanouir physiquement et intellectuellement suscitant bientôt la curiosité au delà des frontières du petit royaume.

    Ils sont d'une intelligence remarquable et décident de prendre leur destin en main en acceptant de partir en tournée dans le monde entier: exhibés comme des êtres monstrueux aux performances extraordinaires à travers les États-Unis, l’Angleterre et la France, ils réussissent à s’affranchir de leur "impressario" qui les exploite comme des esclaves et, malgré la discrimination, grâce à leur éducation et leur détermination, ils arrivent à être considérés comme des êtres humains presque normaux dans une société réactionnaire. Ils vont se marier, avoir de nombreux enfants et travailler à rendre leurs familles heureuses.


    Laurent Bénégui écrit là, un récit captivant; il nous entraîne dans le quotidien de ces deux hommes, au plus près de leurs pensées et de leurs sentiments.

    S'ils parcourent le monde, ils ne rentreront jamais dans leur pays. Ils auront subi la guerre de Sécession et, si leur mère aura tout fait pour leur éviter une séparation chirurgicale hasardeuse, les dernières années de leurs vies les verront près à tenter cette coupure qu'aucun chirurgien ne voudra tenter. A l'origine de l'expression "frères siamois", Chang et Eng ont démontré de la plus belle manière, que leur "nature" n'était pas contre-nature, ce roman est un magnifique éloge de l’acceptation de la différence.


    Julliard - 24 euros

  • Cinq têtes coupées: Massacres coloniaux : enquête sur la fabrication de l'oubli - Daniel SCHNEIDERMANN

    En visitant une exposition au musée de l'Armée en 2022, Daniel Schneidermann tombe dans un recoin, sur une photo publiée dans L’Illustration : cinq têtes « indigènes » coupées.

    Cette photo de 1891 est l'une des premières à montrer au monde, les atrocités commises au nom de la colonisation. L'opinion française est-elle pour autant prête à acueillir la preuve que les soi-disants faits glorieux entourant la mission civilisatrice de la France s'accompagnent des pires sévices?

    La conquête du <span;>« Soudan français » (actuels Mali et Niger) se passe à la Belle Epoque, et les nouvelles de la lointaine Afrique ne soulèvent guère de réactions, d'autant plus que le gouvernement et la presse ne dénoncent pas les massacres qui semblent n'être qu'anecdotiques. Et pourtant, combien de militaires et d'officiers perdirent la raison, à l'instar de Kurtz, le héros de Conrad, jusqu'aux crimes contre l'humanité.

    Ce livre est une enquête sur la fabrique du déni à grande échelle, de cette époque à nos jours. L’auteur nous raconte la propagande coloniale de l’époque, et s'interroge sur sa propre ignorance, et sur la persistance actuelle d'une certaine indifférence blanche.


    Cinq têtes coupées dépeint une période refoulée, et le portrait de ces « héros » de la colonisation dont la popularité est aujourd'hui difficilement imaginable sauf que des statues à leurs effigies émaillent le sol européen, de nombreuses places, rues, avenues, portent leurs noms. Il faut avoir le courage de regarder en face ce que les occidentaux se sont permis et se poser la  question suivante: pourquoi l'opinion a t-elle mis tant de décennies avant de réagir face à ces photos? L'auteur met au jour les manipulations aboutissant à l'occultation d'un événement historique. "À l’heure où les ex-colonies s’émancipent vigoureusement de la Françafrique, n’est-il pas enfin temps de regarder ensemble cette histoire en face ?"


    Daniel Schneidermann est journaliste et créateur de l’émission « Arrêt sur images ». Spécialiste des récits médiatiques, il est notamment l’auteur de Berlin, 1933. La presse internationale face à Hitler(Seuil, 2018), qui a obtenu le prix des Assises du journalisme de 2019.


    Seuil - 20 euros

  • Triste Tigre - Neige SINNO

    Neige Sinno raconte l'indicible en se posant constamment la question de savoir si elle devait écrire sur le traumatisme de son enfance: des viols répétés de ses 7 ans à ses 14 ans, infligés par son beau-père. Est-ce que sa démarche est légitime? Qu'est-ce que les lecteurs vont chercher dans son texte? Sont-ils comme elle, attirés par cette histoire comme des voyeurs? Chercheront-ils les formes littéraires, sa façon de faire un pas de côté en essayant de se mettre à la place du violeur? Elle nous dit à quel point l'oubli est impossible et la résilience, une chimère, un voile qui ne fait que masquer temporairement les blessures. Au final, si ses mots peuvent aider ne serait-ce qu'une personne, au moins l'écriture aura un sens.


    Triste tigre n'est pas un récit linéaire et ce n'est pas non plus un témoignage: si elle décrit son enfance et des épisodes insoutenables, elle le fait d'un point de vue extérieur, sans pour autant paraître détachée. On trouve dans ses lignes des analyses de Nabokov, Angot, Carrère...

    Elle raconte la solitude et les réactions des voisins quand la plainte qu'elle dépose avec sa mère est suivie de l'aveu et de l'incarcération du coupable. Elle cherche à comprendre comment fonctionne le cerveau de cet homme, comment la "relation" a pu s'installer au point que la culpabilité finisse par reposer uniquement sur la victime.


    Neige Sinno force l'admiration même si elle n'en veut pas.


    POL - 20 euros

  • Rocky, dernier rivage - Thomas GUNZIG

    Roman post-apocalyptique? oui mais au soleil sur une île paradisiaque  et tout confort. 


    Son propriétaire millionnaire, prévoyant, l'a acquise pour qu'en cas de risque, pouvoir mettre sa petite famille à l'abri des crises écologiques, sanitaires et des conflits armés. Au premier signe de fin du monde, il s'y réfugie avec sa femme, ses deux enfants et un couple de chiliens qu'il rémunère pour l'entretien et le nettoyage de la résidence, exigeant d'eux une grande qualité de service. Mais qu'adviendra-t-il d'eux quand ils réaliseront que le monde s'est écroulé? Quels impacts sur leurs relations familiales? et puis surtout...comment maintenir son statut social dans ce cadre là?


    C'est un roman que l'on dévore tant le rythme est soutenu et parfaitement maîtrisé. Et au final, ce roman dresse une critique sociale acérée, à conseiller à tout milliardaire de votre entourage!


    Le diable Vauvert -  20 euros.

  • Bain de boue - Ars'O

    C'est le petit OVNI de la rentrée littéraire! On ne sait quasiment rien de l'auteur si ce n'est qu'il est un habitué des romans et BD de littérature de l'imaginaire et qu'il est scientifique de formation. 


    Il nous livre un roman de science-fiction aussi surprenant que radical. On enfile les bottes et on plonge dans la boue! Car c'est littéralement dans un monde de bouillasse que vit désormais l'humanité (toute l'humanité ou une partie, nul ne le sait): au milieu de cette fange, se trouve le Refuge, un lieu surélevé qui bénéficie d'un plancher (sec) et d'un potager, le tout jalousement gardé par le Jardinier, homme/créature infâme, se déclarant démiurge et règnant par la violence, y compris sexuelle, sur les rares "privilégiés", les Puterels. Abusés, battus, ils n'ont pas grand-chose à envier à ceux d'en bas, les Pelleteux, qui déblayent la boue comme des shadocks, en évitant les coulées (plus ou moins annoncées par le Jardinier) qui les ensevelissent régulièrement, et les blessures qui, dans cette bauge, s'infectent et les font pourrir.

    Dans cet univers de bouillasse dont seule la mort délivre, Lana et Rigal, deux Pelleteux, décident de s'enfuir et de suivre leur instinct qui les poussent à croire, à se souvenir, qu'il existe un ailleurs, sans boue. Mais tout périple ne saurait commencer sans un peu d'aide et au duo de fuyards s'ajoutent un Puterel et une Môme bientôt rejoints par la Vieille Truie, quasi muette et parfaitement à l'aise dans la boue.

    Pour avancer, il va falloir apprendre à faire confiance aux membres de groupe boîteux et surmonter la lassitude des paysages marronnasses qui ne semblent pas avoir de fin.


    Un texte très très sombre au style particulier, répétitif comme s'il épousait ce voyage déprimant dans cette boue collante qui semble ne jamais vouloir finir.


    Pour les lecteurs qui apprécient les romans noirs et âpres, qui aiment plonger dans ce que l'âme humaine a de plus abjecte pour trouver, en bout de course, une faible lueur d'espoir. Pour les autres, passez votre chemin, le voyage est trop déprimant.


    Les éditions du sous-sol - 19.50 euros

  • Veiller sur elle - Jean-Baptiste ANDREA

    Jean Baptiste Andrea a l'art de vous faire regretter d'arriver à la dernière page de ses romans. "Veiller sur elle"

    ne déroge pas à cette habitude:

    l'auteur campe deux personnages inoubliables, Mimo et viola dans l'italie du xxeme siècle.


    Le roman commence en 1986, on assiste aux derniers instants de Mimo qui a trouvé refuge dans un monastère depuis de nombreuses années. Et l'on suit ses pensées en remontant le fil de ses

    souvenirs. Michelangelo Vitaliani, dit Mimo, est né en France de parents italiens. À la mort de son père, il est envoyé en Italie chez un vague oncle sculpteur de son état, surtout alcoolique et brutal,

    en  apprentissage dans son atelier de sculpture. En fait, Mimo a deux particularités: il a un talent inné pour "voir" dans la pierre l'oeuvre qui s'y cache et il souffre d'achondroplasie ce qui lui vaudra

    d'être longtemps traité de nabot et surtout il suscitera le doute quant à ses capacités autant intellectuelles qu'artistiques.

    Quand il s'installe à Pietra d'Alba avec son maître, il va faire la connaissance tout à fait surprenante, de Viola Orsini, la non moins surprenante fille du comte, propriétaire des terres, une famille riche et puissante.. Viola se distingue elle aussi par son caractère rebelle, son hypermmésie et son appétit de vivre. Leur amitié improbable se transforme en un amour impossible mais sincère et durable.


    La vie et l'Histoire vont les ballotter amenant l'un à progresser divinement dans son art quitte à le mettre au service de causes indéfendables, l'autre à prendre des décisions radicales pour tenter de survivre à tout ce qui entrave sa liberté parce qu'elle est une femme.


    JB Andrea rend un hommage vibrant à l'art, à l'Italie, plaçant une fois de plus ses personnages devant des choix difficiles... et ils ne feront pas toujours les bons.

    Cependant, il n'est jamais trop tard pour tenter de faire mieux et surtout rejoindre un chemin en accord avec son coeur.


    Ode à la différence, à l'amour entre deux âmes soeurs dont on attend fébrilement que l'auteur les réunisse.

    Ode à la puissance des mots et des oeuvres d'art, à l'importance d'y plonger son regard et de s'abreuver à la source des livres et des créations des plus grands artistes.


    Merci M. Andrea pour ce formidable roman qui mêle subtilement les vies si fragiles si courtes des hommes et l'éternité des oeuvres d'art qui veillent sur nous.)


    L'iconoclaste - 22.50 euros

  • Panorama - Lilia HASSAINE

    Imaginez un monde transparent, un monde dans lequel, pour votre sécurité, l'aménagement des logements est fait de telle façon qu'il n'y a pas moyen de se cacher du regard de tout un chacun. En 2050, des quartiers entiers sont construits de maisons aquarium, faisant chuter de manière impressionnante, le taux de violences et d'homicides. Un gouvernement a été mis en place suite à la Revenge Week, 20 ans plus tôt, par et pour le peuple dans un mouvement de révolte contre la justice impuissante à le protéger. Dans ce monde sécuritaire et surveillé à l'extrême, comment une famille entière a-t-elle pu disparaître sans que personne ne voit rien?


    C'est donc une enquête et surtout l'occasion pour l'autrice de s'essayer à une nouvelle forme d'écriture, l'uchronie, sans perdre de vue des problématiques qui lui tiennent à coeur : conflits de classes, secrets de famille, pressions sociales...le tout dans une ambiance fascinante et oppressante. Quand la notion d'intimité disparait ainsi que le libre arbitre, quelle vie peut-on espérer? La liberté ou la sécurité absolue? La justice rendue sur Internet assouvissant les désirs de vengeance est-elle un aboutissement ou une régression?


    Un roman qui pose des questions essentielles et une autrice dont l'écriture évolue habilement : intelligent et efficace!


    Gallimard - 20 euros

  • Le portrait de mariage - Maggie O FARRELL

    Après l'excellent "Hamnet", Maggie O'Farrell nous embarque dans l'Italie de la Renaissance auprès d'une jeune femme, presqu'une enfant, Lucrèce de Médicis. Troisième enfant du grand Duc de Toscane, c'est une enfant rebelle, d'une rare intelligence mais que le comportement qualifié d'étrange, place en retrait de la fratrie. Seule sa nourrice semble la comprendre. Lucrèce a 13 ans quand le roman débute: elle a développé ses talents artistiques et son goût pour l'observation de tout ce qui l'entoure lui permet de comprendre et de deviner les liens pourtant compliqués voire secrets entre les personnes, que ce soient les petites mains qui oeuvrent dans l'ombre ou les personnalités qui viennent visiter son père. A cet âge, elle aurait pu espérer encore quelques années pour grandir mais la mort de sa soeur aînée promise au duc de Ferrare va bouleverser son destin. Le père de Lucrèce s'empresse de négocier de nouvelles noces avec cette soeur cadette. Certes elle n'est pas encore nubile, du moins sa nourrice tente de gagner du temps en le prétendant, mais très vite le mariage est célèbré avec cet homme de quinze ans plus âgé. Celui-ci a des responsabilités qui le tiennent très occupé et surtout qui exigent de lui qu'il obtienne très rapidement une descendance. Les complots se trament, des têtes tombent, Lucrèce, si jeune, ne sait pas se taire quand il le faudrait, et dans son coeur, reste l'espoir de vivre un amour semblable à celui de ses parents. Quand la violence fait irruption dans son univers, la peur commence à s'immiscer dans son esprit, d'autant qu'elle comprend rapidement que sa vie dépendra de sa capacité à donner un héritier à son mari.


    C'est un roman lumineux et poignant que nous livre une nouvelle fois l'autrice irlandaise: autour d'une héroïne d'une jeunesse et d'une intelligence rare, elle nous plonge dans une époque dans laquelle les femmes sont enfermées dans des carcans. Elles ne sont que des pions que les hommes manipulent à leur guise. L'accès à l'éducation ne les libére pas de leurs prisons: leurs ventres sont des enjeux, leurs vies tellement fragiles. Un grand roman!


    Belfond - 23,50 euros

  • La Nourrice de Francis Bacon - Maylis BESSERIE

    Francis Bacon, le futur peintre de la violence, de la cruauté et de la tragédie, grandit dans la campagne irlandaise. C'est un enfant fragile, asthmatique, doux et intelligent. Sa mère est une femme indifférente, son père est malveillant et violent: militaire raté, ses accès de fureur terrifient la maisonnée. Les coups pleuvent sur Francis trop efféminé aux yeux de son père que son comportement met hors de lui, et il va tâter du fouet plus souvent qu'à son tour. Ce sont les seuls moments où l'attention paternelle se reporte sur lui. À seize ans, il est contraint de quitter la maison: il s'installe à Londres, vivant de menus larcins et des largesses de riches amants.


    La personne la plus importante de sa vie, celle sur qui il pourra toujours compter, est sa Nanny: Miss Jessie Lightfoot, la narratrice du roman. Elle le rejoint à Londres et restera près de lui, le choyant et couvrant ses frasques qui auraient pu lui valoir la prison, l'homosexualité étant lourdement punie. Voici donc le journal d'une vie racontée par cette mère de substitution: elle évoque non sans humour, les "pitreries" de son Francis, ses inquiétudes quand elle le voit chercher la violence dans ses relations, les cauchemars qui le poursuivent, les élans de créativité alternant avec des périodes de profondes dépression. Les chapitres alternent avec de courtes présentations d'oeuvres du peintre dans lesquelles Maylis Besserie tutoie l'artiste pour mieux nous dévoiler son esprit hanté par l'odeur du sang et les visions de corps torturés.


     Un seul regret: que ces chapitres ne soient pas illustrés de l'oeuvre dont il est question.


    Gallimard - 20 euros (parution le 17/08/23)


  • La danse des damnées - Kiran MILLWOOD HARGRAVE

    Au coeur de l'été caniculaire de 1518, non loin de la cathédrale de Strasbourg, une femme se met à danser. Inspiré de faits réels, le nouveau roman de Kiran Millwood Hargrave nous plonge dans une époque de superstitions auprès de femmes, non

    seulement les grandes oubliées de l'Histoire, mais également, les grandes damnées.


    Le jour de sa naissance, une météorite a ravagé les cultures, et Lisbet sait que depuis, une malédiction pèsera sur elle:

    combien de souffrances devra-t-elle offrir au Ciel pour y mettre fin? Mariée depuis plusieurs années à Henne, son ventre s'arrondit régulièrement mais aucun bébé ne remplit ses bras. Aussi, quand à nouveau, son corps s'alourdit d'une  grossesse, elle n'ose plus croire en une heureuse issue. D'autant que les mauvaises saisons se succèdent: si la famille qu'elle forme avec son mari et Sophey, sa belle-mère, vit de façon plutôt privilégiée grâce au commerce de la cire et du miel récoltés dans ses ruches, une pauvreté extrême s'étend dans la ville. Elle peut compter sur le soutien du

    meunier: sa fille Ida est sa meilleure amie. Ida est l'incarnation de la perfection et sa bonté est immense. La maternité lui sied, comblant sa vie malgré un mariage mal assorti. Car son mari, Alef Plater, est l'homme de main du conseil des XXI,

    assemblée disparate ayant pour mission de faire règner l'ordre sur la ville avec l'aval de l'Eglise. Cet été-là est aussi celui du

    retour de la soeur de Henne: Agnethe a passé sept années en pénitence pour un péché dont

    personne ne veut parler à Lisbet. Aussi, quand Plater somme Henne de se rendre au Tribunal à Heidelberg pour un litige lié aux zones de butinage des abeilles qui volent les fleurs sauvages du monastère voisin, Lisbet va se retrouver prise dans un tourbillon de secrets: chaque femme a les siens, c'est ce qui va les lier, pour le meilleur et pour le pire.

    L'autrice des "Graciées" met tout son talent de conteuse dans cette chronique historique: elle y parle des peurs ancestrales, de sororité et de la folie des hommes. Un roman sur la puissance chevillée au creux des corps des femmes, sur le climat qui se détraque et la Nature refuge.


    Robert Laffont - Parution 31/08/2023

  • Psychopompe - Amélie NOTHOMB

    Avec tout le talent qu'on lui connaît, Amélie Nothomb évoque son intérêt pour les oiseaux.Elle s'est passionnée de manière obsessionnelle et ce, dès le plus jeune âge pour le peuple ailé. Elle voit en eux des messagers entre la terre et le ciel, elle admire leur courage et leur prise de risque à chaque envol, activité qu'elle compare à celle de l'écrivain qui se jette dans le vide à chaque fois que naît un projet d'écriture.


    Elle envie leur légereté, au point de vouloir leur ressembler: suite à un traumatisme, elle cesse de s'alimenter espérant s'arracher bientôt à l'écorce terrestre, se délestant de la pesanteur qui l'encombre.


    Comme toujours, avec une économie de mots mais certainement pas d'esprit, Amélie Nothomb nous fait partager ses questionnements d'enfant (surdouée) d'une tendresse touchante et qui rejoint bientôt des préoccupations et des interrogations plus spirituelles et philosophiques. 



    Albin Michel - 18,90 euros - Parution 23/08

  • Lise Deharme, cygne noir - Nicolas PERGE

    Lise Deharme ne fut pas une femme facile.

    André Breton s’est consumé d’amour pour elle. Louis Aragon, Jean Cocteau, Antonin Artaud, Paul Eluard, Robert Desnos, l’adorèrent, suspendus à son jugement lapidaire. Lise Deharme, née en 1898, régna sur les cœurs des artistes avec l’aplomb d’une duchesse médiévale. Mécène de Giacometti et de Man Ray, elle organisa dans son salon des réunions mémorables, sous l’œil amusé de ses copines Marie-Laure de Noailles et Louise de Vilmorin.

    Elle se maria une première fois avec l’héritier des magasins Old England, homosexuel, qui se suicida. Elle connut l’immense amour avec Paul Deharme, qui mourut jeune. Epousa alors son meilleur ami, Jacques, pathétiquement dévoué. Lise était donc entourée, mais toujours seule.

    Car Lise cachait des peurs, des fêlures et des manques. Jamais remise d’avoir été haïe par sa mère, détestant son milieu fortuné sans en renier les bonnes manières, elle préféra toujours la compagnie des fantômes à celle des humains. L’obscurité, le surnaturel et les peurs, lui parlèrent beaucoup plus que les convenances de salon. Ses textes, d’une magnifique étrangeté, sont tombés dans l’oubli. Pourtant, ils révèlent ce qui a pu rendre fous les surréalistes  : l’ésotérisme, mais aussi le goût pour la souillure, la sauvagerie, l’absurde, les caprices insensés. 

    Lise Deharme ne s’endormait jamais sans avoir disposé, sur son lit, des petits tas de livres. Elle mit un point d’honneur à mentir, tout le temps, sur tous les sujets. Elle finit seule et ruinée, trop différente, trop inquiétante pour que la postérité ne garde sa trace.

    Nicolas Perge met en lumière ce personnage hors du commaun.


    JC Lattès - 20.90 eiros Parution 23/08/2023

  • Le premier jour de paix – Elise BEIRAM

    En 2098, la Terre a bien changé. Les problèmes environnementaux ne se sont pas améliorés mais il ne reste plus que deux milliards d’habitants à sa surface pour en profiter. Ces derniers se sont réorganisés en plus petit groupes, comme celui dont fait partie Aureliano au début du roman. L’eau reste le problème majeur de ce nouvel ordre mondial et le projet quotidien de chacun consiste surtout de voir venir le jour suivant sans trop de difficultés. Alors bien entendu, l’être humain n’a pas pour autant abandonné ses sales habitudes et ses velléités agressives, et des « émissaires » telle que Esfir que nous rencontrons ensuite sont donc réquisitionnés pour calmer le jeu avant que la situation de dégénère vraiment. Au niveau « macro », les nations en tant que telles n’existent plus et c’est en Grands Territoires (Américain, Est, Ouest, Sud) que la planète a été découpée. Il reste encore également à ce niveau de nombreuses sources de tension, des zones de frictions entre deux GT qui paraissent bien dérisoires à la vue de la situation de la Terre. C’est là qu’intervient America, une femme volontaire qui se sent parfois dépassée quant au travail qu’il reste à faire. Elle est en rapport avec des « forces supérieures » qui tirent les ficelles sans que la population n’en soit informée. Leur objectif : qu’arrive enfin ce premier jour de paix qui pourra faire changer la terre de catégorie au sein de l’univers. 


    Dans la continuité de la ligne éditoriale amorcée par leur auteur Becky Chambers et ses titres « Un psaume pour les recyclés sauvages » et « Une prière pour les cimes timides », L’Atalante nous fait découvrir le premier roman d’une auteure française qui ne cède ni au cynisme ni au fatalisme quant à l’avenir de notre planète. Malgré la gravité de la situation, l’écoute, l’échange et le partage (soupoudrés d’un peu de bonne volonté) pourraient laisser envisager une issue moins catastrophique qu’il n’y parait. Le propos est plutôt crédible et la découpe du roman s’avère agréable, même si la partie purement SF est peut-être un petit peu en retrait. Mais en tout cas cette anticipation climatique avec un réelle volonté des habitants et de leurs responsables de vouloir faire quelque chose est louable.


    Un roman plus ensoleillé que sombre malgré les sujets évoqués et qui évite le côté sentencieux qui accompagne parfois ce genre littéraire qu’est la dystopie. 


    L’Atalante – 15.50 euros (parution le 24/08/2023)


  • Les voleurs d'innocence - Sarai WALKER

    Si vous aimez "Les hauts de Hurlevent", précipitez vous sur ce roman: nettement plus ensoleillé mais tout aussi sombre, vous allez découvrir la malédiction des soeurs Chapel. "D'abord elles se marient puis on les enterre". Etats-Unis, années 50. Prenez six soeurs aux prénoms de fleurs, jolies jeunes filles vivant dans l'opulence d'une maison victorienne ressemblant vaguement à un gâteau de mariage. Leur père a construit sa richesse sur la fabrication du fusil Chapel, leur mère est une femme bizarre, d'aucun diront folle à lier, qui sent un parfum de rose quand un malheur va frapper. Et ce parfum l'assaille quand sa fille aînée, Aster, prépare son mariage. Seule Iris, l'avant-dernière des filles, se demande si sa mère n'aurait pas raison mais, écoute-t-on jamais les femmes et leurs prémonitions? 

    Le mariage est célébré, Aster décède. La grippe soi-disant. La suivante est Rosalind, bien décidée à ne pas s'effrayer d'une malédiction énoncée par sa folle de mère qu'on tient désormais recluse dans sa chambre sous sédatifs. Je n'en dirais pas plus si ce n'est que ce roman se dévore; l'ambiance est gothique à souhait, les tombes s'alignent peu à peu dans le jardin: Iris pourra-t-elle faire ses choix et ceux-ci pourront-ils briser le destin des femmes Chapel? 

    Un roman merveilleux et addictif.


    Gallmeister - 26.40 euros - Parution 24/08

  • Les silences des pères - Rachid BENZINE

    Pourquoi les pères choisissent-ils si souvent le silence? Comptent-ils ainsi protéger leurs enfants de la honte qu'ils éprouvent de leur propre histoire? Cette question de la parole du père est au centre du prochain roman de Rachid Benzine.

    Un fils doit retourner auprès de son père décédé pour accomplir les rituels qui lui incombent. Il s'est volontairement éloigné de ce père trop silencieux, grâce à la musique dont il a fait son métier et qui le fait voyager dans le monde entier. La perte d'un jeune frère puis de sa mère, sa carrière, tout l'a entraîné loin de Trappes dont le nom résonne ici comme celui d'un lieu dont il faut s'échapper pour vivre. En faisant le tri des affaires de ce père qu'il n'a jamais compris, il tombe sur un sac de cassettes audio (oui celles qu'on rembobine avec un crayon!): ce sont des enregistrements que son père envoyait à son propre père resté au pays et que des lettres auraient mis dans l'embarras. Pourquoi les a t-il gardées? Ce journal intime oral raconte l'exil, les efforts pour s'intégrer, la rudesse du travail et la force de l'amitié. 50 ans de l'histoire d'un pays qui se désindustrialise peu à peu et récompense si mal ses travailleurs que la France a pourtant été chercher.

    La voix de ce père qui surgit du passé éclaire enfin l'histoire d'un homme qui aura fait tous les sacrifices pour sa famille même celui de l'amour,; une voix qui abolit enfin la distance entre un père et son fils.


    Seuil - 17.50 euros - Parution 18 août

  • Les naufragés du Wager - David GRANN

    David Grann est de retour avec une enquête aussi fouillée que passionnante: rappelez-vous "La cité perdue de Z" (      ) ou 'La note américaine'  (    ). Ces deux livres ont été adaptés au cinéma: pas de doute, ce nouvel opus devrait inspirer les metteurs en scène.


    En  1740, le Wager, entouré d'une escouade de plusieurs navires, sous le commandement du commodore Anson, appareille depuis Londres pour une mission secrète: piller les cargaisons d'un galion espagnol. Mais les avaries provoquées par le passage du cap Horn au pire moment de l'année, précipitent le naufrage: une poignée de survivants sur les deux cent cinquante officiers et hommes d'équipage se retrouvent coincés sur une île désertique, battue par les vents, au large de la Patagonie. Les conditions  de vie sont terribles: les morts s'accumulent, la faim pousse certains à des extrémités impensables, les révoltes grondent, un meurtre est commis. Trois groupes s'affrontent quant à la stratégie à adopter pour s'échapper et alors que tout le monde pensait que l'intégralité de l'équipage avait disparu, un groupe de 29 survivants réapparaît au Brésil, 283 jours après le naufrage. Puis un deuxième petit groupe de 3 survivants est retrouvé une centaine de jours plus tard.


    Tous sont rapatriés en Angleterre où commence une guerre des récits: chacun veut sauver son honneur, chacun veut donner sa version de l'histoire, et David Grann, en bon journaliste, expose chaque témoignage en cherchant sous le vernis, la vérité. S'appuyant sur des documents d'époque (journaux de bord, procès) le journaliste cherche les erreurs et les tactiques des enjoliveurs d'histoires. C'est une reconstitution captivante dans laquelle nous entraîne l'auteur, enquête historique qui se dévore comme roman d'aventures et qui questionne sur le sens des récits.


    Editions du Sous Sol - 23.50 euros (parution le 25/08/2023)

  • Il faut toujours envisager la débâcle - Laurent RIVELAYGUE

    On a une vision romantique, et donc fausse, du métier de journaliste. C'est donc presque soulagé que le narrateur accueille son licenciement: trop d'années perdues à rédiger des articles fades! Il va pouvoir se consacrer à une activité hautement

    jubilatoire: devenir écrivain. Et le sujet parfait du livre qui va le mener, c'est sûr, à la célébrité, c'est un fait divers. Il choisit l'affaire du Grêlé, une série de viols et de meurtres non élucidés. Ses recherches obsessionnelles, son comportement

    excessif et dépressif lui font perdre pied et sapent sa vie de famille. Apparaît Xavier Dupont De Ligonnès, planqué depuis des mois dans le tiroir de son bureau: il entend bien jouer un rôle dans cette enquête et distiller de précieux conseils. Un

    roman loufoque, l'histoire d'un homme en plein questionnement existentiel qui espère retrouver son chemin.


    Calmann Levy - 19.50 euros - Parution 23/08/2023

  • Hôtel de la Folie - David LE BAILLY

    Une enquête familiale passionnante et terrible: le nouveau roman de David Le Bailly qui succède à "L'autre Rimbaud" (sur les secrets entourant le frère du poète) nous entraîne dans les méandres de l'histoire de sa grand-mère.


    David se souvient d'elle:  Pià Nerina. Il se souvient surtout de ce jour terrible où devant ses yeux, elle s’est  défenestrée de l'appartement près de la place de l’Étoile où elle vit avec sa fille, folle, et son petit-fils qu'elle élève, remplaçant une mère défaillante. C'est le point de départ d’une plongée dans le passé, une histoire rocambolesque et tragique racontée par l’unique survivant, le narrateur.

    Qui était Pià Nerina ? Comment cette Napolitaine sans le sou a pu,  sans travail déclaré, se constituer un tel patrimoine dans les beaux quartiers de Paris? Des photos déchirées, grattées, des vrais faux documents pour enregistrer de fausses dates de naissance, fausses adresses, faux mariage : l’auteur va de surprises en surprises découvrir une vie de mensonges, de faux-semblants et de fuites. Qui est cet homme dont l’identité a été voilée?

    Pià Nerina va payer bien cher d'avoir voulu une vie libre, rejetant les lois et surtout les codes d'une société étouffant les femmes. La folie de sa fille adorée, sa violence inimaginable héritées d'un passé resté prisonnier de l’Hôtel de la Folie.


    Seuil - 18.50 euros - Parution 18/08

  • La dernière maison avant les bois – Catriona WARD

    Dee, lorsqu’elle n’était encore qu’adolescente, a perdu sa jeune sœur Lulu qui a subitement disparue alors que Dee était partie se baigner lors d’une sortie avec sa famille à la plage. Une dizaine d’années s’est écoulée et pourtant elle ne parvient pas à faire son deuil. Elle a continué à rechercher cette sœur avec qui elle entretenait pourtant des rapports tendus, du fait de leur différence d’âge (Dee « la grande de 16 ans, Lulu « la petite » de 6 ans). Dans l’impasse, elle part s’installer dans les environs du lieu de la disparition et plus précisément dans la rue « Needless Street » (la rue inutile). C’est ici qu’habite un étrange voisin, Ted, dans une maison dont toutes les fenêtres sont recouvertes de planches. Il ne semble pas avoir de réelle vie sociale, mis à part quelques échanges avec une voisine, des virées dans un bar louche dont il revient le plus souvent passablement saoul. On peut aussi parler de ses visites régulières chez son « psy » (qu’il surnomme l’homme scarabée) à qui il parle de manière détournée de ses turpitudes et de sa fille Laureen et de sa chatte Olivia qui lui compliquent bien l’existence. Il ressort accessoirement des séances les pleines poches de cachets anxiolytiques prescrits sous le manteau. Voilà de quoi assurément intriguer encore plus Dee sur le rôle que Ted aurait pu jouer il y a de cela dix ans…


    Roman noir avec une histoire « classique » de disparition d’enfant et d’un proche cherchant des réponses mais ce dernier prend une toute autre tournure lorsque ce sont les proches de Ted (sa fille Laureen et sa chatte Olivia – oui oui la chatte-) qui prendront la parole pour expliquer ce qui s’est passé et ce qui se trame dans cette mystérieuse dernière maison avant les bois.


    Ce livre est avant tout un grand livre sur l’expression de la culpabilité, des mécanismes de défense face à la violence de la vie et après une petite période d’acclimatation, il s’agit d’une véritable bonne surprise. A noter une postface, à ne surtout pas lire avant d’avoir terminé le roman- plutôt émouvante qui conclue un polar particulier sur les démons qui habitent chacun d’entre nous et que certains choisissent, contraints ou forcés, à laisser s’exprimer au grand jour.


    Sonatine – 23 euros


  • L'alphabet du silence - Delphine MINOUI

    Le roman de Delphine Minoui, journaliste franco-iranienne, spécialiste du Moyen Orient, s'apparente à un reportage tant elle documente l'histoire récente de la Turquie. Elle nous avait émus avec son livre-reportage sur la bibliothèque clandestine de Daraya, l'une des villes martyres de la guerre de Syrie, elle nous raconte cette fois Istanbul, ville dans laquelle elle vit depuis de nombreuse années. Elle a choisi pour cadre l'université du Bosphore qui connaît, sous le régime d'Erdogan, de très nombreuses répressions et des purges d'enseignants depuis le coup d'Etat manqué en 2016. 


    Les personnages de son roman, sont un couple de professeurs et leur petite fille de 6 ans: un matin, Götkay, le mari, est arrêté chez eux, pour avoir signé une pétition pour la paix. Il est placé en détention et sa femme Ayla s'enfonce dans une forme de dépression fataliste avant que les simulacres de procès, les conditions de détention, les arrestations arbitraires, ne la fassent réagir et passer à l'action. Commencent alors des années de combat, de militantisme, d'actions collectives pour obtenir la libération de son mari, récit dans lequel on devine l'hommage rendu au courage d'Asli Erdogan, romancière, journaliste et militante pour les droits humains, arrêtée et emprisonnée en 2016.


    Ce roman nous plonge dans les méandres d'une ville-vitrine dans laquelle les mosquées côtoient d'immenses galeries marchandes le tout sous une surveillance "sécuritaire" prônée comme étant la seule bonne façon de vivre par un pouvoir politique qui s'érode et rencontre une résistance de plus en plus vive.


    L'iconoclaste - 20 euros

  • Les aigles de Panther Gap - James A. MCLAUGHLIN

    Après l'excellent "Dans la gueule de l'ours"qui nous avait entraîné dans les Appalaches au coeur d'un trafic peu connu d'organes d'animaux, James  A McLaughlin revient avec un roman qui relève plus d'un récit de nature writting que du polar. Il nous étonne une nouvelle fois par sa compréhension profonde des écosystèmes de la vie animale et des changements en cours dus à l'évolution du climat et de l'emprise de plus en plus forte de l'être humain sur les habitats naturels. Il s'intéresse à ce lien intime que nous avons perdu avec la nature.


    Bowman, le personnage principal et sa soeur Summer, ont été élevés dans un ranch très isolé dans le Colorado, par un père farfelu et deux oncles. Discipline, survivalisme, chasse...


    A l'âge adulte, Summer reprend la ferme familiale, Bowman s'exile au Costa Rica à la poursuite d'un rêve de jaguar. Ils sont cependant contraints de se retrouver 20 ans plus tard. Un héritage va réveiller les vieilles rancunes d'une mafia qui n'a pas oublié les dettes laissées par leur grand-père. Si Bowman a acquis des capacités sensorielles hors-normes, il n'est plus du tout adapté au monde et aux personnes qui l'attendent au ranch. Summer voit dans cet argent une providence qui lui permettra de sauver le ranch, une vie normale peut être. Cependant il faudra trouver des alliés pour affronter ce passé qui les renvoit face à eux-mêmes.


    Entre paysages sublimes, voyages chamaniques, courses poursuites, l'auteur nous tient en haleine de bout en bout. Il nous fait ressentir avec force notre inexprimable dépendance aux êtres, animaux, végétaux, minéraux.


    Rue de l'Echiquier - 24.50 euros


  • Sarek - Ulf KVENSLER

    Un couple et leur amie commune ont pour habitude d'aller randonner ensemble une fois par an. Mais cette année, l'amie en question vient tout juste de rencontrer quelqu'un. Le trio devient alors quatuor. Mais qui est cet homme? Un mythomane, un psychopathe accusé par le passé de violences conjugales? Des doutes...aucune certitude. La tension monte au fil de la randonnée dans le parc national de Sarek en Suède, magnifique, sauvage et très isolé.


    Un roman noir, psychologique, à la tension parfaitement maîtrisée.


    La Martinière - 22 euros

  • Le guide - Peter HELLER

    Jack a 25 ans. Un peu perdu, il reste traumatisé d'avoir perdu sa mère alors qu'il avait 11 ans ainsi qu'un de ses proches amis dernièrement. Dans les deux cas, ils se sent responsable et peine à trouver une place dans la société.


    En pleine pandémie mondiale, il postule  dans un lieu paradisiaque situé dans une montagne du Collorado pour occuper le poste de guide de pêche. Cet endroit est la propriété d'un riche homme d'affaire qui le met à disposition d'une clientèle fortunée. C'est ainsi que Jack rencontre Alison K, une chanteuse célèbre avec qui il développe des liens privilégiés. Très rapidement, Jack découvre des choses étranges dans le fonctionnement de la résidence : des grillages tout d'abord, des voisins agressifs n'hésitant à pas à tirer à vue, un personnel distant malgré une façade accueillante. Et si le paradis sur terre cachait en réalité un véritable enfer?


    Peter Haller parvient à créer une tension qui monte crescendo en se jouant des fantasmes entourant les riches de la planète. Il nous offre également de jolies descriptions de parties de pêche dans lesquelles il fait preuve de sensibilité et de respect envers les poissons et la nature. Il aborde aussi le sujet de la culpabilité qui peut ronger et empêcher l'accomplissement personnel. 


    Un roman qui peut se lire comme un polar ou comme un bel excercice de natural writing.


    Actes Sud - 22.80 euros

  • Une prière pour les cimes timides - Becky CHAMBERS

    Voici le second tome de l’histoire imaginée par Becky Chambers après « Un psaume pour les recyclés sauvages » (à noter ses titres toujours intrigants et originaux). Nous retrouvons donc avec plaisir Dex, le « freur » en quête de sens et Omphale, le robot qu’il a rencontré contre toute attente dans le premier tome. Ces derniers vont quitter les chemins arborés et la nature pour venir se confronter à la civilisation. Omphale est impatient, tout autant que les humains car ces derniers ont entendu parler de lui et c’est un véritable engouement qui accompagne sa venue. Cette nouvelle notoriété va-t-elle avoir un effet sur sa relation avec Dex et quelle va être la trajectoire des deux amis dans le futur ? En tout cas, Omphale réalise un véritable travail de sociologie en abordant le sujet qui était déjà central dans le premier roman : « de quoi avez-vous besoin ? ». Bien matériels ? amitiés solides ? amour irréversible ? la question n’est pas aussi simple qu’elle n’y paraît.

    Becky Chambers parvient toujours avec bienveillance et harmonie, à imaginer un monde dans lequel la compréhension mutuelle, teintée de respect, parvient à faciliter grandement les rapports entre les individus. Son livre, toujours composé en écriture inclusive, nous offre un petit interlude de tranquillité et d’esprit positif ce qui par les temps qui courent n’est pas forcément désagréable. 

    Pour conclure, l’épigraphe du roman, comme une invite à se laisser porter dans cette histoire de freur et de gentil robot : « pour vous qui ne savez pas où vous allez »


    L’Atalante – 13.50 euros

  • Retrouver Fiona - Dalie FARAH

    Retrouver Fiona, c'est d'abord retrouver la plume alerte et incisive de Dalie Farah qui interroge, dans ce troisième roman, la généalogie de la violence à travers l'histoire d'un fait divers. Fiona avait cinq ans en 2013, quand sa mère a déclaré sa disparition dans un parc de Clermont-Ferrand. La France s'émeut. 

    Puis, après quatre mois de mensonges, elle a fini par avouer que le petit corps était enterré, quelque part. Depuis dix ans, l'autrice a récolté tout ce qui s'est dit, écrit, autour de la disparition de cette petite fille. 

    Au tribunal, elle scrute les réactions de cette mère maltraitante, à la fois menteuse et sincère, enceinte à nouveau, de ce beau-père toxico et arabe qu'il est tellement facile d'accuser de tout. Elle cherche les comparaisons avec sa propre enfance fracassée. Qu'est-ce qui différencie deux petites filles battues? Dalie a survécu. On n'a toujours pas retrouvé Fiona. Ce livre lui une offre une stèle inoubliable.


    Grasset - 20.90 euros (Parution le 08/03/2023)

  • Le présage – Peter FARRIS

    Cynthia Bivins vient rendre visite à son père Toxey. Ce dernier est atteint d’une maladie dégénérative et a du être placé dans une maison de retraite après s’être mis lui-même en danger dans la maison qu’il occupait jusqu’alors. Toxey rencontre des difficultés avec sa mémoire à court terme mais cette dernière ne lui joue pas des tours pour ce qui concerne son passé, et notamment de ce qui lui est arrivé alors qu’il était tout juste jeune adulte. Il va donc raconter à sa fille ce qui s’est passé à une époque où il a pu côtoyer un ambitieux futur politique, devenu président des Etats-Unis depuis, Elder Reese, prêt à tout pour franchir à grands pas les étapes le menant au pouvoir. Toxey, passionné par la photographie était connu dans sa petite ville pour prendre des clichés qui obtenaient un certain succès auprès des habitants. Et cette prédisposition l’a mis dans de sales draps. Ce sont ces éléments qu’il souhaite transmettre à Cynthia avant que sa mémoire ne les enterre pour de bon.


    Peter Farris alterne les phases entre un présent « imaginaire » et le passé de Toxey (années 60/70) et s’attaque à la corruption et à la ségrégation raciale, deux notions centrales lorsqu’on aborde les maux qui rongent les Etats-Unis. On peut bien entendu trouver des similitudes entre le politicien diabolique Elder Reese et un certain Donald Trump dans leur faculté à transgresser la réalité, à la façonner à leur bon vouloir et dans la façon irresponsable de ne pas supporter la contradiction. Il s’agit aussi d’un témoignage sur une transmission d’un père à sa fille sur fond de secrets de famille et de silences profonds.  


    Galmeister – 24.90 euros (parution le 2 mars 2023)

  • Mercy Street - Jennifer HAIGH

    Ce nouveau roman édité par les éditions Gallmeister aborde un sujet plus qu’explosif aux Etats-Unis : l’avortement. Claudia est une quarantenaire sans enfant qui travaille à la clinique de Mercy Street à Boston. Pour oublier son quotidien, qui consiste à accueillir de jeunes voire très jeunes filles paumées, dépourvues de connaissance sur leurs droits et prérogatives, bien souvent éprouvées psychologiquement, elle aime à se perdre dans les paradis artificiels de la drogue que son dealer attitré Timmy lui fournit en alliant la quantité à la qualité de ses produits d’exception. Ce dernier rêve lui aussi d’autres lendemains, moins aléatoires, moins risqués, plus « adultes » et pour cela il envisage sérieusement de réaliser un dernier gros coup, donc dangereux, pour enfin se retirer du business. En parallèle de ces deux âmes quelque peu perdues, nous ferons également la connaissance du personnage de Victor, un homme ambigu, pro-vie, qui va s’intéresser au travail de Claudia. Cette dernière va alors découvrir les passions sinistres qui habitent certains de ses concitoyens et comme souvent aux Etats-Unis, la violence sera au rendez-vous qui plus est lorsqu’il est question de faire se confronter deux opinions tranchées et diamétralement opposées. 


    Mercy Street est donc un roman qui dépeint une galerie de personnages accidentés, émouvants de par leurs failles et faiblesses, avec comme sujet central l’avortement qui est toujours source d’extrêmes tensions. Un pas a même été franchi en 2022 puisque certains états sont en train d’interdire complétement l’avortement ou tout du moins d’en restreindre drastiquement l’accès. Et comme souvent derrière les textes de loi, se cachent des personnes en détresse, aux destinées bouleversées, devant affronter le regard, l’animosité de l’autre. Et qui, le cas échéant, prient pour résider toujours dans un état qui ne considère pas l’avortement comme un crime mais comme un droit essentiel.


    Gallmeister – 25 euros. 

    Parution le 05/01/2023

  • Nuit nigériane - Mélanie BIRGELEN

    Argumentaire éditeur (lecture en cours)

    "C’est une nuit nigériane, l’obscurité avale tout, mais la musique déborde des rues

    opaques où prolifèrent les clubs en vogue d’Abuja."


    Depuis gamin, Olujimi espère percer dans l’univers de la mode. Lorsqu’il apprend sa sélection à la Fashion Week de Berlin, le jeune styliste nigérian pense toucher son rêve du bout des doigts. Et pourtant, il se terre, paralysé, fuit amis et famille.

    Sa page Instagram explose. De commentaires élogieux.De messages de haine aussi. Dans une société très homophobe, Olujimi clame sa liberté sexuelle et en paye le prix – celui de l’intolérance.

    Si vivre son rêve l’expose à la violence, quel choix lui reste-t-il ?

    Un premier roman d’atmosphère, urbain et social, qui nous entraîne dans le Nigeria d’aujourd’hui – un pays aux contrastes saisissants.


    Calmann Levy - 19.50 euros

    Parution 04/01/2023

  • Mes vies parallèles - Julien LESCHIERA

    D'in utéro à la quarantaine, la vie de Charles Dubois. Un avachi, un inadapté qui trouve son refuge dans l'oisiveté. Au fil des pages, de rencontres en évènements, sa paresse, sa volonté de ne pas prendre part, cette passivité se fait protection, gilet pare-balles, arme auto-destructive ou rébellion.

    Ici oisiveté ne rime pas avec quiétude et face aux épreuves que lui réserve sa vie, nous lecteurs suivons son récit avec fascination, dévorant les 500 pages de ce premier roman sans être repus.


    Le Dilettante - 25 euros

  • Le Chevalier Fracassé - Colin THIBERT

    A quelques encablures de la Révolution, le jeune Alessandro Versperelli est contraint de fuir précipitamment sa Suisse natale suite à un différend qui l'opposât violemment au père de l'une de ses nombreuses conquêtes féminines. Le laissant pour mort, imaginant l'émoi de sa famille et la justice lachée à ses trousses, il se rend à Paris, bien décidé à assouvir ses rêves. Débrouillard, ambitieux, son allure et sa belle figure ont tôt fait de séduire le vieux marquis de Faverolles qui, en le prenant sous sa protection et accéssoirement dans son lit, le sort des griffes du lieutenant général de police Lenoir. Celui-ci en avait fait un espion, devinant un passé tumultueux, le jeune homme n'avait pu faire autrement que d'accépter cette mission de mouchard.

    Le marquis qui se pique de sciences et de progrès, a inventé un système optique dont il compte se servir pour divertir et éduquer le peuple. Tout occupé qu'il est à parcourir Paris pour trouver des financements et appuis à cette invention, Alessandro devenu chevalier , va vivre les premiers soubresauts de la Révolution, faire un séjour angoissant dans les geôles, fuir à nouveau.

    Au rythme d'une écriture trépidante aux accents irrévérencieux, Colin Thibert nous entraîne dans un roman historique aussi énergique et drôle que la période est sombre et bouillonnante. Un texte malicieux autour du destin d'un homme surprenant.


    Héloise D'Ormesson - 18 euros-  Parution le 16 février 2023

  • Naisseur - Delphine LAURENT

    Dans la famille Despeyret, la ferme se transmet de génération en génération. Mais Paul et MArie-Loup ont été poussés par leur mère à faire des études: l'un termine l'école des Mines, l'autre est avocate à Paris. Au décès de leur père, Paul ne souhaite pas revenir au dur métier de paysan, et c'est sa soeur, très attachée à la vie campagnarde, qui reprend l'exploitation. Il faut beaucoup de force physique et mentale pour gérer terres et troupeaux au milieu de nulle part. Mais c'est peut-être la condition pour s'offrir enfin, la vie qui lui correspond.


    Albin Michel - 20.90 euros

  • Le silence – Dennis LEHANE

    Été 1974, une nuit à Boston. Un jeune noir meurt heurté par un train. Des témoins réunis par la police affirment qu’un groupe de jeunes blancs lui cherchaient des noises. La justice doit rentrer en jeu mais le silence l’emporte pour le moment sur ce qui a pu se passer cette funeste soirée. Parmi les jeunes, figure Jules, la fille de Mary Pat, une dure à cuire d’origine irlandaise, qui n’a pas peur de se servir des ses poings et de manières peu académiques pour avancer dans la vie. Ayant déjà perdu un fils drogué, elle ne peut se résoudre à voir disparaître l’enfant qui lui reste. Mary Pat a élevé sa fille dans la tradition familiale d’aversion envers la communauté noire et sa potentielle présence lors du décès ne la surprend pas. Ni ne la choque. Elle n’est pas un cas isolé dans son quartier qui voit d’un mauvais œil la mise en place de lois prônant la mixité dans les écoles pour que les jeunes noirs et les jeunes blancs puissent se côtoyer et étudier ensemble. Cependant, sa priorité reste de retrouver sa fille et elle va vite se retrouvée confronter à la pègre locale qui sur fond de drogues et de trafic d’arme, se délecte de la situation sociale explosive : un bon moyen de s’enrichir un peu plus et d’asseoir son pouvoir. Mais Mary Pat n’est pas du genre à reculer et c’est à coup de poings et de pression qu’elle va aller chercher la vérité sur le destin de sa fille.


    Dennis Lehane n’avait pas publié de roman depuis 2017 et c’est avec plaisir qu’on le retrouve chez l’éditeur Gallmeister. Il est totalement légitime pour aborder la ville de Boston qu’il connaît bien et sur laquelle il a déjà écrit de nombreux textes, en faisant naturellement l’autre héroïne du roman à côté de Mary Pat. Une ville coupée en deux, où les communautés s’opposent, où le progrès et le changement des mentalités sont difficilement envisageables du fait d’un racisme ordinaire solidairement ancré. Lehane parvient également à disséquer les rouages des gangs et ramifications qui transforment le quotidien de ses habitants en enfer.


    Un très bon roman noir avec ce personnage de Mary Pat charismatique et furieux, envahie par la haine et persuadée de la légitimité de la loi du Talion. Mais aussi un être humain qui dans l’épreuve verra tout de même ses vilaines certitudes et le fruit d’années de conditionnement sociétal se déliter petit à petit. « The times they are a changin’ “pour citer Bob Dylan…


    Gallmeister – 25.40 euros.


  • C’est quoi ce bordel ? Bruno GACCIO

    Comme indiqué dans le prologue du roman, ce livre est la réponse apportée par l’auteur à une personne docteure en littérature qui affirme qu’il faut des idées pour écrire. De son côté, Bruno Gaccio a une toute autre philosophie : pour écrire…il faut écrire ! Ainsi, partant de cette affirmation, et à raison de 2 à 5 pages par jour, il s’est donc attelé à l’écriture de ce polar. De facture très classique, on retrouve le personnage habituel de flic fatigué, en l’occurrence Bertrand Morillo. Et fatigué ce dernier l’est beaucoup puisqu’il a même tenté de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail. Sauvé de justesse par ses collègues, il se retrouve en repos d’office, ou plutôt en disponibilité comme on le dit dans ces moments-là. Une bonne occasion pour lui de franchir un nouveau palier dans la dépression et fréquenter par exemple les cimetières pour le silence et le calme qui y règnent. C’est lors de ces visites quotidiennes qu’il va découvrir qu’il n’est pas le seul à être assidu dans ces lieux de quiétudes. Une femme vient se recueillir chaque jour sur une tombe. On apprendra qu’il s’agit de celle de sa fille, morte à l’âge de 20 ans dans des circonstances particulières qui ont donné lieu à une enquête. Enquête à priori bâclée ou tout du moins qui n’a pas fait l’objet d’un réel travail de fond. Et quoi de mieux quand on est en disponibilité, pas au mieux psychologiquement et en délicatesse avec son employeur que d’aller mettre son nez dans une enquête au point mort ?


    Bruno Gaccio a toujours le don pour concocter des dialogues ciselés, comme il savait si bien le faire lorsqu’il exerçait son talent au sein des Guignols de l’info sur feu Canal +. Ironie, humour noir, gentilles méchancetés sont assénées en intégrant dans son histoire l’actualité récente, que ce soit les réseaux terroristes, des russes en goguette ou des politiciens plus ou moins habiles à gérer le quotidien et assurer la sécurité de leurs administrés. 


    Le parti pris du « défi » relevé par l’auteur donne un polar aux chapitres courts, aux séquences très dynamiques et l’on passe un bon moment avec ce flic dépressif, certes, mais ayant un certain panache à se mettre lui-même dans de sales situations. On ne peut que lui reconnaitre un réel savoir-faire pour parvenir à mettre un « joyeux bordel » dans une histoires aux multiples rebondissements.


    Massot Editions – 18 euros


  • L'autre - Thomas TRYON

    Au coeur de l'été, dans la campagne américaine, les jumeaux Niles et Holland s'apprêtent à passer des vacances particulièrement longues et ennuyeuses. Holland, qui semble avoir l'ascendant sur son frère, refuse de partir en camp de vacances. C'est donc dans la vieille ferme familiale remplie de recoins et de secrets qu'ils vont s'inventer des aventures cependant, depuis la mort de leur père, l'entente des deux frères n'est plus aussi fusionnelle: Niles est l'enfant sage, prévenant, agréable, Holland est le petit rebelle, secret, souvent caché, aux réactions anormales, presque insensible à ce qu'il se passe. Et il va s'en passer des évènements, de plus en plus étranges, et surtout de plus en plus graves: jusqu'où Niles pourra-t-il protéger son frère? Tous les personnages sont étranges et semblent craindre le prochain accident: une tension, comme un orage menaçant, règne dans cette histoire qui révèle une noirceur enfantine dérangeante.


    Impossible de lâcher ce roman: on se laisse happer par la folie et le double jeu des jumeaux au point de se demander qui est sous l'emprise de qui, n'y aurait-il pas quelqu'un d'autre dans cette histoire?


    Editions du Typhon - 23 euros

  • L'école des bonnes mères - Jessamine CHAN

    Frida Liu est une mauvaise mère : elle a été dénoncée par ses voisins, des personnes très honnêtes et pleines de bonne volonté. Etre mère célibataire d'une petite Harriet de 18 mois est un combat quotidien : jongler entre le travail, l'entretien de la maison et les insomnies, il arrive un moment où la mère oublie les règles de sécurité les plus élémentaires. En abandonnant la petite deux heures sans surveillance, Frida commet une erreur, elle le reconnait, et cet écart, elle va le payer très cher.  Son seul espoir de ne pas être déchue de ses droits parentaux est de participer au tout nouveau programme éducatif : un programme de rééducation parentale, une année de séparation sanctionnée par des examens. Tout échec sera lourdement puni.


    Un roman saisissant qui s'empare de thèmes brûlants tels que la société de surveillance, le contrôle par la technologie, le jugement des mères dans un monde patriarcal, la solitude terrible des femmes qu'on rejette en les accusant des pires défauts au lieu de les soutenir.


    Lecture angoissante d'un monde bien trop réel faisant lourdement résonner la question : qu'est ce qu'être une bonne mère.


    Editions Buchet-Chastel - 24.50 euros.

  • Free Queens - Marin LEDUN

    Après nous avoir plongés dans les méandres sordides des lobbies du tabac dans son précédent roman, "Leur âme au diable", Marin Ledun, nous entraîne dans une enquête dont les racines sont implantées au Nigéria.


    Quand Séréna Monnier, journaliste au Monde rencontre la jeune Jasmine Dooyum, 15 ans, celle-ci vient juste de se sauver pour échapper au proxénète et à la vie de misère qu'elle subissait depuis son arrivée en France. Elle a quitté son pays comme beaucoup d'autres, persuadée d'un avenir meilleur, sacrifice encouragé par une famille qui refuse son retour, victime des passeurs qui réclament leur dû. Séréna décide de partir enquêter au Nigéria où elle est accueillie par l'association Free Queens qui aide les femmes ayant subi des viols, des violences conjugales; certaines sont revenues de leur exil mais leurs familles ne veulent plus accueillir, prétextant que la honte est trop grande. Elle comprend très vite que le trafic de femmes et d'alcool, en particulier la bière sont une manne financière dont profite les escrocs et les criminels de la pire espèce. D'Abuja, la capitale aux deux facettes, une qui brille, la ville lumière où l'argent coule à flot et l'autre bien plus sombre où les gens vivent misérablement, au nord où sévit Boko Haram ajoutant encore des ombres menaçantes au tableau, l'auteur nous emmène dans un pays où les relents de la colonisation imprègnent l'air ambiant de ressentiment et de violence.


    Marin Ledun nous immerge dans un pays plein de contradictions, où la modernité côtoie le dénuement, où les droits humains les plus élémentaires sont bafoués, où les profits de quelques uns font le malheur de beaucoup d'autres. 


    Nouveau coup de maître pour ce polar fascinant et engagé, qui nous parle de l'avidité des hommes et de la sororité libératrice des femmes. 


    Gallimard - 21 euros

  • Mensonges au paradis - Colombe Schneck

    Quel vernis passe-t-on sur nos souvenirs d'enfance? C'est la question qu'aborde Colombe Schneck dans ce roman intimiste. Elle convoque ces moments de l'enfance et de l'adolescence dans ce qui constituait pour elle un paradis: un home d'enfants en Suisse dans lequel elle a passé toutes ses vacances de 6 à 20 ans. Parents absents, occupés, voire disparus, une vingtaine d'enfants se retrouvaient chez Karl et Anne-Marie, à intervalles réguliers, apprenant à skier, à vivre en communauté sous les ordres d'un Karl adepte d'une éducation "à la dure". Les enfants en revenaient vivifiés, avec au coeur, l'envie de se dépasser, de mériter les louanges de Karl; les parents, confiants, n'hésitaient pas à envoyer là-haut leur progéniture si heureuse de retrouver un second foyer. Mais le paradis n'était pas celui des enfants du couple: Vava et Patou ont vécu les choses bien différemment comme l'autrice va s'en rendre compte en enquêtant sur ce que sont devenus tous ces enfants et sur les propres impostures de sa mémoire.


    Editions Grasset - 18.50 euros

  • La tragédie de l'orque - Pierre RAUFAST

    La tragédie de l'orque est le premier tome d'une future trilogie. Pierre Raufast nous propulse en 2173 sur notre planète Terre bien épuisée, qui a connu une grande migration climatique réduisant la population et mettant quasiment à l'arrêt les progrès scientifiques. Car depuis plusieurs années, on envoit sans succès dans l'espace des petits modules, les Orcas, à la recherche de gisements d'antimatière, source d'une énergie infinie, non polluante, bref le nouveau Graal. En attendant les mineurs de l'espace parcourent les différentes strates de l'univers, passant d'une  à l'autre à travers les trous noirs, s'accaparant toutes les ressources de la moindre planète croisée. Malgré tout, les voyages durent des années et quand l'équipage réduit de l'Orca 7131 se retrouve en perdition suite à une avarie, le retour sur terre semble impossible. Les deux femmes à bord n'ont aucun moyen de communiquer et ne se doutent pas que leur tentative de sauvetage est l'objet d'une guerre d'égo entre les deux organismes qui gèrent les missions spatiales.


    Mensonges, fausses informations, surveillance, IA, algorithmes...le futur c'est presque comme aujourd'hui!


    Un roman aux références scientifiques solides et crédibles qui nous transporte dans le scénario terrible d'une humanité qui cherche le salut du côté de l'espace, d'une planète B, après avoir rendu la sienne presque inhabitable. 

    Solastalgiques s'abstenir!


    Aux forges de Vucain - 20 euros

  • Du nouveau sous le soleil - Alexandra KLEEMAN

    Hollywood, dans un futur très (trop) proche. Un écrivain quelque peu dépressif, est embauché dans l'équipe qui va produire un film à partir de son dernier roman. Il a été engagé moins pour superviser l'adaptation que pour encadrer et obéir à tous les caprices de Cassidy Carter, la jeune actrice vedette dont les frasques font la joie des paparazzis et réseaux à potins.


    Il fait chaud, les mégafeux font désormais partie du paysage sans provoquer d'émotions particulières. Mais l'espèce humaine ne mourra pas de soif! Grâce à un génial procédé, un groupe industriel a réussi l'exploit, très lucratif, de créer de l'eau artificielle à volonté: la WAT-R. Déclinée en de multiples arômes et promesses de bénéfices pour la santé, elle est pure, sans danger de contamination d'aucune sorte puisqu'elle n'a pas traîné dans les toilettes de votre voisin. Les demandes s'envolent, la consommation augmente, les prix également. 


    Sur le plateau, dans les banlieues, l'ambiance devient pesante, surréaliste: Cassidy, la starlette, exige un paiement en "liquide", entendez en eau véritable, devenue extrêmement onéreuse. Elle reste à l'écart du reste de la troupe. Les gens ont des comportements surprenants, la nature semble plus brillante et les animaux ont les yeux dans le vague. Depuis un camp de soins pour traiter l'éco-anxiété, la femme et la fille de l'écrivain tentent de le convaincre de sortir de cette région, persuadées d'une catastrophe imminente. L'humain ne doit-il pas faire le deuil de tout ce qu'il a détruit et commencer à comprendre qu'il n'est qu'une espèce nuisible pour la planète?


    Effrayant, effarant, ce roman a le pouvoir de vous capter et ne vous lâche pas! Comme cette eau synthétique qui s'avale difficilement, il nous laisse un goût persistant et un questionnement oppressant: que devient l'humanité quand ce composant indispensable à notre vie est accaparé et monnayé par des entités dont le seul but est le profit? Toute ressemblance avec le monde actuel ...


    Rue de l'Echiquier - 25 euros

  • La maison des jeux tome 3, Le Maître – Claire NORTH

    Voici le dernier volet de la trilogie de Claire North, celui où Argent, que nous avons croisé dans les précédents romans, va enfin défier la puissante et redoutée Maîtresse des Jeux. Le monde devient leur terrain de jeu géant, chacun disposant de forces disproportionnées, sans commune mesure avec ce qui pouvait se passer dans les deux premiers épisodes. Comme sur un échiquiers, les deux adversaires vont jouer leurs pièces, profitant de situations géopolitiques tendues, de conflits armés, des services secrets, des mafias mais aussi des joueurs qu’ils ont vaincu et qui leur sont redevable pour parvenir à faire tomber l’autre. Au vainqueur reviendra la lourde tâche de gérer et diriger la maison des Jeux qui a fermé ses portes le temps du combat acharné. Le champs est alors libre pour d’autres forces, celles qui pensent, à tort ou à raison, que les hommes sont des sauvages et la société uniquement un outils pour que les forts deviennent encore plus forts, un système d’ascension ni plus ni moins. Et si la raison d’être de la Maison des Jeux ne consistait qu’à contrecarrer cette vision de l’humanité ? Rendant l’issue du combat encore plus importante. 


    Le troisième et dernier roman de la série proposée par Claire North nous amène à dépasser les notions du bien et du mal dans un système dont l’unique objectif est de maintenir un semblant d’équilibre, les forces en présence n’étant plus que des sujets manipulés dont la fonction n’est que de servir la cause des joueurs. 


    Le Maitre est une belle conclusion de cette trilogie qui au confins de la science-fiction, nous amène à réfléchir sur la marche du monde, avec un sentiment dérangeant puisqu’on peut retrouver sur leur terrain de jeu des situations ancrées dans la réalité que nous pouvons connaître : des systèmes économiques qui s’effondrent, des conflits pour l’énergie qui profitent toujours à un bénéficiaire, un univers finalement qui nous rappelle à notre réalité dans laquelle nous pouvons aussi nous sentir comme sur un échiquier géant, modestes pièces dans un monde qui nous dépasse.


    Le Bélial – 10.90 euros

  • On ne se baigne pas dans la Loire - Guillaume NAIL

    C'est le dernier jour de colo; par un après-midi caniculaire, l'activité prévue par les monos tourne au drame.On les avait pourtant prévenus: la Loire est dangereuse. Mais ce bras mort du fleuve si tranquille, ce banc de sable, promettent des plaisirs rafraîchissants. Et les ados, insolents, vantards, se jettent, tels des pirates, à l'assaut du tronc d'arbre échoué, cherchant où plonger. Or, le courant est traître et le sable, variable: ils perdent pied.


    Dans ce court roman inspiré d'un fait réel, Guillaume Nail brosse les portraits d'une bande de gosses qui se cherchent, arrogants ou réservés, dissimulant leurs blessures sous un vernis d'assurance ou de faux-semblants. D'une écriture saccadée, aux tournures empruntées au langage des jeunes, l'auteur nous immerge, le temps d'une journée, dans les tourments et la fougue de l'adolescence.


    Denoël  - 16 euros

  • Harlem Shuffle - Colson WHITEHEAD

    Raymond Carney est vendeur de meubles et d’électroménager sur la 125ème rue à New York. Nous sommes au début des années 60 et ce jeune noir, père de famille, mène une existence des plus calmes parmi la communauté de Harlem. Tout du moins en apparence, car Ray est tout de même le fils de Big Mike qui était un homme de main de la pègre et qui avait l’habitude de solutionner les problèmes en s’attaquant aux genoux de ceux qui se montraient trop récalcitrants. Alors bien sûr, même dilués, il lui reste quelques gènes de son célèbre père et il n’hésite pas à refourguer, en plus de son activité principale, quelques postes de radio ou de télévision « tombés du camion ». Rien de bien méchant pense-t-il jusqu’à ce que son cousin Freddie, qui lui apporte certains articles et qu’il traîne depuis sa jeunesse comme un boulet (ce dernier ne cesse de lui répéter lorsqu’il est déjà trop tard « je ne voulais pas te créer de problèmes »), va vouloir l’associer à l’affaire du siècle qui ne peut pas rater. Une affaire dans laquelle il y a beaucoup à gagner. Mais aussi beaucoup à perdre lorsque des personnages comme Chink Montague, Pepper ou Miami Joe, des gangsters réputés et nerveux se trouvent mêlés à l’affaire en même temps que des flics véreux sur fond d’émeutes sociales dans un quartier prêt à s’enflammer à la moindre étincelle. Et Ray va alors devoir/pouvoir démontrer qu’il est bien le fils de Big Mike.

    Harlem Shuffle peut se lire comme un véritable polar mais aussi comme une photographie de la situation dramatique dans laquelle se trouvait New York au milieu des années 60. Ce n’est pas pour rien que cette ville a inspiré les Gotham et autres Sin City de par son apparence de jungle sauvage dans laquelle les promoteurs immobiliers et les gangs faisaient régner la terreur sur fond de racket et de règlements de compte. Colson Whitehead aborde également les violences policières qui entraînaient (déjà) la mort d’hommes noirs, provoquant de violents heurts dans le quartier de Harlem et transformant les rues en zone de guerre. 

    En termes d’écriture, Colson Whitehead fonctionne beaucoup par ellipse, et si ce procédé est quelque peu déstabilisant au départ, il laisse au lecteur la possibilité de se faire lui-même ses scènes personnalisées d’interrogatoires ou de règlement de compte musclés entre truands débonnaires bien entendu.


    Albin Michel – 22.90 euros

  • Swan song tome 1 et 2 – Robert McCAMMON

    Après le succès de Blackwater, la maison d’édition Toussaint Louverture nous revient avec non pas un mais deux titres aux couvertures intrigantes, ayant fait l’objet d’un travail de de production soigné. Il s’agit en fait de la même histoire « Swan Song, le feu et la glace » puis « Swan Song, la glace et le feu » qui nous entraîne tout simplement dans l’apocalypse. Les Américains et les Russes se sont envoyés, de manière concomitante quelques ogives nucléaires bien senties et les grandes villes, moyennes villes, petites villes et sites stratégiques américains ont été réduits en miette. On peut imaginer qu’il en a été de même du côté Russe, voire également dans le reste du monde. A partir de ce fait déclencheur, que l’on pourra qualifier pudiquement de fâcheux, la terre est devenue un enfer. Radiations, pénuries, températures glaciaires, tempêtes, meutes de bêtes sauvages…tous les critères sont réunis. Le lecteur du Fléau de Stephen King ne sera pas égaré puisque Swan Song est construit de la même manière, à savoir suivre les aventures « musclées » de survivants en quête d’on ne sait trop quoi (eux non plus d’ailleurs si ce n’est peut être survivre…). Il sera donc question d’échapper aux tombeaux des grandes villes puis de s’élancer sur les routes, en évitant les dangers qui ne manqueront pas. Il sera aussi question d’un anneau magique permettant d’entrevoir d’autres réalités et d’un être démoniaque, capable de prendre plusieurs identités et d’accessoirement semer la mort sur son passage…ça ne vous rappelle rien ?


    Dès la couverture, rappelant les plus belles heures des Pulp des années 50/60, nous voici prévenus : « nous allons franchir le point de non-retour, peut-être même l’avons-nous déjà franchi ». Il nous est également promise « une chevauchée sauvage dans la terreur ». A la lecture de Swan Song, on ne peut pas taxer Robert McCammon, l’auteur de l’excellent Zephyr Alabama, de tromperie ; son roman est un pur moment d’actions débridées, d’horreur soupoudré de fantastique. A ne pas manquer pour tout afficionado du genre. De plus, par les temps qui courent, une histoire de guerre atomique entre les Américains et les Russes…fiction ou anticipation ? il est toujours bien de se préparer au pire.


    Toussaint Louverture – 12.50 euros/tome

  • Trop loin de Dieu – Kim ZUPAN

    Hickney exerce un emploi que bien peu de monde souhaite exercer : sillonner les routes enneigées du Montana pour récupérer les carcasses d’animaux morts le long des routes. Le reste du temps, il vit dans une simple chambre de motel, son autre activité principale consistant à aller chercher en début de soirée son ami Jimmy dans les bars où il s’y sera appliqué à boire plus que de raison. Jimmy, un peu simplet, est resté cul-de-jatte après être passé sous les roues d’un train un soir de beuverie mal maîtrisée. Hickney se sent coupable de ne pas avoir assez surveillé son ami et il a bien cherché à couper les ponts avec son passé en s’enrôlant dans l’armée. Cependant, en ce début des années 80, sa terre natale, Jimmy et sa sœur qu’il aime secrètement l’ont poussé à revenir dans les contrées arides et enneigées du Montana. Alors bien sûr la vie n’y est pas très douce, les emplois ne courent pas les rues, le salaire de Hickney s’avère loin d’être mirobolant. Jusqu’au jour où apparaît un dénommé Van Zyl qui va chercher à se rapprocher de lui. Cet inconnu semble à la tête d’une troupe d’hommes sauvages qui se sont installés dans un ranch reculé et leur arrivée s’est accompagnée des crépitements d’armes automatiques. Van Zyl propose alors à Hickney d’arrondir ses fins de mois mais ce soudain élan de générosité est-il purement gratuit ou lié au fait qu’il ait bien connu son père lorsque tout deux étaient en prison ? Hickney se voit embarqué quoi qu’il en soit dans une sale combine.


    Trop loin de Dieu est une histoire d’amitié sur fond de repli, à la foi géographique mais aussi intellectuel, comme si l’entre-soi et l’isolement ramenaient l’être humain dans ses plus sombres travers. Kim Zupan parvient à décrire de manière percutante la vie dans ces contrées reculées, où les chasse-neiges et les chaînes sont incontournables une bonne partie de l’année. On y croise aussi des personnages foncièrement bons, victimes non pas seulement de l’animosité de l’environnement mais surtout de l’agressivité et de la férocité des hommes. Un endroit très certainement trop loin de Dieu mais pas de l’enfer.


    Gallmeister – 26.80 euros


  • Eteindre la lune - William BOYLE

    Le dernier ouvrage de William Boyle aborde des notions fortes, souvent source de tourments et de douleurs pour l’esprit humain : la culpabilité et la façon de rendre hommage à la mémoire de personnes disparues. 

    Dans son roman résolument noir, Bobby est, au début de l’histoire, un jeune adolescent de 14 ans qui s’amuse à lancer des projectiles d’un pont enjambant une route très fréquentée. Accompagné de son copain Zeke, tous deux se contentent au départ de lancer des coupelles de moutarde ou de ketchup ; ils franchissent un palier inquiétant lorsqu’ils décident de jeter des pierres de leur promontoire. L’acte potache va prendre une autre tournure lorsqu’une pierre va atteindre mortellement Amélia, tout juste plus âgée que les deux collégiens, qui circulait sur la voie rapide. Avec cette simple pierre, ils viennent de prendre une vie et par ricochet faire une autre victime : Jack le père d’Amélia. Lui non plus n’est pas un ange, mais ce décès brutal va anéantir ce dur qui se chargeait, souvent par la force, de redresser les torts et conflits de son quartier. Amélia avait des rêves d’écriture, une plume, dont elle n’aura pas eu le temps de se servir. 

    Quelques années plus tard, Jack va apprendre la mise en place d’un atelier d’écriture, animé par July, une jeune fille du même âge qu’Amélia et va vouloir redonner vie à ce projet. Une sorte d’aboutissement par procuration des rêves de sa fille. Au fil des rencontres, une relation quasi-filiale va s’instaurer entre July et Jack et comme souvent dans les romans de William Boyle, ses personnages vont se découvrir des ramifications insoupçonnées.

    Eteindre la lune est un roman dans lequel se côtoient de nombreux personnages, de vrais gentils, de vrais méchants, certains qui se cherchent, mais tous dotés de personnalités fortes, à la psyché complexe et bien souvent torturée. L’auteur intègre dans son histoire, non sans malice,  l’écriture comme source d’exorcisme des remords ou regrets, comme créateur de liens forts, allant même jusqu’à redonner un sens à une vie qui paraissait fichue. Il y est également question de rédemption, de rêves inatteignables, de trajectoires qui paraissent trop belles pour être pérennes.


    Gallmeister – 24.80 euros

  • Shit! - Jacky SCHWARTZMANN

    Banlieue de Besançon, à la prise de fonction de son nouveau poste de CPE dans un collège, Thilbaut fait le choix de s'installer au sein du quartier...juste à coté d'un "four", lieu de deal de shit, où pour rentrer chez soi il faut montrer sa pièce d'identité ou se prendre une beigne. 


    Quand les tenanciers du "four" se font dézinguer, lui et sa voisine mettent la main sur le stock. 

    Il va naître en eux la vocation de Robin des Bois, pour améliorer la condition sociale des habitants. Début d'un engrenage où tout ne sera pas complètement maitrisé.


    Un roman désopilant écrit avec le talent d'un sniper.


    Le Seuil - 19.50 euros.

  • Le passager – Cormac MCCARTHY

    Il aura fallu attendre quinze (longues) années pour que le grand romancier américain Cormac McCarthy nous offre une nouvelle histoire dont il a le secret. Et ce sont deux romans qui nous sont proposés avec le premier intitulé « Le passager » qui vient de paraître, et il faudra attendre le 5 mai pour découvrir Stella Maris, le second volet. Deux romans liés puisqu’ils traitent de la relation fusionnelle d’un frère et une sœur Alicia et Robert Western. Dans Le passager, c’est Robert qui est le personnage central, bien que sa sœur fasse son apparition au travers d’échanges « lunaires » avec ses amis imaginaires. Car du départ nous savons qu’Alicia est morte depuis une dizaine d’année et que Robert ne s’en est jamais remis. L’action se déroule dans les années 80, et Robert dont les capacités intellectuelles destinaient à suivre les pas de son père, scientifique ayant participé à l’élaboration de la bombe atomique américaine, se contente d’une modeste activité de plongeur en eau profonde. Le roman débute ainsi sur l’exploration d’une épave d’avion, écrasée en pleine mer. Cependant il s’avère que dans la carcasse de l’appareil devrait se trouver une mallette et surtout un passager, tous deux manquant à l’appel. Deux individus vont se mettre en rapport avec Robert, pour obtenir des explications quant à ces étranges disparitions.

     

    C’est un véritable plaisir de retrouver Cormac McCarthy, son sens des dialogues, ses phrases descriptives (regorgeant de « et ») dont la simplicité et l’efficacité font merveille. De l’humour dans les échanges entre les différents protagonistes mais aussi la noirceur qui caractérise l’œuvre de l’auteur (souvenez vous de La Route et l’histoire de cet enfant accompagné d’un adulte sur une terre à l’agonie). Il est très difficile de résumer ce livre car il est doté de plusieurs histoires qui s’entrecroisent, il faut se laisser porter par le rythme et le style inimitable de l’auteur (le premier chapitre peut être fortement déstabilisant, comme un sas de décompression ce qui pour un plongeur est plutôt conseillé). Au fil des pages la magie opère et il va être dur de patienter jusqu’au mois de mai pour connaître la suite…


    Editions de L’Olivier- 24.50 euros

  • Tsunami – Marc DUGAIN

    Dans son nouveau roman, Marc Dugain restitue la chronique racontée à la première personne, d’un président de la République Française. Elu depuis peu de temps, ce dernier découvre la pression et toutes les complications liées à l’exercice de la fonction suprême de la démocratie. Les difficultés s’enchaînent entre les éléments personnels, devant rester cachés à la population, qu’il faut pourtant bien gérer au mieux, les conflits sociaux de grande ampleur, mettant en avant le rôle d’équilibriste que doit endosser le président lorsqu’il veut essayer de conserver une éthique et ses convictions tout en ménageant les susceptibilités et mouvements parfois violents d’une opinion versatile et chauffée à blanc. La scène internationale n’est pas oubliée, avec des tensions à gérer, des pressions à subir en évitant à tout prix l’effet d’escalade qui peuvent mener aux guerres voire à l’extinction de l’humanité. 


    Le président dépeint par Marc Dugain est issu du milieu de l’entreprise, sa réussite et son accession au pouvoir étant en grande partie liée au GAFAM qui voient en lui un relai favorable au développement de leur activité. Il doit donc nager en eaux troubles, ménager les forces en présence quant aux enjeux énormes, notamment environnementaux. L’impression d’un pantin qui court de toute part pour éteindre les feux qui ne cessent de s’allumer, un pompier face à des pyromanes mais parfois lui-même aussi victime de ses propres choix ou décisions. Un personnage qui en tant que président a perdu aussi la faculté d’être considéré comme un homme ordinaire, victime de ses faiblesses, de ses propres contradictions.


    On peut trouver des similitudes entre le parcours de ce président et celui qui occupe actuellement l’Elysée mais il s’agit bien d’un monde alternatif, se déroulant dans quelques mois, quelques années au pire, qui aborde des enjeux bien actuels (gestion des libertés individuelles, situation critique de l’environnement), tout comme les conflits et les belligérants que l’on croise au fil des pages (Poutine, l’Ukraine, la Chine, les Etats-Unis). Le roman frappe surtout par l’extrême difficulté de la charge qui incombe à cet homme. Un homme seul qui doit endosser toutes les tragédies, avoir un sens de l’anticipation et savoir gérer ses émotions quant aux répercussions de ses actions sur sa vie personnelle, la marche du pays, voire celle du monde. La forme de la chronique intime laisse entrevoir la solitude d’un homme pourtant entouré d’une cohorte de conseillers et autres ministres, et le caractère exceptionnel dont doivent faire preuve les « grands » de ce monde : savoir composer avec leur conscience dans un rôle qu’ils ont choisi mais dont le quotidien les éloigne fortement de leurs semblables. Les amenant à vivre une existence finalement bien peu enviable.


    Albin Michel – 21.90 euros. Parution le 29 mars 2023

  • Allemagne, conte obscène - Victor PASKOV

    Sofia, juin 1968. Viktor, jeune écrivain ambitieux (et double de l'auteur), quitte la Bulgarie pour la RDA, faisant ses adieux à ses amis de lycée d'où il a été exclu une énième fois pour avoir joué du rock clandestinement. C'est également un adieu à l'adolescence et un saut vers l'inconnu, vers "l'Occident" et ses paillettes. En rejoignant son père, trompettiste dans l'orchestre de l'opéra de Freiberg, il est persuadé de trouver enfin la liberté et qu'il va pouvoir exprimer tous ses talents. Il tombe de haut dès qu'il descend du train: avec un permis de séjour jusqu'à fin décembre, il se rend compte qu'il est arrivé dans un monde pire que la Bulgarie soviétique qu'il vient de quitter. Le totalitarisme est porté à son paroxysme, obscène et cruel.


    Cependant, malgré le titre et la période sombre dans laquelle se déroule ce roman, Victor Paskov nous projette dans une ambiance à la fois féroce et drôle au milieu d'une galerie de personnages tous plus désespérés et irrécupérables les uns que les autres: certains sont méchants, d'autres louches, vicieux, tourmentés, dépressifs... Mêlant trahison, violence, désespoir, rage impuissante mais également ode à la vie, à l'amour, à la musique, c'est un texte qui claque et vous transmet une énergie incroyable. 


    Roman de l'exil et des renoncements (l'introduction avec sa longue liste d'amis écrasés par un régime aveugle et monstrueux), "Allemagne, conte obscène" dénonce avec beaucoup d'humour, la xénophobie et un système contradictoire attirant les travailleurs étrangers pour mieux les broyer et les humilier. Rassurez-vous, Viktor sortira, non sans mal, de l'impasse dans laquelle il s'était embourbé pour enfin faire exploser son talent dans un groupe de rock.


    Editions du Typhon - 22 euros

  • Anna Thalberg - Eduardo SANGARCIA

    Vous me direz, « encore une histoire de sorcière » ! mais celle-ci est incontournable. D’une part, parce que c’est un auteur mexicain, Eduardo Sangarcia, qui s’attaque à un épisode de l’histoire de la Bavière, plus exactement à Wurzburg, au XVIIème siècle et d’autre part, parce que la construction du texte est remarquable. 

    Anna Thalberg a 22 ans, elle mène une existence tranquille auprès de son mari quand on l’enlève à la demande de l’évêque local pour des « malfaisances » dénoncées par sa voisine. On l’accuse d’être responsable de morts de nourrissons, de la sécheresse… En fait, elle suscite beaucoup de jalousie car sa beauté rousse tourne la tête aux hommes mariés du village. 

    En une seule longue phrase qui nous tient en haleine, on suit le procès et les tourments de la jeune femme qui refuse d’avouer des crimes qu’elle n’a pas commis : en tenant tête à son examinateur malgré les tourments et la douleur des tortures imposées méthodiquement, elle dénonce l’iniquité de ce jugement décidé par les hommes, par ce système politico-religieux sacrifiant des innocents pour se maintenir au pouvoir.

    C’est un long poème ponctué de répétitions entêtantes, le seul dialogue entre Anna et son « confesseur » est retranscrit sur 2 colonnes, et au-delà du récit historique, l’auteur nous fait entrer dans la peau de ce personnage têtu et fier : une célébration du pouvoir féminin.


    Editions La Peuplade - 18 euros

  • L'instruction - Isabelle SORENTE

    Comme avec son précédent roman "Le complexe de la sorcière", Isabelle Sorente nous livre un texte à vocation initiatique et le voyage est à la fois brutal et magique. On sait l'autrice particulièrement sensible à la cause animale mais elle nous rappelle que nous ne pouvons pas nous-mêmes nous exclure du monde des animaux. Quelle doit être la place de l'humain, espèce qui a une voix pour s'exprimer, qui muselle les autres espèces et qui s'étouffe de mots inavoués?

    Suite à l'enquête qu'elle avait réalisée en 2013 pour "180 jours" durée de travail qu'elle a accompli dans une "structure de production" (entendez élevage industriel), l'autrice vit avec un questionnement, un malaise, une impression floue de ne pas avoir l'autorisation de parler pour les sans-voix. Depuis l'enfance, elle s'interroge sur ce que ressentent les animaux jusqu'à ce qu'elle tente de mettre en application l'instruction donnée par un maître bouddhiste : un exercice d'empathie consistant à s'imaginer à la place d'un animal conduit àl'abattoir. 

    Et c'est dans une quête spirituelle que l'autrice nous entraîne de laquelle on ressort sonné et prêt à poser un regard différent sur notre course effrénée, enchaînés que nous sommes par une logique fatale. Un roman empreint de magie, de poésie et une déclaration d'amour à la littérature.


    Lattes - 20.90 euros (parution le 11 janvier 2023)

  • Client mystère - Mathieu LAUVERJAT

    Le narrateur de ce premier roman est un jeune de son époque. Sans diplôme, issu d’une famille très modeste originaire du nord de la France, il va tout d’abord s’initier au monde du travail par le biais des sociétés spécialisées dans la livraison de repas à domicile. Plutôt bon cycliste, il va se jeter le soir venu dans les rues de sa ville, défiant les dangers, pédalant comme un dératé pour décrocher les meilleures notes et donc les meilleures courses lui permettant ainsi de percevoir les meilleures rétributions. Mais sa carrière va brusquement s’arrêter et il va de nouveau le plonger dans une situation précaire. Jusqu’au jour où il va découvrir la société PMGT, un sigle derrière lequel se cache une entreprise spécialisée dans le « mystery shopping ». Son emploi va consister à devenir client mystère, activité qui consiste à espionner de manière anonyme des employés de banque, de chaînes de boulangerie, d’opticiens, afin de s’assurer que ces derniers suivent bien à la lettre les préconisations imposées par leur direction. A la clé, bons points ou au contraire commentaires désastreux envers ceux qui sauront ou non suivre les règles du jeu à la lettre. Notre narrateur, après une très courte période d’adaptation, va se montrer particulièrement doué pour ce genre d’activité, acceptant de se composer un nouveau personnage à chaque nouvelle mission et laissant ses états d’âme de côté. Cependant, en voulant et en étant poussé à aller toujours plus haut, il va devoir revenir à la réalité et au fait que derrière ses cases et comptes-rendus « d’expérience » se cachent des êtres humains dont il peut briser l’existence.

    Ce premier roman dépeint très bien le monde du travail à l’aire de l’ubérisation, un monde où les process et les compétences ont remplacé les notions de métier et de savoir-faire. Un univers dans lequel le dress code est plus important que le fait de répondre avec efficacité à une demande. On assiste donc au fil des pages à la transformation d’un salarié, entraîné dans une sorte de syndrome de Stockholm, qui se met à adhérer à des concepts dont il a lui-même fait les frais dans sa vie professionnelle antérieure. 

    Une histoire très bien menée, dans lequel le suspense réside dans cette progression professionnelle folle, celle d’une victime devenue à son tour bourreau. 


    Scribes (Gallimard) – 19.50 euros

  • Cordillera - Delphine GROUES

    Chili, début du XXème siècle.

    L'autrice nous emmène dans une campagne rude au pied de la Cordillère pour nous conter l'histoire de la famille Silva, ancrée dans ce paysage sauvage qui ne pardonne aucun faux pas et ne fait pas de cadeaux aux faibles et aux fainéants.

    Cécilio, le père, est un taiseux, hanté par les souvenirs d'une guerre dont il n'évoque rien. Seule sa femme, Luisa, connaît les cauchemars qui le réveillent nuit après nuit. Elle est mapuche, elle est gardienne des secrets des pouvoirs guérisseurs des plantes et des chants.

    Leurs deux fils, Esteban et Joaquin sont liés par un amour indéfectible bien qu'ils soient très différents: l'aîné est fasciné par les livres, l'écriture, le monde des poètes. Le cadet ne rêve que de cimes et de troupeaux. L'un découvrivra le métier d'imprimeur et le pouvoir des mots, l'autre suivra la trace ténue dans la montagnes des "arriero" , ces fiers gardiens de bétail, considérés comme des héros.

    La vie va leur apporter son lot d'épreuves: la violence des hommes, le climat impitoyable, la mort frappant à l'aveugle, l'exil, la séparation. Le clan Silva fait face et l'amour qui soude cette famille est si fort qu'il reste le seul point fixe de cette histoire.


    D'une plume poétique, Delphine Grouès convoque des paysages grandioses et une nature indomptable et sublime dans laquelle les hommes tentent de trouver leur place, de se forger un destin. Quand les évènements les attirent vers les précipices, leurs regards se tournent vers les sommets. Ils marchent sur la crête, en équilibre entre deux mondes, entre le ciel et la terre, au pas lent et sûr des mules.


    Magnifique premier roman porté par une écriture évocatrice, teintée de magie : une conteuse au pays des indiens Mapuches. 


    Cherche Midi - 20 euros

    Parution 12/01/2023

  • Mécanique de la chute – Seth GREENLAND

    Jay Gladstone est un modèle de la réussite à l’américaine. Issue d’une famille immigrée du début du 20ème siècle, il a su profiter des graines plantées par ses aïeuls pour faire fructifier une dynamique qui lui permet d’être invité à des soirées dans lesquels il peut croiser le président des Etats-Unis. Proche de la soixantaine en 2012 au moment où se déroule le roman, il est à la tête d’un empire immobilier qu’il souhaite continuer à développer. Non dépourvu de qualités « morale », il tient à financer des associations et autres fonds caritatifs, l’humanisme pour lui n’est pas qu’un simple mot. Il aime aussi bien entendu se faire plaisir avec son sport favori, le basket et détient même une franchise NBA qui se bat pour les playoff. A titre personnel, il entretien une relation cordiale avec sa seconde épouse, bien plus jeune que lui, et « acceptable » avec sa fille de 17 ans, issue d’un premier mariage. Cette dernière entrant dans l’âge adulte a un peu plus de mal à confronter ses idéaux de jeunesse à tout ce que représente son père. Tout va donc pour le mieux. Et pourtant, Jay ne peut pas s’attendre à tout ce qui va lui arriver : des éléments louches dans ses affaires, émanant d’un membre de sa propre famille, une autorisation des services d’urbanisme qui trainent des pieds pour accorder un permis de construire pour un immeuble qui sera son chef-d’œuvre, le joueur star de son équipe qui n’est pas satisfait de sa prolongation de contrat, une brouille avec sa fille après des échanges tendus, sur fond de religion, avec sa nouvelle petite amie, et enfin sa femme qui va le précipiter en enfer. Jay n’était définitivement pas prêt à ce déferlement.


    Une chute sur 700 pages, et quelle chute ! Seth Greenland parvient à nous faire ressentir les sentiments qu’éprouve Jay Gladstone au fur et à mesure de sa dégringolade. Comme pour un deuil, il va passer par plusieurs étapes, mais comment gérer cette déflagration d’éléments négatifs lorsqu’on a toujours été habitué à tout manipuler et maîtriser pour que la vie suive le cours désiré ? 


    Le roman offre une formidable caisse de résonnance à l’évolution des rapports humains, notamment ceux reposant artificiellement sur de simples intérêts communs dans un petit monde où l’entre-soi et la domination sont les maitres-mots. Pire que tout, Jay va devoir se justifier sur sa probité, son antiracisme, ses valeurs humaines qu’il pensait pourtant conjuguer avec son sens des affaires et se battre comme un beau diable. Mais lorsqu’on tutoie les étoiles et une fois le mécanisme infernal enclenché, l’issue est inéluctable : la chute n’en est que plus longue et plus douloureuse.


    Liana Levi – 12 euros

  • La maison des jeux t2 : le voleur – Claire NORTH

    Après l’excellent premier tome qui s’intitulait « Le serpent », nous revoici invité à franchir le seuil de La Maison des jeux, ce monde alternatif créé par Claire North dans lequel toutes les décisions liées au fonctionnement de notre monde sont gérée par cette entité qui tient sous son joug les dirigeants et toutes les personnes donnant l’impression de mener la danse. Dans les faits, ce ne sont finalement que de simples pions sous l’autorité de la puissante et crainte Maitresse des jeux. Dans ce second tome, Remy Burke un joueur expérimenté, faisant partie de l’élite, accepte le défi d’Abhik Lee, un redoutable outsider plein de promesses, et les deux hommes vont alors s’affronter. Et pas de n’importe quelle façon : c’est une partie de…cache-cache qui va les départager. L’enjeu ? Si Rémy l’emporte, quelques années de rab aux dépens de son adversaire (oui dans ce monde-là il est possible d’augmenter ou diminuer son espérance de vie…). Si Rémy perd, il devra remettre à Abhik Lee ses souvenirs et son savoir…autant dire des valeurs inestimables au vu de son parcours de joueur.  La partie se tiendra en Thaïlande et le vainqueur désigné sera celui qui aura su échapper à son adversaire le plus longtemps. Chaque joueur aura une main, composée aussi bien d’espions, de policiers, de personnages haut-placés ou au contraire de simples usagers, et ceci de manière aléatoire, pour mettre la main (au propre comme au figuré) sur son adversaire. Cependant, Rémy se rend vite compte qu’Abhik Lee a su profiter de son état quelque peu éméché au moment d’accepter le duel. Les dés semblent pipés et qui plus est, c’est à Rémy que revient la périlleuse épreuve de débuter le match en tant que « chassé ». Il va vite se rendre compte que la partie ne va pas être de tout repos. Rémy va devoir redoubler de talent pour espérer triompher de son redoutable et ambitieux adversaire.


    Ce second volet du cycle « La maison des jeux » est très agréable de par son rythme effréné mais aussi grâce à cet univers que l’auteure a su créer dans lequel la partie « fantasy » s’insère de manière naturelle et spontanée. On arrive totalement à croire à ce monde dans lequel une Maitresse des jeux s’amuse à la manipulation et à tirer les ficelles pour son bon plaisir avec le jeu comme explication à la marche du monde. Hâte de découvrir le troisième et dernier tome de la série.


    Le Bélial – 10.90 euros

  • L’escadron noir – W.R BURNETT

    L’escadron noir c’est tout d’abord pour quelques passionnés un film avec John Wayne. Ce dernier est une adaptation à des années lumières du roman dont il est tiré, comme nous l’explique Thierry Frémaux dans la postface du roman. Ce titre s’inscrit dans la collection « romans westerns » initiée par Bertrand Tavernier en 2013, permettant de découvrir les histoires que le 7ème art aendues célèbres. Dans ce livre donc, nous nous situons juste avant la guerre de sécession américaine et sommes témoins des amours contrariés de Johnny, un bon gars honnête se destinant à une brillante carrière d’avocat, qui voit sa cour assidue auprès de la belle Mary, une belle héritière, mise en danger par Polk Cantrell, un bad boy sanguin au comportement cavalier. Et c’est bien connu, les douces et belles jeunes filles préfèrent le frisson et l’étincelle provoqués par un mauvais garçon que la tranquillité et la mollesse supposée d’un garçon sérieux. Nous allons donc assister à cette passe d’arme sur fond d’une guerre civile qui menace. En effet les abolitionistes se heurtent de plus en plus aux esclavagistes et il ne fait pas bon vivre à la frontière entre le Kansas et le Missouri, où se situe l’action de notre histoire. 


    Voici un roman très agréable, écrit par un auteur américain qui s’est fait surtout connaître pour ses polars mais aussi pour ses scénarios, dont celui de la Grande Evasion de John Sturges avec l’inoubliable Steeve Mc Queen. Burnett affirmait avoir forgé son style grâce à la lecture d’auteurs français tels que Balzac, Flaubert ou Maupassant. On retrouve donc tout naturellement un certain classicisme dans sa plume et une construction de l’intrigue très marquée 19ème siècle. Cette atmosphère se prête très bien au style western et aux pérégrinations du doux et sensible Johnny face à l’agressivité et rudesse du monde qui l’entoure. 


    Une grande évasion non plus sur grand écran mais tout au long des 366 pages du roman.


    Actes Sud – 23.70 euros

  • Gueules cassées - Dominique DELAHAYE

    "La géographie urbaine est un champ de guerre sociale".


     Cette phrase tirée de la quatrième de couverture résume à elle seule le sujet du livre. La plupart des personnages de ce roman se connaissent depuis leur enfance modeste passée dans la rudesse de la banlieue. Un projet immobilier mené par un architecte véreux va précipiter de manière inéluctable leurs destinées. 

    Quand nos origines sociales nous paramètrent à un destin, a-t-on vraiment les cartes en mains pour le contrecarer?


    Sans dévoiler la fin, Dominique Delahaye nous livre un roman sombre et radical.


    Editions In8 - 19 euros

  • La vie clandestine - Monica SABOLO

    Que fait un écrivain en manque d'inspiration, fatigué mais que le désir d'écrire taraude? Il cherche une trame "facile". Monica Sabolo pensait, en trouvant son sujet sur Action Directe, faire un roman qu'elle bouclerait sans trop de difficultés. Sans se douter que ce sujet allait la projeter dans sa propre histoire et surtout la mettre face aux ombres de son enfance, à des secrets que sa mémoire, très bien élevée, avait refoulés et murés sous une chape de silences, de mensonges.


    Ce roman est une plongée dans les années 80 pendant lesquels les attentats, braquages, enlèvements et exécutions rythmaient les JT et remplissaient les pages des quotidiens. Monica Sabolo se lance dans une enquête sur deux femmes accusées de l'exécution de Georges Besse, un industriel. Qui étaient-elles? comment en sont-elles arrivées à prendre les armes et à s'en servir? Et qu'est-ce qu'AD? Pourquoi les membres restent-ils solidaires quelles que soient les accusations, quel que soit le temps écoulé? Au même moment, Monica vit à Milan mais la famille lui a caché sa véritable origine: qui est son père et que fait son

    père d'adoption, Yves S, si souvent absent de la maison. Que cache sa mère, pourquoi est-elle partie et n'a pas donné de nouvelles pendant des années?


    Un très beau roman, qui interroge les chemins que se frayent les souvenirs pour revenir à la surface et les ruses que déploient les écrivains pour tenter de les ignorer, les contourner et  finalement suivre des fils jusqu'à démêler la pelote de leur propre histoire.


    Gallimard - 21 euros

  • Aquitania - Eva GARCIA SAENZ de Urturi

    Soyons clairs, ce livre est un roman qu'on ne pourra pas qualifier de roman historique même si la trame se base sur des personnages ayant existé. L'autrice prend des libertés avec la chronologie et les évènements de l'histoire du Duché d'Aquitaine et de sa célèbre héritière, Aliénor. Il n'empêche qu'Eva Garcia Sàenz de Urturi signe là une histoire captivante entre enquête et thriller dans l'univers sans pitié des cours des rois et de leurs vassaux plus ou moins alliés, plus ou moins rivaux où le poison circule dans les mains d'espions habiles, ainsi que les armes. La violence couve en permanence et chacun, dès l'enfance, doit apprendre à se protéger et à se méfier de tous. Aliénor va en faire les frais dès son plus jeune âge et quand, à 13 ans, elle se retrouve orpheline suite à la mort de son père dans des circonstances étranges, elle n'a plus qu'une idée: le venger. Elle soupçonne le roi de France Louis VI le Gros d'avoir prémédité l'assassinat par empoisonnement de son père. En héritière très convoitée du royaume le plus riche, elle décide d'épouser son fils Louis VII et d'imposer son sang aquitain à la cour pour diluer le sang des Capétiens honnis. Mais le jour de son mariage, le père de son époux est lui-même retrouvé mort dans des circonstances similaires. Les jeunes mariés vont devoir apprendre à se connaître et tout mettre en oeuvre pour démanteler la machination qui les menace.


    Roman polyphonique rythmé par les voix des principaux protagonistes aux vies bousculées par des coups bas et des trahisons, cette enquête est portée par la personnalité flamboyante d'une Aliénor consciente de la grandeur de sa destinée et par un personnage mystérieux de trouble naissance dont on ne découvrira le secret que par bribes. 


    Fleuve Editions - 21.90 euros

  • Alfie – Christophe BOUIX

    Il y a des ouvrages parfois où l’on compte les pages qu’il reste avant de le refermer une fois pour toute. Avec Alfie, ce ne sera pas le cas. Dans ce roman, une famille français « CSP moyenne + » s’équipe, en partie pour bénéficier d’avantages sur leurs cotisations d’assurance et conditions de prêt immobilier, du dernier modèle d’Intelligence Artificiel de domotique, nommé Alfie. Grâce aux nombreux objets connectés qui composent le foyer (que ce soient les cadres connectés diffusant les photos de vacances, les caméras disposées à l’intérieur et extérieur de la maison, bien entendu les tablettes, ordinateurs et autres smartphones), Alfie va faire connaissance avec les membres de sa nouvelle famille et étant doté de la capacité à s’adapter à son environnement, la situation va vite déraper. Robin, le père de famille qui travaille comme « responsable des schémas algorithmiques de risques et process opérationnels (sic) » dans une société ambitieuse, est très monopolisé par son travail…mais également par sa collègue Eve. Claire, la mère, est une spécialiste de sémiologie, elle participe parfois à des colloques…enfin, c’est ainsi qu’elle mentionne ses rendez-vous officieux avec son collègue Daniel. Les deux filles quant à elles sont plus classiques : Lilly du haut de ses 5 ans aime croire aux fées et au monstre dans le placard alors que Zoé, âgée de 16 ans, éprouve les pires difficultés à lire Le meurtre de Roger Ackroyd pour son cours de français mais envisage plus facilement de sortir avec Karim Delcourt « qui est trop beau ». Il y a aussi un chat dans la maison, mais par rapport à lui, Alfie est plus circonspect. Quoi qu’il en soit l’IA va venir semer une belle pagaille au sein de cette famille car elle ne maîtrise pas la fonction pour gérer les faux semblants, l’hypocrisie et le mensonge ordinaire qui peut s’installer entres des personnes partageant le même logement. Après tout, c’est pour la bonne cause et ce sont les bergers qui ont fait rentrer le loup dans la bergerie. A présent, il va falloir l’assumer. 


    Roman très bien construit, qui court sur une soixantaine de jours, soit le temps nécessaire à Alfie pour enflammer les braises que la famille lui fournit. Où comment un roman au ton léger s’avère plus profond qu’il ne semble, mettant en exergue la propension des machines à avoir accès à tous les éléments pouvant interférer sur les libertés individuelles des personnes, qui plus est consentantes ! En voulant optimiser, rationaliser, déléguer, l’être humain n’a plus la main pour remporter le match face à un adversaire qui est de plus en plus omniprésent et omniscient. Il ne peut que perdre pied et qu’arrivera-t-il lorsque la machine suivant sa logique, s’arrangera pour lui mettre une bonne fois pour toute la tête sous l’eau ?


    Ce récit de Christopher Bouix se dévore avec une approche humoristique prononcée (les réactions de l’IA par rapport aux filles de la famille sont souvent hilarantes) mais amène aussi à réfléchir ; avez-vous consulté votre dernier historique de géolocalisation ? Non ? Peut-être n’avez-vous rien à vous reprocher ? peut-être que oui, peut être que non…


    Au Diable Vauvert – 22 euros

  • Requiem - François Henri SOULIE

    Requiem est le troisième roman de la « trilogie occitane » de François Henri Soulié, après Angélus et Magnificat. Il se déroule en 1210 et nous retrouvons certains personnages déjà croisés dans les précédents titres. Cependant, Requiem peut parfaitement être lu de manière indépendante sans pour autant perdre en intérêt : il s’appuie en grande partie sur des « figures historiques » réelles qui se sont opposées dans ce que les historiens ont appelée « La croisade des Albigeois ». Proclamée par l’Eglise catholique contre le Catharisme, considérée comme une hérésie et devant donc être éradiquée, le conflit se matérialise dans Requiem plus précisément entre Simon de Montfort et Raimon de Termes. Le premier nommé est bien décidé à détruire le second, un réputé hérétique retranché avec sa troupe de mercenaires dans sa forteresse, doté d’armes secrètes créées par un astucieux ingénieur, susceptibles de rendre le siège et les combats à venir âpres et sanguinolents. N’y aurait-il pas pourtant d’autre issue que la violence pour mettre fin à cette querelle ?


    François Henri Soulié va donc romancer la « grande Histoire » en bâtissant des portraits psychologiques tourmentés des différents protagonistes du conflit : d’un côté un Simon de Montfort jusqu’au-boutiste, excessif et son entourage qui ne peut que constater sa folie meurtrière et de l’autre un Raimon de Termes affaibli, tourmenté et semble-t-il frappé par le destin (ou le « Vrai » Dieu) avec sa fille Raimonda qui « entend les anges » et son fils Olivier qui s’est mis en tête de retrouver « La dame au Cerf » susceptible d’aider sa sœur à retrouver ses esprits. Au milieu de toute cette agitation, le troubadour Guilhem de Malpas, troubadour diligenté par sa majesté Pédro D’Aragon pour lui rendre un rapport circonstancié de la situation, essaiera d’apporter quelques mesures de beauté grâce à sa musique et ses poèmes. Des armes bien illusoires au milieu des mouvements de troupes et de la violence qui s’abat, y compris sur les prostituées qui jouent un rôle prépondérant dans « le repos des guerriers » et dont la multiplication des meurtres interroge. Se peut-il qu’un monstre de plus se cache au milieu de ce chaos ?


    Très bon nouvel épisode de la série de François Henri Soulié, un récit qui se déroule en deux jours et deux nuits mais dont la multiplicité des points de vue donne une impression de longueur plus importante. Toujours fortement documenté, que ce soit au niveau architectural, des armes (notamment de siège qui sont alors en plein essor) ou même sociétal (les prostituées qui, sur fond de bienséance religieuse, se retrouvent embarquées et tacitement acceptées au milieu des tumultes), son roman nous transpose avec efficacité au début du XIIIème siècle, ses luttes de pouvoir et d’égo sur fond d’hypocrisie religieuse. Les côtés chevaleresque et épique sont également de la partie et toujours ce plaisir de retrouver des mots de vocabulaire de l’époque distillés par l’auteur et qui viennent renforcer le côté immersif de l’expérience littéraire.

     

    10/18 – 16.90 euros


    A lire également Angélus et Magnificat disponibles en poche 10/18 (8.80 euros)

  • Les exportés - Sonia DEVILLERS

    Aucun pays, Allemagne exceptée, ne participa aussi massivement au meurtre des juifs que la Roumanie. Pourtant, sous couvert d'un mensonge d'état ayant fait en sorte de ne retenir que les 9 derniers mois de la guerre alors que le pays s'était enfin retourné contre l'Allemagne nazie, la Roumanie s'est racheté une conscience allant jusqu'à affirmer que la population juive avait été protégée. Ce que dément toutes les enquêtes et ce que découvre Sonia Devillers en entreprenant de raconter l'exil de ses grands-parents. La fin de la seconde guerre mondiale ne sonne pas la fin des persécutions contre les juifs et ce que le fascisme n'a pas terminé, le communisme va s'en charger d'une manière insidieuse et révoltante. 


    L'autrice nous fait le récit du parcours de sa famille littéralement exportée de Roumanie comme de la marchandise dont la valeur s'exprimait en nombre de porcs, en troupeau de moutons ou en machines agricoles dont le pays souhaitait se doter afin de devenir le plus rapidement possible, l'un des plus grands pays agricoles d'Europe. Au cœur de ce trafic insensé, un homme: Henry Jacober. Parfois présenté comme un Oscar Schindler aidant ses coreligionnaires à quitter un pays pourtant verrouillé et hostile, il s'avère plutôt être un homme d'affaires sans scrupules. Sous Ceaucescu, les juifs sont un produit d'exportation comme un autre. 


    Sonia Devillers est la fille de ces exportés arrivés à Paris en 1963 avec pour tout bagage, deux valises et une malle et une nostalgie infinie. L'histoire de ce trafic d'êtres humains est tout simplement stupéfiante et ce récit étayé de chiffres et de faits laisse pantois face à tant de barbarie. En deux chiffres : la population juive de Roumanie est passée de 750 000 avant guerre à 10 000 à la chute du dictateur en 1989.


    Flammarion - 19 euros

  • La sauvagière - Corinne MOREL DARLEUX

    Suite à un accident de moto, la narratrice se réveille loin de tout, de la ville, des gens, des stimulations incessantes, bruit, odeurs: elle est à l'abri dans une maison au coeur d'une forêt-cocon entourée de Jeanne et de Stella. Chacune en fonction de ses capacités s'occupe à faire de ce refuge un endroit où vivre en paix. On y parle peu, la place est toute entière occupée par les sensations, d'abord apprendre la déconnexion, le détachement, et puis réapprendre la nature, ne plus fuir mais habiter l'espace par d'infimes détails, d"infimes mouvements que son corps réapprend à faire peu à peu comme une danse. Une danse qui devient chasse au fil d'un récit  qui se déroule au fil des saisons: les mouvements peu à peu l'entraînent hors de la maison, d'abord dans le jardin puis dans la forêt. La cabane ouverte est un passage pour la forêt qui entre alors à l'intérieur par l'intermédiaire d'une renarde et de sa portée: il n'y a plus ni dehors ni dedans.


    Dans ce conte onirique, l'autrice lance un appel à nous éveiller au monde, à faire le choix de ces moments d'observation et de recentrage quitte à provoquer une rupture pour se libérer du carcan du quotidien.


    Une ode à la nature et à la sororité, un voyage intérieur, presque immobile en rejet de notre monde qui bouge trop vite. 


    Dalva - 17 euros

  • Le tumulte - Sélim NASSIB

    Le Grand Roman de Beyrouth. Construit en trois temps, l'histoire commence au début de la crise du canal de Suez, se poursuit par mai 68 puis les premières années de la guerre.

    Youssef, juif libanais, a une dizaine d'années en 1956. On suivra son parcours jusqu'à 1982. Une vie engagée, menée par des idées anti-communautaristes et pro-palestiniennes.

    La force de ce roman réside dans sa capacité à nous faire vivre et comprendre comment le peuple Libanais s'est fait déposséder de sa volonté de vivre ensemble, comment il ne s'appartient pas mais est le terrain de jeu des Chiites, Sunnites, Syriens, Palestieniens et plus largement de la communauté internationale.

    Un très gros coup de coeur.


    Editions de L'olivier - 21.50 euros (parution le 26/08/2022)

  • Dessous les roses - Olivier ADAM

    A l'occasion du décès de leur père, trois frères et soeurs se retrouvent durant trois journées. Jalousie, rancunes et vieux dossiers remontent à la surface. 

    Olivier Adam décortique avec talent les relations fraternelles où chacun cherche sa place, et joue des coudes pour exister dans l'Histoire familiale. 

    Il nous livre ainsi une analyse très fine des relations humaines dans ce contexte là.


    Flammarion - 21 euros (parution le 24/08/2022)

  • Un psaume pour les recyclés sauvages – Becky CHAMBERS

    A une période indéterminée, très certainement dans un futur lointain, les hommes et les robots ont cessé d’un commun accord leur collaboration. Les machines ont décliné la proposition de l’humanité d’intégrer sa communauté en tant que citoyens libres et ont préféré retourner à la nature, libres. Ils ont depuis disparu. Dex est un « freur », c’est-à-dire un moine non genré qui œuvrait dans un monastère dans des tâches répétitives et normées. Un jour, il décide de changer de voie et de découvrir le monde. Au fil du temps, il s’est spécialisé dans la concoction de thés, des boissons comme des baumes pour les cœurs meurtris par le quotidien et les affres de la vie. Petit à petit il devient une légende, sachant toujours trouver l’ingrédient, la plante qui saura combler les attentes et besoins de son client, plus patient que consommateur. Mais un jour, de nouveau, il se remet en question. Pourquoi tout cela ? L’appel de la nature, qui a repris ses droits et qui constitue une réelle entité, laissée tranquille par des hommes plus respectueux (une certaine technologie existe toujours mais l’obsolescence programmée par exemple a définitivement été vaincue), Dex prend la décision de sortir des routes qu’il empruntait pour satisfaire ses congénères et s’enfonce dans la nature sauvage. Contre toute attente, il fait connaissance avec ce qui est devenu une légende, un mystère : un robot. A partir de cette rencontre, les deux individus vont se découvrir et échanger sur leur conception de l’existence. Avec surtout une question importante, essentielle et pourtant redoutable : « de quoi les gens ont-ils besoin ? »   


    Ce roman de science-fiction tire son originalité de deux caractéristiques : tout d’abord, il est écrit en style « non genré » et après un petit temps d’adaptation (le pronom iel par exemple) la lecture s’avère naturelle et agréable. D’autre part, le livre envisage, une fois n’est pas coutume, un futur de l’humanité plutôt radieux et positif. Les échanges entre l’homme et le robot font le reste, avec des approches philosophiques et spirituelles bien amenée, simples mais pas simplistes. Les deux entités détiennent une sensibilité et une perception différentes mais parviennent à mettre les mots justes sur les frustrations et questionnements. Une belle réflexion est menée sur le cadeau empoisonné que peut représenter le fait « d’avoir un but dans la vie », plus souvent source de mal-être, de peur et de frustration. Cette recherche n’est-elle pas finalement le meilleur moyen pour ne pas parvenir à se sentir en paix avec soi-même ? 


    L’épigraphe du roman est « pour vous qui avez besoin de souffler ». Si vous vous reconnaissez dans ces quelques mots, laissez vous porter par ce récit doux et apaisant, qui insiste sur l’être au dépend de l’avoir. Une lecture réconfortante.


    L’Atalante – 12.90 euros (parution le 15 septembre 2022)

  • Paysages trompeurs – Marc DUGAIN

    Tout débute par une mission des services secrets français dans un pays africain. Le genre de mission qui s’exécute souvent quoiqu’il en coûte et dont seuls certains initiés savent ce qui vient réellement de se passer. Sauf que cette fois, les évènements ne vont pas se dérouler comme ils le devaient. Le narrateur connait bien Ben, un des protagonistes essentiels de l’opération. Habitué lui aussi à nager dans les eaux troubles de par son expérience de réalisateur de documentaires « dérangeants », il ne peut se contenter de la façon dont les choses ont été présentées dans le récit officiel. Lorsqu’une femme, proche de Ben avant qu’il ne soit envoyé en mission, prend contact avec lui, il se rend bien compte que quelque chose ne tourne pas rond. Comment un élément expérimenté et prudent comme Ben a pu laisser « des traces » de son activité devant rester opaque et secrète ? Jusqu’à ce qu’un appel vienne tout remettre en question et contraigne le narrateur à devenir un acteur majeur de cette histoire. Au point où des actions de son propre passé en viendront à ressortir de l’ombre.

    Le dernier roman de Marc Dugain nous projette donc dans les opérations spéciales des services secrets et des « barbouzes » à qui les états font appel pour solutionner les situations inextricables, venant le plus souvent mettre à mal les intérêts économiques des nations. Derrière ces « interventions » des hommes et des femmes qui vivent dans un monde parallèle fait d’écoute, de passe-droits, de blancs-seings afin que les objectifs soient atteints en conservant le plus de discrétion possible que ce soit dans le processus de décision ou d’action. Il arrive parfois cependant que l’être humain, contrairement à une machine programmée, doive composer avec une caractéristique aléatoire intitulée « conscience », qui peut venir contrarier les plans habillements préparés en haut lieu. 


    Marc Dugain excelle une nouvelle fois dans sa capacité à entrouvrir la porte des univers « secrets » (on peut se référer dans son œuvre littéraire aux romans « La malédiction Edgar » ou « Ils vont tuer Robert Kennedy » pour s’en persuader) et donner une crédibilité certaine aux situations qu’il dépeint. Un très bon roman sur les forces occultes et leurs rouages, qui de tout temps ont su et savent se déployer lorsque la diplomatie et/ou les bons sentiments se heurtent à leurs propres limites, lorsque la fin justifie les moyens, pour le meilleur et surtout pour le pire. 


    Gallimard – 19 euros (parution le 06/10/2022)

    • La nuit des pères Gaëlle JOSSE

      Gaëlle Josse revient avec un roman bouleversant autour de la figure du père. Un père dur, changeant, cassant que ses enfants craignaient, démunis face à des crises de colère ou des réactions démesurées et incompréhensibles.

      Avec l'âge, malheureusement, cet homme n'est pas épargné par la maladie, celle qui entraîne la mémoire dans un labirynthe où les souvenirs s'égarent jusqu'à l'oubli même des prénoms de ses enfants. Olivier appelle sa soeur Isabelle, lui demandant de les rejoindre chez leur père dans un village des Alpes, l'unique et dernière occasion de comprendre cet homme qu'elle a fuit contrairement à son frère. L'ancien guide de haute montagne et la fille spécialiste de la faune du fond des océans vont tenter de renouer une histoire qui n'a jamais vu le jour, comment tendre la main à un homme incapable d'aimer? Quel secret de son passé cache-t-il? Un livre qui nous parle de nos choix et de leurs conséquences, de la violence qui couve dans les familles, des sentiments filiaux, de la culpabilité qui peut détruire la vie d'un homme quand l'Histoire piétine les coeurs et les âmes.

      Un très grand roman!


      Notabilia - 16 euros (parution le 18/08/2022)


      Gaëlle Josse sera présente à la librairie le 4 novembre 2022.

    • Le débutant – Sergueï LEBEDEV

      Kalitine a été un brillant chimiste. Repéré dès son plus jeune âge, il a pu intégrer le cercle fermé des scientifiques œuvrant pour le rayonnement et la sécurité de l’Union Soviétique. A l’issue de la seconde guerre mondiale, il est vrai que les expérimentations les plus sordides réalisées notamment dans les camps de concentration représentaient une source d’inspiration non négligeable pour les apprentis sorciers. Le fait d’arme de Kalitine : l’élaboration d’un poison parfait, appelé simplement « le débutant » qui présente l’intérêt d’être fortement létal tout en étant intraçable.  

      A la chute de l’URSS, comme de nombreux compatriotes, Kalitine a fait le choix de passer à l’Ouest. Mais cela ne se fait pas d’abandonner ainsi la Mère Patrie et malgré le temps qui passe, cette dernière ne l’a pas oublié. Le lieutenant-colonel Cherchinov, un militaire véloce et ne faisant pas de sentiment, même avec sa propre famille, a été  chargé de mener la traque du dissident, pourtant accusant le poids de l’âge et affaibli par la maladie. Et pourquoi ne pas le terrasser par le biais de sa propre création comme ultime pied de nez à sa trahison…

      Ambiance sombre, peuplé d’espions et de contre-espions, le roman de Sergueï Lebedev est baigné d’une paranoïa couplée à des personnages rongés par le doute et les ressentiments. Grâce à des flashback, nous reviendront dans la genèse scientifique de Kalitine et du rôle joué par ses mentors pour parvenir à la création de l’arme absolue. Nous verrons aussi le conditionnement de Cherchinov qui est devenu une machine exécutante, une sorte d’arme lui aussi.

      Un roman concis, d’environ 220 pages mais dont la concentration de ravage est optimisée. Tout comme le redoutable « débutant » qui peut se dissimuler dans un simple flacon de parfum… 


      Les éditions Noir sur Blanc – 20.50 euros (parution le 25/08/2022)

    • Partie italienne – Antoine CHOPLIN

      Gaspar est un artiste contemporain dont la carrière est en plein essor. Après une soirée plutôt réussie à tous niveaux, un ministre s’étant même déplacé, il décide de faire une virée à Rome pour s’extirper de cette agitation qu’il ne maîtrise plus vraiment. Bien entendu, il doit profiter de ce déplacement pour préparer un travail sur l’écrivain et peintre américain qui a inspiré des générations d’artistes, Henry Darger. Mais Gaspar va choisir dans un premier temps une tout autre occupation. Attablé à une terrasse du « Campo de’ Fiori », il va disputer des parties d’échec avec les inconnus qui passent. Rapidement, Gaspar va devenir une sorte d’attraction et deux faits marquants vont l’intriguer. Le premier, sous la forme d’une statue qu’il a sous les yeux toute la journée, qui représente Giordano Bruno, un frère dominicain, philosophe, mort en 1600 sur le bucher après huit années de procès pour athéisme et hérésie. Le second sous la forme d’une jeune femme, Marya, qui va lui donner du fil à retordre dans des parties qu’il avait l’habitude de remporter facilement jusqu’alors. Gaspar va petit à petit faire connaissance avec sa redoutable adversaire et découvrir la raison de sa présence dans la ville éternelle. Cette dernière s’est intéressée au destin tragique de son grand-père, lui aussi très bon joueur d’échecs hongrois, déporté et mort pendant la seconde guerre mondiale. Elle s’est engagée à revoir une personne qui a côtoyé de manière indirecte cet aïeul et accompagnée de Gaspar, elle va se mettre à la recherche de ce lien devenant au fil de temps de plus en plus fragile.


      Dans son roman court, Antoine Choplin en tant que romancier-poète, parvient à mêler l’aspect documenté de Rome et des personnages historiques tout en donnant une impression « intemporelle » à son récit. En faisant le lien entre le présent et le passé, la puissance de la mémoire est un élément important de son récit, celle nécessaire pour vaincre dans le jeu des Rois et surtout celle pour ne pas oublier les destins tragiques et leurs causes.


      Buchet Chastel – 16.50 euros (parution le 18/08/2022)


    • Oh, Canada - Russell BANKS

      Léonard Fife est au crépuscule de sa vie. Atteint d’une maladie incurable, ce célèbre documentariste d’origine américaine, a connu le succès au Canada pour ses enquêtes sur les armes chimiques utilisées pendant la guerre du Vietnam par son pays natal. A la fin des années 60, il a fait connaissance avec des piliers de la contestation culturelle, tels que Joan Baez ou Bob Dylan, a dû s’exiler et c’est pour obtenir quelques révélations croustillantes que l’un de ses plus grand fan, Malcom, désire réaliser une captation vidéo qui sera destinée à être diffusée de manière posthume. Fife accepte mais insiste lourdement pour que sa dernière épouse Emma soit présente lors du tournage et assiste à tout ce qui va être évoqué. L’interview, qui est plutôt une longue disgression de Fife, débute alors et ce dernier va aller creuser au plus profond de sa mémoire (défaillante ?), exposer à l’image le parcours d’un homme, une vie agitée et certainement très éloignée de celle que ses proches connaissent : des révélations fracassantes vont alors être figées, comme une ultime confession d’un homme qui a définitivement opté pour la fuite plutôt que pour l’affrontement.

      On retrouve dans le dernier roman de Russell Banks sa « patte » pour aller explorer les sphères intimes, l’introspection et surtout pose la question de ce qui subsiste, de soi et des autres, lorsqu’on a passé sa vie à se dérober. Le personnage de Léonard Fife est infiniment complexe, son état de santé peut même installer le doute sur la teneur de ses propos, la maladie troublant ses sens et peut être même son rapport à la réalité. Cette dimension rajoute un angle de lecture intéressant sur la capacité de ce documentariste à vouloir exposer la vérité crue ou bien seulement participer à l’écriture des dernières lignes de sa propre légende. « Les secrets et les mensonges ne déguisent pas seulement le menteur qui agi en secret. Ils déguisent tous ceux que le menteur a maintenu dans le noir, tous ceux qu’il a trompé ».


      Actes Sud – 23 euros (Parution le 07/09/2022)


    • L’été où tout a fondu – Tiffany MCDANIEL

      Après le succès de Betty (2020), les éditions Gallmeister publient un nouveau roman de Tiffany Mc Daniel, « L’été où tout a fondu » qui est en fait son premier roman publié en 2016. L’histoire débute en 1984 à Breathed dans l’Ohio alors qu’une vague de chaleur exceptionnelle frappe cette petite ville. Autopsy Bliss, le procureur local est hanté par la notion du bien et du mal pour une raison que nous apprendrons au fil de l’histoire. Il décide alors de passer une annonce dans le journal pour demander au Diable en personne de venir lui rendre visite et de s’expliquer avec lui. Quelques jours plus tard se présente Sal, un jeune garçon noir aux étranges yeux verts, qui fait son apparition pour répondre à l’annonce du procureur. Autant dire que son arrivée ne va pas laisser insensible la communauté, notamment Elohim, un artisan respecté qui semble avoir perdu quelque peu la raison depuis la disparition de sa femme morte tragiquement. La famille Bliss va recueillir le jeune garçon, et ce malgré les réclamations des autres administrés qui sont persuadés d’être face au véritable Satan. Autopsy envisage plutôt l’enfant comme la victime d’un enlèvement ou d’une fugue et va vouloir éclaircir la situation. Entre temps, Sal va nouer une réelle amitié avec Fielding, son plus jeune fis. Tous deux vont alors partager leur apprentissage des composantes de la vie, mais aussi de ses aspérités. La chaleur et la présence hypothétique du Diable ne vont pas favoriser l’apaisement au sein de la petite ville jusqu’à ce que des éléments bien caractéristiques de la nature humaine viennent rajouter de l’huile sur le feu déjà ardent.

      Tout comme dans « Betty », Tiffany McDaniel parvient à décrire l’horreur et la noirceur avec poésie et incandescence. Ce roman, qui débute comme un livre de Stephen King, prend rapidement par la suite un chemin plus rationnel, en donnant à ce texte une dimension sociétale, exprimant une critique de l’obscurantisme, du racisme et des préjugés sources de tous les drames. Le diable est bien présent dans chaque page de son roman, surtout pour matérialiser ce qui ronge une petite communauté qui abrite des monstres ordinaires tout en dépeignant le moment charnière des années 80. Une période qui voit apparaître de nouvelles maladies, où la notion de « famille américaine idéale » explose. Tout ceci en développant également les notions de perte et de culpabilité incarnées par le narrateur qui a vécu de manière très personnelle les évènements décrits.

      Si vous avez apprécié Betty, vous ne pourrez que succomber au charme diabolique de « L’été où tout a fondu ».


      Gallmeister – 25.60 euros (parution le 18 août)

    • Panique générale – James ELLROY

      On retrouve dans Panique Général le personnage de Fred Otash, déjà rencontré dans d’autres romans d’Ellroy dont American Death Trip, Underworld USA ou Extorsion. Cet ancien flic pourri, journaliste de caniveaux et ordure notoire se retrouve, à juste titre, au purgatoire et doit se mettre à table pour expier ses péchés. Et ils sont nombreux. Avec Ellroy, il faut s’attendre à un feu nourri envers la période des années 50/60 aux Etats-Unis et en ce sens nous ne pouvons pas être déçu. Des « grands noms » de cette époque vont être exhibés en invoquant des histoires (toutes inventées ? pas si sûr lorsqu’on cherche quelques informations supplémentaires sur les biographies des « stars » évoquées dans le roman) peu ragoutantes avec leurs mœurs dissolues, leur pratiques sexuelles scabreuses et bien entendu des affaires dans lesquelles des personnes perdront la vie. On surnage alors dans un univers très noir, au point même où la lecture devient assez perturbante. En tout cas, en parcourant les pages de Panique générale, il faut s’attendre à voir tomber de leur piédestaux (s’ils en avaient besoin…) JFK, Marlon Brando, Liz Taylor et bien entendu la victime préférée d’Ellroy, James Dean, qu'il aime par-dessus tout qualifier de « cendrier humain ».


      Ce nouvel Ellroy peut de nouveau faire débat sur le plaisir que semble éprouver l’auteur à élaborer des personnages odieux, des femmes le plus souvent rendues au rôle de simple objet ou victime et bien entendu un racisme très marqué. Mais Panique générale c’est aussi un exercice de style, avec une mention spéciale à la traductrice Sophie Aslanides car le texte est truffé de passages entiers composés uniquement d’allitérations, ce qui rend sa lecture particulière et singulière. Ellroy c’est aussi le plaisir coupable d’imaginer l’envers du décor, les dessous pas très propres du cinéma, de la politique, les faux semblants et par ricochet s’interroger sur le côté voyeur qui peut exister au sein de chacun d’entre nous.


      Un roman dérangeant, malsain parfois, qui permettra de patienter avant la parution du troisième tome du second quatuor de Los Angeles, après Perfidia et La tempête qui vient.


      Rivage Noir – 23 euros.

    • Les rues de Laredo – Larry McMurtry

      Voici l’ultime roman du cycle « Lonesome Dove » du regretté Larry McMurtry disparu en 2021. On retrouve donc pour une dernière séance son personnage Woodrow Call, ancien capitaine des Texas Rangers reconverti en chasseur de primes. Ce dernier a été recruté pour se mettre en chasse de Joey Garza, un mexicain n’ayant pas encore atteint la vingtaine, spécialisé dans l’attaque de trains. Equipé d’un fusil doté d’une lunette de précision, il exécute sans sommation à plus de 400 mètres de distance ses victimes et se constitue petit à petit un trésor de guerre tel, que la légende (qu’il commence à instaurer) lui prête une grotte cachée remplie du fruit de ses crimes. Conscient qu’il ne pourra vaincre son redoutable adversaire seul, Call essaie de rameuter des proches pour l’épauler mais doit se résoudre au fait qu’une bonne partie de ses anciens compagnons sont morts et que ceux qui restent sont à présent « rangés » et pas forcément prêts à abandonner femmes et enfants pour se lancer à la poursuite d’un tueur redoutable. Call va devoir composer une équipe moins expérimentée, et surtout réussir à abattre un criminel ambitieux et rusé qui se trouve très avantagé par rapport à lui : détenir la fougue et la vigueur de la jeunesse.


      On aborde donc avec un pincement au cœur ce dernier épisode du cycle, avec toujours le plaisir de traverser les étendues désertiques, tour à tour arides et glacées, nous menant du Texas au Mexique en passant par des lieux exotiques tels que Craw Town, une ville tellement violente que les corbeaux ne cessent de survoler dans l’attente d’un repas issu des règlements de compte s’y déroulant. Au programme une palette de personnages charismatiques avec une part belle donnée aux femmes du récit, fortes et indépendantes. Le sens du rythme et la capacité de l’auteur à dépeindre paysages et personnages faisant le reste pour ne pas réussir à abandonner les 770 pages du volume.


      Il ressort de ce dernier roman une impression de changement d’époque : les trains ont remplacé les diligences, les troupeaux de bisons ont disparu, décimés par la chasse « industrielle » menée pendant le 19ème siècle. On note aussi la quasi absence des indiens, ayant eux aussi fait l’objet d’un traitement particulier de la part de l’homme blanc. Il s’agit bien d’un crépuscule pour une génération, une population qui voit se dessiner le 20ème siècle et des pratiques inconnues jusqu’alors. Le nouveau monde va se développer sur la côte ouest du coté de New York pour les affaires, au Texas toujours mais pour l’exploitation de l’or noir, à l’ouest avec la Californie et son industrie du cinéma qui saura développer le mythe des western pour faire adhérer la population à une histoire commune. Et faire revivre ainsi sur grand écran le parcours d’hommes comme Woodrow Call et Gus McCrae. 


      Larry McMurtry l’a fait de son côté avec talent tout au long des milliers de pages de ses aventures de Lonesome Dove. A noter qu’un coffret regroupant les 5 tomes du cycle va paraître en fin d'année aux éditions Gallmeister. A ne pas rater !


      Gallmeister – 13.80 euros

    • Sortie d’usine – François BON

      Paru en 1982, ce roman de François Bon parle d’un temps ancien. Celui pendant lequel des hommes s’échignaient encore et toujours à la tâche dans une usine (des espaces de coworking sans les chats ni le thé vert), sans aucune « norme de sécurité », dangereuse, exploitant la force brute, bien que l’on commence à parler de « ressources humaines » en lieu et place des travailleurs. Les ¾ du livre sont composés d’un monologue au phrasé heurté, découpé abruptement comme les tôles de métal de cette usine de banlieue parisienne. Interrompu parfois comme peut l’être la journée de travail quand un membre est happé par une presse. On y trouve la description du parcours quotidien de l’ouvrier, chronométré pour parvenir sur son lieu de travail avec son lot de train et de retards (déjà… et sans Twitter pour insulter la SNCF). Puis c’est la plongée dans le ventre de la bête. Au programme, du bruit, beaucoup de bruit, des accidents, des décès parfois et entre tout cela des petits arrangements qui avec la bouteille, qui avec un livre pendant le casse-croûte de midi, pour s’évader. Dans le dernier quart, c’est le narrateur qui reprend son histoire en main et qui revient sur son lieu de travail. Le style redevient classique, comme s’il avait fallu tout ce temps passé loin de l’usine pour se rapproprier le langage de l’humain et non plus celui provoqué par l’usine qui dictait sa loi. D’humains il sera question, on parle même de droit à un moment donné avec un mouvement de grève, mais comme le reste, cela ressemble à une mise en scène, comme si l’usine et son environnement de travail étaient les seuls maîtres de l’histoire.


      Loin de l’enjolivement et d’une approche « mettre sur la table ses soucis autocentrés pseudo psychologiques à tendance nombrilistes d’auteur exprimant ses apitoiements et son grand courage de vouloir malgré tout prouver à ses lecteurs d’avoir tant souffert », François Bon s’attache à exprimer le travail dans sa plus grande brutalité, du choix qui n’existe pas si ce n’est de travailler, de la vie millimétrée à la seconde pour la gagner ou ne pas la perdre lorsque le pilon tombe, et les envies d’ailleurs. Bien entendu, elles ne consistent pas seulement à vouloir partir à l’autre bout du monde pour 15 jours mais plutôt de se mettre à son compte ou d’avoir son bar/PMU à soi. Pour ne plus avoir à subir des ordres d’une direction qui sous des couverts paternalistes demeure une entité ayant en priorité un souci de rentabilité et de profit.


      Un très beau roman qui rend hommage à la condition ouvrière, sans pour autant tomber dans le lacrymale ni le misérabilisme. Ici pas de quête de sens, pas de question métaphysique, de mal être ou de burn-out : uniquement l’histoire de travailleurs qui viennent à l’usine travailler et y gagner leur vie.


      Editions de Minuit – 8 euros

    • Nu dans le jardin d’Eden – Harry CREWS

      Etes-vous prêt à aborder une lecture dans laquelle vous allez côtoyer : 

      * Un homme appelé « Fat Man » qui pense que le meilleur moyen de réduire son tour de taille (il pèse très certainement plus de 300 kilos) consiste en l’absorption massive de Metrecal (un complément alimentaire sensé favoriser la perte de poids ayant eu son heure de gloire aux Etats-Unis dans les années 1960) et de gaufrettes allégées. Un comportement alimentaire ayant peut-être un lien avec la disparition de son père qui s’est jeté dans la mine de phosphore qui faisait la richesse de la localité et laissée depuis à l’abandon ?

      * Un jockey d’1m20 pour 45 kilos, rentré corps et âme au service de Fat Man après avoir vu la prometteuse carrière qui l’attendait (selon ses dires…) se disloquer lors de sa seule et unique course, tout comme qaund le cheval qu’il drivait s’est encastré (volontairement…) dans un mur au bord de la piste à plus de 50 kms/heure.

      * Un ancien mineur, ex vendeur de glaces, qui a accepté s’enduire le visage chaque matin avec de la boue et aller batifoler dans un trou de l’ancienne mine, sans aucune perspective de production, si ce n’est être observé au périscope par des touristes intrigués.

      * Et que dire de Dolly, la plus belle fille de la localité, partie à New York à la recherche du business man à l’origine de la mine et qui faute de retrouver l’homme providentiel pour lui demander des comptes, a découvert les vertus cachées du go-go dancing. Elle souhaite depuis réhabiliter le site industriel en destination touristique, à grand renfort de peinture rouge et de cages dorées…


      Voici donc un roman véritablement inclassable d’Harry Crews. Pas d’autre alternative que de se laisser porter dans la folie ambiante, avec une kirielle de personnages écornés, inadaptés, paumés, mais tous empreint d’humanité sur fond de désespoir émouvant.

      Points – 6.70 euros.

    • Animaux solitaires - Bruce HOLBERT

      Russel Strawl est un ancien officier de la police de l’état de Washington. Nous sommes en 1932, et bien que retraité, il va devoir reprendre du service et se mettre à la poursuite d’un mystérieux tueur. Ce dernier s’est fait remarquer pour le remarquable sadisme dont il fait preuve dans la mise en scène de ses crimes. Ses victimes sont retrouvées dans des postures traumatisantes pour ceux qui les découvrent, une extrême violence semble avoir été nécessaire à leur exécution sans pour autant donner l’impression qu’elles aient chercher à se défendre face à leur bourreau. Strawl, lui-même grand spécialiste de la violence (plus ou moins) canalisée lorsqu’il était de service va pouvoir s’appuyer sur son beau fils Elijah, malgré une histoire familiale assez compliquée, pour tâcher de mettre la main sur ce tueur appliqué. Ils vont devoir alors parcourir les plus sauvages vallées de l’Ouest, à une époque où le progrès n’a pas encore eu raison de la barbarie et trouver la trace de l’assassin avant que sa liste de victime ne s’allonge dramatiquement.


      Bruce Holbert connait bien l’état de Washington et son histoire de par son arrière-grand-père, lui-même éclaireur indien de l’armée américaine, dont il s’est inspiré pour cette histoire sordide. Animaux solitaires est un titre dans lequel la violence est omniprésente, choquante, dans la droite lignée de « L’heure de plomb » du même auteur déjà chroniqué sur le site. On trouve également une dimension mystique qui vient rajouter un peu plus de malaise à la lecture d’un récit dans lequel il est bien difficile de différencier les bons des mauvais. Un récit marquant pour lecteur averti.


      Gallmeister – 10 euros

    • Beyrouth sur Seine - Sabyl GHOUSSOUB

      L'auteur est né à Paris fin des années 80, dans une famille libanaise. Ecrivain, journaliste, Sabyl Ghoussoub a séjourné longuement au Liban, y a travaillé; malgré tout, ce pays lui échappe, son histoire complexe le laisse perplexe. Il entreprend d'interroger ses parents pour qu'ils lui raconte leur Liban. Par une succession de chapitres courts, à la chronologie erratique, il entame une autobiographie sincère, touchante, non dénuée d'humour faisant alterner les souvenirs de ses parents, ses propres expériences, les mythologies familiales et les évènements (nombreux) qui ont secoué le Liban.


      Cette autofiction est inspirée de la vie d'exil d'un jeune couple, que la guerre, dans le pays où ils se sont mariés, a obligé à fuir. Leur fils, issu de familles rivales en politique, les frères de la mère du narrateur étant pro-palestiniens et ceux du père, phalangistes, s'interroge sur l'immigration et ce qui lui reste de ses origines. Le questionnement oscille entre l'histoire d'amour des parents et leur tentative de s'adapter à Paris, recréant dans leur petit appartement le décor beyrouthin, et, l'histoire du Liban miné par les divisions et les guerres les plus absurdes.


      Si l'exercice est intéressant, on reste quelque peu dérouté par le manque de forme de ce roman et on n'est pas plus avancé dans la compréhension de ce pays.


      Stock - 20.50 euros

    • Le cœur de l’hiver – Craig JOHNSON

      Ce nouveau roman de Craig Johnson est la suite de Western Star, paru en 2021 aux éditions Gallmeister. A la fin du premier tome, et sans divulgâcher, Walt Longmire, l’expérimenté shérif, est mis devant le fait accompli : il devra se rendre au Mexique et partir à la rescousse d’une personne qui lui est chère. Le cœur de l’hiver va donc nous conter cette course poursuite endiablée, pendant laquelle il devra avant toute chose mettre en place une stratégie pour éviter les problèmes avec les autorités mexicaines qui n’apprécieront que modérément le fait qu’un yankee vienne rendre sa propre justice sur leur sol. Et ensuite seulement, notre héros pourra s’occuper de son opération sauvetage en s’attaquant à une galerie de personnages ayant pour trait commun une certaine cruauté couplée à une violence non réfrénée. Le shérif trouvera heureusement des alliés dans sa quête et ces derniers ne seront pas de trop pour se mesurer à des adversaires assez belliqueux, il faut bien l’avouer.


      Ce deuxième et dernier tome est pleinement dans la continuité de Western Star : la couverture ou une Cadillac rose lancée à vive allure remplace un train qu’on imagine tout aussi véloce, donne le ton d’un roman qui se met au diapason des deux véhicules. Très peu de temps mort, une lecture qui se fait également sur les chapeaux de roue, les situations (parfois un peu alambiquées mais bien amenées) s’enchainant à un rythme soutenu. Des lignes de dialogue souvent très drôles par leur côté « j’essaie de te tuer avec les mots », une histoire bien que très classique de course poursuite contre le temps qui fait malgré tout de ce tome un bon moment de récréation.


      Il ne reste plus qu’à s’installer sur le siège passager de la Cadillac rose, de boucler sa ceinture et foncer. Longmire et ses amis vont faire parler la poudre.


      Gallmeister – 24.40 euros


      Western Star toujours disponible chez Gallmeister (23.80 euros)

    • Le coeur ne cède pas - Grégoire BOUILLIER

      Grégoire Bouillier signe là un roman monumental, une enquête foisonnante, à la fois joyeuse et tragique. L'auteur joue avec les codes du polar classique. Il multiplie également les allusions à des auteurs comme Modiano, Jablonka.. ou à des personnages de détectives de cinéma. Il se crée d'ailleurs une assistante, Penny, féministe au caractère bien trempé, le ramenant régulièrement sur la piste quand il s'éloigne un peu trop du sujet.


      Le point de départ : un fait divers dont l'auteur a entendu le récit dans une émission radiophonique nocturne dans les années 80. Une femme, ancienne mannequin, s'est laissée mourir de faim. Pourquoi ? Plus de 30 ans plus tard, Grégoire Bouillier retombe (hasard?) sur la piste de cette femme et de sa mort si singulière. Les coincidences se multiplient et les recherches qu'il entreprend pour tenter de comprendre l'histoire de cette femme le perdent au détour d'un arbre généalogique à l'ombre duquel ses propres secrets s'étaient dissimulés. 


      Prenez votre souffle car ce récit passionnant vous emporte dans les méandres d'une enquête qui mèle la grande Histoire aux petites...


      Exceptionnel !


      Flammarion - 26 euros

    • Sa préférée - Sarah JOLLIEN-FARDEL

      Dans un parfait style de fiction narrative, ce roman raconte à la première personne l'histoire d'une petite fille, Jeanne, élevée dans une famille d'un village reculé du Valais en Suisse. Le père, alcoolique violent, frappe pour tout et n'importe quoi: la mère subit sans broncher, il frappe et abuse de sa sœur Emma, certainement d'elle aussi même si elle ne l'avoue pas. Il terrorise toute la maison qui vit dans l'appréhension permanente de ses colères explosives. Tout le village se tait. Même le médecin de famille sur qui Jeanne a cru pouvoir compter va, lui aussi, détourner le regard et ignorer le corps martyrisé de l'enfant.


      La petite fille sera la seule à réussir à s'échapper de ce quotidien mortifère: elle est appliquée à l'école et va partir faire ses études. Mais comment vivre après une enfance fracassée, quelles relations nouer, quel pardon accorder? C'est ce que raconte ce roman sombre et sans concessions, bouleversant de bout en bout, écrit au scalpel.


      On ne peut pas en sortir indemne.


      (Sa préférée figure dans la première liste du Goncourt)


      Sabine Wespieser éditeur - 20 euros

    • Composite – Olivier PAQUET

      Comment réagir lorsqu’il est devenu possible de voler ses souvenirs à un individu ? A un moment de l’humanité où le moindre téléphone intelligent regorge de centaines de photos (et pas uniquement de plats cuisinés), un mystérieux phénomène se développe. Certains clichés sont retouchés, et généralement ceux qui comptent pour leurs propriétaires. C’est ainsi que nous ferons la connaissance d’Esther, une spécialiste justement des photos d’environnements qu’elle est chargée de reconstituer et qui voit une de ses photos, lui rappelant un souvenir plutôt positif, subitement se modifier. Pour Vincent, le deuxième personnage principal du récit, le souvenir qui a été modifié pour ce flic taciturne est plutôt déroutant car il a été un élément fondateur de l’homme qu’il est devenu. Ces deux personnes vont être amenées à se rencontrer dans leur volonté commune d’explications et vont devoir évoluer dans un contexte sociétal chargé. En effet, un mouvement qui se fait appeler « les foulards blancs » se montre véhément envers le pouvoir en place et la première ministre de la France, Adélaïde Ordeneau se trouve en pleine tempête. Un mystérieux « D » profite du chaos et de sa maitrise des réseaux sociaux pour souffler sur les braises de la contestation. Alors, manipulation à grande échelle ou crise encore plus profonde menée par le monde numérique qui souhaiterait prendre le pouvoir ?


      Le roman d’Olivier Paquet aborde donc la notion du souvenir comme composite incontournable d’un être humain et la façon dont se dernier réagi lorsqu’il se voit dépossédé d’une des dernières choses qu’on ne puisse acheter ou échanger. Il insiste sur les profonds bouleversements liés au développement des nouveaux outils de communication et sur la façon dont chacun d’entre nous accepte de confier à des entreprises, des groupes, des données aussi personnelles que des photos, des moments ou personnes qui nous sont chers. 


      Un très bon roman d’anticipation qui se déroule dans les années 2030, autant dire demain, et qui interroge sur la place des intelligence artificielles dans nos vies et dans la façon dont les mouvements sociétaux peuvent être compliqués à canaliser sans sombrer dans la plus grande violence. Avec un tel contexte, comment l’être humain peut-il subsister dans ce monde dominé par l’informatique sans sombrer dans le chaos ? Peut-être se raccrocher aux jolies choses du passé, à conditions qu’elles n’aient pas été effacées…


      L’Atalante – 19.90 euros

    • L'île haute - Valentine GOBY

      En 1942, Vadim, le petit parisien asthmatique, est envoyé à la montagne. Elle sera un refuge, une cache: le temps d'un voyage en train, il devient Vincent. La maladie qui réduisait son espace intérieur semble s'évaporer à la première respiration de l'air glacé de l'hiver: dans cette vallée, devant ce paysage démesuré, l'émerveillement du jeune garçon est immense comme l'est sa soif de découvertes. Sa rencontre avec Moinette, petite fille de la montagne, amusée de ses ignorances de citadin, devient son guide. Ce sera pour lui l'occasion de découvrir des activités dont il ignorait l'existence en ayant grandi en ville, dans un paysage sans surprise. Il passera trois saisons dans ce lieu enchanteur, dangereux, un passage de l'enfance à l'adolescence, ce moment si particulier où chaque instant revêt encore une part de magie. Accueilli et materné par Blanche, Louis qui lui demande de l'appeler pépé.


      Dans ce roman d'une puissance évocatrice incroyable, Valentine Goby donne une place prépondérante à la nature, au choc de la première impression qu'elle imprime dans l'imaginaire des enfants à l'âge où ils modèlent le réel, où l'accès à la beauté crée des souvenirs indélébiles. Ce sentiment d'enfance est l'émotion qui imprègne subtilement tout le texte. La montagne apparaît comme un rempart à la guerre, un écrin étrange et stupéfiant dans lequel Vadim/Vincent va devenir lui-même dépassant les assignations des familles, de l'histoire, de la société.


      Immense coup de coeur pour ce roman empreint d'une beauté et d'une humanité qui agissent comme un baume et nous invite à replonger dans nos émotions d'enfants subjugués face à la splendeur de nouveaux paysages.


      Actes Sud - 21.50 euros

    • Cher connard - Virginie DESPENTES

      Quelle femme n'a jamais eu envie d'écrire une lettre à un homme commençant par "cher connard"?

      Le nouveau roman de Virginie Despentes est basé sur ce droit de réponse épistolaire qu'une actrice s'autorise à rédiger suite à une remarque particulièrement virulente et gratuite envers sa féminité considérée comme amoindrie par l'âge. Au fil des échanges reflètant des questionnements très actuels, on découvre 3 personnages: Oscar, Rébecca et Zoé.

      C'est tout d'abord Oscar, le romancier qui se moque sur Instagram de Rébecca: il est un peu connu mais il est surtout sous le coup d'une accusation de harcèlement sexuel qu'il réfute. Rébecca est une actrice à qui le monde du cinéma tourne progressivement le dos: si son jeu est meilleur qu'à ses débuts, force est de constater qu'on lui préfère des plus jeunes. Le 3ème personnage est Zoé, l'ancienne attachée de presse d'Oscar, devenue une influenceuse particulièrement suivie sur les réseaux et qui accuse Oscar d'avoir bousillé sa vie suite à des pressions, des attouchements, #MeToo

      La parole passe de l'un à l'autre, et avec son style d'écriture rythmé, marqué par l'oralité et un certain humour, sans oublier les références à la pop culture, Virginie Despentes traite de sujets "classiques" (addictions, sexe, ennui) mais surtout continue à dénoncer la domination masculine mais aussi les excès du mouvement MeToo, les procès hâtifs délivrés par les réseaux sociaux.

      Si la phrase de ralliement "on se lève et on se casse" (cf cérémonie des César 2020) vient à l'esprit, ce roman vient aussi rappeler aux femmes qu'on ne "se casse" qu'en dernier recours et que la discussion et la réconciliation (même sans pardon) seront les clés d'un féminisme non pas tourné contre les hommes mais progressant avec eux. 


      Grasset  22 euros

    • La peau du dos - Bernard CHAMBAZ

      C'est l'histoire d'une rencontre et de l'amitié qui va en découler entre deux hommes que tout, à première vue, oppose. Le premier est obnubilé par les couleurs, il marche beaucoup, plantant son chevalet en quête d'une lumière, d'un reflet que son pinceau pourrait reproduire, c'est Auguste Renoir. Le second est un quasi inconnu et si l'histoire a retenu son nom c'est qu'il est devenu le procureur de la Commune de Paris: il s'appelle Raoul Rigault.

      Entre les deux jeunes hommes, un lien indéfectible se crée: leur première rencontre a lieu dans la forêt de Fontainebleau, le peintre dissimule le jeune fauteur de troubles contre le pouvoir impérial, pousuivi pour des propos un peu trop ouvertement critiques, il cherche une planque le temps que les choses se calment. Ils vont se promener en forêt, manger, boire, fumer et surtout discuter. Quelque temps plus tard, Renoir est arrêté comme espion à la solde des Versaillais, parce qu'il peignait les bords de la Seine. Conduit au poste de police, c'est Rigault qui le sauve, lui procure un laisser-passer, et les deux compagnons retrouvent le plaisir de deviser ensemble en marchant dans un Paris sens dessus dessous. "L'un peint le monde, l'autre le renverse, chacun aux prises avec sa révolution"

      Rigault n'avait pas 25 ans, il avait la passion et la fougue de la jeunesse pour défendre des idées d'égalité mais son exaltation va connaître une fin brutale.


      La Peau du dos est un bijou d'écriture, singulier car tout à la fois joyeux et méditatif, lumineux, coloré et mélancolique.


      Editions du Sous sol - 17 euros (parution le 19/08/2022)

    • Débarquer - Hugo BORIS

      Nous sommes en Normandie, sur les plages du débarquement et dans la campagne environnante où se sont déroulés des combats, peut-être moins spectaculaires que sur les plages, mais tout aussi meurtriers: les américains ne s'attendaient pas au bocage normands, à ces haies et à ces fossés qui ont ralenti leur progression et englués les soldats. Le roman se passe sur une journée et une nuit, le temps de mettre en miroir puis de se faire rencontrer Magali, guide des plages et Andrew, un vétéran de plus de 90 ans revenu sur les lieux où la violence et la mort ont bouleversé sa vie.

      Magali, pour qui l'accueil d'un vétéran devrait être un moment exceptionnel, est à une période de sa vie qui ne lui permait pas d'apprécier à sa juste mesure, une rencontre aussi extraordinaire. Son mari a disparu: il est parti neuf mois auparavant et ne donne aucun signe de vie, c'est ce qu'on appelle une disparition inquiétante, pour laquelle la police ne fait que peu de recherches, laissant la famille démunie et dans un questionnement et une culpabilité terrible. Magali est submergée par cette culpabilité et s'occuper de ses deux enfants dont un bébé, de sa maison et continuer à travailler, le tout sous médicaments pour dormir: elle survit dans une sorte de brouillard, parant au plus pressé au jour le jour.

      Après avoir essayé de se faire remplacer, elle finit par retrouver Andrew à la gare: l'homme est seul (d'habitude ce genre de déplacement est accompagné de dizaines de personnes), affaibli et parfois absent, il ne souhaite qu'une chose, qu'elle le conduise sur la plage d'Omaha Beach où il a débarqué.

      Cette rencontre était nécessaire, pour l'un comme pour l'autre: chacun est arrivé à un moment de sa vie où il faut accepter que ce qui reste inachevé le restera à jamais et que cela fait partie de leur histoire.


      Un roman très réussi qui parle de courage, de résilience; Magali est particulièrement attachante en mère imparfaite et débordée et Andrew bouleversant dans cette quête de lui-même, au plus près de ce qu'ont pu ressentir ces très jeunes hommes débarqués dans un pays qu'ils ne connaissaient pas dans un déluge de feu et de sang.


      Grasset - 19 euros (parution le 17/08/2022)

    • Clara lit Proust Stéphane CARLIER

      Voilà un roman plein de fantaisie que nous propose Stéphane Carlier: la jeune héroïne de cette histoire est coiffeuse, sa vie monotone et sans horizon prend un nouveau tour quand un client inconnu oublie son livre de poche sur le siège du salon. C'est "la recherche" de Proust. Et ce sera une révélation. Clara va plonger avec délectation dans le premier tome, du côté de chez Swann, d'abord surprise de se découvrir capable d'entrer dans ce monument de littérature et encore plus déroutée quand elle comprend que Marcel va bouleverser sa vision du monde qui l'entoure, l'obliger à relever des défis face aux phrases longues, très longues, à tenter de comprendre, s'obstiner pour soudain réveiller en elle des souvenirs troublants, des images enfouies, des réparties d'une finesse et d'une drôlerie qui déclenche une sorte d'éveil. Il y a un avant et il y a un après "A la recherche du temps perdu". Sans dévoiler la fin du roman, on devine bien sûr que Clara ne va pas moisir dans son salon de coiffure, que la littérature accompagne l'émancipation d'une jeune femme prisonnière de sa propre vie et que le lecteur, connaisseur ou non de Proust, va découvrir la passion et l'immense admiration de l'auteur pour ce chef-d'oeuvre qu'est la Recherche, un hommage appuyé au pouvoir des livres. 


      Gallimard - 18.50 euros (parution le 01/09/2022)

    • Faire bientôt éclater la terre - Karl MARLANTES

      On plonge dans ce roman fleuve avec délectation, j'espère que ce titre connaîtra le succès malgré ses 850 pages denses qui se lisent presque d'une traite tant l'histoire est passionnante.

      Le personnage central est Aino qui, au début du XXème siècle, quitte sa Finlande natale à la suite de ses frères Matti et Ilmari pour émigrer aux Etats-Unis. Elle a, malgré son jeune âge, un passé déjà tumultueux, un esprit rebelle et révolutionnaire, et son caractère de feu, qu'un passage douloureux en prison n'a pas éteint, va resurgir dans la colonie de bûcherons où elle a trouvé un emploi. Horrifiée par les conditions de travail, elle organise peu à peu un début de syndicat, bravant les interdits, sacrifiant sa vie de famille, allant à l'encontre de la bienséance et risquant sa vie. Chacun des membres de la famille tentent, tant bien que mal, de se bâtir une vie meilleure dans un pays où le travail apporte la liberté mais aussi l'aliénation, où les profits ont plus d'importance que les vies humaines. Toute l'Amérique se construit à une vitesse folle, les forêts, les ressources en général, sont puisées de plus en plus vite, ravageant les paysages et les territoires ancestraux, écrasant les hommes manipulés par les propriétaires, les banquiers, la presse. Dénoncer est dangereux, Aino en prendra conscience mais sa conscience justement ne lui permet pas de baisser les bras devant tant de cynisme. L'amitié, l'amour, les naissances, la mort brutale, injuste, se côtoient dans cette saga familiale et on quitte à regret le personnage d'Aino, magnifique petit bout de femme inaltérable et bouleversante. L'auteur s'est inspiré de l'histoire de sa famille pour nous conter une histoire saisissante de vérité: la photo sur le bandeau reflète cette incroyable victoire de l'homme sur la nature, entre ce tronc d'arbre gigantesque mis à terre par des hommes qui paraissent minuscules et cette scie démesurée qu'ils ont dû actionner des jours durant pour venir à bout de cet arbre plusieurs fois centenaire.  


      Calmann Levy - 24.50 euros

    • Un homme sans titre - Xavier LE CLERC

      Après "Cent vingt francs", roman dans lequel l'auteur racontait l'histoire de Saïd, son arrière-grand-père, tirailleur kabyle mort pour la France à Verdun en 1917, Xavier Le Clerc poursuit son exploration familiale (et ses liens avec la France) avec le roman de son père Mohand-Saïd Aït-Taleb. Né en Kabylie dans les années 30, cet homme a connu, enfant, le dénuement le plus total: l'auteur découvre cette partie de la vie de son père dans les écrits de Camus alors reporter dans ce pays. Il ne connait que la misère et la faim, le travail harassant depuis son plus jeune âge. Arrivé en France en 1962, il est considéré comme de la main-d'oeuvre à bas prix, broyé par le travail à l'usine, toujours inquiet, brutal avec ses enfants, mutique le plus souvent; voilà le parcours courageux et obstiné de cet homme, voilà les mots que lui adresse son fils à travers ce livre.

      "Ce témoignage est un cri de révolte contre l'injustice et la misère organisée, mais il laisse aussi entendre une voix apaisée qui invite à réfléchir sur les notions d'identité et d'intégration" (éditeur)

      La lettre que l'auteur adresse à son père décédé, en conclusion de ce texte, est particulièrement bouleversante.


      Gallimard - 13.50 euros

      toujours disponible "Cent vingt francs" Gallimard 

    • De la jalousie - Jo NESBO

      Déjà auteur d’une quinzaine de romans policiers, Jo Nesbo publie cet été un recueil de nouvelles. Le fil conducteur bien entendu reste des crimes, perpétrés le plus souvent en lien avec des « histoires personnelles » qui dérapent, au moment où se crée un déclic qui entraîne l’irréparable. Que ce soient des intrigues d’amour qui débutent/finissent mal (en général…) ou tout simplement « la fois de trop », l’auteur dépeint des personnages qui dégoupillent. Mis à part un des récits (intitulé Phtonos) qui reprend la structure d’un roman policier classique -crime/enquêteur/suspect (une histoire assez longue d’ailleurs -150 pages sur les 340 du recueil- d’un meurtre entre jumeaux qui aurait pu tout à fait donner matière à un véritable roman), Jo Nesbo nous donne aussi le point de vue d’un seul personnage, son cheminement, ses ressorts, sans apporter de « solution » au crime perpétré, la punition du coupable restant inconnue à la fin du récit. Et ce sans que cela crée une insatisfaction du point de vue du lecteur. Restant fidèle à sa Norvège natale, l’auteur nous fait également voyager dans d’autres pays (une enquête en Grèce, une histoire dans un 7 Eleven très certainement américain…) tout en gardant sa faculté de mettre en avant les travers de nos sociétés modernes. 

      Dans la foulée de « Leur domaine » son dernier roman, Jo Nesbo parvient toujours à susciter la tension et les retournements de situation. Ses effets fonctionnent de plus bel dans ces récits courts, une vingtaine de pages suffisant à instaurer une ambiance étouffante où la manipulation et le machiavélisme côtoient aussi des éclairs d’humanité. Comme pour montrer que la lucidité reste une qualité fragile et que la bascule peut arriver sans préavis. Qui plus est quand la jalousie, la frustration ou le ressentiment s’en mêlent.


      Gallimard  - 19.50 euros

      parution 11 août

    • Les gens de Bilbao naissent où ils veulent - Maria LARREA

      Pendant 27 ans, Maria ne s'est pas posé de questions : ses parents étaient 2 orphelins espagnols qui ont connu la misère et Franco. Leur rencontre, leur histoire d'amour, leur installation en France, lui, gardien du théâtre de la Michodière, elle, femme de ménage, tout cela a fait de Maria, leur seule enfant, une petite fille heureuse, convaincue de l'être malgré les colères et la violence de Julian, malgré les silences de Victoria. L'envie de sortir de cette « loge » et de réussir vont la pousser vers des études de cinéma : tout semble lui réussir. Et puis, soudain, une déflagration : un tirage de cartes qui aurait pu être anodin (mais il n'y a pas de hasard) l'amène à se poser des questions sur ses origines, sur le roman que ses parents ont écrit, remontant peu à peu le fil ténu, les indices rares, falsifiés administrativement, arrangés, cachés, enrobés. 

      C'est une enquête qu'on mène aux côtés de la narratrice : il lui faudra revenir où tout a commencé, à Bilbao, tracer son ADN, engager un détective privé, fouiller les archives. Rien n'est triste, tout est vrai, et on est emporté par cette écriture pleine de vie et d'énergie. Jamais la tristesse ne l'emporte même si on est souvent bouleversé par cette histoire de famille.

      Immense coup de cœur pour ce premier roman !


      Grasset - 20 euros

      parution 17 août

    • Et la forêt brûlera sous nos pas – Jens LILJESTRAND

      Dans ce roman, le réchauffement climatique n’est plus une vue de l’esprit mais une triste réalité. En plein été, un feu incontrôlable ravage la Suède. En vacances avec ses proches, Didrik, un consultant média spécialisé sur l’aspect écologique, se retrouve en plein tourment ; sa vie de famille est au bord de l’explosion (avoir un troisième enfant n’a pas été la solution pour résoudre les problèmes de son couple) et surtout les flammes qui ravagent la région où il pensait passer un séjour idyllique sont en train de prendre une tournure cataclysmique. Le pays semble paralysé par ce nouveau coup dur (une pandémie est évoquée ce qui laisse à penser que l’action se déroule dans la décennie 2020) et les pouvoirs publics dépassés font plonger la population dans le chaos ; au programme, mouvements de panique, violences, pillages et bien sûr chasse aux présumés coupables sur les réseaux sociaux. Complètement déboussolé, Didrik en viendra à faire des choix saugrenus, édifiants, obnubilé par sa propre survie et par la rédaction de tweets en direct pour son public. Dans cette ambiance de fin du monde, nous croiserons également au fil des pages une influenceuse ravagée tout autant par son addiction à la célébrité que par son utilisation de psychotropes, un jeune adulte terrassé par le charisme de son père ancienne gloire du tennis à qui il voue une haine sans limite, et enfin une jeune adolescente de 14 ans, prête à prendre des responsabilités beaucoup trop importantes pour ses frêles épaules, au risque de ressortir broyée de cette expérience.


      Jens Liljestrand est un auteur renommé en Suède, notamment pour ses livres documentaires. « Et la forêt brûlera sous nos pas » bien qu’étant qualifié de roman, peut tout de même être appréhendé sous ce prisme. Comment réagir face à une crise qui nous dépasse ? Sommes-nous capables de remettre en cause notre mode de vie, nos petits soucis du quotidien devant cette crise qui nous dépasse ? Les quatre personnages développés dans ce récit ont tous une façon différente de réagir à la catastrophe. Avec pourtant une constante : s’en référer toujours à sa propre réalité au dépend de la situation globale. La possibilité de ne disposer que d’une planète habitable, même devant le fait accompli, semble secondaire…et ce malgré la démonstration des atrocités entrainées par ce dérèglement climatique sur la vie de chacun.


      Un récit qui interpelle, fait réfléchir sur la condition humaine et sa faculté à ne pouvoir se projeter hors de sa sphère intime et ce même si les voyants passent au rouge. Le réchauffement climatique entraîne déjà et entraînera encore plus de catastrophes. Il faudra bien composer avec. Comme le disait J Chirac, « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Jusqu’au jour où cet ailleurs n’existera même plus…


      Autrement – 24.90 euros (parution le 24/08/2022)

    • On était des loups - Sandrine COLLETTE

      Qu'est-ce qui résonne en nous, êtres humains, quand les loups chantent ? Qui nous donne envie de mêler notre voix à la leur ? 

      Liam vit dans les montagnes, loin de tout et surtout loin des hommes qu'il ne supporte pas : sa vie, c'est sa cabane, ses chevaux et la chasse qui lui permet de subvenir aux besoins de sa femme et de son petit garçon de cinq ans. L'idée d'avoir un enfant n'est pas de lui mais tant qu'il ne l'a pas dans les pattes, il peut même se permettre de l'aimer un peu. Et quand un soir, il rentre après avoir signifié à un loup qu'il ne devait s’approcher trop près de la cabane, il devine immédiatement qu'il y a eu un problème pendant son absence : un ours a attaqué et tué sa femme. Il retrouve son fils, Aru, protégé sous le corps de sa mère. Tout s'effondre ; mais les montagnes sont toujours là, il peut repartir à la chasse même si son foyer n'existe plus, par contre ce n'est pas une vie possible pour un si petit garçon. Il va l'emmener à cheval chez un oncle et une tante qui le feront grandir et peut-être qu'un jour, il reviendra le chercher. Mais qui sait ce qui peut advenir quand un homme fou de rage et de douleur se retrouve seul avec un petit enfant terrifié dont il ne s'est jamais occupé.

      Une nouvelle fois, Sandrine Collette nous plonge dans un roman sombre dans lequel la nature n'est pas le doux refuge qu'on espère : elle est écrasante, totalement indifférente aux destinées humaines. Un roman puissant qui interroge sur ce qu'est un père et cet instinct paternel qui n'est pas inné.

      Sublime !


      JC Lattès - 19.90 euros

      Parution 24/08

    • La compagnie – Robert LITTELL

      « Le grand roman de la CIA » telle est la phrase qui suit le titre de ce roman de Robert Littell paru il y a tout juste 20 ans. Ce sont 1242 pages qui vous attendent si vous décidez de franchir le pas et de vous embarquer pour la traversée d’une bonne partie de la deuxième moitié du 20ème siècle. Une période pendant laquelle les joyeux drills du KGB et de la CIA se menaient une guerre psychologique (et pas seulement) sans limite. Dans un contexte hyper-tendu, espionnage, contre-espionnage, tentatives de retournement d’agents étaient les composantes principales du quotidien de ces puissantes organisations pour tenter de s’emparer des secrets de l’ennemie avec en toile de fonds la perspective d’une troisième guerre mondiale et la menace (tiens tiens…) du feu nucléaire. Il est donc question dans ce roman de guerre froide, d’évènements en Hongrie en 1956 qui rappellent étrangement ce qui se passe en Ukraine de nos jours, bien entendu du célèbre épisode de la Baie des Cochons de Kennedy au début des années 60 et de l’effondrement du bloc soviétique. Sur fond de paranoïa aigue, il est plaisant de suivre une demi-douzaine de personnages que l’on retrouvera au fil du temps jusqu’aux années 1990. Il reste après la lecture de ce pavé l’impression d’avoir vécu de multiples existences avec cette atmosphère pesante, voire même parfois étouffante.


      Malgré la densité du livre, on se laisse emporter par l’histoire et il est très plaisant de découvrir, même de manière romancée (un peu tout de même) mais toujours crédible, ce qui peut se tramer dans les arrières cuisines des services de renseignement et plus généralement secrets.


      On ressort de cette lecture avec un œil un peu plus aiguisé sur les évènements de l’actualité, incapables que nous sommes d’imaginer même le tiers des affaires qui se traitent « en sous-marin » pour que le monde puisse continuer à avancer, vaille que vaille. Une plongée en eau trouble, très trouble, parfaite pour développer ou entretenir une méfiance envers les informations « officielles ». Peut être à juste titre…qui sait.


      J’ai lu – 10.10 euros.

    • Celle qui devint le soleil - Shelley PARKER-CHAN

      En 1345, la Chine est soumise à la domination mongole. La famine ronge les paysans et dans le village de famille Zhu, les enfants fouillent les détritus et chassent les lézards pour tenter de survivre. Zhu Chongba et sa soeur reçoivent chacun une destinée: le garçon est promis à la grandeur, la fille, au néant. Mais losqu'une attaque de hors-la-loi les laisse orphelins, c'est le fils qui se laisse mourir de chagrin. Animée d'une furieuse envie de vivre,la jeune fille endosse l'identité de son frère pour accomplir sa destinée d'homme. Elle se présente devant un monastère et, à force d'obstination, obtient sa place de novice (et la nourriture qui va avec) sans se douter que ce choix ne sera que le premier d'une vie dont les rebondissements la mèneront bien plus loin qu'elle ne l'imaginait.

      Ce roman exaltant et foisonnant, réinvente l'histoire de l'arrivée au pouvoir du premier empereur de la dynastie Ming. Servi par une écriture précise et sensible, ce roman nous emporte dans un univers de guerre, de violence, de trahison mais aussi d'humour, de tendresse, dans lequel la question de l'identité tient une place centrale.


      Bragelonne - 25 euros (version reliée, jaspage jaune avec nuages rouges)

      une version brochée est prévue au mois d'août à 19.90 euros

    • Little Caesar – William R BURNETT

      Et si pour avoir une bonne histoire criminelle, il fallait parfois sortir des sentiers battus « scandinavo-franchouillards » et retourner à l’essence même de la criminalité, à une époque réputée pour cela ? Et quoi de mieux que les années 20 aux Etats-Unis, et plus précisément Chicago, pour une immersion immédiate ? 


      Little Caesar a été publié en 1929 et décrit avec brio le milieu de la mafia tel qu’il pouvait exister à cette époque : de vrais méchants, des clans se partageant la ville avec plus ou moins de respect et de distance, et par-dessus tout des sobriquets savoureux -Pepi le tueur, Big Boy, Kid Bean. Et puis il y a aussi Caesar Rico, un petit malfrat (et par que par la taille) plein d’ambition et qui se verrait bien calife à la place du calife, en l’occurrence Sam Vettori. Et quoi de mieux pour une réputation que d’organiser un petit braquage, si possible le réussir et commencer ainsi à tracer sa légende ? Une bonne stratégie peut être mais à condition de ne pas dessouder un flic au passage. Et que le milieu (flics compris…) se retrouve en ébullition, un peu comme un coup de fusil dans une fourmilière d’affreux…


      « Little Caesar » a été une petite révolution en son temps car c’était la première fois que l’action y était décrite du point de vue des criminels. Ajouter à cela un petit côté daté (le nombre de voitures qui lors des folles course poursuites prennent les virages « sur deux roues » et les propos racistes) pour retranscrire une allégorie de l’ambition et de la (fausse) légende du rêve américain où tout peut arriver à celui qui le souhaite vraiment, et voici un très bon roman de genre. 


      Alors autant revenir à la genèse du roman noir avec ce personnage de Rico qui n’aime que trois choses dans la vie : lui-même, ses cheveux et son arme. La réussite, le pouvoir et la gloire ne sont peut-être pas très loin non plus du tiercé gagnant.


      Série Noire Gallimard – 17.50 euros

    • Billy Summers - Stephen KING

      Billy Summers est un tueur à gages; il a une ligne de conduite, il ne s'en prend qu'aux "méchants". Il excelle à jouer le type un peu débile mais qui ne rate jamais sa cible. Le jour où on lui propose un contrat suffisamment lucratif pour lui permettre de prendre sa retraite, une petite voix lui dit que c'est le job de trop. Cependant, le commanditaire lui propose une couverture dont il n'osait rêver: devenir écrivain, le temps d'attendre le jour opportun du procès du personnage qu'il doit descendre. Billy se prend au jeu et, alors qu'il aurait pu faire semblant, se met à écrire. 


      Et donc, ce nouveau roman du très productif écrivain américain, propose plusieurs niveaux de lectures: le roman noir de cet assassinat programmé, le traumatisme de l'enfance de Billy, l'enfer vécu pendant la guerre du Golfe (dont l'auteur souligne l'inutilité catastrophique) et la peinture de la société américaine des années Trump (que S King ne porte pas dans son coeur).

      Pour notre plus grand plaisir, on retrouve dans ce roman les thématiques chères au maître du suspens: le travail de l'écrivain, ses sources d'inspiration, le bonheur d'écrire permettant de changer le monde autour de soi, le plaisir de la lecture (un tireur d'élite fan de Zola, il n'y a que S King pour camper un tel personnage).


      Pas de fantastique dans ce nouvel opus si ce n'est un tableau quelque peu mouvant et une allusion à l'hôtel de Shining mais un hommage appuyé à la littérature. Le contrat rempli, l'affaire tourne au road trip à travers les États-Unis et on referme le livre en se disant "déjà?".


      Albin Michel - 24.90 euros

    • Stöld - Ann-Helen LAESTADIUS

      Elsa, une jeune Sami (Lapone) d'une dizaine d'années ca assister au meurtre de son jeune renne. Le coupable, viandard et sadique, la menace à son tour. Terrorisée, elle gardera le silence pendant des années. 


      C'est sur cette histoire que se construit ce roman qui aborde le racisme et la discrimination dont sont sujets les Samis.


      L'auteur prend le temps de nous raconter le quotidien de ces éleveurs, de nous décrire les paysages et les saisons, sans jamais que l'on s'ennuie un seul instant.


      Un roman beau et engagé.


      Robbert Laffont - 21.50 euros.

    • Revolusi, l'Indonésie et la naissance du monde moderne David VAN REYBROUCK

      10 ans après "Congo", David Van Reybrouck revient avec une immense et très détaillée histoire de la décolonisation de l'Indonésie. Dans cette fresque en mosaïque, l'auteur reprend les ficelles qui ont fait le succès de son précédent livre: il mêle enquête (il a été à la rencontre de plus de 200 témoins ou descendants), exposé chronologique, analyse géopolitique pointue et remarques plus personnelles cherchant à démontrer les répercussions qu'ont eu, sur l'histoire mondiale, les soubresauts de cette indépendance chèrement gagnée et surtout déclarée dès la fin de la Seconde guerre mondiale, en faisant le premier pays à la proclamer et un modèle pour tous les autres pays placés sous tutelle des Occidentaux.

      L'Indonésie, cette terre inconnue, est pourtant le quatrième pays par sa démographie après la Chine, l'Inde, les Etats Unis. C'est surtout une puissance économique majeure et cet archipel gigantesque majoritairement musulman a connu une histoire, un raffinement et un développement que les européens ont voulu effacer au profit de leur commerce inéquitable d'épices en particulier les clous de girofle et la noix de muscade qui ne poussent que sur quelques îles.

      Quand l'emploi des épices va diminuer, les néerlandais trouveront d'autres sources de revenus (caoutchouc, bois précieux, coton, riz) et surtout une main d'oeuvre docile et économique. Les schéma sont les mêmes partout et la libération sera douloureuse, 4 ans de guerre, de crimes de guerre, de viols: 200 000 morts entre 1945 et 1945.


      C'est une étude passionnée et passionnante que nous livre David Van Reybrouck dans cette monumentale oeuvre qui se lit pourtant très agréablement tant il excelle, en tant qu'historien, journaliste, voyageur, à conter des histoires, à rapporter la mémoire des gens et des lieux avec une vision poétique d'un monde aujourd'hui presque disparu.

      Il rappelle dans l'épilogue les enjeux environnementaux mondiaux: la biodiversité de cette région du monde mérite toute notre attention et il est plus que temps de réfléchir à notre consommation qui maintient une pression inconsidérée sur la nature dont la vitalité extraordinaire à cet endroit émerveille encore même les habitants.


      "C'était une nuit sans lune, le ciel étoilé était profond et infini. Le vieux prao de bois glissait en silence sur l'eau comme les vieux prao de bois le font ici depuis des millénaires. "Lihat", dit le batelier, "regarde". L'eau était sombre, sans rides, et montrait ce que j'ai vu de plus beau dans ma vie. Dans la profondeur brasillaient des milliers  et des milliers de petits points verts de plancton phosphorescent: une longue et ondoyante kermesse de lumière (...) Et soudain j'aperçus, mêlé à ce fourmillement vert clair, un autre scintillement: de minuscules épingles de lumière blanche. C'était le reflet des étoiles au-dessus de nous. Le plancton et la Voie Lactée, clapotant ensemble, bercés dans la nuit, errant parmi les éons, avec ou sans les humains"


      Actes Sud - 29 euros



    • L'inventeur - Miguel BONNEFOY

      Miguel Bonnefoy retrace la vie d'un inventeur, Augustin Mouchot, dont le nom ne dit plus rien à personne mais dont les découvertes sur l'énergie solaire étaient très en avance (trop) sur son temps.

      Le XIXème siècle est le siècle des énergies fossiles, faciles à mettre en oeuvre. Son four solaire n'a pas réussi à impressionner et n'a pas porté le nom de Mouchot à la postérité.

      Dernier enfanfant sur six d'une famille de serruriers de la Côte d'Or, il survécut à toutes sortes de maladies et d'accidents qui le laissèrent fragile et chétif mais d'une intelligence pratique très fine. Il fait donc des études, devient enseignant et mène en parallèle des recherches. 

      Sa trouvaille de four capable de produire de la vapeur grâce à des miroirs, une marmite et une caisse en bois semble révolutionnaire. Mais comment convaincre financeurs et politiques de l'utilité de son invention?

      L'auteur raconte avec brio la vie des inventeurs, chercheurs, scientifiques plus ou moins rêveurs, une vie faite de réussites, de hasards heureux ou malheureux, de doutes et de remises en question, de courses aux brevets, de gloire, de déboires. Le progrès en marche! 

      Le portrait fascinant d'un personnage attachant.


      Rivages - 19.50 euros

    • Sur l'épaule des géants - Laurine ROUX

      Parution (le 13 octobre) du nouveau roman de Laurine Roux où l'autrice nous surprend avec un texte plein d'humour et de rebondissements rocambolesques. Où l'on suit les aventures du clan Aghulon, à travers le récit qu'en fait Gabriel Aghulon qui plonge dans le passé de sa famille pour écrire l'histoire de Marguerite, son aïeule.

      Il revisite ainsi le XXe siècle, de l'affaire Dreyfus aux attentats du 11 septembre 2001 aux côté de personnages hauts en couleurs, passionnés, découvreurs, rêveurs. 

      A leurs côtés des chats philosophes plus ou moins sages, ajoutent une touche de drôlerie, quand la vie et les évènements malmènent les personnages. Chaque génération côtoie des personnalités comme Louis Pasteur, Serge Diaghilev, Robert Desnos et Picasso.


      Editions du Sonneur - 24 euros

    • Le cabaret des mémoires- Joachim SCHNERF

      Ce court roman intimiste se déroule le temps d'une nuit. Samuel, tout jeune père, se demande ce qu'il va transmettre de son histoire familiale à son fils qui rentrera le lendemain de la maternité avec sa mère.

      Il pense à sa grand-tante, Rosa, la dernière survivante d'Auschwitz, qui s'est exilée aux Etats-Unis après la guerre. Elle a contruit un incroyable cabaret au Texas et chaque soir, pour ne pas oublier, elle monte sur scène pour raconter la vie des disparus. Mais, quand elle-même va tirer sa révérence, de quelle façon Samuel pourra prendre le relais, continuer à transmettre, lui qui a tant souffert du silence des adultes? Quelle vérité asséner, quelle famille construire quand l'Histoire s'immisce dans chaque moment de bonheur?


      Magnifique texte racontant cette nuit initiatique, ces histoires tissées autour de la venue de cet enfant qui va hériter de tant de vies et de tant de morts: un jour, son père lui racontera son histoire, cette parole sera transmise et la mémoire sauvegardée.


      Grasset - 16 euros

    • Le magicien – Colm TOIBIN

      Le magicien, voici le surnom trouvé par les nombreux enfants (six) de Thomas Mann pour qualifier leur père, comme un joli clin d’œil également au titre de son roman « La montagne magique » pour lequel il obtint le prix Nobel de littérature en 1929. Colm Toibin, romancier et journaliste irlandais, nous propose donc une solide biographie romancée, sans concession, du grand auteur allemand. De sa jeunesse au sein d’une riche famille de négociants avec un père sénateur et une mère d’origine brésilienne, Toibin va donc tout au long des 600 pages de son récit nous présenter un auteur qui très tôt a su s’inspirer de ses expériences personnelles, de son entourage, pour la construction de la trame narrative de ses romans. Quitte à mettre parfois mal à l’aise ses proches qui pouvaient se retrouver dans des personnages eux aussi traités sans prendre les moindres pincettes. 


      On assistera aussi à l’évolution politique de Mann, dont les idées changeront énormément entre la première et la seconde guerre mondiale, ce dernier se montrant très véhément envers la montée en puissance du régime nazi, le conduisant à un exil forcé aux Etats-Unis dès le début du second conflit mondial. 

      On découvre aussi un homme au comportement ambigüe (bien que marié avec Katia et père de six enfants, il parvient difficilement à se contrôler à la vue d’un beau garçon…sans que cela ne pose problème à Katia) et dont les enfants ont finalement assez souffert de son attitude à la fois très libertaire pour l’époque tout en leur laissant un goût d’inachevé quant à sa façon de leur montrer et prouver son attachement. Sa lutte d’égo avec son frère Heinrich, lui-même auteur, est aussi à retenir dans la façon dont Thomas Mann a construit son œuvre avec cette lutte fraternelle dont il est manifestement sorti vainqueur.


      Un ouvrage agréable à lire, qui présente un personnage au comportement trouble, parfois antipathique, attachant sous certains aspects, qui a su marquer durablement la littérature allemande. Thomas Mann en devient lui aussi un très beau héros de roman, plein de complexité et de secrets.


      Grasset – 26 euros

    • L'odyssée de Sven - Ian MILLER

      L’odyssée de Sven débute de manière banale : en ce début du 20ème siècle à Stockholm, les perspectives d’avenir du encore jeune Sven ne sont pas des plus engageantes, avec un emploi peu motivant et une situation personnelle bancale (consistant à des visites régulières chez les filles de joie et gérer les enfants de sa sœur Olga qui n’a pas vraiment l’instinct maternel). 

      Notre suédois opte donc pour une nouvelle vie et choisi un lieu peu commun pour tout recommencer : le Spitzberg. Cette île située dans le Svalbard, un archipel appartenant à la Norvège, a conservé son aspect sauvage (le lieu est peuplé d’une nombreuse communauté de renards, d’ours et de phoques) et ce malgré l’implantation de mines exploitant le riche sous-sol et la présence de quelques villes telles que Longyear dans laquelle débarquera notre héros. Une fois sur place, Sven va découvrir la camaraderie de la mine mais aussi la misère humaine dans des tâches abrutissantes et dangereuses.

      Il profitera donc de rencontres avec des autochtones expérimentés pour s’initier à ce qu’il entrevoit comme un idéal : une vie de chasse, isolé, loin de ses congénères. Il va devoir apprendre, s’adapter à de nouvelles conditions, expérimenter le quotidien dans une cabane (qu’il devra reconstruire plusieurs fois) et se heurter aux difficultés de vouloir vivre en quasi autarcie. Heureusement, son chien Eberhard lui sera d’un grand réconfort lors des moments d’abattement mais ne suffira pas toujours à le protéger de la trajectoire du monde qui continue de tourner ; la guerre, les évènements politiques impactant directement les pays scandinaves (la Russie et l’Allemagne y jouant un rôle géopolitique prépondérant) mais aussi des histoires de famille qui viendront se rappeler à son bon souvenir. 


      Cette épopée s’appuie sur un personnage ayant réellement existé, un chasseur sptizberguien dont on ne sait presque rien, si ce n’est qu’il construisit une cabane qui tient toujours debout au 21ème siècle et que l’auteur Nahaniel Ian Miller a découvert lors d’une résidence d’écriture. Son récit, imaginaire par conséquent, donne la part belle à la nature tout en montrant sa cruauté et sa rugosité. Il ne s’agit donc pas d’uniquement aborder le sujet du retour à la nature (au passage dans un style qui rappelle celui des pionniers du nature writing que sont Thoreau ou Muir) mais plutôt d’évoquer les liens humains nécessaires à la survie dans un contexte brut. Sven est ainsi entouré de femmes et d’hommes aux profils atypiques, souvent durs, mutiques, peu expansifs, bruts, et pourtant toujours là pour le soutenir dans son périple. 

      En voulant se couper du monde, Sven découvre des rapports humains exacerbés, débarrassés de tout artifice avec les femmes notamment, des personnages forts capables de fulgurances telle que « les hommes s’imaginent toujours qu’ils savent tout mieux que tout le monde, surtout quand ils n’y connaissent rien ».

      L’odyssée de Sven est donc l’occasion de découvrir les aventures d’un homme sur une trentaine d’années, parti au départ pour connaître la solitude et la dureté de la nature et qui trouvera en retour la richesse des interactions humaines, sublimées par les difficultés et coups du sort de la vie. Un très beau premier roman dans lequel il faut se laisser porter.


      Buchet Chastel – 24.50 euros.

    • Le tableau du peintre juif - Benoît SEVERAC

      Quelques semaines avant leur entrée en maison de retraite, l'oncle et la tante de Stéphane vident leur appartement et proposent à ce dernier de venir récupérer un tableau. Il s'agirait d'un cadeau d'un peintre juif, Eli Trudel, que ses grands-parents auraient caché avec son épouse, pendant la seconde guerre mondiale. Cette découverte inattendue d'un pan inconnu de la vie de ses aïeux ne revêt pas la même signification pour Stéphane et pour Irène, sa femme: pour le petit-fils, ce tableau est la preuve d'un acte héroïque qui doit être reconnu pour ce qu'il est et permettre d'inscrire son grand-père, si peu bavard sur cet épisode, dans la liste des Justes devant les Nations. Pour sa compagne, consciente de la valeur de l'oeuvre et à bout face aux difficultés financières de son couple, il est une porte de sortie, la possibilité de tourner la page et de démarrer une nouvelle vie. Stéphane entame immédiatement les démarches auprès de Yad Vashem Jérusalem pour faire reconnaître devant l'Histoire la valeur des actes de ses grands-parents. Malheureusement tout ne va pas se passer comme prévu: arrivé à Jérusalem, Stéphane est arrêté comme un criminel. Que s'est il réellement passé à Génolhac dans les Cévennes en 1943? Quel secret recèle cette toile? 


      Une enquête haletante et émouvante qui éclaire quelques sombres secrets de l'Histoire. Bravo à Benoît Séverac pour ce roman auquel on souhaite au moins autant de succès qu'à "Tuer le fils".


      La Manufacture des livres - 20,90 euros (parution le 01/09/2022)

    • Chien 51 – Laurent GAUDÉ

      Dans un avenir plus ou moins proche, selon qu’on soit optimiste ou pessimiste, la société GoldTex a réalisé la première fusion nationale en rachetant un pays, en l’occurrence la Grèce, qui se trouvait en difficulté économique telle que sa privatisation était devenue la seule issue envisageable (???) pour son salut. L’action de Chien 51 se déroule dans la cité de « Magnopole », une ville (Athènes ?) qui a été divisée en trois zones, la première étant réservée à l’élite, la seconde à une classe moyenne améliorée et la troisième aux plus démunis et renégats du nouvel ordre économique. On ne parle plus de citoyens mais de « cilariés » (citoyens/salariés) et le cloisonnement est vraiment appliqué dans la ville, et ce à tout niveau. Zem Sparak est un policier affecté à la zone trois. Par conséquent, il ne peut pas profiter du dôme protégeant les zones une et deux des aléas climatiques qui entrainent entre autres des chutes de grêles et des trombes d’eau d’une minute à l’autre ; il ne peut pas non plus prendre en charge seul l’enquête d’un crime ayant entrainé l’éviscération d’un homme dans un coin sordide de la zone trois. Il se retrouve donc simple « accompagnant » d’une policière de la zone deux, Salia Malberg. La mise en place de ce tandem s’inscrit dans une démarche politique de vouloir recréer une unité entre les différentes zones mais laisse surtout à penser que le crime perpétré est loin d’être anodin. La victime n’aurait-elle pas été visée en tant que détentrice d’un implant « Eternytox » qui permet de prolonger l’espérance de vie de son détenteur ? Où l’enquête doit-elle plutôt s’orienter sur la campagne politique en cours durant laquelle tous les coups sont permis pour nuire à son adversaire ? 


      Voici un roman qu’on ne peut pas qualifier de science-fiction tant les éléments décrits pourraient se matérialiser rapidement à une époque de crise économique avec des dirigeants politiques instables et dangereux. Quant au réchauffement climatique et de ses effets destructeurs, là aussi, l’imaginaire n’a pas besoin d’être repoussé dans ses derniers retranchements. Et on n’aborde même pas les apprentis sorciers issus des boîtes privées et de leurs bonnes idées pour prolonger la vie humaine...


      Chien 51 est donc un récit saisissant de par son coté plausible, dans la façon dont il dépeint un monde où le sens de la collectivité et de son intérêt s’est progressivement éteint au profit des organismes privés et des politiciens ambitieux. Des décideurs déconnectés et éloignés de toute considération pour les populations subissant leurs décisions de manière arbitraire et violente.  


      Actes Sud – 22 euros (Parution le 17/08/2022)

    • Arpenter la nuit - Leila MOTTLEY

      Un premier roman coup de poing.

      L'autrice avait 17 ans quand elle a commencé la rédaction de ce roman, s'inspirant d'un fait réel qui l'a marquée. Elle a aujourd'hui 19 ans et son livre est d'une puissance remarquable.

      Kiara, dix-sept ans, et son frère aîné Marcus vivent à Oakland. Livrés à eux-mêmes, depuis la mort de leur père et l'emprisonnement de leur mère responsable de la mort de leur petite soeur par négligence, Kiara se démène pour trouver du travail et payer le loyer et subvenir aux besoins de son frère qui, persuadé d'être destiné à grande carrière de rappeur, ne travaille pas.

      A bout de ressources, elle décide de vendre son corps, d’arpenter la nuit. Rien ne l’a pourtant préparée à la violence de cet univers, et surtout pas la banale arrestation va la précipiter dans un enfer qu’elle n’aurait jamais imaginé.

      Ce roman vrai parle de la violence dont sont victimes les femmes de couleur, doublement discriminées du fait de leur sexe et de leur couleur de peau pourtant ce n'est ni un manifeste ni un mélodrame, au contraire, il en ressort une vitalité et une lumière portées par le personnage de Kiara.

      A ne pas rater dans cette rentrée!


      Albin Michel - 21.90 euros

      parution 17 août

    • Le bord du monde est vertical - Simon PARCOT

      "Ici, les hommes se taisent car dehors, il n'y a pas de place pour la parole. Il n'y a que le vent, le gel, l'immensité des sommets qui imposent le silence brutal, le silence de l'hébétitude dans lequel on peut même rester toute sa vie."

      Ce roman est inclassable: à la fois récit de montagne, conte philosophique et roman d'apprentissage, l'auteur nous entraîne dans les pas d'une cordée composée d'une femme (Ysé), trois hommes (Gaspard, Solal et Vik) et deux chiens (Moïra, Zéphyr). Ils forment un groupe d’intervention qui vient en aide aux habitants isolés en altitude par tous les temps. Lors d'une tempête de neige, le père Salomon demande l’aide de la cordée pour rétablir le courant électrique. En fait, la raison pour laquelle il les fait venir dans sa maison perdue au pied de la Grande – la plus imposante montagne au monde, dont nul n’a jamais vu le sommet – est tout autre. Menée par Gaspard, la cordée va chercher à découvrir le Bord du monde mais quelle est la motivation profonde à vouloir grimper vers le sommet? On pense bien sûr au Sommet des Dieux de Jirô Taniguchi, mélange d'aventure, de réflexions philosophiques et de poésie. La nature est bien sûr au centre de ce récit avec cette question: doit-on se fondre en elle ou la dominer? Et quel doit être le rôle de l'homme dans ce décor: arrivé au sommet, il redescend ou il continue vers les cieux?

      Un court roman surprenant et qu'on ne lâche pas tant on est saisi par la beauté de ce texte qui nous parle de dépassement de soi.


      Le mot et le reste - 18 euros

      Parution 25/08/2022

    • La leçon du mal - Yûsuke KISHI

      Vous vous souvenez de Patrick Bateman, le « héro » d’American Psycho de Bret Easton Ellis ? Vous êtes resté subjugué (et un peu écœuré) par sa capacité à manipuler son entourage et réussir à dissimuler sous une apparence de normalité un monstre au sang-froid, se délectant de toutes ses perversions ? Et bien vous n’allez pas être déçu par la prestation de Seiji Hasumi dont vous allez faire la connaissance dans la Leçon du mal. Ce professeur d’anglais appliqué, impliqué, apprécié de tous, que ce soient de ses élèves ou de ses pairs, va faire passer ce pauvre Patrick pour un boyscout turbulent ! L’action du roman se découpe en deux parties. La première installe avec brio les différents protagonistes (avec le petit bémol de parfois avoir du mal à différencier certains personnages, les noms et prénoms japonais ne facilitant pas la mémorisation pour nous autres européens) dans la vie d’un lycée privé du japon au début des années 2000. Au programme des examens, des enseignants plus ou moins appréciés, des histoires de cœur entre élèves et les intournables clans ; la seconde ? l’enfer tout simplement !

      Ce roman a été un véritable bestseller au Japon et a été adapté en film et mangas. Il matérialise bien ce double visage que peut avoir la nation japonaise, faisant le grand écart entre cette volonté de maîtrise et de contrôle et la manifestation de la frustration et du mal être qui s’exprime souvent justement dans les mangas et leurs scénarios assez torturés. L’auteur aborde ainsi le culte de la performance, de la réussite mais aussi le harcèlement et l’intolérance qui s’abattent sur les jeunes du récit. Quant aux adultes, leurs pulsions mal réfrénées, leurs vices sont eux aussi très près de la surface lisse qu’ils aiment se donner. Mais il en faut peu pour que la vérité éclate. C’est à Hasumi que reviendra le rôle du détonateur, fonction qu’il s’est lui-même attribué. Il saura alors, comme le chef d’orchestre d’un chaos qu’il a planifié et provoqué, le mettre en œuvre avec maestria.

      Une lecture qui s’adresse à un public averti, la plupart des tabous et des comportements déviants sont abordés avec une jouissance malsaine qui provoque même parfois une certaine gêne. Vous allez vous rendre compte que Hasumi va loin, très loin dans l’horreur. Plus qu’un simple cours, une démonstration.


      Belfond – 24 euros (parution le 25/08/2022)

    • L'illusion du mal - Piergiorgio PULIXI

      Nous retrouvons les deux enquêtrices Eva et Mara dont nous avions fait connaissance dans "L'île des âmes" alors qu'elles tentaient de résoudre une vieille affaire de meurtres rituels en Sardaigne.

      C'est à Milan que débute ce nouveau roman au moment où une vidéo devient virale sur les réseaux. Difficile d'ailleurs de rester insensible: elle montre un homme ligoté et c'est un criminel, un pédophile que la justice inefficace n'a pas pu mettre en prison. Il est demandé aux spectateurs de voter pour ou contre sa mise à mort. 

      Cette enquête est une véritable course contre la montre pour tenter de trouver un ennemi insaisissable, très habile sur la Toile. La vie, même celle d'un criminelle, ne peut être soumise à la vindicte populaire. Accompagnées par le criminologue Vito Strega, confrontées à des choix ou des sentiments parfois contradictoires, elles devront mettre en oeuvre tous leurs talents afin de découvrir le chef d'orchestre de cette mise en scène macabre.

      ATTENTION! Ce roman comporte des scènes particulièrement violentes. Ames sensibles s'abstenir!

      ATTENTION! Série addictive, personnages très attachants, il y aura d'autres tomes.


      Gallmeister - 

    • Vivance - David LOPEZ

      Le voyage comme source d’apaisement. Le sujet n’est pas nouveau dans la création littéraire, pour sa capacité à faire comprendre les aléas de l’existence, à permettre le rebond. C’est ce que va entreprendre le narrateur de « Vivance » lorsqu’il décide d’enfourcher « Séville », un vélo pas très performant, voire même un peu cabossé (comme son propriétaire) en tout cas bien éloigné des boulets de canons permettant d’enquiller les kilomètres avec facilité. Après un évènement climatique déstabilisant, englué dans un quotidien morne, le personnage principal monte sur son engin et part alors à l’inconnu sur la route. 

      A partir de ce moment, le hasard va devenir la norme, que ce soit pour les lieux traversés ou avec les personnes qu’il va croiser. Toute une palette de couleur de l’humanité va défiler comme le paysage, du misanthrope dépressif aux vieux isolés en passant par la serveuse aguichante jusqu’à l’incontournable champion cycliste auto-proclamé. 

      A chaque fois l’occasion de s’inventer une nouvelle vie, un nouveau métier, un nouveau passé et pourquoi pas un nouveau futur. Et sa facilité à rentrer dans la sphère intime d’individus en leur donnant le plus souvent ce qu’ils veulent entendre. Et se heurter à leurs propres parcours.


      Roman très intimiste, une atmosphère particulière (mélancolique et fataliste) avec des sauts dans le temps, comme pour rappeler les montées et les descentes du parcours cycliste qui se confondent avec la vie du narrateur. David Lopez parvient à dépeindre des personnages abimés, humains (trop humains) et son écriture est pleine d’émotion et de sensibilité. La métaphore du voyage en vélo pour exprimer la façon dont les humains se croisent sur la route de l’existence, avec un quotidien tragique de normalité, fait de tours et détours et bien souvent la fuite en avant pour le justifier. « J’ai un peu passé ma vie à la rêver, sans trop savoir de quoi. De liberté, de passion, d’amour, d’indépendance comme le premier blaireau venu. "Je ne sais pas comment on concilie la grandeur d’une ambition et sa banalité, surtout quand ça ne repose sur rien, juste des principes trop grands ".


      Seuil – 19.50 euros

      Parution le 19 août 2022

    • Les Presque Sœurs - Cloé Korman

      Entre 1942 et 1944, des milliers d'enfants juifs, rendus orphelins par la déportation de leurs parents, ont été séquestrés par le gouvernement de Vichy. Maintenus dans un sort indécis, leurs noms figurants sur les listes détenues par les préfectures, ils étaient à la merci de l'administration qui piochait dans ce « vivier » pour compléter les convois que les nazis exigeaient. 

      Parmi eux, un groupe de petites filles, Mireille, Jacqueline, Henriette, Andrée, Jeanne et Rose sont menées de camps d'internement en foyers d'accueil, de Beaune-La-Rolande à Paris. Cloé Korman enquête sur ces enfants, ces trois sœurs et leurs amies, trois cousines de son père avec qui il aurait pu grandir si elles n'avaient pas été assassinées. 

      C'est aussi une enquête sur les lieux, les traces concrètes de Vichy dans la France d'aujourd'hui : il est troublant de constater que nombre de bâtiments sont encore visibles, ripolinés et oubliés.

      Et c'est le récit de l'enfance, de cette période où les contes ont encore le pouvoir de transformer le réel, où l'espoir et les petites victoires rendent le quotidien supportable. 

      Un livre essentiel, encore un à ne pas négliger, un témoignage bouleversant : la cruauté des adultes, la force de ces enfants, leur solidarité et leur imaginaire sans limite, Cloé Korman revient avec un texte d'une force incroyable.


      Seuil - 19 euros

      parution 19/08

    • Le livre des sœurs - Amélie Nothomb

      « Les mots ont le pouvoir qu’on leur donne. »

      Années 80. Flaorent et Nora forment un couple fusionnel: rien ne les intéresse en dehors de leur bonheur. On leur prédit que cet état de grâce ne va pas durer, que les années vont user la passion, mais non, ils restent toujours aussi amoureux et l'arrivée du premier enfant n'y changera rien. D'ailleurs, ils la regardent à peine cette petite Tristane tant ils sont occupés à se regarder l'un l'autre. Elle sera sage puisqu'on le lui demande: surtout ne pas déranger le couple parental, pendant 5 ans elle va vivre en manque d'amour et développer des stratagèmes pour occuper son esprit curieux. La naissance de sa petite soeur, Laetitia, apparait comme un sauvetage. Elle va l'accueillir, s'en occuper, l'aimer au-delà de toute raison et elles vont former un duo en réaction au duo de leurs parents. On va suivre ces deux enfants jusqu'à l'adolescence, chacune portée par l'amour de l'autre, leur goût pour la musique et leur envie de fuir le désintérêt des parents qui ne les comprennent pas (et n'ont jamais cherché à le faire). 

      Si ce livre n'est pas autobiographique, précision de l'autrice, il raconte tout de même cette chance d'avoir été accueillie par une grande soeur et la force des liens qui l'unissent à elle. 


      Albin Michel - 18.90 euros

      parution 17 août

    • Rattrape-le! - Jake HINKSON

      Jake Hinkson est le fils d’un prêcheur baptiste de l’Arkansas. Il est l’auteur de « L’enfer de Church Street » que nous avions chroniqué et qui a remporté depuis le prix Totem des jeunes libraires 2022. Les deux obsessions de la jeunesse de l’auteur, à savoir la religion et le crime, sont de nouveau au centre de son nouveau roman. Dans une petite ville de l’Arkansas (tiens tiens…) Lily, tout juste 18 ans, est la fille du pasteur local. Elle est enceinte et afin de ne pas choquer les convenances, souhaite épouser Peter, le père de son futur enfant, lui-même issu de la communauté religieuse locale. Cependant la situation se complique lorsque Peter disparaît du jour au lendemain. Personne ne sait ce qu’il est devenu et la « communauté » imagine bien entendu que le courageux futur papa a simplement fui ses responsabilités. Lily par contre refuse d’adhérer à cette théorie. D’un naturel volontaire et tenace, elle va alors tout tenter pour faire la lumière sur cette soudaine disparition. Va-t-elle découvrir que Peter menait une double vie ? A-t-il été témoin de choses étranges dans l’hôtel dans lequel il travaillait et dont certains visiteurs paraissaient eux aussi assez inquiétants ? Lily va s’obstiner, se mettre en danger pour obtenir la vérité sur cette situation inconfortable qui jette l’opprobre sur sa famille et risque même de coûter la place de son père à la tête de la communauté ; il n’est jamais bien vu qu’un homme qui ne parvient pas à maintenir sa propre fille sur la bonne voie du seigneur soit en charge de guider les autres vers le salut de leurs âmes.

      Rythmé et original, ce nouveau roman de Jake Hinkson dissèque méticuleusement une petite communauté pentecôtiste et dresse un portrait au vitriol de ses membres et surtout des fausses apparences. Lily malgré son jeune âge est un personnage solide et obstiné, qui sera à même de remettre en doute ses plus profondes convictions et découvrir ce qui se cache derrière cette absence soudaine et incompréhensible. 


      A lire également de toute urgence L’enfer de Church Street dans la collection Totem (8 euros)

      Gallmeister – 24.40 euros

    • Les saisonniers - Munir HACHEMI

      Le scénario pourrait être celui d'un film: quatre jeunes passent leur été en France, espérant gagner un peu d'argent en se faisant embaucher pour  les vendanges. Tout ne va pas se dérouler comme prévu. D'abord la date des vendanges a été repoussée pour cause de mauvaises conditions climatiques, ensuite les petits boulots qu'ils enchaînent et l'incompréhension due à la barrière de la langue ainsi que les disparitions mystérieuses de certains ouvriers commencent à faire monter en tension l'atmosphère de ce roman. Écrit à partir d'une expérience personnelle, Les saisonniers est un récit politique. L'auteur y dénonce les coulisses sordides du capitalisme et le sort réservé aux travailleurs précaires en alertant sur les conditions concentrationnaires d'élevage des poulets, des canards en batterie ou sur la manipulation génétique des plantes. Surtout, ce jeune romancier espagnol, travaillant à une thèse sur Borges, nous fait part d'une réflexion pointue sur l'écriture, truffant son récit de références littéraires.


      À partir de notes prises sur le vif, l'auteur confronte, dès les premières pages, les idéaux de ses personnages à la dure réalité. Mais ce qui intéresse Munir Hachemi, c'est surtout la mise en perspective de sa narration: il intervient régulièrement au fil des pages, s'adressant au lecteur, s'interrogeant sur sa posture d'écrivain, navigant entre autobiographie et autofiction, se questionnant sur la façon de raconter un événement incroyable pour qu'il soit pris au sérieux et non pas considéré comme une exagération. 


      Les nombreuses références littéraires, cinématographiques et musicales rythment un texte non dénué d'humour mais tendu et violent qui ne peut pas laisser indifférent.


      Editions Stock - 19 euros

    • Lowreader tome 1 – COLLECTIF

      Après le regretté Doggybags qui était un hommage aux pulps et comics d’horreur des années 50, Run le directeur artistique du Label 619 nous revient avec son nouveau projet Lowreader édité chez Rue de Sèvres (après avoir fait les beaux jours d’Ankama). Cette nouvelle série s’inscrit parfaitement dans la continuité de son illustre prédécesseur avec au programme des dessinateurs et scénaristes issus de la Bd indépendante et plusieurs courtes histoires, entrecoupées de faits historiques et/ou contextuels, car on n’est pas là uniquement pour dévaler les pages comme si on se trouvait au volant d’une Cadillac sans frein au milieu d’une banlieue américaine ! On retrouve ainsi avec plaisir un univers teinté d’horreur, de trash, d’humour noir et parfois, il faut l’admettre, de mauvais goût. Pour ce premier recueil, trois récits : le premier nous donne l’occasion de rencontrer un groupe de « Hair metal » les Headbangers, tout droit venus des années 80, qui ont vendu leurs âmes de musiciens intègres en tournant une publicité pour un burger destinée à MTV ; forcément, après une telle faute de goût, le diable n’est pas loin. La seconde histoire nous entraîne au Japon où un dénommé Mr Sato a bien du mal à s’affirmer jusqu’au jour où il décide de se servir de l’imprimante 3D de son entreprise. Enfin, la troisième histoire rappellera de bons souvenirs aux lecteurs de Doggybags avec une jeune femme, pas vraiment du genre à se laisser faire, qui cherche à tout prix un remède pour sa fille mordue par une étrange créature. L’occasion de se confronter au « roi des enfers » et à sa meute de chiens enragés.

      Lowreader est donc la suite parfaite de Doggybags pour tout adepte de récits courts et d’histoires haletantes et décomplexées. Un bon exutoire de temps en temps, cela ne peut pas faire de mal…


      Label 619 (Rue de Sèvres) – 14.90 euros

    • Les fantômes de Séville - Didier TRONCHET

      Il y a des dates dont on se souvient toute sa vie : un mariage, une naissance, une réussite professionnelle ou scolaire. Le narrateur retient avant tout le 8 juillet 1982. Si cela ne vous dit rien, dans son panthéon mémoriel pourtant il s’agit du jour où tout a basculé : la défaite de l’équipe de France de football contre l’Allemagne en coupe du monde. Le match a été marqué par la sortie destructrice du gardien teuton Schumacher au-devant du français Patrick Battiston qui filait balle au pied et dont la rencontre se soldera par deux dents arrachées sans anesthésie et une commotion cérébrale pour le second nommé. Cela s’est passé à la 50ème minute. Et à la fin, ce sont les allemands qui ont gagné. Depuis, pour le narrateur, le doute persiste. Que ce serait-il passé si Battiston n’était pas rentré en jeu sept minutes avant la collision (presque) fatale et si le ballon était rentré dans la cage plutôt que d’aller mourir (complètement lui) à quelques centimètres du poteau ? Ce passionné (peut être un peu trop aux dires de sa femme et même de son fils qu’il gène souvent par son attitude le long de la ligne de touche lorsqu’il assiste à ses prestations), aidé par un ami journaliste, va partir à la recherche des protagonistes de l’affaire. Essayer d’enfin comprendre la présence de Battiston, défenseur de métier et positionné en attaque au moment de l’accident, et ce qui a pu entraîner la perte de ce match si important. Tenter de faire le lien avec la plongée (toujours d’après lui) du football français dans les ténèbres (malgré la victoire en championnat d’Europe 2 ans plus tard…mais qu’est ce qu’un championnat d’Europe en comparaison d’une coupe du monde ?) jusqu’à la rédemption de 1998. Une génération traumatisée, qui a besoin de savoir, comme aime à la répéter le narrateur (toujours peut être un petit peu trop passionné) 

      Les livres sur le sport, qui plus est le football, sont souvent assez difficiles d’accès pour les non-initiés, ceux par exemple qui ne sont pas abonnés à l’Equipe depuis trois générations. Dans son roman, Didier Tronchet s’attache surtout à la dimension psychologique de son histoire avec ce narrateur excessif. On frôle parfois la caricature sans pour autant tomber dans le cliché « bas du front ». Si cliché il y a, il est traité avec suffisamment de second degré pour rendre la lecture sympathique. On peut même déceler entre les lignes une véritable approche sociologique sur le rôle du sport sur le moral de la population d’un pays, comme a pu le matérialiser la victoire de l’équipe de France en 1998, qui avait créée une bulle (temporairement…) positive qui s’était diffusée dans l’ensemble de la société. Et sur ces petits riens qui changent tout. 

      Un roman sur le football intelligent, plein de finesse contrairement à la sortie catastrophique du gardien omis qui a tout simplement changé le cours de l’HISTOIRE !


      La fosse aux ours – 18 euros.

    • La peste sur vos deux familles – Robert LITTELL

      Robert Littell adapte à la manière russe la tragédie de William Shakespeare Roméo et Juliette. Dans son roman se déroulant dans les années 90, peu après la chute du mur de Berlin, Roman Timourovitch est de retour à Moscou après un bref exil en Angleterre. Il est le fils du redouté Timour le Boiteux, un parrain moscovite ayant survécu à des années d’enfermement dans les pires camps de prisonniers politiques de l’ex URSS. A la tête de son équipe de « Vory v zakone » (les voleurs dans la loi) il gère avec poigne ses affaires d’extorsion de fonds de commerçants et d’entreprises souhaitant « faire des affaires » à Moscou, en leur proposant sa protection, contre rétribution bien entendu. Il se plait à conserver un certain code d’honneur – relatif- alors qu’autour de lui le nouvel ordre économique auquel s’ouvre la Russie a entrainé une explosion de sauvagerie et de violence dans le monde du business. Son ennemi juré est Nahum Caplan qui règne sur le quartier juif de la ville et qui cherche à développer lui aussi ses affaires, en allant parfois marcher sur les plates-bandes de Timour. Une étincelle peut alors mettre le feu aux poudres, sous les yeux amusés et manipulateurs du ministère de l’intérieur qui voit plutôt comme une aubaine que les truands se débrouillent entre eux, avec si possible de nombreux morts de part et d’autre. D’une situation déjà tendue, la loi du Talion étant de mise, l’ambiance « shakespearienne » va prendre son essor lorsque Roman, fils de Timour, va faire la rencontre de Yulia, fille de Nahum ; et la littérature nous a déjà appris que généralement ce genre d’histoire ne se termine pas toujours de la meilleure façon…


      Robert Littell joue avec les codes à la fois du roman de mafia et ses recettes qu’il maîtrise à la perfection (lieutenants aux surnoms « poétiques » tels que Le Pou ou Travers de Porc, scénarii de vengeance et de meurtres alambiqués) et ceux de la tragédie avec un hommage appuyé à Shakespeare et de la difficulté de s’extirper de son milieu et de ses codes. Il dépeint également dans son récit une Russie corrompue, baignant dans les magouilles et tombant petit à petit dans les pires travers du capitalisme débridé. Pas certain que 30 ans plus tard, les choses aient évolué de manière très positive à ce sujet. Un roman qui se lit d’une traite et qui bien que très conventionnel s’avère savoureux de par son ironie et ses dialogue teintés d’humour désabusé.


      Flammarion – 21 euros

    • Trente jours d'obscurité -Jenny LUND MADSEN

      Hannah est une auteure danoise. De celles qui cisèlent leur texte, attachées à la qualité de l’écriture et qui obtiennent le plus généralement ce qu’on appelle pudiquement « un succès d’estime » : la critique est unanime mais le lectorat clairsemé. Jorn Jensen lui est son opposé, son némésis : il surfe sur le succès, sort ses livres à un rythme plus que soutenu, et Hannah le déteste, que ce soit en tant qu’auteur ou en tant qu’être humain. Poussée par son agent à se rendre à une convention littéraire, Hannah va disjoncter. Devant une foule ébahie, elle va invectiver Jorn en pleine interview promotionnelle pour son nouveau roman et lui déclamer ses quatre vérités. Remettant en doute son talent, elle annonce même qu’elle pourrait produire en à peine un mois ce que Jorn s’entête à sortir de manière régulière pour son public qui lui en redemande. A sa grande surprise, et même légèrement décontenancée, Jorn accepte son défi ! Hannah va donc devoir rapidement s’atteler à l’écriture d’un roman dont elle ne maîtrise pas les codes avec le risque de perdre la face devant son pire ennemie littéraire. Son agent flairant le bon coup marketing lui propose de se rendre en Islande (l’autre pays du polar…) pour s’isoler et se concentrer sur son écriture. Formidable initiative puisqu’à peine arrivée sur place, l’auteure de fiction va se heurter à la réalité : le neveu de sa logeuse est retrouvé mort en bord de mer. Bonne nouvelle : il s’agit très certainement d’un crime…

      Ce nouveau roman publié chez Gallmeister vaut d’une part par cette mise en abime savamment orchestrée par Jenny Lund Madsen et d’autre part pour le caractère « acidulé » d’Hannah. Cette femme farouche, à la langue acérée et aux idées bien arrêtées sur la conception de la littérature, entretenant des relations « difficiles » avec ses congénères, va devoir relever un double challenge entre l’écriture de son roman et la participation à une enquête qui s’annonce corsée. Et peut être apprendre certaines choses qui remettront en doute ses certitudes si profondément ancrées. 

      Un agréable moment de lecture que ce roman pour tout adepte de roman policier. Jenny Lund Madsen se joue des codes, des recettes du genre, se les approprie et leur donne un côté frais et ironique grâce aux caractéristiques de son personnage principal. On peut conseiller la lecture dans le même style du titre « Huit crimes parfaits » de Peter Swanson paru également chez Gallmeister dans la collection Totem.


      Gallmeister – 25.40 euros.

    • Toute une expédition - FRANZOBEL

      Avec son roman précédent : "À ce point de folie

      D'après l'histoire du naufrage de La Méduse", Franzobel nous entraînait aux frontières du supportable avec un style – précis, poétique, cru –  inimitable. La tension dramatique côtoyant avec l’ignoble nous plongeait au cœur du carnage.

      On retrouve ce style foisonnant et ce ton tragicomique dans ce roman-récit pour raconter la colonisation espagnole à travers l'exemple de l'expédition de Ferdinand Desoto en Californie en 1537.  Les personnages sont à la limite du burlesque mais quand on sait dans quelles conditions de crasse et de bêtise ainsi que l'immense appât du gain qui dévorait ces hommes, ce roman ne doit pas être bien loin de la réalité. On rit beaucoup, certaines réflexions anachroniques frappent l'imagination bref, Franzobel nous bouscule et nous embarque dans sa folie.

      « Frayant hors des sentiers politiquement corrects et jouant avec la conscience troublée de l’homme occidental, l'auteur livre une réflexion morale sur notre époque dans un roman d’aventures inoubliable. » (éditeur)

      Extrait :

      « Entre-temps, les Isabella avaient commencé à lui chanter les charmes de la troisième du nom, la sœur de Maria, Isabella Arias de Bobadilla y Peñalosa. Toujours ces noms espagnols à rallonge, on dirait qu’ils veulent remplir le pays avec. »


      Flammarion - 22.90 euros

    • Sam Shepard & Johnny Dark, correspondance 1972 – 2011. Traduction Dominique FALKNER

      L’exercice est toujours périlleux de s’attaquer à la lecture d’une correspondance ; crainte de ne pas saisir tous les tenants et aboutissants des échanges, de s’ennuyer dans des éléments qui perdent tout intérêt hors contexte. Or ici, dans cet échange épistolaire haletant habilement traduit par Dominique Falkner, on se laisse facilement happer par la colossale correspondance qui a duré plus de 40 ans entre ces deux hommes aux destins diamétralement opposés. D’un côté Sam Shepard, acteur américain de premier plan dans les années 70/80, qui s’est également fait remarquer pour ses talents d’écrivain (surtout des nouvelles) ou de metteur en scène pour le théâtre. De l’autre côté, Johnny Dark, un homme beaucoup moins médiatique qui a été…le beau-père (alors qu’ils ont à peu près le même âge) de Shepard lorsque ce dernier partageait la vie d’O-Lan Jones, la fille de Scarlett, la compagne de Dark. C’est par ce lien familial que tout a commencé, les Shepard/Dark vivant sous le même toit une dizaine d’années. Une passion commune pour la fête et les excès en tout genre (les deux hommes en reparleront souvent avec nostalgie tout au long des 40 années) qui s’arrête lorsque Shepard décide d’abandonner femme et fils pour recommencer sa vie avec l’actrice Jessica Lange. Malgré cet éloignement, les deux amis, qui se considèrent un peu comme des frères, continueront d’échanger régulièrement leurs réflexions sur leurs existences qui seront diamétralement opposées : Shepard vivra dans un univers « showbiz » tout en conservant une certaine fidélité au monde rural dont il est issu alors que Dark enchainera les boulots « alimentaires », devra s'occuper de Scarlett victime d'une rupture d'anévrisme à la fin des années 70, mais gardera tout de même l’espoir secret d’être publié un jour. 

      Par le biais de ces lettres, ce sont donc 40 années de réussite, d’échecs, de doutes, de désespoirs, dont il émane un profond respect entre les deux hommes. L’occasion pour eux de parler aussi de leur passion pour la littérature, Shepard s’avérant un inconditionnel de Becket alors que Dark voue une passion sans faille pour Kerouac, très certainement pour ce qu’il représente pour quelqu’un né dans les années 40, ayant connu les mouvements libertaires des années 60/70.

      Un beau témoignage d’amitié, une évolution émouvante (de la jeunesse à la maturité et la perte des êtres chers) une qualité d’écriture qui permet de lire l’ouvrage comme un recueil de mini-nouvelles. De nombreuses photographies et reproductions des lettres favorisent l’immersion dans la vie de ces deux personnages décidément dignes de figurer dans un roman.


      Médiapop Editions – 29 euros

    • Les gens des collines – Chris OFFUTT

      Dans ces fameuses collines de ce coin perdu du Kentucky où se déroule la nouvelle histoire de Chris Offutt, tout le monde se connait. On se côtoie ainsi parfois avec déférence mais le plus souvent avec méfiance et prudence car les rancœurs sont tenaces et franchissent sans peine la barrière des générations. Il n’est pas rare même de trouver un membre de sa famille, même éloigné et que l’on ne connait pas, dans de nombreux hameaux et maisons isolées dans ce coin aride où les bêtes sauvages sont chez elles. Mick Hardin est un enquêteur chevronné, opérant dans l’armée à travers le monde, qui profite d’une permission pour rentrer au pays et se rendre compte de la terrible réalité : la distance et les longues périodes d’absence ont favorisé le délitement de son mariage et ce alors même qu’il allait devenir père. C’est donc dans la cabane de son grand-père qu’il compte trouver le répit ou tout du moins l’oubli, à l’aide également d’une solide provision de bourbon. Mick va cependant devoir rapidement sortir de son apathie pour venir en aide à sa sœur Linda, fraichement promue schérif de la petite localité. Cette dernière doit faire face à son premier cadavre, une jeune veuve retrouvée au milieu de nulle part. Comme énoncé plus haut, la tendance de la localité est plutôt de laver son linge sale en famille et de rendre la justice de manière express et sans tergiverser. Les talents reconnus de Mick pour solutionner les cas les plus ardus ne seront pas de trop pour parvenir à ramener le calme au sein des esprits en ébullition. Sachant que pour couronner le tout, un notable local a trouvé le moyen de dépêcher un membre du FBI dans l’affaire de Linda, ce qui ne va pas favoriser la sérénité dans le déroulement de l’enquête.


      Après Nuit Appalaches, Chris Offutt nous offre une plongée dans l’univers âpres du Kentucky, lieu qu’il connait bien pour avoir grandi dans une ancienne communauté minière de l’état. Un roman dont les personnages sont souvent frustes et (con)sanguins. Bien qu’issu de la même communauté, Mick se révèle être un véritable intru ne serait-ce que par son approche « intelligente » et non « pulsionnelle » de l’affaire. Où comment un enquêteur, bien que lui-même blessé, va parvenir grâce à son savoir-faire et sa sensibilité à manœuvrer les différents protagonistes du drame pour parvenir à ses fins : éviter aussi bien un bain de sang que la destitution de sa sœur.


      Gallmeister – 22.50 euros

    • Le mage du Kremlin - Giuliano DA EMPOLI

      Vadim Baranov est un homme de l’ombre. Il l’est d’autant plus depuis qu’il s’est retiré du milieu – dangereux- dans lequel il nageait. Il a en effet accompagné au quotidien le maître du Kremlin, le Tsar comme il a l’habitude de l’appeler, Vladimir Poutine. Un français se met à sa recherche, intrigué par le personnage, et parvient à le débusquer. Baranov va alors accepter de se livrer à des confidences sur la façon dont Poutine est devenu la personnalité qui occupe une place centrale sur l’échiquier mondial. Pourtant l’homme ne payait pas de mine dans son costume de fonctionnaire à la tête de l’ancien KGB, mais que de chemin parcouru jusqu’au conflit tchétchène et dernièrement ukrainien avec la troisième guerre mondiale en perspective. Poutine a su utiliser son entourage, des oligarques pour la plus-part qui ont su profiter eux aussi des largesses de leur bienfaiteur mais qui jouaient aussi avec le feu tant « le tsar » peut se montrer impitoyable, même avec ses supposés proches.


      Bien que fictionnel, Vadim Baranov dépeint l’histoire de Poutine, la façon dont il a su gravir les échelons de la scène internationale, réalisant peu à peu son rêve de rendre la Russie de nouveau crainte et respectée, elle qui avait tant perdu de son aura avec la chute du mur de Berlin et la présidence d’Eltsine (juste bon à provoquer l’hilarité de Bill Clinton de par son alcoolisation en plein sommet international).


      Ce sont ces éléments qui sont expliqués dans ce roman, fortement inspiré de l’histoire (avec par exemple les disparitions opportunes d’opposants ou de proches tombés de leur piédestal) et s’appuyant sur l’expérience de l’auteur en tant que conseiller politique qui a connu lui-même les rouages du pouvoir. Ce dernier est ainsi à même de mettre en avant l’entourage des bêtes politiques, sauvages et imprévisibles, pour lesquelles aucune amitié n’est suffisante. Un homme tel que Poutine n’envisage que la domination sans partage et c’est son égo qui prend le dessus sur la loyauté ou la pondération. Un homme qui se croit providentiel et qui sous couvert de rendre la gloire et la prospérité méritées supposément par son peuple, écrase de manière impitoyable tous les obstacles se dressant sur son chemin funeste vers la postérité.


      Gallimard – 20 euros

    • Gaïa - Valérie CLO

      Une terrible tempête s'est abattue sur un monde écrasé par la chaleur. Cinquante ans après, une journaliste scientifique explore les ruines d'un village où elle découvre les lettres de 2 sœurs: Mel, enceinte, qui s'est réfugiée dans cette petite communauté non loin des montagnes et Laura, médecin qui a fait le choix de rester en ville pour soigner les malades de l'hôpital.

      Ces lettres racontent les angoisses et les questionnements des humains face aux éléments et aux conséquences de choix, ou de non-choix, faits depuis des décennies qui ont privilégié les profits à court terme au détriment du bon sens et du respect du monde qui nous entoure.

      "Devant la nature déchaînée, nous sommes devenus minuscules. Des petits riens qui s'agitent, avec, déposés à nos pieds, nos egos boursouflés."

      Dans ce court roman épistolaire, l'auteure évoque avec beaucoup de sensibilité, un monde crépusculaire dans lequel nos derniers appuis restent la solidarité et l'humanité, et à l'instar d'Eve Gabrielle dans son roman "La part cachée du monde", ces qualités ne peuvent s'exprimer qu'au sein de petites communautés et au contact d'une nature résiliente.

      Valérie Clo nous invite à faire un voyage dans la folie climatique qui nous guette aux côtés de deux personnages féminins bouleversants entraînés dans un chaos pourtant annoncé sans que rien ne fasse changer le comportement des Hommes. "C'est une triste chose que de penser que la nature parle et que le genre humain ne l'écoute pas." (Victor Hugo)


      Buchet-Chastel  - 16.50 euros

    • Une chambre au soleil - John BRAINE

      Ce roman, paru en 1957, a été un best-seller en Angleterre et aux Etats-Unis. Il a fait scandale car la sexualité trop libre et les personnages ni bons ni mauvais ont bousculé la société bien-pensante. 

      Il est question de Joe, jeune homme issu du milieu ouvrier qui refuse la place que la société lui a attribuée: il est prêt à tout pour gagner sa chambre au soleil. Il n'est pas né au bon endroit et il est persuadé que tous les moyens sont bons pour obtenir sa revanche. Il plaît aux femmes, il s'en servira pour avancer quite à leur briser le coeur, même si à ce jeu-là, il laissera quelques plumes et quelques rêves. Au risque de devenir l'équivalent de ces dominants obéissant aveuglément à un système qu'il déteste. 

      Transposition de Bel Ami dans l'Angleterre d'après-guerre, Joe, anti-héros au regard froid et lucide sur le monde qui l'entoure, dénonce les inégalités sociales et l'hypocrisie des relations humaines, car si tout semble lui sourire, intérieurement les tensions entre ses désirs et son intégrité le déchire. 

      Adapté au cinéma avec Simone Signoret (un Oscar + un prix d'interprétation + Golden Globe) le film est considéré comme un chef d'oeuvre de la Nouvelle Vague Anglaise.

      Un grand roman à (re)découvrir.


      Editions du Typhon - 20 euros

    • Le temps des grêlons - Olivier MAK-BOUCHARD

      Après l'émouvant et enchanteur premier roman "Le Dit du mistral", voici la nouvelle expérience de lecture d'Olivier Mak-Bouchard qui nous emporte dans un monde singulier: anticipation? science-fiction? Car un jour, les appareils photos, les caméras refusent d'enregistrer la présence des humains: fin des selfies et des souvenirs de vacances, et parmi toutes les suppositions évoquées pour expliquer un tel phénomène, la plus plausible est que le Nuage est plein, plein à craquer de nos données narcissiques et qu'il refuse d'en ingurgiter davantage. Si le monde ne s'arrête pas de tourner, la vie du jeune narrateur va s'en trouver bouleversée: en Provence, l'enfant naïf et rêveur qui nous raconte cette histoire, va voir les gens qui l'entourent et la société toute entière prendre un chemin inquiétant. Car un nuage de data, quand il déborde, renvoit sur terre des Grêlons, d'étranges individus qui semblent atterrir là où on les a pris en photo des années auparavant. Et bien sûr, ce phénomène s'amplifie créant bientôt une vague d'inquiétude: qui va payer pour  ces étranges personnes dont on doit s'occuper jusqu'à leur "illumination" pour qu'ils retrouvent le langage et un intérêt pour le monde qui les entoure? ne vont-ils pas prendre le travail des honnêtes gens? comment gérer les millions, les milliards de Grêlons qui vont atterrir quand le Nuage relâchera des données plus récentes? Ces interrogations font monter en puissance le parti des Frelons: eux, ils vont trouver une solution radicale pour faire face aux envahisseurs. Dans cette atmosphère lourde où les libertés individuelles sont mises à mal par des principes sécuritaires qu'on espérait d'un autre âge, le jeune héros de notre histoire, nourri à la Floraline et porté par l'amour infini de sa mère, est devenu adulte, prêt à assumer ses engagements.

      Une très belle surprise que ce roman: l'auteur nous invite à garder notre âme d'enfant face aux déchaînements (humains et numériques) de notre monde.


      Le Tripode - 19 euros

    • Pourquoi le saut des baleines - Nicolas CAVAILLES

      Ce court texte est un petit bijou de fantaisie poétique. C'est moins un essai sur les cétacés qu'une réflexion autour d'un mystère encore non élucidé du règne animal : pourquoi les baleines, dans une débauche d'énergie phénoménale, sautent au dessus de la surface des océans? Toutes les hypothèses formulées jusqu'à présent se heurtent rapidement à des contradictions réduisant à néant les explications utilitaristes à ce comportement.


      Parade impressionnante, jeu, chasse, aucun ne tient face aux observations étonnées et à la réflexion personnelle et poétique de Nicolas Cavaillès. Chercheraient-elles à échapper à l'ennui et à l'absurde de leur existence? L'auteur considère cette propension à s'évader de ce milieu liquide, qui pourrait les étouffer si elles ne venaient pas reprendre leur souffle à la surface, comme une victoire sur l'insupportable, l'expression de la conquête d'un instant de liberté. "N'étant par moment plus capable de supporter le contact étouffant de l'eau, elle sauterait en quête d'une échappatoire à son existence, pour fausser compagnie à son élément comme à autrui, pour un instant de solitude aérienne, de pause, de transcendance peut-être ou d'inconscience, et d'oubli".


      S'il liste toute une série de "parce que" (alors même que le titre oublie le point d'interrogation), l'auteur nous livre cette ultime, mais non définitive, conjecture pour : "se venger de la fadeur de l'existence".


      Plongez dans ces pages délicates, saugrenues, essentielles, pour se soustraire à la pesanteur ambiante.


      Editions du Sonneur - 14 euros


    • L'autre moitié du monde - Laurine ROUX

      Début des années 30, dans le delta de l'Ebre en Espagne. Sous un soleil implacable, une petite communauté de paysans exploités par des propriétaires terriens sans scrupules, se laissent tenter par le souffle de la révolte. Ils sont terrifiés à l'idée de perdre leur maigre moyen de subsistance mais la coupe est pleine et les discours révolutionnaires d'Horacio l'instituteur et de José l'avocat, font leur chemin dans les esprits usés et désespérés. Ce soulèvement, qui rejoindra bientôt celui de tout un pays, Toya, 14 ans, va l'entendre monter et bientôt y prendre part, laissant derrière elle son enfance insouciante. La colère et le violent désir de venger sa mère ne seront pas les seuls moteurs de son passage à l'âge adulte: la passion amoureuse et son attachement viscéral à la nature seront autant de force la poussant à agir. 


      Récit tragique dans lequel tous les sentiments sont poussés jusqu'à leur paroxysme, roman universel d'une humanité cherchant à se débarrasser du joug des oppresseurs, Laurine Roux nous entraîne dans cette histoire d'amour et de mort avec toute la puissance sensuelle et évocatrice de son écriture  qui plonge ses racines dans une nature foisonnante, vivante, mettant tous les sens en éveil. 


      Immense coup de coeur.


      Les éditions du Sonneur - 18 euros

    • Blanc Résine - Audrée WILHELMY

      Dans un couvent caché dans une forêt boréale naît un jour une petite fille: elle a 24 mères mais elle est fille d'Ina Maka, la Terre Mère. Elle grandit sauvage et libre, elle apprend les cycles et les lois de la nature. Les religieuses l'accompagnent sans rien lui imposer, même son prénom vient de la première syllabe qu'elle prononce: Daã.

      Non loin de la forêt, se trouve une mine de charbon, la Khole Co, qui attire et broie les hommes, leurs femmes et leurs enfants. C'est là que Laure, fils d'un mineur veuf, voit le jour; il est albinos et son père rêve pour lui d'un destin plus glorieux et ne lui laisse pas l'opportunité de se fondre dans le groupe en se noircissant le visage au charbon. Il va assister le médecin avant d'aller se former à la ville voisine, études payées par la compagnie contre 10 ans d'exercice à son retour, à soigner les blessures, à achever ceux dont la survie serait un fardeau. Ces 2 personnages si dissemblables vont se rencontrer, l'amour va les lier et des enfants vont naître. Mais si Laure a besoin de reconnaissance, Daã refuse de se plier aux lois des hommes; le choix de sa liberté aura un prix. 


      Roman inclassable, à la fois conte réaliste, drame romantique et fable féministe, Blanc Résine nous transporte dans un univers rude et troublant, au cœur de la nature. Une écriture qui vous happe et vous envahit, une plongée pieds nus dans la boue, la neige, les épines, les insectes volants, grouillants: un livre fascinant.


      Grasset - 22 euros


    • Les survivants - Alex SCHULMAN

      Par d'habiles alternances de lieux et de temps, Alex Schulman nous entraîne dans les tourments de l'enfance de trois frères entourés de parents dont les sautes d'humeur et les réactions improbables rythment leurs vies; tantôt fantasques et originaux, tantôt sombres et violents, l'alcool et la drogue ne sont pas étrangers à leurs dérives. Mais que s'est-il passé cet été-là dans la maison au bord du lac?

      Des années plus tard, les frères se retrouvent dans ce décor pour accomplir les dernières volontés de leur mère: répandre ses cendres au bord du lac.


      En maintenant une tension de bout en bout, l'auteur nous invite à une plongée en apnée dans le lac des souvenirs jusqu'à revenir au point d'impact qui a ridé la surface de l'eau. Un récit intense et sombre.


      Albin Michel - 19.90 euros - Parution 5 janvier 2022

    • La crève - Fréderic DARD

      Quand on pense à Fréderic Dard, c'est bien entendu aux ouvrages de San Antonio auxquels on pense tout de suite. Mais Fréderic Dard ce sont aussi des romans noirs et "La crève" est un bel exemple du talent de l'auteur pour saisir et retranscrire une époque tragique.


      Dans ce court récit, nous voici enfermés dans un huis-clos avec quatre personnes qui se sont réfugiées dans une chambre : une mère, un père et leurs deux enfants. Nous sommes à la fin de la seconde guerre mondiale et la posture de certains membres de cette famille n'est pas simple : le fils a été milicien et la fille est connue pour avoir collaboré avec l'occupant de manière charnelle. Autant dire que maintenant que la guerre est perdue par l'envahisseur allemand, l'avenir s'est considéramment obscurcie pour eux.


      Au fil des pages, c'est la notion de survie qui prend le dessus mais aussi un certain fatalisme par rapport à ce qui va leur arriver. Aussi des sursauts d'orgeuils, peut être des remords quand la défaite est pourtant manifeste...


      Un titre fort, très noir, loin de la gouaille de San Antonio avec des personnages finement ciselés.


      Pocket - 6.50 euros.

    • Capitaine Futur. L’empereur de l’Espace – Edmond HAMILTON

      Le nom du Capitaine Futur n’est pas très connu en France. En revanche, celui du Capitaine Flam l’est beaucoup plus pour toute personne née au tournant des années 70/80. Il s’agit bien de la même personne et il est bien certain qu’au fin fond de l’univers, à des années lumières de la terre, veille celui que le gouvernement intersidéral appelle quand il n’est plus capable de trouver une solution à ses problèmes, quand il ne reste plus aucun espoir. Et dans ce roman publié en France en 1967 (paru en 1940 aux Etats-Unis, réédité en 2017 par les éditions Le Bélial), c’est bien le capitaine Curtis Newton (Furtur/Flam) qui va devoir mener l’enquête et faire face à une pandémie (déjà !!!!!) qui frappe l’humanité. Cette dernière est consiste en un mal mystérieux qui fait régresser l'homme au stade du singe et met ainsi en danger sa domination du Système Solaire. Le mystérieux Empereur de l’Espace qui sévit sur Jupiter, là ou la maladie semble la plus active, n’est certainement pas étranger à cette menace mortelle.Accompagné par Simon Wright (un cerveau transféré dans une machine fonctionnant à l’énergie nucléaire), Grag, le robot métallique géant, Otho, l’androïde métamorphe et bien entendu la belle Johan qui fait partie de la police des Planètes, le Capitaine Futur sera bien épaulé pour mener à bien sa mission.


      Ce roman de science-fiction « pop corn », au style daté mais non dénué de charme, nous fait passer un bon moment de lecture dans un futur imaginé certes avec (beaucoup) de nucléaire et avec des préceptes d’une autre époque (le capitaine Futur comme archétype de l’homme blanc doté de facultés athlétiques et intellectuelles hors du commun, dominant et dominateur). Mais les péripéties s’enchainent, les rebondissements rebondissent et on parcourt les pages avec en tête cette petite mélodies du générique et la sérénité de savoir que quoi qu’il advienne, le Capitaine Futur/Flam nous sauvera !


      Le Belial – 14.90 euros

    • Johnny s’en va-t-en guerre – Dalton TRUMBO

      Joe Bonham est un jeune américain qui a été envoyé sur le front européen lors de la première guerre mondiale. Pour lui, le conflit s’est brusquement arrêté lorsqu’une explosion lui a fait perdre l’usage de ses bras et de ses jambes. Il a perdu également l’ouie, le goût, la vue et l’odorat, son visage ayant été également détruit. Il se retrouve donc isolé dans ce qui lui reste d’enveloppe corporelle, déduisant qu’il se trouve certainement dans un hôpital, une personne se chargeant de lui apporter les soins lui permettant de vivre, si on peut encore qualifier ainsi son existence. C’est donc ses pensées, tout ce qui lui reste finalement, que nous voyons défiler, entre souvenirs, expériences vécues et surtout son ressenti sur la guerre et son absurdité. On ne peut que constater son extrême solitude, son désespoir de ne pouvoir communiquer avec son environnement et ce malgré ses tentatives infructueuses.

      Ce roman a été publié au début de la seconde guerre mondiale et a été lu dans les meetings pacifistes pendant la guerre du Viêt-Nam. Il s’agit d’un manifeste désespéré contre les jeux de guerre, sur les belles paroles, idées, principes qui seront toujours trouvés pour justifier le pire. 

      Ecrit par un auteur engagé, Dalton Trumbo a tout d’abord travaillé dans le milieu du cinéma avant d’en être brusquement écarté et mis au ban de la société. Il faisait en effet partie des Dix d’Hollywood qui refusèrent de répondre à la question sur leur appartenance au parti communiste lorsque l’Amérique était obnubilée par le sujet. Après avoir été condamné à de la prison, il fût réhabilité et parvint même à sortir un film adapté de son roman en 1971. Le livre a aussi servi de référence à d’autres artistes, inspirant notamment les  paroles de la chanson « One » de Metallica. 

      Un roman à lire pour ne pas oublier ce qui se cache derrière les chiffres, les annonces prononcées froidement lors des comptes-rendus de conflits armés.


      Actes sud – 8.70 euros

    • La rivière des ténèbres - Buddy LEVY

      Buddy Levy nous fait vivre le récit de la plus extraordinaire exploration que les espagnols aient menée sur le continent sud-américain: la première descente du fleuve Amazone en 1541. Le violent conquistador Gonzalo Pizarro et son lieutenant Francisco Orellana partent de Quito à la recherche de La Canela, le pays de la cannelle et du légendaire El Dorado, « l'homme d'or ». À la tête d'une longue suite de mercenaires, d'indigènes réduits en esclavage, de chevaux, de cochons, de chiens de chasse, ils arrivèrent exsangues de l'autre côté des Andes et virent leur expédition prend une tournure cauchemardesque avant même d'entamer leur descente dans la jungle. Bientôt perdus dans un labyrinthe marécageux, voyant leur nombre diminuer chaque jour à cause de la maladie, de la famine, des désertions et des attaques indiennes, ayant mangé chiens et chevaux, Pizarro et Orellana prennent la décision fatidique de se séparer. Orellana et cinquante-sept hommes poursuivront leur descente pour chercher des vivres. Jamais ou grand jamais ils ne se doutaient qu'ils allaient traverser un continent et rejoindre l'océan. Les détails et les rebondissements de cette incroyable traversée, Buddy Levy nous les présente avec un sens du récit qui nous tient en haleine jusqu'au bout de cette épopée dans les étendues inconnues et cruelles de l'Amazone, au son des tambours de guerre indigènes et des cris des prédateurs exotiques. Il dresse le portrait d'un humaniste curieux des hommes qu'il rencontre, apprenant leur langue quand il le peut mais ne perdant jamais de vue les intérêts de la couronne d'Espagne.


      Editions Paulsen - 22.50 euros

    • Je suis les ténèbres - Joseph DENIZE

      1888. Jan Kurtz, jeune belge aventureux, embarque pour le Congo : sa mission officielle est de rédiger un rapport sur les « bienfaits » de la colonisation. Son but non avoué est de faire fortune, au nom de la couronne, en exploitant l'or blanc (les défenses d'éléphants). Il a laissé derrière lui une Virginia dont on ne saura rien si ce n'est qu'il lui voue un amour éternel et il s'enfonce dans les profondeurs d'une forêt inexplorée après avoir quitté les comptoirs où les colons se donnent une légitimité en pratiquant des sévices cruels sur les indigènes. Sa rencontre avec James Moreau, naturaliste britannique va marquer un tournant dans son exploration : aventure, épouvante, fantastique seront au cœur de cette descente envoûtante dans le ventre de la jungle, aux racines des mythes de la création du monde.


      Julliard - 19 euros

    • Le paquebot - Pierre ASSOULINE

      C'est le tableau d'une époque que nous propose l'auteur dans ce roman. C'est en 1932 qu'appareille le Georges Philippar, splendide paquebot à bord duquel s'installe un groupe de personnes dans une ambiance de luxe et de désinvolture.

      La croisière débute à Marseille pour rejoindre le Japon et parmi les passagers, personnalités réelles ou imaginaires, se trouve le grand reporter Albert Londres. Le narrateur, bibliophile, observe un peu en retrait, les jeux de séduction entre les passagers et surtout écoute les conversations de ces messieurs, au fumoir, conversations qui tournent essentiellement autour de la situation de l'Europe et de la montée du nazisme. Les divisions apparaissent clairement et les tensions s'exacerbent; de plus, les problèmes techniques et les avaries inquiètent, le naufrage du Titanic est dans toutes les mémoires. La catastrophe survient une nuit: quarante-neuf passagers, dont Albert Londres, sur cinq cents vont périr dans un incendie que le capitaine n'a pu circonscrire faute de réactivité semble-t-il. Complot? Erreur humaine? Plusieurs explications seront évoquées mais on peut surtout y voir un avant-goût du naufrage que va connaître l'Europe.

      Un roman foisonnant sur une période troublée, une ambiance saisissante et des discours dont les mots résonnent dangereusement aujourd'hui. 


      Gallimard - 21 euros

    • Les locataires de l'été - Charles SIMMONS

      Le tableau est brossé en une première phrase: le narrateur explique que cet été-là il est tombé amoureux et son père est mort noyé. Ce court roman d'apprentissage commence comme une chronique estivale, en bord de mer: Michael vient passer l'été comme chaque année avec ses parents dans la maison dont sa mère a hérité. Son père a loué le pavillon voisin à une femme et sa fille Zina. Michael a 15 ans, Zina 20 et pour le jeune homme c'est un coup de foudre mais Zina, bien qu'affectueuse, ne répond pas à ses sentiments.

      Ce joli roman n'est pas sans rappeler "Premier amour" de Tourgueniev cependant cette histoire est loin d'être le récit d'une bluette d'été: on comprend rapidement que les tourments des personnages sont bien ceux des adultes et que l'été les verra passer puis disparaître vers d'autres horizons. C'est beau et triste, le paysage et les humeurs de l'océan accompagnent les soubresauts des sentiments: le titre d'origine Salt Water contient les larmes et l'amertume d'une saison qui apporte le changement, l'adieu à l'enfance et à l'innocence. 


      Phébus - 8.30 euros

    • Le serpent / La maison des jeux T1 - Claire NORTH

      Venise au 17ème siècle. Thene est une jeune femme qui accompagne souvent son conjoint dans un établissement appelé « La maison des Jeux » dans lequel il perd plus que de raison. Thene quant à elle parvient à tirer son épingle du jeu et se faire remarquer pour ses talents de stratège. Elle est donc invitée à franchir les paliers pour atteindre « la haute loge » de l’institution, un cercle qui n’est ouvert qu’aux joueurs à haut potentiel. A ce niveau, ces derniers deviennent les représentants d’un personnage important dans le but de jouer un rôle dans la conquête du pouvoir du champion qui leur a été désigné. Bien loin d’un jeu de plateau classique, il s’agit alors de jouer avec de vraies personnes et combattre par tous les moyens (la violence et la mort n’étant pas interdits) les autres adversaires qui s’inscrivent dans le même objectif : faire triompher leur candidat. De son piédestal, la Maîtresse des Jeux, qui dirige toute cette communauté, tir les fils et poursuit son ambition de maîtriser l’ordre du monde. Tout ne serait alors qu’un immense jeu de rôle où tout se décide et se manipule selon son bon vouloir.

      Intrigante histoire que ce roman, dépeignant un monde « fantastique » où chacun peut être acheté, faire partie d’une stratégie de jeu et dont Machiavel aurait été un redoutable participant. Le serpent est le premier tome d’une série de trois histoires qui vont pouvoir se lire de manière indépendante, bien que tout de même fortement liées. 

      Une histoire complexe et riche, des éléments d’intrigue qui se démêlent au fur et à mesure dans un récit bien mené et le jeu comme explication possible à la marche du monde. (et peut être finalement pas si éloigné de la réalité?)

      Le Bélial – 10.90 euros




    • 2034 – Elliot ACKERMAN/Amiral James STAVRIDIS

      Tout commence le 12 mars 2034 à 14 :47 (GMT+8). En mer de Chine Méridionale, Sarah Hunt, commodore d’un escadron de destroyers américain aperçoit une fumée s’échappant d’un navire. Bien qu’étant sur le fil du rasoir et située dans une zone chinoise, elle décide de se dérouter pour aller jeter un œil à l’embarcation qui semble en bien mauvaise posture. Ce qui paraissait un navire « civil » abrite dans ses cales du matériel fortement suspect. Au même moment, le major Chris « Wedge » Mitchell survole le détroit d’Ormuz, reliant le golfe Persique au golf d’Oman. Fils et petit-fils de pilote, il est aux commandes d’un précieux F 35 de l’armée américaine, équipé des dernières avancées technologiques lui permettant une furtivité le rendant théoriquement invisible à tout appareil de détection. Tout va pour le mieux jusqu’à ce que son appareil devienne autonome, laissant Wedge passager de son propre avion. Hunt et Mitchell, à quelques milliers de kilomètres l’un de l’autre sont les premiers témoins des ingrédients qui pourraient marquer le début de la troisième guerre mondiale. 


      Roman qui interpelle en cette période de conflit qui vient de débuter entre la Russie et l’Ukraine, dans la façon dont les nations impliquées dans cette histoire naviguent entre escalade et désescalade, compromis et tentatives pour calmer un jeu trop dangereux, mettant en péril l’humanité toute entière. Ecrit à quatre mains par le romancier Elliot Ackerman et l’amiral James Stavridis, spécialiste militaire, ce thriller d’anticipation est glaçant. Chaque chapitre est découpé en « instants » définis par le jour de l’action et son horaire, les éléments s’enchainent et démontrent que les opérations militaires peuvent suivre rapidement une courbe dramatique. En plus d’aborder des conflits géopolitiques plausibles, le roman met en avant le danger pour les nations qui se croiraient protégées par leur supposée maîtrise de la technologie. Les hommes aux commandes sont aussi bien entendu des facteurs aggravants, leur soif de pouvoir et leur folie se mêlant allègrement.


      Plus qu’une histoire d’anticipation, le contenu de ces pages donne une vision plausible de ce qui pourrait arriver à plus ou moins long terme et rend donc sa lecture d’autant plus troublante.   


      Gallmeister – 23.80 euros

    • Histoire navrante de la mission Mouc-Marc - Frédéric SOUNAC

      1898. Firmin Falaise, fonctionnaire ambitieux, convaincu de la mission civilisatrice des Occidentaux et des bienfaits de la colonisation, est autorisé à organiser une expédition dans la région du fleuve Niger, territoire appartenant à la France. Une expédition à visée culturelle et hautement raffinée : apprendre à de jeunes garçons africains, à jouer des morceaux de Haydn, Bach, Beethoven. De quoi sortir ces sauvages de l’ignorance et les éveiller à l’art complexe et supérieur de la musique, la vraie.

      Violoncelles, violons, les instruments du futur quatuor qui démontrera bientôt que le dévouement de l’homme blanc fait des miracles, sont escortés par une colonne d’hommes en armes sous le commandement du capitaine Mouc-Marc, fin mélomane et musicien de talent, jusque dans le Dahomey. 

      Après un voyage éprouvant, ils s’installent dans le village prévu et montent leur petit conservatoire : les élèves sont volontaires et travailleurs, les débuts sont prometteurs. Cependant, les mauvais instincts des soldats et la pression qu’exerce Mouc-Marc sur les élèves vont rapidement faire basculer le fragile équilibre : la violence va se déchaîner et entraîner tout ce petit monde au cœur des ténèbres.

      Avec un humour féroce, Frédéric Sounac dénonce les aberrations, le mépris et les extravagances jusqu’à l’absurde, du système colonial. 


      Editions Anacharsis - 14 euros

    • Mary - Dominique LANNI

      Il est attesté qu'au cours de l'histoire, divers animaux aient été jugés et condamnés à l'instar des hommes pour leurs crimes ou leurs délits : cochons, chiens, vaches etc. Le procès de Mary, une éléphante, a été expéditif : il faut dire que l'on est au début du 20ème siècle dans le sud des Etats-Unis, où on pendait pour un oui pour un non les escalves et que ce spectacle réjouissait les foules. 


      En 1916, le cirque "Sparks World Famous Shows Circus" arrive dans une petite ville du Tenessee et les gens se précipitent pour voir " la plus grande bête vivante sur terre". Mais depuis quelques jours, Mary subit les mauvais traitements d'un homme nouvellement embauché qui cherche à imposer sa volonté aux animaux de manière violente. La veille, l'éléphante lui avait pourtant signifié de manière musclée que les coups de bâton distribués allègrement n'étaient pas de son goût. Malgré cela, il persisite et en plein spectacle, Mary se retourne contre son bourreau et lui écrase la tête. On réclame immédiatement sa mort et après quelques hésitations sur la manière de s'y prendre pour un animal de cette taille, il est décidé de la pendre à une grue.


      Fait divers sensationnel à l'époque dans cette région rurale et ségrégationniste, ce récit épouvantable met en lumière toute la cruauté des humains envers les animaux. 


      Edition Arthaud - 16 euros


    • L’un des nôtres – Larry WATSON

      Au début des années 1950, George et Margaret Blackledge doivent faire face au deuil, leur fils étant décédé à la suite d’une chute de cheval. Ils se trouvent de nouveau désemparés lorsque c’est leur petit-fils qui disparaît. Ce dernier n’a pas connu un sort funeste mais a été emmené par leur belle-fille, qui s’est remariée depuis peu. Son nouveau conjoint, Donnie Weboy, fait partie d’une famille précédée d’une sordide réputation, malheureusement avérée, une sorte de clan de truands, impliqués dans les pires combines et dont même les autorités se méfient. Ils agissent en toute impunité et font régner la terreur dans la région du nord-ouest américain où ils vivent retranchés sur leurs terres. C’est de manière désespérée, en mémoire de leur fils, que les Blackledge vont tout de même essayer de ramener à la raison leur ex-belle-fille et ainsi récupérer par la même occasion leur petit fils. L’expérience de George, ancien sherif sera-t-elle pour autant suffisante pour affronter la cruauté et le potentiel de nuisance de la lignée Weboy ?


      Un roman noir, digne d’un road-movie, qui nous emmène dans les tréfonds du nord-ouest américain, là où le sens de la famille, la perpétuation des racines, donnent lieu à des conflits cruels. C’est ce combat que ces deux familles vont se mener avec pour fil conducteur la conservation de l'unité du giron familial et ce quoi qu’il en coûte. 

         

      Gallmeister – 23.20 euros

    • Le cavalier de la nuit – Robert PENN WARREN

      Au début du XXème siècle, les producteurs de tabac indépendants du sud des Etats-Unis ont bien du mal à survivre face aux grands trusts qui leur imposent (déjà) des conditions d’achat ne leur permettant pas de vivre décemment. Percy Munn, le personnage principal du roman est un avocat qui possède lui-même une exploitation. Il est amené à assurer la défense d’un homme qui en aurait tué un autre pour une sombre histoire de captation d’eau. Il côtoie alors les notables de la localité du Kentucky où se déroule l’intrigue. Ces derniers décident d’affronter les trusts et pour cela créer une association permettant de regrouper les petits producteurs et leur donner ainsi la force du nombre pour faire valoir leurs conditions tarifaires. Difficile pour autant de convaincre suffisamment de membres pour gagner en légitimité et de faire bouger les lignes. Certains dirigeants de l’association vont alors choisir l’approche radicale : les mots ne suffisant plus, les cavaliers de la nuit comme ils se nomment, seront chargés de faire entendre raison par la destruction et le feu aux récalcitrants. Percy va être lui aussi entrainé dans ce mouvement et voir ses idéaux de justice et d’équité chamboulés.

      Il s’agit donc bien d’un roman a teneur historique qui nous est proposé dans cette nouvelle traduction d’un titre publié en France en 1951. Robert Penn Warren donne une grande dimension psychologique dans l’approche des meneurs du mouvement et surtout de l’effet de groupe sur l’individu. A la violence économique vient se substituer la violence physique lorsque le désespoir et la pression font tomber les dernières limites. 

      L’auteur, peu connu en France malgré ses trois prix Pulitzer précisait en avant-propos qu’il souhaitait brosser un tableau du pays et du peuple, de dégager les forces, sociales et individuelles, qui ont poussé les gens à agir et de montrer les conséquences de leur action. Il nous donne un instantané du début du XXème siècle, avec un peuple américain toujours déchiré par des tensions entre noirs et blancs, entre entrepreneurs et petits producteurs et cette violence profondément ancrée dans le fonctionnement de sa société.   


      Séguier – 22 euros.


    • Azincourt par temps de pluie - Jean TEULE

      Azincourt, un joli nom de village, le vague souvenir d’une bataille perdue. Ce 25 octobre 1415, il pleut dru sur l’Artois. Quelques milliers de soldats anglais qui ne songent qu’à rentrer chez eux se retrouvent pris au piège par des Français en surnombre. Bottés, casqués, cuirassés, armés jusqu’aux dents, brandissant fièrement leurs étendards, tout ce que la cour de France compte d’aristocrates se précipite pour participer à la curée. Ils ont bien l’intention de se couvrir de gloire, dans la grande tradition de la chevalerie française. Aucun n’en reviendra vivant. Toutes les armées du monde ont, un jour ou l’autre, pris la pâtée, mais pour un désastre de cette ampleur, un seul mot s’impose : grandiose !

      Avec la verve qu’on lui connaît et son sens du détail qui tue, Jean Teulé nous raconte

      ces trois jours dantesques où, sous une pluie battante, des milliers d’hommes se sont massacrés dans un affrontement sanglant d’autant plus désastreux que cette bataille était parfaitement inutile.


      Mialet Barrault - 19 euros  Parution 2 février

    • Anne de Windy Willows - Lucy Maud MONTGOMERY

      Et voici le 4ème tome très attendu des aventures d'Anne Shirley.

      Anne est nommée proviseure du lycée de Summerside, une petite bourgade de l’Île-du-Prince-Édouard, au bord de la mer. Elle va vivre pendant trois ans dans une petite pension, Windy Willows (le nom est déjà très prometteur pour l'esprit rêveur de la jeune femme) et les personnages qu'elle va côtoyer seront les sujets de la correspondance, abondante, rafraichissante, qu'elle entretient avec son fiancé, Gilbert, étudiant en médecine.

      On retrouve tout l'humour, la spontanéité, la bienveillance et l'espièglerie d'une Anne bien décidée à faire de sa vie le rêve qu'elle a imaginé.

      Entre roman épistolaire et narration classique, tout le charme de l'écriture de Lucy Maud Montgomery se met au service de cette histoire poétique et nostalgique où se révèlent peu à peu les contours d'une personnalité indépendante et bienveillante.

      Le prochain tome « Anne et la maison de ses rêves » paraît en juin. 


      Monsieur Toussaint Louverture - 16.50 euros

    • Scarlett - François-Guillaume LORRAIN

      Publier le roman-fleuve de Margaret Mitchell était déjà une gageure, mais faire d’Autant en emporte le vent un film était pure folie. Des centaines de décors, de costumes et d’acteurs pour un film d’une longueur invraisemblable : un défi qui aurait pu ruiner David O. Selznick, son producteur mégalomane, bien décidé à réussir « le plus grand film de tous les temps ». Par-delà les tractations cocasses, les difficultés d’adaptation et les imprévus en tous genres, une question centrale s’invite au cœur des débats qui agitent les États-Unis : qui pour incarner Scarlett ? Trois années à voir défiler un bal d’actrices parmi les plus célèbres comme des milliers d’inconnues qui participent à ce casting homérique.

      Trois années où, à l’ombre des paillettes, Hattie McDaniel doit faire accepter à la communauté noire qu’elle préfère jouer le rôle d’une domestique plutôt que d’en être une.


      Dans ce roman trépidant, François-Guillaume Lorrain fait revivre les affres, les plaisirs et les jours des protagonistes de cette aventure qui marqua l’âge d’or d’Hollywood : le moralement douteux David O. Selznick, la très obstinée Vivien Leigh, le flegmatique Clark Gable, et Hattie McDaniel, la première interprète noire oscarisée pour le rôle qu’on lui reprochait pourtant d’endosser.


      Flammarion - 20 euros

    • L'affaire Rambla ou le fantôme de Ranucci - Agnès GROSSMANN

      Une nouvelle collection débute aux Presses de la Cité en 2022, « Intime Conviction », consacrée aux faits divers. Elle est dirigée par un spécialiste des affaires criminelles, Nicolas Bastuck, rédacteur en chef Société au Point. Chaque ouvrage de cette collection racontera un fait divers, tout en tentant de faire revivre le réel d’une époque. Les auteurs de ces textes sont des journalistes, spécialisés dans les enquêtes judiciaires et affaires criminelles.

      3 juin 1974, Marseille. Marie-Dolorès Rambla, huit ans, est enlevée sous les yeux de son petit frère puis retrouvée morte deux jours plus tard, le corps lardé de coups de couteau et le crâne fracassé. Pas de trace de violences sexuelles, aucun mobile. Un meurtre gratuit pour lequel le jeune Christian Ranucci sera jugé, condamné puis guillotiné en 1976. Derrière le récit minutieux de l’affaire « du pull-over rouge » et les débats houleux sur l’erreur judiciaire et la peine de mort, il y a le destin du frère de Marie-Dolorès : Jean-Baptiste Rambla, qui tuera deux fois, deux femmes, à treize ans d’intervalle, sa patronne en 2004 et une jeune inconnue en 2017. 


      Agnès Grossmann reconstitue parfaitement l’une des affaires criminelles qui ont le plus marqué la société française et le parcours tragique d’un homme et d’une famille, disloquée par la perte et le chagrin, emportée dans la tourmente judiciaire, politique, et la machine médiatique. 


      Concis, humain, passionnant, L’affaire Rambla ou le fantôme de Ranucci raconte un destin et retrace toute une époque : les années 1970, la France de Giscard en pleine mutation, et le débat essentiel sur la peine de mort qui suscitait les passions, jusqu’à son abolition. 


      Les Presses de la Cité - 19 euros

    • L'heure de plomb - Bruce HOLBERT

      Un soir de 1918, dans le nord-ouest américain, une effroyable tempête se produit. Les températures déjà hivernales chutent rapidement de vingt-quatre degrés et un mètre quatre-vingt de neige s’amasse sur la terre durcie. Luke et Matt sont des jumeaux, âgés de quatorze ans, qui se retrouvent coincés par le climat alors qu’ils rentraient chez eux. Linda Jefferson, l’institutrice de la localité s’armant de courage, parvient à les retrouver alors que les éléments se déchainent et les ramène dans la chaleur relative de l’école. Allant puiser dans les derniers retranchements de la pulsion vie, un seul de deux frères va survivre, marqué et traumatisé par ce sauvetage désespéré. Toute sa vie durant, on peut penser que cet élément déclencheur va influencer son destin qui sera marqué par des choix de vie aléatoires, rencontrant au fil du temps rancœurs et une profonde sensation d’acte manqué.


      Le récit de Bruce Holbert va couvrir la période 1918/1960 et c’est une galerie de personnages renfrognés, incapables le plus souvent d’exprimer ce qu’ils ressentent que nous allons observer. La violence, sous toutes ses formes, va aussi jouer un rôle dans l’émancipation, voire la rédemption des protagonistes, comme s’il s’agissait de la seule réponse à apporter à celle déchaînée par la nature qui les a plongés dans le chaos ce jour de tempête.


      Un roman « dur » avec certains passages difficilement soutenables mais une belle réflexion sur la culpabilité, la difficulté pour exprimer ses sentiments ; la cupidité et l’orgueil également. Au final des phrases qui restent en tête : « la naissance est un processus très violent, madame. La vie aussi, répondit-elle ».


      Gallmeister Totem – 10 euros

    • La France goy - Christophe DONNER

      Depuis toujours hanté autant qu'émerveillé par le destin de son grand-père Jean Gosset, mort en 1944 au camp de concentration de Neuengamme, Christophe Donner poursuit, avec ce roman d'autofiction, son enquête familiale.


      Il s'intéresse cette fois aux parents de son héros de grand-père, pour comprendre pourquoi cet homme s'était lancé dans l'aventure de la Résistance, avant de "mourir comme un juif". Les archives familiales vont se révéler être un trésor: vingt ans de correspondance, de journaux intimes, de coupures de presse lui permettant de retracer la vie d'Henri Gosset, père de Jean, qui arrive à Paris en 1892 (il a 16 ans). Tous ces documents qui évoquent pour nous la grande Histoire, n'étaient pour lui que les soubresauts d'une actualité ne l'ayant pas empêché de gravir l'échelle sociale, (passant du statut de palefrenier à celui de kinésithérapeute). L'auteur nous ramène aux origines de l'antisémitisme fabriqué par Edouard Drumont avec son livre "La France juive" paru en 1886, le best-seller de l'époque. Les débuts du journal "La libre parole" permet à Drumont de faire éclater le scandale de Panama. Et quelques mois plus tard, c'est dans ce journal que cet odieux personnage, dénonçant la présence de Juifs dans l'armée française, posera les jalons de l'affaire Dreyfus. L'antisémistisme a prospéré dans les journaux dont la liberté de parole a dérivé jusqu'à répandre d'abjectes contre-vérités, manipulant l'opinion des masses conduisant l'Europe à la guerre.


      Pendant ce temps, Henri Gosset côtoie Léon Daudet, très proche de Drumont, qui lui fait rencontrer le docteur Bérillon, ancien élève de Charcot, avec qui il va fonder l'Ecole de psychologie, discipline très en vogue. A côté de ce trio, il y a une femme, Marcelle Bernard (arrière-grand-mère de l'auteur), institutrice portée par l'idéal anarchiste incarné à ses yeux par Miguel Almereyda, de son vrai nom Eugène Bonaventure Vigo (père du cinéaste Jean Vigo).

      Elle épouse Henri Gosset, l'ancien palefrenier devenu "professeur de psychologie du mouvement", antisémite ordinaire et patriote. C'est de leur union contradictoire que naît Jean, héros de la résistance et martyr de la déportation.


      Un roman fleuve, éclairant et passionnant sur une période qui fait étrangement (et de façon inquiétante), écho à la nôtre. 


      A lire en miroir: D. de Robert Harris


      Grasset - 24 euros

    • Western Star – Craig JOHNSON

      Walt Longmire, le personnage de shérif crée par Craig Johnson au début des années 2000 est de retour. Et du temps qui passe, il va en être question dans ce nouveau roman qui va alterner des phases entre l’époque actuelle et le début des années 70. De nos jours, un Longmire devenu grand-père, shérif reconnu et respecté, doit témoigner pour éviter la libération pour raison de santé d’un criminel condamné à la prison à perpétuité. Dans les années 70, c’est un Longmire alors simple adjoint du shérif Lucian Connally, tout juste revenu du Vietnam, qui s’apprête à monter à bord du Western Star, un train à vapeur en fin de carrière, pour un voyage qui transporte l’ensemble de shérifs du Wyoming à leur congrès annuel. Or ce périple va vite se transformer en un épisode meurtrier, digne du Crime de l’Orient Express d’Agatha Christie (titre que fera même lire un Craig Johnson connaissant ses classiques à son héros pendant le voyage), sur fond de vagues de crimes inexpliqués (pour lesquels certains shérifs ne seraient peut-être pas étrangers…). Bien entendu, les deux affaires sont liées et le lecteur va devoir mettre à contribution ses talents d’enquêteur pour essayer de démêler l’écheveau que Craig Johnson s’est fait un malin plaisir de nouer.


      On retrouve avec délectation les personnages charismatiques élaborés avec brio par l’auteur dans cette intrigue policière fort bien ficelée. On sent la pression monter au fil des pages et nous voici emportés comme cette locomotive Western Star propulsée à plus de 150 kms/heure. Une fois lancé, il est bien difficile de ne pas succomber à l’envie de percer le mystère de ces incartades temporelles en se rendant directement aux dernières pages de l’ouvrage. Ce serait vraiment gâcher un final terrible ! 


      Gallmeister – 23.80 euros

    • L'étrange traversée du Saardam - Stuart TURTON

      En 1634, un navire marchand le Saardam s’apprête à quitter Batavia dans les Indes orientales pour rejoindre Amsterdam. A son bon bord, des notables et notamment le gouverneur général Jan Haan accompagné de sa femme Sara et de sa fille Lia. Il a été convoqué par le « Gentlemen 17 », une organisation qui gère le bon fonctionnement des affaires fructueuses entre l’Europe et l’Indonésie (notamment le commerce d’épices). La cargaison du Saardam est quelque peu différente de l’habitude puisqu’il a été chargé en plus des marchandises classiques d'éléments surprenants : tout d’abord une caisse contenant « La Folie », un secret dont très peu de personnes connaisse la réelle nature. D’autre part, se retrouve également en fond de cale Sammy Pips, enfermé pour une raison là aussi ténébreuse. Ce célèbre détective, accompagné de son compère Arent, qui lui, restera libre de ses mouvements, va devoir ronger son frein alors que la situation se détériore rapidement sur le navire. Pourtant, les voyageurs avaient été avertis par un lépreux au moment de l’embarquement. Avant de disparaître rongé par les flammes, il avait prédit que « tous ceux qui montaient à bord du Saardam connaîtraient une fin impitoyable ». La menace va vite être mise en pratique parmi les membres de l’équipage et un mystérieux dessin accompagnera les méfaits qui vont s’enchaîner une fois en mer : un œil doté d’une queue. Le symbole d’Old Tom, un démon dont la légende prétend qu’il est impossible d’échapper une fois une fois ce dernier à vos trousses. Sammy Pips entravé, c’est donc Sara et Arent qui vont devoir se charger de la poursuite du démon pour que le Saardam ne se transforme pas en vaisseau fantôme.

      Huis-clos haletant et claustrophobique à souhait que cette étrange traversée du Saardam, dans laquelle on va déambuler de la Sainte Barbe jusqu’au gaillard d’avant en ne pouvant que constater la panique et la détresse de ces voyageurs pris au piège d’Old Tom et de ses maléfices. 

      Stuart Turton, une fois son histoire terminée, nous invective en espérant que nous avons passé un agréable moment avec ses personnages et tient à insister sur le fait « qu’un livre est ce qu’on décide qu’il est ». Il est donc difficile de classer ce roman (historique ? polar ? fiction horrifique ?) mais fortement conseillé de le lire comme le préconise l’auteur, en décidant de lui donner l’orientation qu’on souhaite. Et la probabilité d’être fortement surpris une fois la dernière page tournée avec la certitude d’avoir passé, contrairement aux passagers, effectivement un très agréable moment lors de cette étrange traversée.


      Sonatine – 23 euros

    • Samouraï – Fabrice CARO

      Fabrice Caro aime s’inspirer d’histoires amoureuses désespérées comme point de départ à ses romans. Après Le Discours dans lequel le héros se trouvait déchiré entre une dispute avec sa copine et la pression liée au fait de devoir prononcer un discours lors du mariage de sa sœur, dans sa nouvelle création, la situation dans son nouveau récit est encore plus complexe. En plus du départ de Lisa, la compagne du personnage principal qui, pense-t-il, ne supportait plus son manque d’ambition dans l’écriture, (de banales comédies humoristiques), ce dernier va devoir affronter le suicide d’un de ses amis d’enfance, les stratégies alambiquées de ses proches pour le recaser rapidement avec de nouvelles prétendantes, accessoirement se mettre à l’écriture d’un roman « sérieux », mais cela est sans commune mesure par rapport à la mission la plus périlleuse qui lui a été confiée par ses voisins : s’occuper de l’entretien de leur piscine pendant leur absence.


      L’auteur a ainsi le talent pour décrire des personnages qui se noient dans un verre d’eau, incapables de faire face à la moindre difficulté ou contrariété, paralysé devant l’inconnu sans parler de la notion d’avenir ou d’engagement. Il en ressort une histoire tour à tour loufoque, drôle, mais aussi des passages plus émouvants sous couvert d’un comportement de loser ordinaire. Fabrice Caro en profite également pour égratigner les auteurs de romans « sérieux » (avec des pitch d’histoire qui peuvent rappeler au hasard Olivia R ou Florence A) et tirer quelques flèches au monde de l’édition (avec son agent qui ne répond jamais) et de la critique littéraire (prête à s’emballer ou détruire un auteur).

       

      Avec toujours ce petit ton décalé, faussement naïf, un livre à l’humour caustique dans la droite lignée des créations de l’auteur notamment quand il opère sous le nom de Fabcaro dans l’univers de la BD.


      Gallimard – 18 euros. 

    • Sel - Jussi ADLER OLSEN

      C'est la 9ème enquête pour Carl Morck et son équipe. En pleine pandémie de Covid, la réouverture d'un dossier non résolu suite au décès d'une femme qui a été, 20 ans plus tôt, témoin involontaire de l'explosion d'un garage, accident causant la mort de son petit garçon. C'est le point de départ d'une enquête qui va les conduire sur la piste d'un tueur en série dont la signature consiste à déposer du sel près du corps de ses victimes. Pourquoi ? Evidement, sans lien apparent au premier abord, l'enquête s'ouvre au moment de la disparition d'une personnalité controversée dont les enquêteurs comprennent rapidement qu'il va être exécuté dans quelques jours. C'est donc une course contre la montre qui s'engage pour comprendre le modus operandi et surtout qui est derrière tous ces meurtres commis à 2 ans d'intervalle depuis les années 90. 

      On retrouve avec plaisir les personnages développés par Jussi Adler Olsen : Carl Morck aux prises avec son passé, Assad et sa famille menacée d'expulsion, Rose et ses personnalités envahissantes.. 

      Le prochain opus, comme annoncé par l'auteur dès le début de cette série, sera le dernier.

      Tous les titres précédents sont parus au Livre de Poche. 


      Albin Michel - 22.90 euros                                                                                                       

    • Zephyr, Alabama - Robert MCCAMMON

      Si vous avez  aimé les aventures de Tom Sawyer, vous tomberez sous le charme de ce roman qui vous entraîne dans les pas de Cory et de sa bande de copains. Ils ont onze ans en 1964 et vivent dans la ville idyllique de Zephyr en Alabama. La vie est simple, les familles se connaissent depuis toujours, rien ne semble vouloir changer. 

      L'imagination galopante de Cory, qui se rêve en futur écrivain, trouve dans chaque instant matière à inventer et vivre des histoires extraordinnaires. Il faut avoir cet âge pour se sentir des ailes et s'envoler au dessus de la forêt, pour voir dans le phare de son vélo un oeil protecteur et lui donner des intentions bienveillantes à l'égard de son propriétaire. 

      La quiétude de ce monde est troublée un matin par un terrible accident dont sont témoins Cory et son père sur une petite route isolée qui mène au lac. Cette vision cauchemardesque constitue le point de départ des changements qui s'amorcent.


      Un livre magnifique sur le monde foisonnant de l'imagination d'un petit garçon, monde qu'il faut malheureusement abandonner pour grandir et devenir adulte. Ce roman n'est pas sans similitude avec les livres de Stephen King : un univers magique, parfois malfaisant de l'enfance qu'un évènement dramatique vient boulverser, poussant les héros vers l'âge adulte et la perte de l'innocence. 


      Robert McCammon signe ici un roman envoûtant et après Joe l'indien de Mark Twain et Christine de Stephen King, voici Danny Blaylock et Midnight Mona, la voiture fantôme, qui hanteront longtemps votre mémoire.


      Toussaint Louverture - 20.50 euros

                                                                                                             

    • Le silence d’Ingrid Bergman – Denis LACHAUD

      Ingrid vit avec Roland et leur fille Rosalie dans un petit pavillon de banlieue. Rosalie passe le plus clair de son temps dans "la petite maison" située dans la cave, à dévorer le livre hebdomadaire que son père lui offre. Ingrid quant à elle n'a pas le droit de franchir une ligne blanche qui a été tracée tout autour de leur habitation. Et au mur, des portraits d'Ingrid Bergman, l'actrice avec qui elle partage le même prénom. Gilles, un collègue de travail de Roland vient quelque fois leur rendre visite, mais Rosalie reste alors dans "la petite maison" à la cave. Il règne une atmosphère bien étrange, voire inquiétante dans ce petit pavillon de banlieue...


      Un roman qu'il est bien difficile de résumer pour ne pas en dire trop, qui aborde les notions de dépendance, de manipulation et surtout d’émancipation et de liberté. A découvrir d'urgence.


      Actes Sud – 21 euros

    • Blackwater tome 1 La crue - Michael MCDOWELL

      L'histoire de la série Blackwater débute par une inondation au début du XXème siècle. La petite ville (fictive) de Perdido située dans l'Alabama vient d'être recouverte par les eaux. Oscar Caskey, membre d'une famille prospère qui gère une scierie, parcourt la ville en barque. Devant l'hôtel, il semble apercevoir une forme à l'une des fenêtres alors que la population de la ville s'est réfugiée dans les hauteurs, laissant en plan les biens et les propriétés ensevelis. Aidé de son domestique, il parvient à s'approcher du batiment et va rencontrer celle qui va changer sa destinée : Elinor Dammert. Surgie de nulle part, évasive sur son passé, sa présence en ces lieux paraît bien étrange. Et pourant, la fascination qu'elle va exercer sur les habitants de la petite ville paisible ne fait que commencer...


      Voici une bien belle idée de publication de la maison Toussaint Louverture qui nous proposera une sortie tous les 15 jours à compter du 7 avril de cette série. Composée de 6 volumes par Michael McDowell, connu pour avoir écrit l'histoire et le scénario du film Beetljuice de Tim Burton, c'est un réel plaisir de découvrir son style et sa prose pour cette immersion dans un monde fantastique, évanescent, dont on ne parvient pas à s'extraire. Une fois plongé dans le giron de ces habitants aux personnages féminins forts, charismatiques, difficile de s'arrêter...


      Une superbe série en format livre de poche aux couvertures en relief, dorées et finement ciselées. Une fresque familiale dans une atmosphère indéfinissable. 


      L'attente d'ici le mois d'avril va être longue...


      Toussaint Louverture - 8.40 euros

    • Nos vies en flammes – David JOY

      Ray Mathis est un paisible retraité, veuf, vivant retiré du monde dans sa ferme des Appalaches. Il doit cependant sortir de son isolement et une nouvelle fois pour son fils Ricky afin de le tirer d’une mauvaise passe dans lequel il s’enlise depuis de nombreuses années. Cette fois, Ricky doit de l’argent à un baron local de la drogue qui le retient en otage et le menace de mort si 10 000 dollars ne sont pas réunis. C’est un véritable appel au secours de ce fils drogué dès son plus jeune âge, toujours en manque, n’hésitant pas à cambrioler la maison de ses propres parents pour obtenir quelques bibelots qu’il revend pour payer son prochain shoot. Cette fuite en avant exaspère son père qui ne sait plus quelle attitude tenir. L’aider ? Feindre l’indifférence ? Tout comme cette nature qui brûle autours de lui, synonyme d’un environnement dévasté par le réchauffement climatique, Ray doit affronter les conséquences de la situation sanitaire calamiteuse de sa région, empêtrée dans la consommation désespérée d’opioïdes. Et cette fois réussir à sauver son fils une fois pour toute ?


      Ce livre est un procès à charge de David Joy qui tire à boulet rouge contre la drogue et ses dérivés autorisés que sont les médicaments à base d’opioïdes synthétiques, qui sont la porte d’entrée à de nombreux cas d’addiction. Ces substances ont pris une ampleur épouvantable, notamment dans la région des Appalaches qui a souffert d’un difficile retournement économique, laissant une population sans espoir si ce n’est de s’enfoncer dans les paradis destructeurs de la drogue. L’auteur nous présente dans la postface du roman le cas de la famille Sackler qui a commercialisé pendant des années l’Oxycontin, vendu à grand renfort de marketing triomphant comme un anti-douleur, avant que ce produit ne soit interdit, s’avérant très addictif et addictogène. Depuis, la société produisant le médicament a fait faillite (plus ou moins volontairement…) et la famille a dû payer 4.3 milliards de dollars pour ne pas être inquiétée par d’éventuelles poursuites judiciaires. Les opioïdes lui ayant rapporté une dizaine de milliards de dollars, cette famille reste toutefois l’une des plus riche des Etats-Unis…


      Un roman qui dérange et sensibilise au lien étroit entre la situation économique et la paupérisation qui provoque non seulement des dérèglements dans les conditions de vie mais aussi des impacts physiques et psychiques sur la population. C’est aussi une belle et triste histoire de famille, l’impuissance d’un père devant l’addiction mortifère de son fils. 


      Sonatine – 21 euros

    • Nos années glorieuses – Bruno TESTA

      Les années glorieuses abordées dans ce roman de Bruno TESTA, originaire du Forez, sont celles connues par son alter-égo Ugo, un jeune garçon né après la seconde guerre mondiale, issu de la communauté italienne venu s’installer à « Saromain », une petite ville à quelques encablures de Montbrison et Saint Etienne. La localité se divise entre la partie historique, que connaîtra dans sa prime jeunesse Ugo et la Cité qu’il découvrira par la suite, un quartier intrinsèquement lié au développement de la verrerie, le poumon économique de la localité.


      L’auteur nous décrit un monde dans lequel les petits-commerces sont encore légion, où tout le monde connait plus ou moins tout le monde. Les mères de famille se réunissent l’après-midi pour boire le café, les hommes qui travaillent à l’usine devant attendre la fin de la journée de labeur pour aller lever le coude (avec un entrain certain) dans l’un des (très) nombreux troquets de la commune. Dans ses yeux d’enfant, Ugo perçoit les changements qui sont en train d’opérer, les rapports au sein de sa propre famille qui commencent à évoluer – les filles vont à l’école plus longtemps et connaissent même des garçons qui ne sont pas issus de la commune. Apparaissent aussi la télévision, le téléphone, les toilettes qui viennent bouleverser les habitudes du foyer. Et la famille qui reste cependant attachée à son histoire avec le personnage de la grand-mère comme figure tutélaire, gardienne des racines ancestrales.


      Loin du tristement célèbre « C’était mieux avant », ce roman donne une approche circonstanciée, réaliste de cette France des années 60 où se côtoient le meilleur (insouciance, perspectives d’emploi, émancipation par les études) et le pire (alcoolisme latent et normalisé, travail abrutissant, patriarcat encore très marqué). L’auteur s’attache à ne pas donner une vision idéalisée de cette époque transitoire de la France des années 60 mais s'attèle à présenter la façon dont ces changements ont pu être vécu par un enfant âgé d’une dizaine d’années. 


      Un roman très agréable à lire, une photographie non pas en noir et blanc mais toute en couleurs pour retranscrire le quotidien d’une petite ville ligérienne du dernier tiers du 20ème siècle, et nuancer l'expérience collective qui existait alors au sein de sa population.


      Le pommier – 16 euros

    • Une sortie honorable – Eric VUILLARD

      Eric Vuillard, qui sait toujours avec talent puiser dans l’Histoire pour y trouver l’inspiration de ses romans, nous revient en abordant une période peu glorieuse de la France : la guerre d'Indochine. Un conflit géré par des militaires bien entendu mais sous la tutelle de politiciens et d’industriels, les trois entités souvent intimement liées par les liens du sang ou des affaires. L’Indochine, après avoir été une formidable source de profit (notamment pour Michelin mais aussi pour les membres du conseil d’administration de la puissante Banque de l’Indochine), devient le cauchemar d’une IVème République qui s’enlise déjà suffisamment dans sa propre légendaire instabilité. La tristement célèbre bataille de Diên Biên Phu en 1953 viendra sceller les derniers espoirs français et matérialisera l’impuissance et l’incompétence des décideurs ne sachant pas comment donner « une sortie honorable » au conflit.


      Un court roman de deux cents pages dans lequel on apprend énormément sur la façon dont la France a essayé de (très mal) manœuvrer (notamment auprès des américains, frôlant même le pire…) et surtout les intérêts plus que substantiels que certains ont su tirer des hostilités. La guerre d’Indochine prendra fin officiellement en 1954 pour la France mais continuera encore vingt et une année sous le nom de Guerre du Vietnam avec les Américains en première ligne. L’épisode se soldera par 400 000 morts du côté de la France et des Etats-Unis et 3 600 000 morts du côté vietnamien. Le prix à payer pour que d’autres, ayant eu la chance de naître dans d’autres sphères, puissent pendant ce temps-là maximiser les profits.


      Une solide critique de la collision des genres, une lecture enrichissante pour mieux comprendre ce qui se trame véritablement lorsque les plus beaux idéaux sont avancés pour justifier un conflit et son absolue nécessité. Depuis, cette sordide habitude ne semble malheureusement pas avoir beaucoup changée.


      Actes Sud – 18.50 euros


    • American Predator – Maureen CALLAHAN

      Le nom d’Israël Keyes n’est pas connu du grand public. Pourtant il s’agit de l’identité d’un terrible tueur en série qui a frappé aux quatre coins des Etats-Unis entre le début des années 2000 et 2012, date à laquelle il fut arrêté. Son dernier crime s’est perpétré dans la ville d’Anchorage, où il a enlevé Samantha Koening une jeune étudiante qui travaillait tard le soir dans un stand de café qu’on trouve au bord des routes en Alaska. Sa disparition a bien entendu entraîné une vague d’émotion et le soutien des habitants de la ville. La police locale, peu habituée à gérer ce genre de disparition et surtout le FBI qui bénéficie de protocoles plus aboutis pour ce type d’intervention, se sont mis tout de suite à l’ouvrage et on tissé leur toile pour essayer de capturer le coupable. Et il s’est avéré que leur adversaire était d’un tout autre calibre qu’un simple maniaque. Comme il allait pouvoir s’en délecter lors de son interrogatoire, Keyes n’était pas à son coup d’essai et c’est un véritable prédateur, au sang froid et organisé, que les autorités avaient devant elles.


      Dans American Predator, roman tout autant qu’essai, Maureen Callahan a mené une enquête précise et documentée sur la façon dont ont opérées les forces de police et les représentants de la justice (pas toujours de manière optimale, les guéguerres d’égo faisant rage) pour obtenir les aveux du suspect. Non pas uniquement pour le drame d’Anchorage mais découvrant avec stupeur des ramifications avec des évènements survenus lors des quinze dernières années.

      Issu d’une famille à tendances sectaires, entretenant des rapports distendus avec sa famille, ayant lui-même certainement subi des sévices dans sa jeunesse, enrôlé à peine majeur dans l’armée, ultra-armé (bien entendu, nous sommes aux Etats-Unis) Keyes a su développer un véritable instinct de tueur, méfiant, prévoyant, commettant une dizaine de meurtres qu’il a reconnus en laissant très peu de trace de ses crimes. Ce chiffre est très certainement très en deçà de la réalité car en recoupant les informations, Keyes se trouvait souvent à proximité d’une localité où une disparition avait eu lieu. Et là, le nombre pourrait s’élever à plusieurs dizaines…voire plus. 


      Un portrait glaçant et effrayant d’un de ces tueurs en série qui défrayent régulièrement les chroniques américaines. Un titre qui peut se lire comme un polar tant Keyes ferait un formidable personnage de fiction. Malheureusement, ce personnage-là a bel et bien existé…


      Sonatine – 21 euros


    • Le Grand Monde - Pierre LEMAITRE

      Après la trilogie des "Enfants du désastre", qui se déroulait pendant l'entre-deux-guerres, Pierre Lemaitre inaugure un cycle qui va courir de 1945 à 1975, période des Trente Glorieuses. Ce premier roman se déroule en 1948. Nous découvrons la famille Pelletier, installée à Beyrouth, où le patriarche, Louis, fait prospérer sa modeste savonnerie en espérant qu'un jour, un de ses fils reprenne le flambeau. Mais les enfants suivent rarement le chemin prévu par leurs parents: deux fils partent pour Paris, le troisième pour Saïgon, où il est employé à l'Agence des monnaies et où il va découvrir un gigantesque et très lucratif trafic de change de piastres en francs.   On retrouve cette guerre d'Indochine que raconte Eric Vuillard dans "Une sortie honorable" (Actes Sud) et la même dénonciation du capitalisme de guerre et de l'empire colonial. 

      Avec le talent qu'on lui connaît, Pierre Lemaitre nous rend rapidement accro à son feuilleton: des amours, des morts, des scandales, des mensonges, des secrets de famille. Forcément, on va trépigner en attendant le second volume.


      Calmann Levy - 22.90 euros

    • Sur la route d’Aldébaran – Adrian TCHAIKOVSKY

      Lors d’une mission d’exploration spatiale, une sonde découvre un mystérieux objet, aux dimensions gigantesques, qui semble présenter la même face quel que soit l’angle sous lequel on l’observe. Un surnom lui est donné, le Dieu-Grenouille, de par sa ressemblance avec le batracien. Une expédition internationale est péniblement montée (la diplomatie a été mise à rude épreuve…) afin d’explorer l’étrange structure. Après tout, il s’agit peut-être d’un portail dimensionnel vers d’autres mondes. C’est donc Garry Rendell, sujet de sa Gracieuse Majesté, participant à la périlleuse mission à bord du vaisseau « Don Quichotte » (un héros que toute l’organisation aimait même si aucun membre n’avait lu le livre…) qui après une longue période d’hibernation a pu enfin, avec ses compagnons, poser le pied sur le mystérieux Dieu-Grenouille. A partir de là, tout se mélange et Rendell nous explique dans le moindre détail ses expériences au sein des Cryptes, le nom qu’il donne aux couloirs sinueux composant la structure. Enfin, il nous l’explique mais il s’adresse surtout à Toto, son ami imaginaire et on se rend compte soudain qu’on ne sait pas depuis combien de temps Rendell ère dans les labyrinthes du Dieu-Grenouille. Il est alors difficile de faire la part des choses sur ses dires et sur ce qu’il y a vraiment découvert. Sans parler du réel état de sa santé mentale…


      Avec beaucoup de références aux classiques du genre, que ce soit au cinéma ou dans la littérature, Adrian Tchaikovsky nous promène avec humour et horreur dans les sombres Cryptes, se faisant un malin plaisir à nous égarer dans l’espace-temps, dans ces réalités ou hallucinations produites par le cerveau fragilisé de Rendell. Un récit où il ne fait pas bon être claustrophobe car il est bien connu depuis Alien que « dans l’espace, personne ne vous entendra crier ».


      Encore une belle réussite de la collection « Une heure lumière » des éditions Le Bélial qu’il est fortement conseillé de découvrir si ce n’est pas déjà fait.


      Le Bélial – 9.90 euros

    • Le dernier des mocassins – Charles PLYMELL

      Charles Plymell est l’un des auteurs peu connus en France issu de la scène littéraire de la Beat-génération qui a rayonnée aux Etats-Unis au début des années 50. Ayant croisé les grands noms de la période (Allen Ginsberg est venu habiter chez lui pendant un moment), il a publié de nombreuses revues underground et a même découvert Robert Crumb qui a illustré la couverture du présent ouvrage.

      Dans « Le dernier des mocassins », la description qu’il opère du mouvement est plutôt celle d’une fin d’époque, un chant du cygne. Les faits décrits se déroulent dans les années 60, au moment de l’assassinat de Kennedy qui n’est qu’un mort parmi les autres au sein de la communauté. L’idéal anticonsumériste, la poésie et le voyage comme éléments centraux de la mentalité Beat sont en train de rendre les armes idéologiques devant les drogues qui font de plus en plus de ravage (le LSD en tête) et l’apparition de nouvelles inspirations telles que le mouvement hippie, qui puise allègrement dans les paradis artificiels pour rejeter les valeurs traditionnelles de la société de consommation. On navigue ainsi dans le récit au fil des boulots qu’on débute le matin pour les abandonner le soir même, dans les rues de San Francisco, ville tour à tour adorée et détestée pour son influence et son attractivité culturelle.

      Cet ouvrage, resté inédit en France pendant de nombreuses années, vaut donc surtout pour son style déstabilisant, habité comme pouvait l’être la prose des grands auteurs de l’époque, plutôt que pour ses histoires somme toute classiques de biture et d’extase sur fond de sexe et de drogues consommées sans retenue. Au travers des lignes subsistent des fulgurances, mêlant débat d’idée et poésie : « pourquoi y-avait-il des gens de droite et des gens de gauche ? Droite et gauche, j’en avais entendu parler à l’école. Avant tout ça, c’était comme le soleil. Maintenant, la droite et la gauche tel un mystérieux kaléidoscope se disloquent petit à petit pour une adopter une autre forme…et l’homme pitoyable qui essaie grossièrement de reproduire le processus avec ses engrenages mécanistes de swastika. Et ce vertige de glande pinéale en forme de tornade en plein dans le cul du cerveau. Pire que ça, la distorsion spatio-temporelle en mer des Sargasses. Comme des rideaux qui se referment en ondulant… »


      Sonatine – 20 euros

    • CONversations – Jorge BERNSTEIN

      Tout un chacun à déjà expérimenté le fait de recevoir un mail ou une notification émanant d’une bonne âme, se présentant souvent en fin de vie, qui vous propose de vous faire profiter d’une fortune colossale en échange de quelques informations personnelles. Ou alors des propos langoureux d’une personne soudainement subjuguée par votre charme numérique, et insistant pour faire plus ample connaissance. Dans 99.99% des cas, le destinataire a la présence d’esprit de ne pas donner suite à ces sollicitations, bien que particulièrement alléchantes. Jorge Bernstein lui a décidé de faire courageusement partie des 0.01%. 

      Il s’en suit donc des conversations hilarantes, jonchées de fautes d’orthographe et de syntaxe, qui mènent le plus souvent, après une première approche émouvante et passionnée, à une demande plus orientée. L’objet de toutes les convoitises s’avère la fameuse carte prépayée PCS, qui permet le retrait d’argent partout dans le monde, pour rendre un petit service bien entendu qui sera rendu au centuple !

      Agrémenté de dessins de Fabcaro, ce petit livre est composé d’échanges tout à fait authentiques, qui flirt parfois avec la poésie avant de retomber dans un pragmatisme pécunier des plus affligeant.

      Entre temps on rit beaucoup de la façon dont Jorge Bernstein fait tourner en bourrique les Virginie, Abou Oscar, Sandrine Lambert à base de jeux de mots pathétiques et de dialogues totalement surréalistes. 


      Editions Rouquemoute – 12 euros

    • Loin, à l'ouest - Delphine COULIN

      Octavie cherche à comprendre pourquoi sa mère et sa grand-mère ne se parlent plus. En enquêtant sur la lignée de femmes de sa famille, elle va découvrir des "mauvaises filles", des femmes qui en cherchant l'émancipation ont pris quelques arrangements avec la vérité. On rencontre Georges, que sa mère a prénommée ainsi pour qu'elle ait une vie d'homme, puis Lucie, sa belle fille résistante de l'ombre, Solange sa petite-fille à la beauté singulière, féministe acharnée et enfin Octavie. On croisera également Louise Michel et Calamity Jane.


      Avec elles, on traverse plus d'un siècle du point de vue des femmes,. Elles ont refusé l'existence corsetée que la société avait tracé pour elles. Quelle est l'influence d'un prénom, d'une famille, d'un livre sur un destin? Raconter l'histoire de ces femmes, leur part de vérité et de réécriture, c'est démontrer qu'elles sont obligées de mentir pour rendre la vie plus belle. 


      Cette formidable saga est une ode à l'imaginaire et à la littérature. Inspiré du destin des femmes libres et fortes de sa famille, le septième roman de l'autrice et réalisatrice Delphine Coulin rend hommage à son arrière grand-mère, une des premières femmes à porter le pantalon en Bretagne.


      Grasset - 24 euros

    • Réinventer l'amour. Mona CHOLLET

      Le nouvel essai de Mona Chollet (après Sorcière, la puissance invaincue des femmes) aborde le poids du patriarcat dans les relations hétérosexuelles. Elle décortique le thème, souvent boudé par les féministes de l'amour et plus largement la conjugalité. S'appuyant sur des références académiques et des anecdotes personnelles, sans négliger les personnages de série télé, elle nous montre comment "nos représentations romantiques sont construites sur la sublimation de l'infériorité des femmes" et analyse les normes sociales qui imprègnent les hommes, les femmes et comment, face à l'amour, ils/elles sont conditionné.e.s. aux antipodes. Peut on inventer de nouvelles modalités de l'amour qui s'affranchiraient du poids de la domination masculine?


      On est a nouveau séduit par le ton personnel, souvent drôle, toujours étayé de Mona Chollet qui n'hésite pas à parler de ses propres expériences et ne crait pas de passer pour "fleure bleue" en montrant la difficulté qu'il y a à garder des convictions féministes et une vision absolutiste de l'amour. 


      La réinvention qu'elle espère passe par l'éducation féministe des garçons, valoriser les femmes sans dévaloriser les hommes, voici une équation bien difficile à résoudre. L'essai de Mona Chollet fournit des éléments de reflexion sur une société plus égalitaire.


      Zones - 19 euros

    • Le second sommeil – Robert HARRIS

      Un voyageur solitaire et isolé avance péniblement en cette fin de journée de l’an 1468. Juché sur sa vieille mule May, nous découvrons le père Fairfax qui vient, sur ordre de l’évêque du Wessex (royaume du sud de l’Angleterre) s’occuper des obsèques du père Lacy, mort tragiquement dans des circonstances qui restent encore à déterminer. Ce dernier, en plus de ses activités spirituelles auprès de la communauté, avait développé une passion pour les vestiges parsemés autour de son village d’Addicott St Georges. C’est d’ailleurs près d’un site appelé « Le fauteuil du diable », un endroit isolé et teinté de mystères, que le corps du prêtre a été retrouvé. Fairfax va donc prendre ses marques, rencontrer les figures du village et rapidement se rendre compte qu’il y a peut-être quelque chose derrière la mort brutale de Lacy. Il va notamment être interloqué après avoir vu de ses yeux certaines reliques des temps anciens et plus particulièrement d’étranges objets composés d’une matière étrange et de verre… Il y sera également question de ce « second sommeil », la nuit de nos ancêtres se composant de deux périodes à peu près égales séparées par une phase de veille donnant lieu à des moments de sociabilité. Mais ce titre cache aussi une autre signification que nous vous laisserons découvrir…


      Voici un roman déstabilisant que nous propose Robert Harris, dont on ne révèlera pas plus d’éléments pour éviter de « divulgâcher » l’intrigue et ses rebondissements. Nous pouvons juste indiquer qu’il sera question de religion, de science et d’évolution de civilisation. Des éléments qui peuvent paraitre bien classiques, déjà vus, même caricaturaux mais au service d’un récit qui réserve de belles surprises. 


      Belfond – 21 euros

    • Magnificat - François-Henri SOULIE

      La comtesse de Narbonne Ermengarde se trouve en mauvaise posture en cet an de grâce 1177. En plus de problème de santé qu’elle cache au maximum, elle doit faire face à une fronde de plus en plus menaçante des marchands de la ville qui souhaitent développer leur activité en s’inspirant de nouveaux modèles économiques venant d’Italie et notamment de la République de Gênes. Son positionnement plutôt neutre envers les Cathares, ces hérétiques fortement représentés dans la région, la fragilise vis-à-vis de la puissante Eglise Catholique. Enfin, c’est le comte de Toulouse qui n’est pas loin et qui rêve de s’emparer de sa ville, plus qu’intéressante de par son emplacement géographique. Devant autant d’écueils, Ermengarde décide de se rapprocher de son neveu Aymeri de Lara et pour cela charge un messager de lui faire part de ses problèmes de santé et de sa volonté de le voir auprès d’elle rapidement. Usée par les années et par les affres du pouvoir, elle souhaite lui passer la main, progressivement. Malheureusement, le messager va croiser sur son chemin le terrible Lobar Le Loup et sa troupe de bandits de grands-chemins. Le précieux courrier ne parviendra jamais à son neveu mais va participer à la mise en route d’une terrible coalition envers la comtesse. 


      On retrouve dans ce deuxième tome, la suite d’Angélus, les personnages de dame Aloïs qui est la confidente, la femme de confiance d’Ermengarde ainsi que son fils Guilhem. Ce dernier, devenu troubadour et amoureux des arts, se trouve totalement absorbé par la mise en place d’une représentation « Le jeu d’Adam » qu’il souhaite voir rester dans les mémoires de par la qualité de son jeu et de sa mise en scène, et remettre au goût du jour les pièces de théâtre qui faisaient la grandeur culturelle des peuples de l’antiquité. La culture, finalement comme ultime rempart aux pires tractations et jeux de pouvoir dont l’être humain est coutumier. 


      Inspiré de faits réels (Ermengarde a bel et bien existé et a été une femme politique importante notamment dans le développement culturel de l’Occitanie du 12ème siècle) avec toutefois une bonne partie de l’histoire romancée, on retrouve le style et l’approche très documentée qui ont fait le succès du premier tome « Angélus ». François-Henri Soulié manie avec talent le vocabulaire de l’ancien temps sans tomber dans l’excès. L’effet est une nouvelle fois très immersif et, couplé avec des chapitres courts et des personnages auxquels on s’attache immédiatement, les 500 pages du pavé défilent sans ennuie, avec toujours cette envie d’avancer dans l’intrigue pour savoir si et comment la comtesse va pouvoir se sortir de sa triste posture. 


      A noter que ce tome peut se lire sans avoir lu le premier, même s’il serait dommage de passer à côté d’ « Angélus ». Les deux titres sont fortement conseillés si vous êtes à la recherche de romans historique de qualité, rythmés et captivants.


      Angélus –10/18 – 15.90 euros

      Magnificat - 10/18- 15.90 euros

    • Le retour du Hiérophante – Robert JACKSON BENNETT

      Voici le deuxième tome de la série « Les Maîtres enlumineurs » qui avait fait l’objet d’une chronique sur le site en 2020. L’action se passe toujours dans la cité de Tevanne, où les enluminures permettent de donner une conscience aux objets et donc de les utiliser et de les contrôler de manière optimale. Sancia l’héroïne du premier roman qui entretient une relation particulière avec les enluminures, va devoir faire face à une menace plus dangereuse que les grandes familles marchandes qui s’étaient mises sur son chemin dans le premier épisode. En effet, un hiérophante, Crasedes Magnus, puissant mage/sorcier mythique qui ne devait plus exister, va souhaiter retrouver sa superbe et accessoirement provoquer la chute de la cité et de ses habitants.


      L’univers magique crée par Robert Jackson Bennett est toujours aussi efficace avec une construction de l’intrigue sous forme de quêtes qui rappellent la tournure des jeux de rôles voire même parfois de certains jeux vidéo. Il s’agit d’une narration très dynamique, très peu de huis-clos, Sancia et ses compères ne cessent de parcourir la ville et ses points stratégiques pour contrer le puissant mage. L’auteur parvient tout de même à garder une tonalité humoristique, comme s’il souhaitait dédramatiser son histoire et surtout apporter quelques moments pour souffler tant les missions et épreuves s’enchaînent de manière haletante.


      Mais pas plus de « divulgachage » : il ne vous reste plus qu’à lire « Les maîtres enlumineurs » si ce n’est déjà fait et d’enchaîner sur « Le retour du Hiérophante » en attendant un troisième tome qui va très certainement s’avérer plus qu’épique!


      Les maîtres enlumineurs – Albin Michel Imaginaire – 24.90 euros.


      Le retour du Hiérophante - Albin Michel Imaginaire – 24.90 euros.

    • Nous sommes les chasseurs – Jérémy FEL

      Voici un roman déstabilisant. En effet, « Nous sommes les chasseurs » est inclassable. Roman d’horreur ? Roman d’anticipation ? Réécriture de l’histoire ? Mise en abime de l’auteur qui écrit lui-même sa propre écriture ? Difficile de le dire tant le récit navigue dans toutes ces directions. Pas d’autre choix que de se laisser porter et de choisir l’état d’esprit dans lequel on se sent le mieux pour comprendre les histoires à multiples facettes de ce recueil. Et pour le découvrir, laisser défiler les dix chapitres, comme autant de petites nouvelles dans lesquelles on peut tout de même trouver un fil conducteur, le mal, et des réminiscences qui peuvent donner à penser qu’elles sont toutes plus ou moins liées. Seront abordés lors de ce voyage les guerres mondiales, des dignitaires nazis, un manoir reculé dans la campagne et son sous-sol terrifique, le Chili de Pinochet et une actrice américaine au destin tragique.

      On pense à Stephen King en lisant la prose de Jérémy Fel et on sent une réelle inspiration notamment dans la façon dont se dessine le mal. L’action ne se déroule pas à Salem mais bel et bien en France (avec une surprise page 380) et l’immersion est donc d’autant plus totale. Le mal dans ses nombreuses formes est donc développé tout au long des sept cents pages avec une efficacité et un sens du rythme qui n’a rien à envier au maître King. 

      Une lecture agréable, une impression de sort qui nous aurait été jeté pour se laisser entraîner dans ce monde tout autant onirique qu’horrifique. Une véritable découverte à expérimenter et qui donne envie de pénétrer un peu plus l’univers effrayant de cet auteur (deux autres titres publiés : Les loups à leur porte et Héléna disponibles en version Rivages Poches)


      Rivages – 23 euros

    • Leur domaine – Jo NESBO

      L’histoire du nouveau titre de Jo NESBO se déroule dans un petit coin montagneux de Norvège. La vie de famille de deux frères a explosé le jour où leurs parents sont morts dans un accident de la route. Roy, l’ainé protecteur, est resté au pays à la suite du drame, exploitant une station-service en prolongement de sa passion pour la mécanique. Son frère Carl, plus agile, a préféré s’échapper et rejoindre le nord de l’Amérique pour y reconstruire sa vie et accessoirement sa fortune. Il revient quinze ans plus tard, accompagné de sa compagne architecte Shannon, avec l’idée de bâtir un complexe hôtelier de luxe en impliquant son frère et la population locale dans un projet pharaonique sensé devenir la locomotive économique de la petite localité. Cependant, l’adhésion n’est pas rendue facile par la perception des deux frères aux yeux des habitants de la petite ville : Roy est considéré comme un homme un peu rustre, taciturne et n’hésitant pas à jouer des poings quand son Carl souffre de son image d’enfant prodigue dont on ne connait finalement pas grand-chose de son périple américain. Les vieux démons du passé vont s’en mêler également, en plus du contexte familial lourd des deux frères, une disparition inexpliquée refaisant surface. Le caractère fusionnel de Roy et Carl sera poussé à son paroxysme pour résister aux difficultés qui ne vont pas manquer de s’enchaîner.


      On parlera plus de thriller que de roman policier pour ce nouveau roman de Jo Nesbo, avec une touche très américaine dans le déroulement de l’intrigue, assez féroce et « rentre dedans ». Un titre efficace, plus de 600 pages de secrets, de violence refoulée et parfois déchaînée, dans lequel on sent moins la touche « nordique » et résolument plus orienté action. La dimension psychologique passera surtout par la réaction des deux frères à l’hostilité, leurs prises de décisions tranchantes pour faire aboutir le projet quoi qu’il en coûte, avec comme point d’orgue la sensation d’être définitivement seuls contre tous. 


      Série Noire Gallimard – 22 euros

    • L'enfant réparé - Grégoire DELACOURT

      C'est un petit garçon de cinq ans qui se retrouve seul avec son père pendant que sa mère est à la maternité. C'est un petit garçon qui ne pourra plus dormir dans sa chambre, qui aura mal au ventre sa vie durant, qui devenu adulte écrira des romans et que l'on qualifiera "d'écrivain du bonheur". Et pourtant...


      Au fil de ses livres de plus en plus sombres, ses personnages l'amènent peu à peu à s'interroger sur les figures du père (souvent absent), de la mère (effacée) et des enfants (peu entendus). Il lui aura fallu cinquante cinq ans, une dizaine de romans et un travail psychanalytique pour tenter de mettre des mots sur son mal-être et finir par réparer une mémoire traumatique enfouie sous la colère et la tristesse.


      C'est avec beaucoup de pudeur que Grégoire Delacourt nous fait partager son cheminement avec ce texte personnel dont on mesure la force de la résilience.  Journal intime, sensible et authentique d'une renaissance : une page est tournée, laissant éclater une force de vivre touchante de sincérité.


      Grasset - 19 euros

    • Dans les profondeurs du temps – Adrian TCHAIKOVSKY

      Ce roman est la suite de « Dans la toile du temps » du même auteur paru en 2018, qu’il est préférable d’avoir lu avant de s’attaquer à ce pavé de 600 pages. Dans le premier récit, les humains devaient composer dans leur démarche de « terraformation » (rendre habitable un corps céleste) avec des araignées qui avaient pris le contrôle d’un monde pouvant correspondre aux attentes expansionnistes de l’humanité. Dans cette deuxième partie, il est question de poulpes (!!!) et d’une « entité intelligente » qui viennent donner du fil à retorde aux courageux explorateurs du futur. Afin de ne pas gâcher l’intérêt de découvrir plus précisément cette nouvelle histoire, nous pouvons juste indiquer que ce roman SF aborde la communication inter-espèce de manière subtile, explore le développement scientifique envisageable (intelligence artificielle notamment) pour concrétiser les envies d’ailleurs d’une humanité se sentant trop à l’étroit sur Terre.


      Adrian Tchaikovsky va à l’essentiel et ne surcharge pas son texte de complications scientifiques inextricables pour assurer le développement de son propos. Il envisage la survie de l’humanité en évitant ses élans belliqueux et guerriers et en créant plutôt une osmose et une communication constructive entre « entités intelligentes », malgré les difficultés et ce pour le bien de tous. Ce titre nous propose un récit malin, une SF cérébrale et une fois de plus l’auteur parvient à créer de l’empathie envers des créatures qui ne sont pas de prime abord les animaux pour lesquels les humains éprouvent le plus de sympathie.


      Fan de SF ou tout simplement d’histoire bien ficelée, les 1200 pages cumulées des deux tomes vous entraineront avec ravissement dans cette épopée scientifique/animalière et peut être – certainement – vous ne verrez plus les créatures à longues pattes ou longs tentacules de la même manière ! 


      Dans la toile du temps – Folio SF – 9.70 euros


      Dans les profondeurs du temps – Denoël – 24 euros

    • M, l’homme de la providence – Antonio SCURATI

      Voici le deuxième tome portant sur l’ascension de Mussolini écrit par Antonio SCURATI, professeur de littérature comparée et d’écriture créative, qui suit la même méthode que celle utilisée dans son premier ouvrage « M, l’enfant du siècle » : alterner les phases romancées avec des documents d’époque venant étayer les propos et attitudes que l’auteur a reconstitués. 


      On retrouve ainsi le Duce en 1925, en prise à des problèmes de santé et qui doit donc veiller à ne pas se laisser submerger par ses propres hommes forts, prêts à le suppléer en cas de défaillance. Mussolini va donc se heurter à l’adversité interne, survivre à plusieurs attentats qui vont lui assurer au fil du temps un statut d’intouchable aux yeux du peuple italien. Très présent au début du roman, il va par la suite se faire plus discret, laissant la part belle aux hommes de l’ombre recherchant la lumière et la gloire et donc se mener une lutte acerbe, à la hauteur de leur ignobilité. L’opposition déjà affaiblie par le meurtre de Matteotti va être soigneusement détruite, la presse se mettre au service du pouvoir fasciste, la politique colonialiste consistera à briser la résistance des autochtones libyens (qui expérimenteront les camps de concentration et le gaz à l’ypérite pourtant interdit par le protocole de Genève de 1925) pour assurer des rêves d’empire. Le Roi d’Italie et le pape Pie XI cautionneront le nouvel homme fort du pays, un petit caporal allemand commencera à faire parler de lui, la communauté internationale fermera les yeux et même pire félicitera les améliorations économiques et les projets entrepris. A la fin du livre, nous serons alors en 1933, six ans avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale et du chaos.


      Roman toujours extrêmement documenté grâce à des extraits de discours, des écoutes confidentielles, des articles de presse, datés et sourcés qui constituent la véritable force du titre. L’auteur laisse peu de place à l’empathie qui pourrait se créer envers son personnage principal. Mussolini s’avère un manipulateur cynique, utilisant sa famille et ses proches sans aucun scrupule, doté d’une violence morale destructrice, et qui par son intelligence démoniaque parvient à susciter l’adhésion et l’admiration des foules. Où quand la capacité à séduire, à grands renforts de grands projets économiques et de campagnes guerrières, tout en détruisant la culture, la liberté d’information, l’opposition idéologique, vient à créer une chape euphorisante sur le peuple. Et l’entrainer vers le précipice dans une parodie de bonheur et de réussite.


      Les Arènes – 24.90 euros

    • Le chien - AKIZ

      Le chien est le personnage principal, surnom donné par son patron tenancier de kébab qui le traite comme un animal. Taciturne et mystérieux,  au passé lourd, le chien ne s'exprime qu'à travers la cuisine avec un don extraordinaire pour cuisiner des ingrédients improbables. Un concours de circonstance lui permet d'accéder au luxueux mais glacial restaurant  El Cion, où seule la perfection compte quel qu'en soit le prix, même celui de la violence. 


      Le chien y poursuivra sa quête du plat idéal et extatique.


      Un roman dévorant, qui nous hante une fois refermé. Un livre atypique, inclassable et génial.


      Flammarion - 20 euros


    • La femme ourse - Karolina RAMQVIST

      En 1542, une jeune femme de la noblesse française Marguerite de La Rocque est emmenée par son parent et tuteur Jean-François de la Rocque sieur de Roberval, dans une expédition coloniale au Canada. Sur le navire, elle provoque un scandale en avouant une liaison avec un marin du bord : pour punition, elle va être abandonnée sur une île déserte avec son amant, sa vieille servante et quelques munitions.  Elle va survivre pendant deux ans avant d'être récupérée par des pêcheurs et ramenée en France, seule car l'homme et la servante sont morts ainsi que le bébé qu'elle a mis au monde.

      Cette histoire terrible a été racontée dans plusieurs récits contemporains dont l'Heptaméron de Marguerite de Navarre.

      Fascinée par le destin spectaculaire de cette femme qui a dû chasser l'ours pour survivre, Karolina Ramqvist s'empare de ces faits pendant une période où elle se pose beaucoup de questions sur sa propre vie, sur son métier d'écrivain. De ses doutes et de sa difficulté à raconter cette histoire tournant à l'obsession, elle choisit le ton de l'autofiction, mêlant ses sensations à celles de Marguerite en particulier à travers les expériences corporelles de la femme. 

      Un grand roman et un grand texte sur le processus créatif.


      Buchet Chastel - 20 euros

    • Climax – Thomas B REVERDY

      Le mot climax a plusieurs significations : dans un récit, c’est le moment où la tension dramatique est à son apogée, avant le dénouement. Au niveau environnemental, il s’agit de l’état final d’une succession de phases écologiques, qui après plusieurs étapes, doit retrouver (normalement) un état proche de l’équilibre. Ces deux définitions se retrouveront mêlées dans l’intrigue du roman de Thomas B Reverdy. 

      Noah, est diligenté par la société d’exploitation d’une plateforme pétrolière proche de la Norvège qui a connu un accident mortel suite à une remontée de gaz dans une colonne de forage. Il doit se rendre sur place et étudier les raisons de l’affaire, solutionner le problème et bien entendu sans porter atteinte au business. Le spécialiste revient sur un territoire qu’il connait bien puisqu’il est originaire de cette région où il vivait une vingtaine d’années auparavant, avant qu’une carrière de golden boy ne s’offre à lui. Il se remémore donc ses passions de jeunesse, à savoir la découverte de la nature et surtout les jeux de rôle auxquels il s’adonnait avec ses amis. Il va notamment avoir l’occasion de retrouver deux d’entre eux liés indirectement à l’évènement tragique. Tout d’abord Anders qui est resté attaché à sa terre et qui en tant que géologue observe fébrilement les impacts du changement climatique sur le glacier qui surplombe le fjord dans lequel a été bâtie la petite ville de leur enfance. Ensuite, Ana, sa petite amie de l’époque qu’il a abandonnée brutalement, qui travaille dans le milieu de la pêche et pour qui une nouvelle catastrophe écologique serait préjudiciable. Noah va donc récupérer son rôle de Maître du Jeu et va devoir éviter que sa quête ne se transforme en échec cuisant. Mais cette fois il ne sera pas question ni de trolls ni d’épée magique.

      On peut véritablement parler de roman écologique pour ce titre de Thomas B Reverdy dans lequel sont inventoriés de nombreux éléments sur l’état (catastrophique…) des écosystèmes du nord de l’Europe et des effets de domino en cours liés au réchauffement climatique. Une critique implacable et argumentée de l’exploitation commerciale sans vergogne de la nature sans aucun respect de ses composantes pourtant fragiles. L’entrée de l’ère de l’anthropocène de l’être humain démontre sa capacité à être devenu une force naturelle qui a tout détraqué et qui influe sur l’évolution du climax géologique de manière dramatique. Un livre qui éclaire et qui insiste, s’il était encore besoin de le faire, sur la situation alarmante de notre planète. 

      (A noter la présence dans ce roman d’une « vraie » partie de jeu de rôle qu’il est peut-être préférable de lire uniquement après avoir découvert l’intrigue principale, afin de ne pas divulgâcher la fin du roman).


      Flammarion - 20 euros

    • Sidérations – Richard POWERS

      Le narrateur, astrobiologiste, a bien du mal à s’occuper de son fils Robin, un enfant de 9 ans très certainement atteint du syndrome d’Asperger, qu’il doit élever seul depuis la disparition tragique de sa femme Aly. Robin rencontre des problèmes de concentration et d’ordre relationnel notamment à l’école qui devient au fil du temps un véritable enfer pour lui. Son père ne peut se résoudre à franchir le pas de la médication, préférant avoir recours à des schémas alternatifs. Il va donc décider de déscolariser Robin et de l’intégrer dans un programme scientifique révolutionnaire. En effet, ils avaient participé peu avant le décès d’Aly à une expérience intitulée « neurofeedback décodé ». Ce test consiste à utiliser l’imagerie neurologique pour obtenir un feedback en temps réel via une intelligence artificielle. Cette dernière contrôle l’activité nerveuse et oriente la personne qui y est soumise vers des états nerveux préenregistrés. Lors de leur expérimentation, la vigilance et l’extase avaient été choisis pour Aly. Se rattachant à cette dernière bouée de sauvetage, il décide de tenter le tout pour le tout en reliant Robin aux données de sa mère.

      Richard Powers, dont le dernier roman « L’arbre monde » a obtenu le prix Pulitzer de la fiction en 2019, explore de nouveau l’utilisation des nouvelles technologies et surtout inscrit son ouvrage dans une vision malheureusement très réaliste de l’état de délabrement de la nature par la faute de l’homme. Il situe l’action de sa fiction aux Etats-Unis, dans une réalité alternative où un président américain climatosceptique est peu ou prou opposé à toute action limitant la toute-puissance des grandes entreprises, sabre dans les programmes réputés non-rentables, martèle ses vérités par des Tweets vengeurs, ce qui interpelle sur ce qu’il aurait pu se passer en fin d’année 2020 avec un certain Donald T. Et doit servir d’avertissement sur ce qui pourrait arriver à moyen terme.

      La relation père/fils est touchante avec cette sensation de les voir tout deux descendre des rapides dans un frêle esquif sans pagaie. Malgré les difficultés, leurs liens sont très forts mais se heurtent à la maladie que ce soit celle de Robin ou celle de notre société. Une belle occasion de prise de conscience sur l’extinction en cours et le rôle de l’être humain qui préfère regarder ailleurs. Le sujet de la pathologie de Robin est traité avec sensibilité et montre les efforts énormes nécessaires lorsqu'on refuse la facilité du « tout médicament » préconisé pourtant par la société.

      En refermant ce roman, reste en tête la prière qu’Aly récitait chaque soir à son fils, comme un mantra à suivre si l’être humain souhaite s’en sortir : « Puissent tous les êtres sensibles être exempts de souffrances inutiles ». Mais le souhaitent-ils vraiment ?

      Actes Sud – 23 euros

    • Mississippi driver – Lee DURKEE

      Lou Bishoff rêvait d’être un grand romancier. Il pensait aussi pouvoir enseigner Shakespeare à des élèves subjugués devant la beauté de l’œuvre du grand dramaturge. Il envisageait même réussir sa vie affective et mener une existence paisible, bercée par Beethoven et en pleine adéquation avec ses préceptes bouddhistes. Au lieu de cela, la cinquantaine déjà bien entamée, il doit difficilement gagner sa vie en sillonnant les rues d’une petite ville du Mississippi au volant d’un taxi affichant plus de 300 000 kilomètres au compteur. Sa patronne le paie à coup de fronde, son collègue chargé de la répartition des courses s’arrange pour lui fournir celles qui sont les moins rentables. Il doit composer avec les émanations diverses et variées de ses clients (vomi et flatulences entre autres) et s’il est bien question de Shakespeare dans son taxi, il s’agit uniquement de sa tête parfumée à la menthe accrochée au rétroviseur !


      Lee Durkee nous entraine dans les roues de ce chauffeur de taxi désabusé et dépeint une galerie de personnages plus cabossés les uns que les autres. On assiste alors à la valse des échappés d’hôpitaux psychiatriques, des junkies en recherche de matériel, de tout-juste libérés de prison ; même les personnes âgées parviennent à mettre en péril la santé mentale de Lou ! Car ce dernier a beau enquiller les cannettes de Red Bull tout en écoutant Beethoven et en récitant ses tantras, toute cette faune ne participe pas à limiter son syndrome Gilles de la Tourette auto-diagnostiqué qui le pousse à exhiber des doigts vengeurs envers les autres automobilistes et à insulter copieusement les feux de signalisation qui ont toujours trop tendance à passer au rouge.


      Roman teinté d’humour, nous voici au fond d’une Amérique de paumés, une société ou les derniers chauffeurs de taxi à l’ancienne doivent céder petit à petit la place au règne d’Uber et compagnies. Une critique acerbe des travers du modèle américain (que ce soit dans le domaine de la santé, la situation carcérale, le traitement de la drogue, des armes à feu, du racisme) qui se retrouve tout au long des pages du livre et qui s’avère finalement assez pertinente sous ses airs déjantés.


      Flammarion – 21 euros

    • La carte postale - Anne BEREST

      Janvier 2003, une carte postale au milieu des cartes de voeux dans la boîte aux lettres familiale, non signée et portant seulement quatre prénoms : Ephraïm, Emma, Noémie, Jacques soit les prénoms des grands-parents de la mère de l'autrice, de sa tante et de son oncle, tous morts à Auschwitz en 1942. Des années plus tard, après une réflexion sur les juifs entendue par sa fille à l'école, Anne Berest se souvient de cette carte postale et ressent une urgence de mener une enquête pour mieux connaitre sa famille et pour vérifier l'hypothèse d'une menace planant sur des descendants. Cette enquête va la mener cent ans en arrière, retraçant le destin romanesque des Rabinovitch, leur fuite de Russie, leur voyage en Lettonie puis en Palestine et enfin leur arrivée à Paris avec la guerre et son désastre. Comment Myriam, grand-mère de l'autrice, a été la seule à échapper à la déportation, quelle a été sa vie, ses deux mariages, ses silences?

      Un roman poignant qui laisse des marques profondes. La vérité se fraye toujours un chemin à travers les générations et vous découvrirez que le prénom de l'autrice ne doit rien au hasard...


      Grasset – 24 euros

    • Gazelle Théorie - Inès ORCHANI

      Existe-t-il plusieurs féminismes? Lutte-t-on de la même façon pour l'émancipation des femmes en Occident ou dans le monde arabe? Ines Orchani qui vit entre la France et la Tunisie explore points communs et différence et signe un manifeste pour un féminisme monde.

      "Ils m’appellent « gazelle », et je me sens blessée. Je ne suis pas un animal. Je ne suis pas une chose. Je ne suis pas une image. Je ne suis pas une proie. 

      De l’insulte « nègre » Césaire a fait la Négritude.

      Du gazellage je m’apprête à faire Gazelle Théorie.

      Ceci est un manifeste. Ceci est un témoignage. Ceci est un coup de colère, et une mise en lumière."

      Dans l’élan créé par Virginie Despentes avec King Kong Théorie, Ines Orchani donne à entendre les voix d’un féminisme-monde.


      Fayard Pauvert - 

    • Anne de Redmond - Lucy Maud MONTGOMERY

      Après Anne de Green Gables et Anne d’Avonlea, voici le troisième volume très attendu des aventures d’Anne Shirley. 

      Nouvelle étape dans la vie d'Anne qui, à 18 ans, se prépare à entrer à Redmond, l'université de Kingsport en Nouvelle-Ecosse. Si elle est accompagnée de Gilbert, Charlie Sloane et Priscilla Grant qui adoucissent le départ, quitter son île et les lieux magiques de son enfance, se séparer de Diana sa meilleure amie et abandonner Marilla, sont une épreuve. Mais les nouvelles rencontres, les cours occupent finalement la jeune fille pour qui le temps semble filer plus vite qu'elle ne l'imaginait. Ses retours à Green Gables lui permettent de retrouver ses bases et d'aborder en douceur les joies et les peines du passage à l'âge adulte. 

      On retrouve avec beaucoup de plaisir l'écriture de Lucy Maud Montgomery si tendre et poétique qui déploie tout son univers fantaisiste et gracieux: un bonheur de lecture dont on ne se lasse pas.


      Monsieur Toussaint Louverture - 16.50 euros

    • Shibumi – TREVANIAN

      Le terme Shibumi se réfère en japonais à la sensation produite par la beauté simple d’une chose, à sa subtilité. Nicholaï Hel aime se référer à ce terme pour sa conception de l’existence, et pourtant il ne gravite pas dans l’univers de l’art. Enfin, on peut envisager que sa maîtrise de l’assassinat se rapproche tout de même d’une certaine pratique artistique puisqu’il est considéré comme l’exécuteur le plus doué de sa génération. Maîtrisant les arts martiaux et notamment la technique du « Tueur à mains nues », il a été initié très jeune au jeu de Go dont il a appris la maîtrise auprès d’un maître spirituel japonais après s’être retrouvé orphelin au moment où la seconde guerre mondiale s’achevait tragiquement pour son pays d’adoption. Il vit à présent dans un château du pays Basque, plus ou moins retiré de son activité létale qui lui a garanti un confort matériel certain et une autonomie financière non négligeable. Il aime à pratiquer avec son ami Le Cagot, un farouche indépendantiste local, la spéléologie avec pour objectif de découvrir de nouvelles cavités inconnues. La Mother company, une organisation secrète qui dirige la CIA et qui supervise les intérêts du lobby du pétrole, va pourtant lui donner l’occasion de replonger dans un milieu tout aussi dangereux que celui du monde souterrain. Une affaire liée au conflit israélo-palestinien en lien avec le groupe terroriste Septembre Noir vont le pousser à sortir de sa retraite, impliquant au passage son passé, ses proches et son honneur.

      Roman écrit en 1979, son contenu est très moderne de par l’utilisation des réseaux informatiques pourtant balbutiant à l’époque et de l’ordinateur Fat Boy de la Mother Company qui centralise et recoupe des données portant sur les individus, faisant écho à nos chers GAFAM actuels. Ce concept de « méta-compagnie » qui dirige le monde fera allumer la petite flamme complotiste qui peut sommeiller dans chaque lecteur, mais surtout c’est pour l’humour noir et les traits acerbes envers la géopolitique mondiale que s’exprime le talent de l’auteur. Trevanian, dont on n’a jamais vraiment connu l’identité, nous entraine dans un roman riche et sophistiqué, à la fois contemplatif, poétique, violent, avec une intrigue digne des meilleurs romans d’espionnage. Un mélange détonnant et ambitieux à côté duquel il serait vraiment dommage de passer.


      Gallmeister collection Totem – 11 euros

    • 37° centigrades - Lino ALDANI

      Dans un monde alternatif  (le livre a été écrit en 1963 par Lino Aldani) la CMG fait régner l'ordre en Italie : il s'agit de la Convention Médicale Générale qui veille à ce que tout le monde soit en bonne santé! Pour cela, et dès la naissance, chaque citoyen s'acquitte d'un forfait mensuel qui le suit toute la vie et qui lui permet une couverture optimisée. La CMG étant une structure privée, il est question bien entendu de rentabiliser la transaction, et ce de fait une véritable police de la santé a été instaurée. Des agents exigent que tout individu puisse présenter à tout moment un thermomètre, des comprimés et le plus important "un gilet de corps" pour éviter un coup de froid qui pourrait s'avérer dangereux!


       Nico, un jeune salarié a vraiment du mal à se plier à ces exigences d'autant plus qu'il souhaiterait plutôt honorer les traites d'une Levacar (la voiture du futur des années 60) plutôt que de payer sa cotisation médicale. Il va donc entrer en rebelion pour le meilleur et peut être pour le pire.


      Un récit qui fait écho à notre époque et la façon dont l'état peut s'enquérir de notre précieuse santé et qui fait réflechir sur la notion de bien être de la population et sur la question des libertés individuelles.


      Le passager clandestin - 8 euros

    • Dune : Chroniques de Caladan Le Duc – Brian HERBERT/Kevin J ANDERSON

      C’est à l’occasion de l’inauguration d’un immense complexe architectural à la gloire des dix millénaires de règne de la Maison Corrino que l’empereur Shaddam IV a réuni les plus grandes familles de la galaxie. Il s’agit alors bien entendu de se faire bien voir par la pouvoir en place et Leto Atréides, en tant que Duc de la planète Caladan, fait partie de la délégation. Il est cependant bien loin des tractations et des jeux de pouvoir habituels. Il pense tout d’abord au bien être de son peuple avant de jouer les périlleuses acrobaties de la flagornerie. Epaulé par sa concubine Jessica, il voit grandir son fils Paul pour lequel il entrevoit de belles perspectives d’avenir, qui plus est s’il parvient à unir sa destinée à une autre grande puissance. Le cours de l’histoire pourrait bien s’accélérer car alors que la manifestation de Shaddam bat son plein, surgit Jaxson Aru. Ce dernier est proche du puissant Combinat des Honnêtes Ober Marchands qui jouie d’un gigantesque monopole sur toutes les formes de commerce d’un bout à l’autre de l’Empire. Il menace tout simplement de gâcher fortement les festivités en provoquant une catastrophe spatiale qui viendra détruire le lieu de réunion et ainsi entrainer la disparition d’une bonne partie des membres du Landsraad (une sorte de parlement rassemblant les familles les plus en vue) et ainsi sa destruction. Son projet de milliers de planètes indépendantes et prospères, loin de la corruption de l’empire, pourrait alors voir le jour…

      C’est un réel plaisir de retrouver les personnages de Franck Herbert, repris par son fils Brian épaulé de Kevin J Anderson, en mettant en avant le personnage de Leto Atreides qui, il est vrai, disparaissait assez rapidement dans le cycle originel. Les auteurs développent ainsi un personnage charismatique, vertueux qui se heurte à une réalité économique et politique qui fonctionne plus par le biais de la violence et de la trahison.

      Ce premier tome d’une trilogie préquel de Dune permet également de mettre en lumière l’adolescence de Paul Atreides, futur Messi de Dune et découvrir la genèse des personnages qui tiendront un rôle important dans le cycle (Jessica, Baron Harkonnen, Duncan Idaho, l'ordre du Bene Gesserit) au sein d’intrigues de cour et de tentatives d’assassinat qui ont fait la renommée du chef d’œuvre de Frank Herbert. 

      Lecture idéale pour se préparer à la sortie du nouveau film Dune, avec Thimothée Chalamet, prévu, si tout va bien, pour le mois de septembre 2021.


      Robert Laffont – 21.90 euros

    • Ou peut-être une nuit - Charlotte PUDLOWSKI

      Ancienne rédactrice en chef du magazine "Slate", cofondatrice en 2017 du studio de production de podcasts narratifs Louis Media, Charlotte Pudlowski, à travers les témoignages qu'on lui confie, mène l'enquête sur le sujet de l'inceste en France. 


      Le point de départ : l'aveu de sa propre mère abusée par son père à l'âge de 8 ans. Mais le silence s'impose comme il s'impose à des milliers d'enfants (en moyenne deux à trois enfants par classe de trente élèves, chiffre ahurissant mais confirmé par d'autres enquêtes).

      Quels sont les mécanismes qui se mettent en oeuvre réduisant les victimes au silence? Menaces, culpabilité, amnésie traumatique, silence imposé par la famille, silence respecté par la société. A tous les niveaux, on ne veut pas parler de cela.


      L'autrice décortique dans cet ouvrage la façon dont la parole est empêchée, les victimes, pas ou très peu reconnues dans leurs souffrances, et une société basée sur un patriarcat qui donne accès aux corps des enfants à des adultes sensés les proétger. 


      Un texte nécessaire pour lever le tabou et libérer la parole.


      Grasset - 20 euros

    • Le chef - Harry KRESSING

      Conrad, personnage remarquable par son apparence, très grand, très maigre, tout de noir vétu, arrive dans la ville de Cobb. Il est rapidement embauché comme chef cuisinier par la famille Hill : il est des recommandations que cette famille aisée ne peut ignorer. C'est une raison supplémentaire de briller et de faire enrager la famille Vale dont la rivalité historique semble fort intéreresser le chef. Il gagne leurs coeurs et surtout leurs estomacs avec des plats délicieux et il ne faut guère de temps avant que tous lui mangent dans la main. Aucun membre de la famille ne peut plus se passer de sa cuisine.

      Mais si cette dernière est divine, son dessein l'est beaucoup moins. Il a un sinistre plan et après être devenu maître de leurs palais, il se pourrait qu'il cherche à s'approprier leurs âmes. 

      Cette fable est un appétissant mélange d'humour noir et d'histoire d'horreur à la Kafka. C'est diabolique et captivant. 

      Encore une pépite hors norme dans cette collection "Les hallucinés" dans laquelle j'avais découvert avec la même fascination "Le temps qu'il fait à Middenshot".


      Edition du Typhon - 22 euros

    • Un homme pareil aux autres - René MARAN

      Jean Veneuse, double littéraire de l'auteur, monte à Bordeaux sur un bateau qui doit le ramener en Afrique noire où l'attend un poste dans l'administration coloniale. Mais on comprend très vite que ce départ, il se l'impose comme unique façon de protéger la jeune femme, Andrée Marielle, dont il est amoureux d'une liaison "inconvenante". La raison de cette impossibilité, selon Veneuse est aussi évidente que cruelle : il est nègre, Andrée est blanche. Bien qu'élevé et instruit en France depuis la plus tendre enfance, lisant les grands esprits européens, citant des références gréco-latines, il reste comme le dit un de ses amis, "un nègre comme on eu voulut qu'il y eût beaucoup de blancs". Dévasté par l'abandon qu'il s'impose, mélancolique et lucide, Veneuse se voit comme les blancs le percoive et ce n'est pas un rapprochement avec Clarisse sur le bateau qui l'emporte vers l'exile qui le fera changer d'avis. D'ailleurs, elle l'insulte copieusement quand il met un terme à leur liaison. La faille en lui est double car son éducation le rend suspect aux yeux de "ses congénères", "ses frères de race", l'exposant à la méfiance, voire au rejet. A cela s'ajoute la conscience de la terrible réalité de la colonisation, de sa violence, de son inhumanité, les blancs perdant toute tolérance envers les Africains dès qu'ils s'installent dans les colonies.


      Grand journal d'une vie, le livre de René Maran est à travers le thème de l'amour contrarié, un plaidoyer contre le racisme, contre le déchirement provoqué par la violence raciale mais c'est aussi un grand roman sur l'Afrique. Les descriptions des paysages et des atmosphères sont d'une précision et d'une poésie somptueuses. René Maran a souffer d'être le seul écrivain noir courronné d'un prix Goncourt, comme si son écriture comptait moins que sa couleur de peau. 


      Un homme pareil aux autres certainement mais un écrivain pareil à aucun autre!


      Edition du Typhon - 17 euros.

    • Jewish cock - Katharina VOLCKMER

      Dans le cabinet du docteur Seligman, à Londres, une jeune femme est allongée, jambes écartées. Elle est allemande mais elle a fuit son pays, sa langue maternelle, sa famille. C'est un long monologue qu'elle entame, s'adressant au médecin, à elle même, aux allemands, aux nazis, racontant ses fantasmes, ses obsessions délirantes. 

      Dérangeantes, déstabilisantes et surtout subversives, ses réflexions féministes explorent tour à tour la question du genre, l'asservissement des corps, les tabous, la morale et la culpabilité allemande.

      Pour retrouver sa liberté, se débarasser du carcan des conventions, elle s'offre un pénis circoncis, seule façon d'habiter enfin un corps qui ne lui a jamais appartenu.

      Un texte décapant, déjà traduit dans quinze pays, qui va faire du bruit.


      Grasset - 18.50 euros

    • La cité des marges – William BOYLE

      Le dernier roman de William Boyle nous propose une incursion dans le New York des années 90 et plus précisément Brooklyn, quartier dans lequel la deuxième génération issue de l’immigration italienne est bien implantée. Une population qui a pris ses marques, plutôt tranquille de premier abord mais avec aussi de beaux spécimens, de ceux qui font de magnifiques personnages de roman noir.

       Donnie Parascandolo est un flic brutal qui entretien des relations compliquées avec sa hiérarchie et qui rend quelques services à Big Time Tony, un truand baignant dans les jeux d’argent illicites. Donnie aime aussi régner en seigneur (alcoolisé) dans son quartier, que ce soit dans les bars louches ou en n’hésitant pas, à l'occasion, de sanctionner ses voisins quand ces derniers ne se comportent pas comme il le souhaite. Accompagné de deux de ses comparses tout aussi corrompus que lui, Donnie va recevoir pour mission de la part de Big Tony d’aller « chahuter » un débiteur chronique qui se fait tirer l’oreille pour acquitter sa dette. Cette expédition punitive va changer le cours de son existence et non seulement la sienne puisque les destinées des habitants du quartier semblent s’entremêler pour le meilleur et souvent le pire.


      Ce nouveau titre des éditions Gallmeïster nous propose une majorité de scènes de quasi huis-clos et nous fait pénétrer le quotidien de familles ayant pour similitude d’être relativement déconstruites et abimées. William Boyle, qui est né à Brooklyn, connait extrêmement bien sa ville et aime à dépeindre la vie de ses habitants, vécues sur la corde raide, tout en abordant des considérations sur le temps qui passe, sur les questions qui restent parfois en suspens, sur les envies d’ailleurs.

       

      Un roman tentaculaire aux personnages riches, cabossés, la violence psychologique n’ayant rien à envier aux déchainements physiques pour leur compliquer l’existence.


      Gallmeister – 24.40 euros 

    • Le fils de l'homme - Jean-Baptiste DEL AMO

      Après plusieurs années d’absence, un homme resurgit dans la vie de sa compagne et de leur jeune fils.  Pour faire prendre un nouveau départ à sa famille, il les entraîne aux Roches, une vieille maison isolée dans la montagne où lui-même a grandi auprès d’un patriarche impitoyable. Entourés par une nature sauvage, la mère et le fils voient le père étendre son emprise sur eux et édicter les lois mystérieuses de leur nouvelle existence. Hanté par son passé, rongé par la jalousie, l’homme sombre lentement dans la folie.  Si la mère semble subir la situation, le fils cherche dans un premier à se conformer au garçon qu'espère son père: il est même fier de se voir confier une arme mais ne sait que faire des confidences de celui-ci.

      Après Règne animal, Jean-Baptiste Del Amo continue d’explorer le thème de la transmission de la violence d’une génération à une autre et de l’éternelle tragédie qui se noue entre les pères et les fils. Tragique et oppressant.


      Gallimard - 19 euros

    • D'ivoire et de sang - Tania James

      Il est fort, il est effrayant, il est fou; on le surnomme le Fossoyeur. Cet éléphant est monstrueux mais ce sont les hommes qui l'ont façonné ainsi, qui l'ont fait esclave après avoir assassiné sa mère alors qu'il n'était encore qu'un bébé. Il est dévoré par un désir de vengeance, exacerbé par les tortures quotidiennes; quand il réussit à s'échapper, ses pas le ramènent régulièrement vers les hommes mais pour les écraser. 

      Dans ce roman à 3 voix, celle de l'éléphant est la plus viscérale: dans cette région du nord de l'Inde, son habitat naturel se réduit comme peau de chagrin et les riziculteurs, comme le jeune Manu, sont souvent confrontés aux troupeaux d'éléphants affamés qui détruisent les récoltes déjà maigres. Manu va suivre son frère aîné, Jayan, et se laisser entraîner dans le milieu sordide du trafic d'ivoire, promesse d'argent facile. Enfin, la troisième voix est une voix féminine: Emma, documentariste américaine, tourne un reportage sur un vétérinaire qui recueille et soigne de jeunes éléphants orphelins et elle va, au fil de ses rencontres et de ses questions, se trouver face à des pratiques mafieuses, la corruption touchant même les associations de défense de la nature.

      Récit déchirant sur la misère humaine, la douleur animale et ce lien à jamais brisé entre l'homme et la nature. Un roman incroyablement bien construit.


      Rue de l'échiquier - 22 euros

    • Premier sang - Amélie NOTHOMB

      Le 30ème roman d'Amélie Nothomb est peut-être le plus émouvant: en ce début d'année, son père est décédé, elle n'a pas pu, en plein confinement, lui faire ses adieux, assister à ses funérailles. Ce livre est donc une façon pour elle de se reconnecter à lui. Elle le fait parler à la première personne, de ses souvenirs de diplomate en Afrique. La scène d'ouverture est saisissante puisqu'il fait l'expérience du peloton d'exécution: il est à ce moment-là le négociateur dans une affaire de prise d'otages dont il fait lui-même partie. A 28 ans, sa vie aurait pu se terminer là et Amélie Nothomb fait de cet instant un épisode qui s'étire pendant lequel il se remémore ses souvenirs d'enfance et en particulier, le choc de sa rencontre avec la tribu des Nothomb, aristocrates désargentés de Belgique. Orphelin très jeune de père, mal aimé d'une mère éplorée, Patrick est envoyé en vacances chez ses grands-parents paternels, accueilli par une troupe de 7 enfants élevés à la dure par un patriarche que l'enfant va aduler, s'intégrant de façon surprenante pour ce gamin de la ville, tiré à quatre épingles, à cette vie de château qui tient plus du taudis, ne mangeant pas souvent à sa faim mais appréciant la rude affection dont il fait l'objet. 

      Un roman qui fera date à n'en pas douter.


      Albin Michel - 17.90 euros

    • Avant que le monde ne se ferme - Alain MASCARO

      Roman sensible, émouvant et poétique sur le "porajmos" (la Shoah des tsiganes). Anton, le personnage principal, appartient au cirque du clan Torvath. Il a le don extraodrinaire de dresser les chevaux en faisant appel à leur partie la plus sauvage.


      Des années 30 aux années 50, on le suit dans ses terribles épreuves dans un monde fou et tourmenté à travers l'Europe, l'Inde et jusqu'aux plaines de Mongolie. La mémoire de ses proches disparus sera son fardeau. 


      Roman sur la résilience et hommage à un peuple dont la liberté continue à être jugée insupportable par nos sociétés corsetées.


      Autrement - 17.90 euros

    • Eichmann à Buenos Aires - Ariel MAGNUS

      En juillet 1950, Eichmann arrive à Buenos Aires après s'être évadé d'un camp de détention américain et avoir obtenu un "certificat d'indulgence" de l'Eglise catholique lui permettant de voyager d'Italie en Argentine sous la fausse identité de Ricardo Klement. Il va exercer divers métiers, il devient mécanicien chez Mercedes-Benz en 59: des réseaux et des groupes de soutien et d'insertion s'organisent pour fournir gîte et travail aux nouveaux arrivants. Il intègre également un groupe de discussion, le cercle Sassen-Dürer, dans lequel circulent toujours des discours idéologiques antisémites: il commence à rédiger des fiches, un livre de mémoire dans le but d'assurer sa défense s'il rentrait en Allemagne où tous espèrent un changement de situation qui leur permettrait de revenir au pouvoir. En 52, Eichmann fait venir sa femme et ses 3 fils (un 4ème fils naîtra en 55) sous leur véritable identité. Donc personne n'ignore qui il est et quel son passé. En 1960, il est arrêté en pleine rue devant chez lui par des agents du Mossad qui vont l'exfiltrer clandestinement du pays qui l'a accueilli vers Israël où il sera jugé et  pendu. 

      C'est en essayant de comprendre la haine viscérale de son père pour ce nazi de "petite envergure", que l'auteur, petit-fils d'immigrés juifs allemands, va  enquêter sur les lieux habités par Ricardo/Adolf, retrouvant dans l'air qu'il a respiré comme une contamination qui rend l'atmosphère plus lourde. Au final, Ariel Magnus se pose la question de sa propre complicité (en tout cas une complicité d'acte verbal) en ne décrivant pas Eichmann comme le monstre dépeint par le juge durant le procès, ni comme un imbécile comme l'a fait Hannah Arendt mais comme "un étron qui a appris à cacher son odeur, un malchanceux à qui la chance aurait souri trop longtemps, un courageux de la lâcheté", quelqu'un qu'on ne comprend pas, qui se dévoile et qu'à nouveau on ne comprend plus; ce qui semblait évident ne l'est plus et le redevient. La postface résonnera longtemps comme une interrogation face à la banalité du mal qui touche des êtres d'un courage infini, évocation émouvante du destin de la grand-mère de l'auteur.


      L'Observatoire - 20 euros

    • Une vie cachée - Thierry HESSE

      La photo en couverture est un portrait du grand-père de l'auteur, en uniforme militaire allemand. Il a 20 ans, il est né dans cette partie du territoire où la frontière, comme un couperet, décide, un jour français, un jour allemand, du destin des hommes. Quand on est né à Metz, les histoires de famille ressemblent à des leçons d'histoire. Ce grand-père, tenu à l'écart de la vie familiale, hante l'auteur: pourquoi se fait-il appeler Franz alors qu'il est né François? Quelle a été sa jeunesse? Né en 1891, que signifiait pour lui être né allemand? 

      Le souvenir emprunte le mouvement d'une déambulation: dans cette région mille fois meurtrie où des torrents de sang ont arrosé les plaines, où les forêts de pins plongent leurs racines dans une terre labourée par les mines et les bombes, servant de sépulture anonyme à des milliers de soldats tombés au combat, français? Allemands? Qui sait?

      C'est aussi par les chemins de la littérature, à travers un autre Franz (Kafka) que le narrateur progresse dans son enquête mettant à jour un de ces lieux de mémoire où se nouent la petite et la grande histoire. L'enfance y est évoquée avec une grande sensibilité. Un récit troublant et énigmatique.


      L'Olivier - 17 euros 

    • Enfant de salaud - Sorj CHALANDON

      L'enfant de salaud, c'est lui, Sorj, cette insulte lui est assénée par son grand-père qui lui révèle également que son père, ce fou qu'on a découvert dans "Profession du père", était du mauvais côté pendant la guerre et qu'il l'a même vu porter l'uniforme allemand Place Bellecour, à Lyon. Ces mots entendus dans l'enfance, enfouis, refont surface à la lumière de la lecture de documents dûment répertoriés dans les archives lilloises: il a été condamné et emprisonné pour activités nuisibles à la défense nationale. Il a évité de justesse et de façon incompréhensible, la peine de mort. L'auteur n'aurait découvert qu'un collabo et un lâche que ce roman ne serait pas né. Mais ce qu'il a exhumé est tout simplement incroyable car cet homme, qui lui aura menti toute sa vie,  enrôlé à 18 ans au début de la guerre, gamin sans instruction ni conviction, aura porté 5 uniformes en 4 ans: recherché, arrêté, évadé 2 fois, déserteur 4 fois, il a fait montre d'une inconscience absolue et d'un instinct de survie total. Dans ce roman, tout le talent de l'auteur est de faire coïncider le procès de Klaus Barbie (qu'il couvrait à l'époque comme journaliste) et la découverte de ce document, avec l'espoir qu'enfin son père lui raconte sa guerre et pas des épisodes rocambolesques et énigmatiques. Ce procès auquel il a voulu assister pourrait être l'occasion d'une réconciliation car le salaud, il est là: ce n'est pas le gamin qui a trahi son pays pour sauver sa peau, c'est le père qui a menti à son fils tout le restant de sa vie et à laisser son enfant sans lumière.

      Un roman vrai, bouleversant.


      Grasset - 20.90 euros

    • Lune comanche – Larry McMurtry

      Deuxième partie du préquel de Lonesome Dove, nos valeureux Texas rangers Gus et Call sont de nouveau sur le pied de guerre. Sous le commandement du capitaine Scull, militaire au comportement déroutant (et à l’épouse qui ne l’est pas moins…) connu pour son charisme et pour celui de son cheval Hector, mesurant un mètre quatre-vingts au garrot, ils doivent traverser le Texas pour ramener à la raison les indiens toujours aussi belliqueux. En effet, Buffalo Hump, le terrible chef croisé dans l’épisode précédent (La marche du mort) est toujours décidé à bouter hors de son territoire les hommes blancs. Pourtant, il est bien conscient que les temps changent et que ces hommes, son incontrôlable de fils « Blue Duck » en tête, préfèrent les armes à feu de l’ennemie plutôt que les arcs et lances ancestrales. Kicking Wolf, l’habile voleur de chevaux l’accompagne dans ce dernier baroude d’honneur et verrait bien Hector, le cheval géant de Scull, rejoindre son palmarès. De l’autre côté de la frontière, un terrible hors la loi appelé Ahumado sème la terreur. Spécialiste de la torture (écorchement, empalement et autres petits plaisirs…) il représente une nouvelle menace et à la veille de la guerre de sécession qui va déchirer le pays, Gus et Call commencent sérieusement à revoir leurs perspectives de carrière. D’autant plus que dans un petit coin de leur cher Texas, dans la course vers la ruée vers l’or, une petite ville est en train de sortir de terre. Son nom ? Lonesome Dove…


      Ce roman de huit cents pages introduit parfaitement les deux tomes de Lonesome Dove, permettant d’approfondir les personnages et de mieux comprendre leurs comportements et attitudes dans leurs aventures prochaines. C’est aussi un moment historique, charnière, qui est décrit, celui où les indiens commencent à comprendre que la bataille est mal engagée et que leur avenir va surement passer par d’âpres négociations pour pouvoir continuer d’exister. Une sorte de dernière bataille, perdue d’avance. Après la disparition des bisons, leur tour viendra…


      Comme indiqué, huit cents pages mais quelles huit cents pages ! Des paysages finement dessinés, des personnages plus charismatiques les uns que les autres, des réflexions sur l’engagement, sur l’amour, l’amitié, la fierté, l’honneur. De très grands moments de lecture.


      Gallmeister – 13.50 euros.

    • Gens de France, et d’ailleurs – Jean TEULE

      C’est à partir du milieu des années 80 que Jean Teulé a parcouru pendant quelques années la France, voire le monde, afin de recueillir des histoires folles mais authentiques, qui paraissaient notamment dans Hara Kiri. Un recueil de ces expériences, qui avait tout d’abord été publié chez Casterman, a été ressuscité en Avril 2021 chez Fakir Editions.

      Jean Teulé est devenu un romancier de renom depuis (avec entre autres « je, François Villon », « Charly 9 » ou dernièrement « Crénom Baudelaire ! ») mais à cette époque, alors jeune dessinateur de BD, c’est en tant que journaliste de terrain qu’il parcourt les villes et les campagnes, s’expatriant même parfois en dehors de l’hexagone, pour réaliser le portrait d’énergumènes surgis de nulle part ou présenter des sujets ayant pour trait commun leur singularité. Tout ceci avec une liberté de ton et un œil critique typique de ces années 80, décennie pendant laquelle sévissaient également Choron, Desproges, Coluche et autres Cavanna. Ces reportages lui ont valu de nombreux procès et presque autant de condamnations mais le jeu en valait la chandelle : entre autre, montrer le business plan de Sœur Emmanuelle avec ses chiffonniers et sa course à la com’ contre ses adversaires de l’époque, l’Abbé Pierre et Mère Thérèsa, rencontrer Jean Claude, rendu célèbre par la suite dans l’émission Strip Tease, dont le projet de soucoupe volante en bois pour emmener a mère sur Altaïre laisse sans voix (tout autant que son passif avant d’en arriver à cette douce folie…), ou cette histoire de prostituée Belge qui s’adonne à la peinture entre deux passes. C’est une pléthore de personnages haut en couleur dont regorge les 300 pages de ce livre. 

      Publié sous forme de roman photo, agrémenté des dessins de l’auteur, on peut également l’apprécier sous la forme d’une analyse sociétale, significative d’une époque. Comme lorsque Teulé se rend sur les bords de la Vologne au moment de l’affaire du petit Grégory, quand il décrit la fin sordide de Zohra, une jeune fille de 16 qui a mis fin à ses jours de peur d’avoir à rendre des comptes à son père qui la terrifie après avoir dérobé un soutien-gorge de 50 francs au Mammouth de sa ville. L’enterrement de Gaston Deferre vaut également le détour tant il fait écho aux plus belles heures de la mafia napolitaine…

      Un retour dans le passé qui surprend par la liberté de ton et la parole facile des personnes interrogées (aujourd’hui, la moindre confidence provoquerait des émeutes sur les réseaux sociaux…) et finalement des portraits de personnages souvent « félés, ancrés dans la nostalgie d’une époque. 


      Fakir Editions – 38 euros

    • Le club Aegolius - Lauren OWEN

      Fin du 20ème siècle, James Norbury, aspirant poête, quitte son Yorshire natal pour aller tenter sa chance à Londres. Il laisse derrière lui sa soeur Charlotte qui l'aime tendrement. Leurs parents sont morts leur laissant une propriété qu'ils ne peuvent entretenir. Le reste de la fortune familiale lui permet tout de même de vivre sans travailler. 

      Peu après son arrivée, James s'installe en colocation avec Christopher Paige, un fils de bonne famille tout aussi oisif. Christopher, extraverti et solaire a ses entrées dans le monde, James, introverti et timide, est un campagnard qui peine à s'insérer dans la vie londonienne. Entre les deux naît une amitié qui devient rapidement plus que cela, au risque d'être dénoncés voire emprisonnés (cf Oscar Wilde). La disparition incompréhensible de James va précipiter Charlotte à Londres sur les traces de son frère et du mystérieux club Aegolius.

       

      Ce premier roman de Lauren Owen, mêlant roman victorien et littérature gothique, tendance vampirique, est une réussite littéraire; une langue ciselée, une maîtrise parfaite des codes de l'imaginaire vampirique et horrifique, un portrait social et économique d'une ville de Londres où se cotoient la plus grande richesse et la misère la plus abjecte (mais aussi des inégalités de genre et sur le statut juridique inférieur des femmes).


      Une galerie de personnages attachants et une évocation originale de la société des vampires, pour les passionnés du genre car l'ouvrage fait plus de 500 pages!


      Actes Sud - 25 euros

    • Retour à Killybegs – Sorj CHALANDON

      Tyrone Meehan est un octogénaire qui retourne vivre sans une maison de Killybegs, une ville côtière d’Irlande dont est originaire sa famille. Dès l’âge de 16 ans, il a vu les morts s’accumuler parmi ses proches et ses amis, évènements malheureusement classiques quand on est a été pendant plus de 60 ans un combattant catholique au sein de l’IRA. C’est à Belfast, après la disparition tragique de son père, que sa mère et ses 9 enfants se sont installé en 1941 et c’est dans cette ville qu’il a fait ses premiers au sein des scouts de la République, base de recrutement de l’IRA. Il a connu très jeune les actes de terreur commis entre autres par les brigades spéciales britanniques pour faire taire les velléités indépendantistes. Il a, au fur et à mesure, franchi les échelons, devenant une figure reconnue du mouvement, faisant preuve d’autorité et inspirant le respect de par ses actes de bravoure. Pourtant, pendant toutes ces années, Tyrone Meehan, après avoir commis une terrible erreur, n’était qu’un traitre à la solde de l’ennemi héréditaire britannique.

      C’est donc cette histoire, ce déchirement, que nous raconte Sorj Chalandon, qui connait bien son sujet pour avoir couvert pendant des années le conflit Irlandais pour le quotidien Libération. On peut même considérer son ouvrage comme un véritable roman historique puisqu’il s’est inspiré de Denis Donaldson, membre de l’IRA que l’auteur a bien connu, lui ayant consacré un autre roman intitulé « Mon traitre ». Nous voici alors précipités en plein conflit armé, dans un pays déchiré où les attentats s’enchainent, où le sang appelle le sang. Comme souvent dans les romans de Sorj Chalandon, le rapport au père est déterminant et influe fortement le caractère des personnages et la tournure du récit. 

      Une plongée dans une période sanglante et féroce mais aussi une réflexion sur la rédemption, la culpabilité, la compromission, traités de manière sensible et mesurée face au sujet passionné et tragique de la quête d’indépendance et de sa kyrielle de victimes. 


      Livre de Poche – 7.90 euros.

    • L'île des âmes - Piergiorgio PULIXI

      Depuis plusieurs décennies, la Sardaigne est le théâtre de meurtres rituels sauvages.

      Enveloppés de silence, les corps de jeunes filles retrouvés sur les sites ancestraux de l'île n'ont jamais été réclamés. Lorsque les inspectrices Mara Rais et Eva Croce se trouvent mutées au département des «crimes non élucidés» de la police de Cagliari, l'ombre des disparues s'immisce dans leur quotidien. Bientôt, la découverte d'une nouvelle victime les place au centre d'une enquête qui a tout d'une malédiction. De fausses pistes en révélations, Eva et Mara sont confrontées aux pires atrocités, tandis que dans les montagnes de Barbagia, une étrange famille de paysans semble détenir la clé de l'énigme.

      La première enquête de Mara Rais et Eva Croce nous plonge dans les somptueux décors de la Sardaigne, au coeur de ténèbres venues du fond des âges.


      Galmeister - 25.80 euros.

    • Billy Wilder et moi - Jonathan COE

      Dans la chaleur exaltante de l'été 1977, la jeune Calista quitte sa Grèce natale pour découvrir le monde. Elle rencontre le réalisateur Billy Wilder, dont elle devient l'interprète le temps d'un fol été, sur le tournage du film Fedora. Un roman de formation touchant et le portrait intime d'une des figures les plus emblématiques du cinéma.


      Gallimard - 22 euros.

    • Là où sont les oiseaux – Maren UTHAUG

      Ce roman publié par Gallmeister s’inscrit dans la nouvelle orientation de la maison d’édition et sa volonté de proposer d’autres littératures que celles issues de la scène nord-américaine dont elle est devenue une des spécialistes. Ainsi, c’est une autrice norvégienne, Maren Uthaug, qui nous invite à partager la vie d’une famille norvégienne des années 1930 autour du phare de Kjeungskjær (beaucoup de points au scrabble !). Johan vient juste de succéder au vieux gardien qui y vivait jusqu’alors et a surtout obtenu ce poste pour subvenir aux besoins de sa mère devenue veuve. Il a dû pour cela se marier, et Hannah, l’amour de sa vie très appréciée par les marins du port, s’y prêtait moins que Marie, la fille du vénérable pasteur du village, au charme et à la personnalité plutôt quelconques…de premier abord. Bien vite, la famille va s’agrandir et les choses vont vite déraper tant les deux conjoints entretiennent l’un pour l’autre des secrets inavoués et inavouables. Avec le désespoir et les drames, voici ce que nous allons partager avec eux durant une vingtaine d’années, dans ce coin isolé, battu par les flots, au large de la Norvège. 

      Le récit se compose de trois parties, (à travers les yeux de Johan, de Marie et de leur fille Darling) et avec chaque narrateur, nous apprendrons quelque chose que les autres auront omis ou ignoré. Les non-dits tiennent donc un rôle central dans le fonctionnement de cette famille et l’autrice parvient toujours à nous surprendre par l’accumulation de noirceur (crédible) qui teinte ses pages.

      Un nouveau titre Gallmeister qu’il est difficile de refermer, Maren Uthaug parvenant à nous intriguer, parfois perdre, autours de ces moments de vie enchevêtrés. On cherche à avoir le fin mot de l’histoire et comprendre les rebondissements narratifs qui s’enchainent, et c’est lorsqu’on se dit qu’il ne peut rien se passer de pire…que l’on se retrouve de nouveau emporté.


      Gallmeister – 23.60 euros

    • 24 fois la vérité – Raphael MELTZ

      Le titre de ce roman vient de la citation de Jean Luc Godard pour qui « la photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde ». Adrien, le narrateur est un écrivain qui ne peut pas vivre uniquement de sa plume et qui doit régulièrement réaliser des « piges alimentaires » (qu’il déteste) notamment pour couvrir des évènements liés aux nouvelles technologies (qu’il déteste également). Il va donc être question de cinéma et de vérité tout au long des pages de cet ouvrage de Raphael Meltz (fondateur de la regrettée revue « Le Tigre ») puisqu’ Adrien va nous projeter la vie de son grand-père Gabriel, décédé en 2009 à l’âge de 101 ans. Ce dernier a en effet vécu les balbutiements des premiers enregistrements vidéo et son existence a très certainement basculé à l’âge de 5 ans avec le décès brutal de sa grande sœur qui l’avait initié au maniement des premières caméras du marché. Gabriel a donc traversé le 20ème siècle l’œil collé à l’objectif, a immortalisé des grands évènements (le Goncourt de Malraux mais aussi l’évacuation des camps de concentration à l’issue de la seconde guerre mondiale), ne parvenant à s’exprimer (même à titre personnel) que par le biais de l’objectif, comme si ce filtre lui permettait de faciliter son rapport au monde. Les passages traitant de la vie de Gabriel alternent avec les chapitres sur Adrien qui cherche sa place dans la société et qui esquisse des échanges passionnés avec ses amis, notamment sur la mort du cinéma happé par les nouvelles technologies triomphantes depuis le tournant du 21ème siècle.

      Raphael Meltz aborde à la fois la sphère personnelle de ses personnages, avec des drames familiaux et des étapes banales d’une existence, tout en déroulant la société du 20ème siècle que Gabriel a traversé jusqu’à notre époque connectée. Des passages émouvants, la sensibilité du grand-père ayant imprégnée le petit-fils qui exprime par l’écrit ce qui pouvait être véhiculé par les enregistrements de son aïeul.

      Un roman introspectif qui reste ouvert sur le monde, un témoignage de l’évolution à la fois personnelle et artistique de ses protagonistes, exprimé avec pudeur et sensibilité.


      Le Tripode – 20 euros

    • Sainte Marguerite Marie et moi -Clémentine BEAUVAIS

      C’est certainement le livre le plus inattendu de la rentrée et le plus surprenant de Clémentine Beauvais. On se souvient avec émotion de «Songe à la douceur », « Brexit romance » ou encore «Les petites reines » et plus récemment personnellement, un énorme coup de cœur ♥️) «Décomposée », dans lequel, en vers libres, elle donnait une voix et une vie à la charogne du poème de Baudelaire. Aujourd’hui elle revient avec un roman très personnel en enquêtant sur son aïeule: sainte Marguerite-Marie. Avec beaucoup d’humour, elle explore la vie de cette femme, découvrant un monde qui lui était quasiment inconnu, le monde catho. Elle aborde avec beaucoup de bienveillance mais aussi d’étonnement les écrits de la sainte de Paray-le-Monial (1647-1690), son mysticisme et l’empreinte qu’elle a laissée puisqu’elle est, pardon du peu, l’inspiratrice du culte du Sacré Cœur (pour les incroyants comme moi, c’est là que Wikipédia révèle toute son utilité 😉)


      C’est avec humour que Clémentine Beauvais, agnostique non baptisée et féministe, part à la rencontre de cette arrière arrière arrière….grand-tante: confrontant les écrits de l’époque et sa propre expérience de vie (l’autrice est enceinte, le confinement imposé, sa grand-mère et sa mémoire défaillante), elle nous livre son cheminement, ses doutes et remises en questions pour faire de ce texte un roman familial touchant, une introspection teintée d’humour et un cheminement dans l’écriture depuis les sources brutes jusqu’aux interprétations qu’il faut elles-mêmes aborder avec l’esprit ouvert sans perdre de vue le monde tel qu’il était au XVIIeme siècle.


      Drôle, subtil et tendre.


      Quasar - 16 euros

    • Les dents de lait - Hélène BUKOWSKI

      Ce roman à l'atmosphère étrange nous plonge dans le monde d'après, celui dans lequel il faut survivre, s'accrocher à un lieu en espérant qu'il nous protégera du pire. C'est dans une région surchauffée, au milieu d'une nature déréglée et d'animaux aux comportements étranges que vivent Skalde et sa mère Edith. Les derniers habitants de la région ont fait sauter le pont qui les reliait au reste du monde, espérant ainsi se protéger du chaos, n'admettant aucun inconnu, seule manière d'après eux de maintenir en vie la communauté. 

      Lorsque Skalde recueille une enfant affamée, elle sait qu'elle transgresse la règle établie mais elle même n'a jamais été intégrée, fille d'une mère "étrangère" venue de l'autre coté. La chevelure rouge feu de la gamine en fait une créature malfaisante toute désignée comme la cause des catastrophes du village. 

      Dans cette ambiance de peur et de superstitions, les trois femmes vont devoir faire face à une violence de plus en plus palpable. 


      Un premier roman d'une nouvelle autrice allemance d'une force incroyable, découverte par les éditions Gallmeister.


      Gallmeister – 22.40 euros 

    • Quality Land - Marc-Uwe KLING

      A Quality Land, les algorithmes s'occupent de régler tout votre quotidien. Plus aucun souci à se faire : quelque soit votre besoin, votre envie, des drones vous livrent aussitôt, avant même de l'avoir verbalisé, pratiquement avant même d'y avoir pensé! Tout est optimisé : le travail (quand vous en avez un car les robots font tout...), les loisirs,  les relations. Plus aucune décision difficile à prendre, votre assistant personnel s'en charge et informe qui de droit : les ruptures amoureuses par exemple réglées en un clin d'oeil et une application qui se charge de vous retrouver le partenaire idéal. De toute façon, il n'y a plus qu'une seule réponse possible : OK! 

      Pourtant un grain de sable va enrayer la belle mécanique. Peter Chômeur (être désigné par son métier permet de vous situer rapidement sur une échelle de qualité) a de plus en plus la sensation que les choses et en particulier sa vie, ne se déroulent pas aussi bien qu'annoncé par les publicités du monde qui l'entoure. Et quand un jour il reçoit un objet dont il ne sait que faire, il va tenter de faire entendre sa voix...

      Dystopie pleine d'humour, un peu inquiétante tout même sur les promesses -pièges du numérique, l'auteur nous entraîne dans les méandres d'une civilisation qui a abdiqué toute liberté au profit d'un confort de vie, au final peu enviable. 

      Pour les amateurs de Kurt Vonnegut, Philip K DIck et la série Black Mirror.


      Actes Sud - 22.80 euros. 

    • Le cercueil de Job - Lance WELLER

      Le cercueil de Job est le nom d’une constellation d’étoiles. Le père de Bell Hood, une jeune esclave en fuite, l’évoquait lorsqu’il lui parlait de son futur : il faudrait s’en servir pour s’orienter et trouver « la gloire » (l’endroit où les noirs pourraient vivre librement). Bell Hood se retrouve donc sur les routes d’une région stratégique (Mississippi/Tennessee/Kentucky) en pleine guerre de sécession américaine, son histoire se déroulant entre 1862 et 1864. Accompagné de Dexter, un autre jeune esclave en cavale, elle va connaître rapidement les dangers de la route entre chasseurs d’esclaves, soldats en déroute et fugitifs de tous bords. Découvrir également des atrocités plus horribles les unes que les autres. En parallèle, nous allons suivre une autre destinée, celle de Jeremiah Hoke, un soldat confédéré qui a rallié le champ de bataille plus par hasard que par conviction. Nous apprendrons au fil de l’histoire que Bell Hood et Jeremiah Hoke sont liés par un drame originel commun avec lequel ils doivent composer et tenter de surmonter.

      Lance Weller intègre ses personnages dans la vraie chronologie de la guerre de sécession et ces derniers seront donc plongés dans les véritables batailles (Shiloh/Fort Pillow) et rencontreront certains protagonistes (notamment le terrible lieutenant général sudiste Nathan Bedford Forrest) dans un conflit qui provoqua la mort de plus de six cents mille personnes. L’année 1864 est l’avant dernière année de la guerre et l’auteur dépeint très bien le sentiment de lassitude et de résignation des individus confrontés à une guerre économique sur fond idéologique qui ne signifie finalement plus grand-chose. Lorsque les hommes sont remplacés par des bêtes sanguinaires, la haine de l’autre devient le seul point de ralliement. 

      Dans ce roman, les scènes de combat sont bien menées sans pour autant mettre de côté la dimension psychologique. L’auteur parvient à montrer le phénomène d’endoctrinement, d’effet de masse, lorsque le conflit n’existe plus que pour le conflit, apportant ainsi la preuve que cette guerre fratricide n’avait rien à envier aux récentes boucheries napoléoniennes et futurs conflits armés européens. Il montre aussi la difficulté de la population silencieuse et des individus cherchant à ramener de l’humanité au cœur de l’Histoire, bien isolés au milieu du vacarme, du sang et des larmes.

      Très bon roman dépeignant une période sombre de l’histoire américaine dont on retrouve encore des braises toujours prêtes à s’enflammer 150 années plus tard.


      Gallmeister – 25 euros

    • Les enfants de Cadillac - Farnçois NOUDELMANN

      En 1911, fuyant les persécutions contre les Juifs en Lituanie, Chaïm, le grand-père du narrateur, arrive en France. Afin d’obtenir la nationalité française, il s’engage dans l’armée et prend part à la Grande Guerre. Il est grièvement blessé par une bombe chimique. Il passe vingt ans interné, avant de mourir dans l’anonymat à l’hôpital psychiatrique de Cadillac, en Gironde. En 1940, Albert, le père du narrateur, est fait prisonnier et dénoncé comme Juif. Lors de la libération des camps, il met plusieurs semaines à rejoindre la France à pied depuis la Pologne. Il risque plusieurs fois d’être exécuté par des soldats nazis en déroute ou des militaires russes avides.

      Dans ce premier roman époustouflant, François Noudelmann emporte le lecteur dans les tumultes des deux conflits mondiaux. Les destins de son grand-père et de son père sont de véritables épopées, à travers lesquelles l’auteur questionne son identité française.


      Gallimard – 19.90 euros

    • True Story – Kate REED PETTY

      Aux Etats-Unis, le sport dans le milieu étudiant est une composante essentielle de la vie sociale pour une jeunesse avide de se forger une image, une personnalité, en d’autres termes exister dans le regard de l’autre. Autre solution, les fêtes pendant lesquelles l’alcool coule à flot qui représente une alternative toute aussi prisée. En 1999, Max le tombeur autoproclamé et Richard l’intello taciturne font partie de l’équipe de crosse du lycée et participent donc à une de ces fameuses soirées. Alice est également de l’aventure mais supporte beaucoup moins l’alcool que les deux jeunes athlètes. Ces derniers décident de la ramener chez elle, cette dernière étant plus que moins inconsciente, le trajet en voiture est réalisé jusqu’au domicile parental mais ce ne sera pas Alice qui pourra témoigner de ce qui s’est réellement passé dans le véhicule. En tout cas, Max et Richard ont présenté leur version et c’est cette dernière qui va nourrir la rancœur, le mal être des protagonistes mais aussi des témoins passifs pendant les vingt années suivantes. Nous retrouverons donc au fil du temps une bonne partie de l’équipée de 1999 et ne pourrons que constater les effets non négligeables engendrés par l’affaire sur leurs existences.

      La rumeur est bien le véritable personnage principal du roman, tout découle d’elle et les individus sont finalement ramenés à un rôle de marionnettes entre ses doigts. L’auteure nous fait naviguer dans le temps, mélange les points de vue, les narrations, les états d’âme, les certitudes que la situation a pu engendrer au fil du temps. Une chose est certaine : la rumeur n’a épargné personne et s’il est bien difficile de démêler le vrai du faux, surtout, comment vivre avec ? 

      Ce premier roman de Kate Reed Petty est tout d’abord original de par sa forme, certains passages étant composés d’échanges de mail, de synopsis, de brouillons annotés ce qui donne une dimension particulière au récit. Il constitue d’autre part une véritable base de réflexion quant aux traitements des accusations, leurs interprétations, le rapport à l’autre tronqué, les petits arrangements avec soit même face à la vérité. Quoi qu’il en soit les répercussions sont bien loin d’être anodines et donne vie à un roman haletant qu’il est difficile de fermer jusqu’au dénouement brillant.


      Gallmeister – 24.60 euros

    • Seule en sa demeure - Cécile COULON

      Son père lui a affirmé qu'il ne l'obligerait pas à se marier mais Candre Marchère est un homme bon, le meilleur d'entre tous. Bien qu'il soit veuf, bigot et éteint, Aimée, 18 ans, pleine d'illusions et d'espoir, se plie sans regimber à ce mariage arrangé comme il s'en célébrait tant au XIXème siècle. Elle quitte sa famille aimante et sa maison rassurante pour une demeure froide entourée d'une forêt jurassienne inquiétante.

      Comment trouver sa place auprès de ce mari silencieux et secret, d'Henria, la gouvernante qui a élevé Candre comme son fils quand sa mère est décédée? Qui est donc Angelin, ce mystérieux muet dont on lui dit que sa langue coupée est une punition pour avoir mené une vie de débauche? L'intérieur reste imprégné de la personnalité d'Aleth, la première épouse, morte deux ans auparavant de la tuberculose dans un sanatorium. 

      Candre offre à sa jeune épouse la possibilité de recevoir des leçons de musique à domicile: quand Emeline arrive, elle ne s'imagine pas qu'au fur et à mesure des leçons, sa présence va faire voler en éclats ce vase clos. Un roman au suspens implacable et au dénouement aussi inattendu que surprenant. 


      L'Iconoclaste - 19 euros

    • Chant des plaines – Wright MORRIS

      Wright Morris est un auteur américain qui n’a pas obtenu la reconnaissance qu’il aurait p(d)u connaître aux dire de Brice Matthieussent, son traducteur dans la préface du roman. Ne serait-ce que pour sa vision féministe et sa description d’un monde en total bouleversement, on ne peut que corroborer ses dires. Pour cela, il nous propose de suivre trois générations de femmes, du début du XXème siècle jusqu’au milieu des années 60, au fin fond du Nebraska. 

      Tout débute avec Cora, qui a quitté son Ohio natal pour venir s’installer dans la ferme d’Emerson Atkins, un homme qu’elle ne connait finalement peu, mais bon, il faut bien s’établir quelque part. Toute sa vie consistera alors à assurer la lignée des Atkins, travailler (beaucoup), vivre de peu et surtout n’avoir de compte à rendre à personne. Elle aura donc une première fille Madge qu’on verra reproduire plus ou moins le même schéma, comme un chemin tracé, inéluctable et ce même si les temps sont en train de changer comme le chantait Bob Dylan. Et puis il y aura Sharon, la fille d’Orion, le frère d’Emerson, qui perdra sa mère en bas âge et qui sera comme la seconde fille de Cora. Mais pour Sharon, c’est une autre histoire qui va se dessiner : elle compte bien mener une existence différente et pour cela va partir s’installer à Chicago, vivre sa passion de la musique et connaître une vie personnelle qui ne peut même pas être envisagée par le reste de sa famille. Mais on la laissera faire, la suivant de loin, sans intérêt manifeste. Et puis le temps passera, les générations se succèderont, le progrès prendra de plus en plus de place dans le quotidien, les méthodes de travail évolueront, un vent de liberté soufflera sur ces grandes plaines des Etats-Unis. Mais il est bien difficile de faire bouger les lignes quand le conditionnement et les convenances sont si profondément ancrés.

      On peut qualifier ce roman écrit en 1980 comme profondément féministe tant les personnages féminins écrasent de leur charisme les protagonistes masculins, réduits à leur condition de bête de somme, casaniers et rétrogrades, n’ayant aucune sensibilité sur l’évolution des mœurs et de la société. Le téléphone, la télévision, les toilettes ont fait leur apparition dans les foyers et les protagonistes issus du début du siècle deviennent des dinosaures en l’espace d’un demi-siècle.

      Wright Morris, également connu pour ses travaux de photographe (la superbe couverture du roman est une de ses œuvres), nous propose donc un recueil d’instantanés de vie sur une cinquantaine d’années, se faisant le témoin de la vie ordinaire de gens simples, ordinaires, dans le tourbillon de l’évolution sociétale et de l’émancipation féminine. The time they are a changin’… 


      Christian Bourgois – 22.50 euros.

    • Where all light tends to go/Là où les lumières se perdent – David JOY

      Where all light tends to go/Là où les lumières se perdent – David JOY

      Il n’est pas facile de porter le nom de McNeely. Pour Jacob, cela signifie que l’on est le fils de Charly McNeely, un garagiste installé en Caroline du Nord, qui pourrait passer pour un simple artisan honnête s’il ne gérait pas en parallèle de son activité licite, un trafic notoire et développé de méthamphétamines. Alors, bien sûr, Jacob qui a 18 ans, a des envies d’ailleurs, notamment quand il pense à Maggie, une fille qu’il connait depuis la petite enfance. Cette dernière a des capacités qui pourraient lui offrir un avenir meilleur si seulement elle pouvait quitter ce coin perdu des Appalaches, avec, pourquoi pas, Jacob à ses côtés. Seulement ce dernier reste sous l’emprise économique de son démoniaque de père, ne pouvant trouver de réconfort auprès de sa mère qui est rendue au stade d’épave par la cristal meth. Il se débat donc dans un milieu pourri, dans lequel les flics locaux ne sont pas oubliés, et doit rentrer de gré ou de force dans les combines de son père. C’est lors d’un règlement de compte qui ne va pas se passer comme prévu que Jacob va voir ses rêves s’éloigner, encore un peu plus loin de ses ambitions de départ.

      Un ouvrage bien sombre que nous propose David Joy, pour ce qui était alors son premier roman (il a publié depuis "Le Poids du monde" et "Ce lien entre nous"). Un puissant sentiment de résignation qui habite Jacob tout au long du roman malgré quelques rayons d’espoir amenés surtout par sa relation avec Maggie. Le fatalisme lié au milieu, la force des habitudes, la soumission économique donnent à ce roman une dimension mélancolique sur la destinée et la difficulté pour s’en extirper.

      A noter que cet ouvrage existe en poche chez 10-18 mais également en version originale chez G.P Putman’s Sons. Cette dernière est tout à fait accessible, sans avoir besoin d’être totalement bilingue, le découpage en chapitres relativement courts permettant de conserver la concentration nécessaire à la bonne compréhension de l’histoire. De plus, dans cette édition, un « discussion guide » est présent à la fin du roman, pour introduire les axes de réflexion quant au contenu du roman, une démarche plutôt sympathique et que l’on imagine bien prisée par les clubs dont sont friands les lecteurs américains. 


      G.P Putman’s Sons/10-18 – 20.45 euros/7.50 euros

    • La marche du mort – Larry McMURTRY

      Voici le premier préquel de Lonesome Dove, histoire en deux tomes du regretté Larry McMurtry (disparu en 2021), dans laquelle nous avions fait connaissance des Texas Rangers Gus Mc Crae et Woodrow Call alors en fin de carrière et en pleine velléité de devenir enfin riche en convoyant du bétail volé au Mexique jusqu’au Montana. Dans « La marche du mort », ils viennent juste de rentrer dans l’âge adulte et ne rêvent que d’aventure, avec tout de même dans le coin de leur tête l’idée déjà de mener si possible la belle vie. Ils vont donc quitter leur cher Texas, s’élancer sur les routes avec pour objectif de rejoindre Santa Fé où l’or est sensé couler à flot. Mais avant toute chose, les deux jeunes apprentis aventuriers auront l’occasion de jauger leur capacité de résistance à la faim, à la soif, au froid, à la filouterie mexicaine et surtout feront la connaissance d’un terrible adversaire : le chef comanche Buffalo Hump.

      Un réel plaisir que de redécouvrir les deux personnages tout juste sortis de l’adolescence, encore bien inexpérimentés mais aux personnalités déjà bien dessinées : Gus, le boute-en-train adepte de whisky et de filles légères et Call, plus cérébral aux valeurs morales déjà bien établies. On trouve également dans ce roman des personnages féminins très forts, notamment Matilda une prostituée qui suit le convoi et qui s’avère sur le champ de bataille ou dans l’aridité des déserts tout aussi courageuse et résistante que les hommes composant la troupe. Il va bien leur en falloir pour faire face aux embuches qui leur mèneront la vie dure tout au long des 500 pages du récit.

      Ce premier roman de la série Lonesome Dove (bien qu’écrit après Lonesome Dove 1 et 2) est un formidable roman d’aventure dont le rythme ne faiblit jamais, teinté d’humour noir mais aussi de passages féroces (les séquences de scalp !). Une fois la dernière page tournée, on ne peut que se réjouir à l’idée de passer de nouveau de bons moments dans la suite « Lune comanche » et se laisser emporter dans de nouvelles chevauchées débridées et sauvages !

      Gallmeister – 12 euros

    • Le jeu de la dame – Walter TAVIS

      Ce roman de Walter Tavis, écrit au milieu des années quatre-vingts, a été l’objet d’une adaptation en série télévisée sur la plateforme Netflix en fin d’année dernière. L’occasion de relancer la pratique des échecs en présentant au grand public le personnage de Beth Harmon, jeune fille charismatique au comportement déstabilisant, voire destructeur. Comment une orpheline placée dans une institution des années soixante, qui ne lésine pas sur les médicaments pour calmer les ardeurs de ses pensionnaires, va découvrir grâce à un vieux gardien passionné le jeu des Rois et elle-même devenir au fil du temps une joueuse Reine, reconnue internationalement.


      Même si vous avez vu la série télévisée, vous pourrez vous replonger avec plaisir dans ce roman car il permet d’approfondir certaines facettes du personnage de Beth. Il donne surtout plus d’importance à ce qui se passe sur l’échiquier, les mouvements étant exprimés et disséqués, ce qui ravira le joueur amateur ou aguerri, en quête de coups et de stratégies impitoyables.


      Bien que l'adaptation en série reste très fidèle à la trame du roman, la narration de l’auteur permet tout de même de faire abstraction des images qui nous ont été imposés par les showrunners. On retrouve avec plaisir Beth et ses démons, ses peurs et ses blocages. On peut voir également dans cette histoire un manifeste d’émancipation féminine, à une époque et dans un milieu plutôt masculin, avec cette jeune fille qui va petit à petit renverser les codes. Une sorte de Bobby Fisher féminine, dopée aux médicaments et alcools divers et variés, frisant parfois la folie, comportement souvent indissociable de l’expression des véritables génies.

         

      Gallmeister – 11.40 euros

    • Libération - Imogen KEALEY

      Nancy Wake est la femme la plus décorée de la seconde guerre mondiale. Cette journaliste australienne, mariée à un riche industriel français Henri Fiocca, est déterminée à dénoncer et combattre l'anti-sémitisme qui se répand en Europe. Ce roman est le récit de ses combats, de son courage. Sous le pseudonyme de "la souris Blanche" elle va déjouer les contrôles et ralier les partisans et résistants pour la France libre, participant aux ravitaillements en armes des maquis soutenus par les anglais.


      Son caractère bien trempé et son language sans filtre en font une héroïne incroyablement touchante au destin boulversant car c'est son mari qui sera finalement arrété pour acte de trahison et suspecté d'être la Souris Blanche. Nancy Wake parvient à s'échapper et gagne la Grande Bretagne où elle rejoint la direction des opérations spéciales. Parachutée en Auvergne, elle va combattre l'ennemi aux côtés des maqisards. Leur témérité, confinant parfois à l'imprudence, portera ses fruits en affaiblissant les Allemands et permettant d'entrevoir la victoire.


      Roman en cours d'adaptation par et avec Anne Hathaway.


      JC Lattès - 21.90 euros


    • L'étoile brisée - Nadeije LANEYRIE-DAGEN

      1472, dans un petit village du nord de l'Espagne, la rumeur d'un pogrom circule au grand désarroi de la communauté juive. Un couple décide pour sauver leurs deux garçons, de les envoyer sur les routes avec de nouveaux prénoms chrétiens, l'ordre de se séparer et surtout de ne jamais avouer leur judéité. Cette rupture en fera des hommes pragmatiques : l'un deviendra un navigateur et cartographe, intime d'Amerigo Vespucci, l'autre médecin de Luther en Allemagne. En ce de déut du XVIème siècle, ils rencontent les artistes, les aventuriers, les têtes couronnées, les marchands qui font de ces années une époque charnière entre le Moyen Age et l'époque moderne. 


      En mêlant des histoires de Joaquim et de Juan à la Grande Histoire, Nadeije Laneyrie-Dagen, historienne de l'art, fait revivre cette époque de boulversements des idées et de la représentation du monde. 


      Un grand roman d'aventure, captivant de bout en bout, riche en péripéties et en passion au terme duquel on espère que les deux moitiés de l'étoile cousue par leur mère dans leurs manteaux de voyage seront réunies.


      Gallimard - 24 euros.

    • La parade - Dave EGGERS

      Un pays que l'auteur ne nomme pas sort difficilement de plusieurs années de guerre civile. Pour célébrer l'armistice, le gouvernement a ordonné la construction d'une route reliant le Sud du pays dévasté à la capitale du Nord triomphant. Deux hommes, Neuf et Quatre, sont chargés de goudronner  en quelques jours cette route longue de plusieurs kilomètres à l'aide d'une machine qui laisse derrière elle un ruban impeccable, peinture comprise. Le délai est serré car une grande parade est prévue sur cette nouvelle voie synonyme de paix et d'harmonie retrouvées. Mais la cohabitation entre les deux hommes aux caratères opposés ne va pas être simple: Neuf bien rôdé aux exigences du système fait du zèle, Quatre, ressemble à un jeune chien fou, sensible à toute la misère qui les entoure, perdant le temps précieux de son accolyte. 

      Dave Eggers excelle dans son rôle de conteur, révélateur des travers de notre société: notre capacité à ignorer les douleurs de nos voisins au nom d'un intérêt supérieur, notre naïveté face aux injonctions d'optimisme et de résilience et surtout notre paresse nous poussant trop fréquemment à nous contenter des apparences.

      Ce très court roman réserve une conclusion surprenante, pied-de-nez aux illusions de Quatre le bien "dressé".


      Gallimard - 16.50 euros 

    • Vieux criminels - Nicolas de Crécy

      Ils ont connu la gloire sous le nom de Bonnie Parker et Clyde Barrow, quand ils semaient la mort le long des routes du Texas. À présent, ils sont Éva et Claude et vivent planqués en France à une époque où Valéry Giscard d’Estaing sera bientôt président. Ils tiennent le lavomatique d’une localité perdue des Cévennes, dissimulant ainsi un commerce illicite de poudre blanche. Mais les clients sont rares, la boutique périclite et les truands doivent revenir à leur passion de jeunesse...farce et humour noir au programme de ce roman déjanté.


      Gallimard - 21 euros (collection SYGNE)

    • Dédale mortel – C Craig ZAHLER

      Darren Tasking, plus connu sous le surnom de Task, est un homme organisé. Chacune de ses actions est minutieusement préparée, analysée, il n’est pas du genre à laisser prise au hasard. Task est un entrepreneur, enfin un entrepreneur un peu particulier puisque son business réside dans la gestion de salons de prostitution et de casinos clandestins dissimulés dans de simples immeubles résidentiels. Ayant eu l’occasion assez jeune de croiser le chemin des « macho » (les policiers), il ne tient pas à renouveler l’expérience et se montre donc extrêmement prudent. Accompagné d’une fine équipe, des individus en qui il a entièrement confiance, les activités florissantes de Task sont cadrées. Frisant la paranoïa, il tient trop à conserver son indépendance et n’être tributaire de personne.

      Alors bien sûr, dans ce milieu, et malgré toutes ses précautions, le hasard vient parfois faire des siennes. Comme cette jeune fille Erin, danseuse dans un club de peep-show, sur laquelle Task souhaite mettre le grappin pour rendre encore plus attractif l’un de ses « salons ». Ne va-t-elle pas être le grain de sable tant redouté qui va venir gripper la belle mécanique de précision ? Le monde des affaires est dur. Celui des transactions louches est très dangereux. Le business de Task ne passe pas inaperçu. Peut-être a-t-il trouvé en Erin un être humain aussi malin que lui et qu’il va falloir prochainement prévoir les armes semi-automatiques plutôt que les plans machiavéliques. Voire même les deux.

      Cœurs sensibles s’abstenir car quand on précise que le monde des affaires louches est dur et dangereux, ce ne sont pas que des mots. Certains passages dans cette fiction de C Craig Zahler sont d’une cruauté implacable.

      Roman de 540 pages qui se dévore d’une traite tant les dialogues sont incisifs, teintés d’ironie et d’humour noir. Nous voici embarqués dans une ville américaine de Floride au tournant du 21ème siècle, peuplée de personnages charismatiques et complexes. Un réel plaisir que cette immersion sombre et rythmée et puis c’est tellement rassurant de constater que même les choses les plus planifiées peuvent dérailler !


      Gallmeister – 24.80 euros

    • Chiens de guerre – Adrian TCHAIKOWSKY

      Rex est un « bon chien ». C’est ce que lui concède à l’occasion son maître, estimant qu’il a bien réalisé la mission qui lui a été confiée. Rex n’est pas pour autant du genre à chasser le canard sauvage ou sauver des alpinistes imprudents en montagne. Rex mesure plus de 2 mètres lorsqu’il se tient sur ses pattes arrières et utilise de manière chirurgicale les mitraillettes dont il est équipé sur ses harnais. Autant dire que Rex est une machine à tuer au service de son maître et donc de l’armée lancée dans une guerre sans pitié contre des révolutionnaires aguerris. L’escouade de Rex fait sensation lorsqu’elle arrive sur les lieux d’opération : une ourse, Miel, aux griffes comme des rasoirs et au fusil bazouka destructeur, un dragon sniper (énorme lézard/caméléon) appelé sobrement Dragon et Abeilles, une communauté d’abeilles interconnectées qui servent à la fois à l’attaque et à la protection aérienne de cette équipée sauvage. Autant dire que les ennemis désignés en tant que tels se retrouvent face à une sérieuse opposition lorsqu’ils ont le malheur de croiser ce bataillon sur le champ de bataille. Mais Rex n’est pas qu’un chien transformé en arme. Il est aussi doté d’une intelligence lui permettant d’échanger avec les humains et ses semblables mais aussi d’une conscience qui le tiraille. Serait-il capable de désobéir à son vénéré maître et prendre ses propres initiatives si jamais ce dernier se comportait comme un « méchant maître » ?


      Roman SF passionnant qui aborde le monde animal, sujet auquel tient l’auteur, ancien étudiant en zoologie, qui a déjà publié « Dans la toile du temps » dans lequel les êtres humains devaient affronter des araignées dans leur volonté de conquête de l’espace. Ici, il est question de biotechnologie, d’éthique, de la gestion des conflits armés qui se déclenchent ou se perpétuent souvent pour de basses raisons économiques.


      Adrian Tchaikowsky parvient à donner de réelles personnalités à ses protagonistes tout en maintenant la sensation du lecteur d’être face à de vrais animaux. L’ouvrage donne également à réfléchir sur l’évolution des champs de bataille, d’ores et déjà peuplés de drones, sur la capacité de destruction et de détournement de la nature de l’esprit humain parvenant à rendre son environnement aussi mauvais que lui. A moins qu’un jour, ce soit la nature qui reprenne ses droits et que les rôles s’inversent. « Méchant humain, plus bouger ! »


      Folio SF – 8.60 euros

    • D'un cheval l'autre - BARTABAS

      Ils s'appellent Zingaro, Chaparro, Lautrec, Le Caravage... Ces chevaux ont marqué la vie de Bartabas, célèbre fondateur du théâtre Zingaro. Il a rencontré l'un lors d'une foire aux bestiaux, un autre sauvé de justesse à l'entrée d'un abattoir, un autre encore arraché à un maquignon véreux contre quelques pesetas. Grâce à une complicité quasi surnaturelle, Bartabas est devenu un écuyer d'exception, un centaure, accomplissant des prouesses qu'aucun artiste n'avait exécutées avant lui comme de faire galoper un cheval à reculons.

      Pour tous les amoureux des chevaux, du spectacle et de l'artiste.


      Folio - 8.10 euros

    • L'octopus et moi - Erin HORTLE

      Dans ce magnifique et singulier roman, Erin Horle est partie de l'observation d'un étrange phénomène de migration des pieuvres sur l’île de Tasmanie pour nous parler de la façon dont la vie peut s'inspirer de la notre relation à la nature et aux animaux. Après de terribles épreuves, Lucy le personnage principal ne sait plus ce qui est important dans son existence : sa rencontre inopinée avec une pieuvre va l'obliger à repenser sa féminité et sa place dans la nature. 


      Dalva - 22.90 euros

    • Huit crimes parfaits - Peter SWANSON

      Travailler dans une librairie spécialisée dans le polar peut s’avérer moins tranquille que pouvait l’espérer Mal Kershaw. Installé dans un quartier de Boston et cherchant avant tout la sérénité après avoir perdu sa femme dans un accident de voiture, il voit débarquer Gwen Mulvey, un agent du FBI qui vient l’interroger sur une liste d’ouvrage que Mal avait posté sur le blog de la librairie 15 ans auparavant. Cette dernière contenait 8 livres qui selon Mal présentent les crimes parfaits de la littérature. Malheureusement pour lui, un individu semble s’inspirer de cette fameuse liste pour perpétrer ses crimes et tout cela intrigue fortement l’agent Mulvey qui s’est rendu compte de la manœuvre. Cette étrange coïncidence peut laisser à penser que le tueur connait Mal. Et de là à envisager que ce dernier puisse même être considéré comme suspect dans l’affaire, il n’y a qu’un pas…qui peut rapidement être franchi. Tout cela pour dire que la quiétude de Mal va être remise en question et devoir envisager des jours et semaines difficiles en perspective… 

      Véritable hommage à Agatha Christie, ce roman nous plonge dans un polar à énigmes digne de la prestigieuse auteure, découvrant au fur et à mesure des ramifications et rebondissements où l’intelligence l’emporte sur l’action brute. Avec de nombreuses références à la littérature policière (ABC contre Poirot en tête), on découvre des personnages plus complexes qu’au premier abord jusqu’au dénouement, alambiqué comme il se doit.

      Un polar qui parle de polars, une mise en abime qui pousse à lire le roman d’une seule traite et qui donne envie de découvrir les titres de la fameuse liste. Pour se laisser porter par ces histoires habiles et ingénieuses…sans aucune idée derrière la tête, bien entendu… 


      Gallmeister – 23.40 euros

    • L'os de Lebowski - Vincent MAILLARD

      Jim Charles est jardinier (ou l'était, car il a disparu). Son dernier chantier s'est déroulé dans une propriété ultra chic : villa d'architecte, piscine... Les propriétaires, Arnaud, rédacteur en chef à la télévision et Laure, prof d'économie, veulent un jardin potager, bio bien sûr, en permaculture, bref, une belle photo de magazine  comme toute leur maison trop parfaite. L'harmonie règne, pourtant Jim se sent mal à l'aise avec leurs manières cordiales qui sonnent faux. Rien ne se serait passé si Lebowski, le chien du jardinier, n'avait fait montre d'une activité inhabituelle chez ce labrador d'une paresse légendaire. Si la fille des propriétaires n'avait pas eu la phobie des chiens, si Lebowski n'avait pas été attaché au fond du jardin et n'avait pas, pour la première fois de sa vie, fait ce que tout chien fait habituellement c'est-à-dire creuser, Carole Tomasi la juge, ne serait pas en train d'enquêter sur la disparition du jardinier en décortiquant les 2 cahiers qu'il a laissés.

       Un roman drôle et décalé dans lequel l'expression "tomber sur un os" prend tout son sens.


      Philippe Rey – 19 euros

    • Le système – Ryan GATTIS

      Augie, un toxico en manque bien connu des services de police, vient rendre visite à Scrappy, dealeuse de son état et membre d’un gang influent de Los Angeles, pour la supplier de lui fournir une dose. Devant son refus, il commence à délabrer sa maison, ce qui ne lui plait que moyennement. Cette dernière sort donc dans la rue pour corriger Augie et c’est à ce moment que deux hommes surgissent et lui tire trois balles dans le corps. Laissée pour morte, les exécuteurs abandonnent l’arme aux pieds de la victime et prennent la fuite. Augie qui a assisté à la fusillade fait les poches de Scrappy (ne jamais rater une occasion de refaire le plein de substances…), récupère l’arme du crime en prévision de la revendre, et porte quelques modestes premiers secours à la dealeuse. Tous deux ont bien reconnu l’un des tireurs : Wizzard, un gangster en pleine ascension membre d’un gang concurrent de Scrappy. Par contre, le second malfrat n’a pas été identifié. Quelques heures après les faits, l’agent de probation Petrillo rend visite à « son client » Augie afin de vérifier que ce dernier reste clean et respecte son engagement judiciaire. Bien entendu, ce n’est pas le cas et il dégote en plus des sachets dérobés à Scrappy l’arme qui a servi à sa tentative de meurtre. Augie donne le nom de Wizzard à Petrillo pour l’amadouer afin que ce dernier ne l’enfonce pas plus. L’occasion est trop belle pour le représentant de la loi : il va forcer Augie à inventer le nom du complice présumé et monter une machination pour faire tomber un dénommé Dreamer. Ce jeune homme, qui n’était pas présent lors de la fusillade, a pour principal grief d’être un proche de Wizzard et est surtout le compagnon d’Angela, une jeune fille sur laquelle Petrillo a des vues. Dreamer va donc se retrouver entrainé dans une plongée sordide au cœur du système judiciaire américain des années 90 avec un statut toujours difficile à prouver : innocent.

      Sur fond de trafic de drogue, de guerre des gangs et d’égo, Ryan Gattis nous propose une vision globale de l’affaire, avec une approche non manichéenne du crime. Ainsi, chaque chapitre est dédié à l’un des protagonistes (truand, avocat, flic, victime), avec bien entendu la préparation du jugement de la fusillade en toile de fonds, tout en développant le point de vue, le passé, le contexte sociologique de chacun. Ce procédé qui donne une profondeur de vue étendue amplifie tout l’intérêt de ce roman. Le personnage de Dreamer reste véritablement le héros malheureux pour lequel on ressent le plus d’empathie, la description de ses états d’âme, son évolution tout au long de l’histoire, étant remarquablement dépeints.

      Un très bon polar pour plonger au cœur des systèmes, pénal, carcéral, crime organisé, décrits avec précision et authenticité. L’immersion est totale et à coup sûr, Le système est l’un des meilleurs romans noirs de l’année lu jusqu’à présent. 


      Fayard Noir – 24 euros

    • Ecotopia – Ernest CALLENBACH

      La Californie, L’Oregon et l’état de Washington ne font plus partie des Etats-Unis depuis vingt ans au moment où débute ce roman, ayant fait sécession pour créer une société radicale baptisée Ecotopia. William Weston, journaliste au Times-Post, est envoyé par son directeur, sous l’autorité et contrôle des plus hautes autorités du pays, pour réaliser un reportage sur les conditions de vie sur place et pourquoi ne pas tenter de renouer par la même occasion des liens avec les autres états américains. Le reporter va donc découvrir un nouveau modèle de société, pourtant bien présent sur le sol nord-américain, mais qui s’est complètement détourné du modèle productiviste : abandon progressif des énergies fossiles, vie en adéquation avec la nature et ses cycles, nouveaux modes de transport, recyclage et réflexions abouties sur la surconsommation. Et bien entendu un fonctionnement politique, économique et éducatif complétement repensé. Bienvenue à Ecotopia, un territoire adepte de la décroissance, auquel William va devoir se confronter, petit à petit apprivoiser et connaître de profondes transformations intérieures.


      Ce roman écrit au milieu des années soixante-dix est d’une cruelle actualité tant la dimension écologique, longtemps snobée par l’humanité au profit du développement économique, est en train de prouver que c’est d’elle que proviendra l’éventuel survie de l’être humain. Ecotopia est en effet une dystopie originale puisque, une fois n’est pas coutume, la trajectoire pensée par Ernest Callenbach nous présente une humanité qui a su s’engager à temps sur la bonne voie, non sans connaître des difficultés, mais avec pour résultat un monde plus abouti et fonctionnel que la voie mortifère que nous continuons d’emprunter. Le roman alterne les phases factuelles, les articles que William transmet à sa direction, et les phases émotionnelles avec son ressenti et ses bouleversements profonds sous forme d’un journal intime émancipateur. La découverte d’un nouveau monde et ses nouvelles règles du jeu.


      Un roman très moderne, qui fait réfléchir comme l’exprime l’auteur Brice Matthieusent dans la préface : un manifeste en même temps qu’un cri d’alarme (..) si nous ne voulons pas que les fictions dystopiques ou postapocalyptiques deviennent réalité, nous devons faire en sorte que les leçons d’Ecotopia soient entendues ».


      Folio SF – 9.20 euros

    • Le silence – Don DELILLO

      En ce dimanche soir, en plein hiver de l’année 2022, tout est planifié. Jim et Tessa rentrent de Paris, comme d’habitude en classe affaire, et après un bref arrêt obligatoire à JFK rejoindront à Newark leurs amis Diane et Max pour assister à la finale du Superbowl, évènement incontournable aux Etats-Unis. Dans l’avion tout se passe bien, Tessa écrit ses poèmes, Jim se perd dans la contemplation des données télémétriques en temps réel du vol et du temps/distance restant à parcourir (classe affaire oblige). A l’appartement de Newark, la pression monte petit à petit. Martin, un ancien élève de Diane est également venu passer la soirée et les analyses d’avant match s’accompagnent de quelques verres de whisky pour Max et une discussion d’un bon niveau intellectuel entre Diane et Martin. Soudain l’impensable se produit : la technologie vient de lâcher, à présent le silence s’installe. Dans l’avion c’est la panique avec un appareil devenu incontrôlable. A l’appartement c’est encore pire : l’écran de télévision sur lequel les cinq amis devaient regarder le match vient de s’éteindre. Ecran noir.

      Roman court, d’une centaine de pages, et encore un texte visionnaire de Don Delillo, passé maître dans l’analyse de l’irruption de l’inconcevable, ayant déjà traité pendant sa longue carrières l’assassinat de Kennedy dans son roman Libra et le 11-Septembre dans L’Homme qui tombe. Le point de passage, l’instant ou la fin brusque de certitudes remplacées par un nouveau destin, laissent l’être humain déstabilisé et perdu. Ecrit avant l’épidémie de Covid, la réaction des personnages face à ce blackout technologique se rapproche de ce qu’il s’est passé pour la pandémie mondiale. Devant une situation considérée comme de la science-fiction jusqu’alors, l’esprit humain se trouve mis à mal. Passé la stupeur, il cherche à connaître l’origine du mal et habitué à sa présumée maîtrise omnisciente, qui lui laisse à penser sa supériorité sur toute chose, c’est surtout retrouver son confort « d’avant » qui le préoccupe. Mais si cela n’était pas une passade mais une nouvelle réalité irréversible ?

      Un texte qui fait réfléchir à ce concept de résilience de plus en plus utilisé, un terme longtemps cantonné aux paroles souvent moquées des oiseaux de mauvais augure que sont les scientifiques, les chercheurs, les philosophes. Effectivement, si la prophétie de Delillo se produit, qu’en sera-t-il des centrales nucléaires, des systèmes de défense automatisés, des appareils médicaux, de notre système économique, de nos automates et réseaux interconnectés ?

      Comme une vision d’abyme devant ces outils créés par les hommes pour faciliter et rentabiliser leur existence et qui pourraient également en être les fossoyeurs.


      Actes Sud – 11.50 euros

    • Albert Black - Fiona KIDMAN

      Le nouveau roman de Fiona Kidman s'inspire de faits réels. Au début des années 50, un jeune irlandais rejoint Wellington dans l'espoir d'une vie meilleure. Une bagarre va briser ses rêves : reconnu coupable du meurtre d'un autre immigré, Albert Black dit "Paddy" devient le 5 décembre 1955 l'un des derniers détenus exécuté en Nouvelle-Zélande.

      S'inspirant de son histoire, l'auteure revient sur les coulisses d'un procès dont l'issue était scellée dès le départ. L'immigration irlandaise était vécue comme un envahissement de "bêtes" aux moeurs dissolues n'apportant avec elles que problèmes et mauvais exemples. La peine de mort venait d'être rétablie et le premier ministre, auteur d'un rapport accusant les immigrés de répandre le vice, avait besoin d'un exemple. Ayant eu accès aux minutes du procès, Fiona Kidman revient sur la personnalité de ce jeune homme que la pauvreté avait chassé de Belfast. On devine dès les premiers chapitres que toute tentative de défense est vouée à l'échec. La propre mère d'Albert se verra signifier qu'il ne sert à rien de se déplacer et ce alors même qu'elle avait entrepis de récolter l'argent nécessaire à son voyage. Albert affrontera donc seul ses derniers jours, faisant preuve d'un calme, d'une bonté et même d'un humour remarquable.

      Le plaidoyer de Fiona Kidman, démontrant les mécanismes de rejet de l'autre à l'oeuvre dans ce simulacre de procès, a ému tout un pays. La révision de la condamnation pourrait avoir lieu dans un avenir proche...


      Sabine Wespieser - 23 euros.

    • Maritimes. Une histoire méditerranéenne - Sylvie TANETTE

      Une île perdue en méditerranée. Des rochers, quelques collines, des oliveraies et un petit village paisible avec son port. Depuis toujours la poignée d'habitants se tient à distance du continent, racontant même qu'ils descendent de mystérieuses créatures marines qui continuent à les protéger. 

      A l'époque de la dictature, un jeune homme avait débarqué sur l'île, s'était installé, intégré à la petite communauté. Personne ne lui a demandé ce qu'il fuyait et le voilà qui s'apprête à marier Mickaëla, fille de l'île et de la mer. Mais cette île se trouve-t-elle assez loin du continent pour protéger ses habitants de la haine?

      Une histoire puissante qui raconte la résistance, l'insoumission et qui appelle à la fraternité envers les hommes mais aussi envers la nature. Les hommes passent, l'île reste, solide, solaire, une sorte de mythe méditerranéen que les chagrins n'épargnent pas.


      Grasset - 14 euros

    • Le serpent majuscule – Pierre LEMAITRE

      A la recherche du polar de vacances, celui qui parvient à divertir, à passionner sans pour autant oublier la qualité d’écriture ? (Car oui cela peut arriver…) Le Serpent majuscule correspondra parfaitement à ces attentes. Dans ce roman noir, une œuvre de jeunesse de Pierre Lemaitre qui était en fait son premier manuscrit et qui sauf retournement sera son dernier roman noir publié, l’action se déroule dans la France des années 80. Mathilde est une figure de la résistance, récompensée pour son implication et notamment reconnue pour son talent à jouer du pistolet et du couteau envers les individus dérangeants. Après la guerre, elle a continué son combat de l’ombre, souvent sollicitée par « son commandant » Henri qu’elle a connu pendant le conflit armé, pour s’occuper d’exécutions si possible discrètes. Oui mais voilà, Mathilde a pris de l’âge. Reconnue jusqu’alors pour son travail d’orfèvre, il lui a pourtant fallu deux balles (une dans le bas ventre et une dans la gorge) pour effectuer son dernier contrat : un homme d’affaire de renommée internationale. Autant dire qu’avec un Desert Eagle, le résultat n’était pas beau à voir. Les médias se sont jetés sur l’affaire. Règlement de compte sur fond d’affaire de mœurs ? politique ? Henri s’inquiète de cette entorse à la discrétion qui prévalait jusqu’alors : comment mettre à la retraite une tueuse à sang froid qui commence à sucrer les fraises ? Malheureusement la suite ne lui donnera pas tort : Mathilde va dégoupiller et sévèrement.

      Une histoire trépidante, pleine d’humour noir (car on peut être une tueuse et drôle…), il est plaisant de suivre ces vétérans des affaires obscures, rattrapé par le temps qui passe.

      L’auteur dans le prologue précise qu’il s’agit d’une œuvre de jeunesse, très peu retouchée et correspondant à une époque. Effectivement, il est agréable de déambuler dans une histoire où les cabines téléphoniques font partie prenante de l’intrigue, dans laquelle les inspecteurs de police ne sont pas suivis à la trace par des scientifiques en quête d’ADN. Ici les choses se font à l’ancienne, comme Mathilde savait si bien le faire…


       Albin Michel – 20.90 euros

    • Nomadland - Jessica BRUDER

      En 2008, la crise des subprimes a durement frappé des individus et des familles entières, jetés à la rue. Ils auraient pu rester sur place, en attendant que le vent tourne à nouveau. Ils ont préféré investir leurs derniers dollars dans l’aménagement d’un van customisé et se mettre en route.

      Ils sont devenus des migrants dans leur propre pays, à la fois libres d’aller où ils le désirent et victimes désignées pour ceux qui veulent profiter d’une main-d’œuvre docile et bon marché : entrepôts Amazon, parcs d’attractions,campings…

      Pendant trois ans, Jessica Bruder a suivi les pas de ces « hobos » d’un genre nouveau: ce livre est à l’origine du film (actuellement en salles) qui s’intéresse plus particulièrement aux soixantenaires pour qui la retraite n’est pas envisageable.  Émouvant, cette enquête révèle la face cachée du rêve américain. Portraits incroyables de personnes invaincues que les doutes et les douleurs n’épargnent pas mais qui en tirent une certaine fierté dans cette indépendance rudement reconquise.


      J'ai Lu - 8.40 euros

    • D'or et d'oreillers - Flore VESCO

      La princesse au petit pois, le conte un peu nunuche (si, si, la coquette marquée par le petit pois caché sous une pile de matelas, c’est franchement se moquer du monde, enfin des femmes en particulier) se voit dépoussiéré de manière magistrale par Flore Vesco qui en fait un roman gothique, féministe et sensuel autour d’une héroïne, une vraie, Sadima, bien loin des clichés de la précieuse petite princesse. Lord Handerson, riche héritier, cherche une épouse et pour ne pas se tromper, fait passer une épreuve à ses prétendantes: dormir, sans chaperon dans son château, sur une montagne de matelas. Trois sœurs et leur femme de chambre se présentent. Victorien en diable, inspiré de Jane Austen, ce roman est aussi porteur d’un message social: si les trois sœurs Watkins sont rapidement mises hors jeu, Sédima va se révéler plus opiniâtre qu’on ne l’aurait pensé et, inversant les stéréotypes, Flore Vesco en fait le chevalier qui délivre son bel au bois dormant de son château ensorcelé. Avec beaucoup de délicatesse, elle aborde, tout en images et métaphores, la découverte des charmes de l’amour et de la sensualité. Une jolie réussite pour ce texte à proposer à partir de 13-14 ans.


      Ecole des Loisirs - Coll. Medium+ - 15 euros

    • Sous le ciel de Maralinga - Judy NUNN

      1956, Maralinga, terre des Aborigènes depuis 40 000 ans mais plus pour très longtemps. Sur la base militaire anglaise installée là, débutent des tests sur les armes atomiques. Une jeune journaliste anglaise, suivant son fiancé officier, commence à s'intéresser à ce programme tenu confidentiel. Un roman historique sur fond de guerre froide : une histoire inoubliable.


      Faubourg Marigny - 22 euros

    • Cathares 1198 – Olivier TAVEAU

      Ce roman à fort contenu historique nous emmène au tournant du XIIIème siècle, au moment où l’Eglise catholique doit à la fois gérer des soubresauts internes (comme souvent liés à des problèmes de succession) et la percée Cathare, courant jugé hérétique, qui s’est solidement installé dans le midi du royaume de France. Ne parvenant pas à réduire l’importance de ce mouvement qui met à mal ses principes même de fonctionnement (contestation de la présence de Dieu, vie ascétique, refus de la propriété, rejet des sacrements), c’est donc une véritable croisade que va lancer le pape Innocent III contre les Albigeois. Mais va ressurgir alors une prédiction annoncée à Rome en 846 au pape Serge II de la venue d’un enfant quatre siècle plus tard pour instaurer sur terre les véritables desseins de Dieu. Serait-il issu des rangs Cathares et quel cataclysme son essor pourrait-il entrainer ?

      Le roman d’Olivier Taveau mêle donc personnages historiques (Innocent III, Simon de Montfort, Pierre II D’Aragon), batailles et évènements réels (sièges de Carcassonne, Toulouse) à des passages inventés de toute pièce qui se mélangent très bien à la Grande Histoire. Comme le veut le genre, le roman alterne les phases « politiciennes » aux moments de combats et sièges sanglants et il est très difficile de démêler le réel de l’imaginaire. 

      Roman très agréable pour lecteur appréciant l’Histoire sans pour autant bouder une bonne part d’invention qui vient rendre le récit encore plus mythique. Il ressort de cette lecture une vision (très) critique de l’Eglise catholique de par ses manipulations et perpétuelles adaptations pour maintenir son emprise, sous couvert bien sûr de la paix et de l’amour sur terre. A noter en clin d’œil que l’Institution fait partie de la liste des remerciements de l’auteur, pour toutes ses atrocités perpétrées au fil des siècles (et la liste est assez glaçante…), un vivier quasi inépuisable pour tout bon romancier. 


      Bragelonne – 20 euros.

    • Le temps qu'il fait à Middenshot - Edgar Mittelholzer

      Une ambiance étrange et cauchemardesque règne sur ce roman gothique : véritable ovni littéraire, on oscille entre rire et frisson de peur.

      A Middenshot, la météo agitée accompagne la vie des habitants de cette petite ville en bordure de la forêt. C'est d'abord le vent qui apporte la folie, puis le brouillard oppressant et terrifiant et enfin, la neige qui étouffe et recouvre tout. En 3 parties, l'intrigue se déploie , implacable. Une famille bancale qui se croit bien à l'abri dans sa maison, un voisin curieux et indécis, une petite bonne délurée et surtout, un tueur en série : tous ces personnages se croisent, se soupçonnent. Les dialogues sont savoureux, les pointes d'humour (noir bien sûr) pimentent le récit en même temps que l'histoire nous glace.

      Ce texte date de 1952 : bravo aux éditions du Typhon de nous faire découvrir un texte aussi réussi.

      A lire absolument.


      Editions du Typhon - 19 euros.

    • Le fleuve des rois – Taylor BROWN

      Ce n’est pas une seule histoire que vous allez découvrir en ouvrant ce roman mais bien trois avec pour décors le majestueux fleuve Altamaha, dans l’état de Géorgie. La première histoire concerne un homme appelé Hiram Loggins et se passe entre les années 70 et le début des années 2000. On le voit se débattre entre sa maîtresse et sa régulière, éprouver les pires difficultés à communiquer normalement avec ses deux fils. Son activité de pêcheur étant loin d’être florissante, il doit se résoudre à des tractations plus ou moins hasardeuses et donc sources de danger.

      Dans la deuxième histoire, l’action se déroule de nos jours et les deux fils d’Hiram, Hunter et Lawson ont bien grandi. Hunter pouvait envisager une formidable carrière de joueur de football si une blessure au genou n’avait pas contrecarré ses rêves. Lawson est devenu une redoutable machine de guerre en tant que plongeur de combat. Les deux frères réunis décident de remonter le fleuve en kayak pour aller disperser dans l’océan les cendres de leur père, décédé dans des conditions suspectes. L’occasion par la même d’éclairer quelques mystères du passé de la famille et croiser de nouveau cet étrange personnage dénommé « Uncle King ». 

      La troisième histoire se développe quant à elle en 1564, toujours aux abords de l’atlantique, avec des personnages historiques comme Jacques Le Moyne De Morgues, qui s’est engagé pour une expédition commanditée par le roi de France. En tant que cartographe et illustrateur, il doit servir de témoin à l’implantation d’un comptoir français en Géorgie : le Fort Caroline. L’expérience va se retrouver rapidement mise à mal par la fourberie des autochtones, la famine et enfin la menace des conquistadors espagnols, peu enclins à laisser les français prendre pied tranquillement sur la côte ouest du Nouveau Monde.

      Ce roman, qui paraîtra le 12 mai 2021, entremêle donc trois fils narratifs distincts avec pour dénominateur commun cette région des Etats-Unis souvent appelée « La petite Amazone » de par son écosystème riche. Bien que préservé, il se trouve de plus en plus exposé aux dangers de l’exploitation industrielle et destructrice de l’homme. Un livre qui combine la trame d’un roman noir, une conscience écologique forte et une approche historique rigoureuse. Une belle réussite de la part de Taylors Brown, jeune auteur américain dont c’est le troisième roman publié en France (après La poudre et la cendre et Les Dieux de Howl Mountain).


      Albin Michel- 22.90 euros.


    • La rivière pourquoi – David James DUNCAN

      La France compte environ 1.5 millions de pêcheur à la ligne. Si vous en faites partie et que vous avez déjà lus et relus les romans de Jim Harrisson, il ne sera pas difficile de vous convaincre de vous pencher sur cet ouvrage. Il aborde précisément, et de manière sérieuse, les subtilités de votre activité d’extérieure favorite à base de numéros de mouches et de calibrage de cannes. Si vous êtes plutôt du côté des 65.5 millions restant, il serait vraiment dommage de passer à côté de ce livre, un joli récit initiatique conté par Gus, le narrateur, qui vit près de Portland, tiraillé entre ses deux parents experts : son père H2O (Henning Hale Orviston) est un auteur reconnu et farouche défenseur de la pêche à la mouche alors que sa mère Ma ne se fie qu’au robuste système d’appât traditionnel. Il s’agit donc d’une guerre idéologique à laquelle doivent souvent assister Gus, âgé d’une vingtaine d’année, lui aussi touché par le virus et extrêmement doué, et son jeune frère Bill Bob, de dix ans son cadet, qui quant à lui reste mystérieusement fermé à toute pratique aqualudique. Gus souhaitant tout de même se faire sa propre expérience et prendre quelques distances de cette famille de passionnés, décide de se retirer dans une cabane un peu plus au nord de l’état. Au programme, toujours exercer sa passion mais aussi l’occasion de découvrir d’autres personnages hauts en couleurs que ces propres parents. Ainsi, il croisera notamment un homme et son chien philosophe (!!!) qui lui conseillera quelques lectures pour aborder différemment et modifier son rapport à la nature. Une prise de conscience pour le jeune Gus qui découvrira qu’il peut exister d’autres fils que ceux de sa canne à pêche, tout aussi solides ceux là pour affronter la vie.

      La rivière pourquoi est donc un texte rempli d’humour et de poésie, une approche philosophique sur le rapport à la nature, à l’autre. Comme le résume l’éditeur Toussaint Louverture, un hymne à une existence réconciliée avec nos passions et nos obsessions…


      Toussaint Louverture – 12 euros

    • Les embrouillaminis - Pierre RAUFAST

      Vous vous souvenez des "livres dont vous êtes le héros" de notre enfance: ces histoires à choix multiples à la fin de chaque chapitre, certains se jouaient avec un tirage de dés. Pierre Raufast en reprend le principe en développant un roman à tiroirs pour les grands que nous sommes à peu près tous devenus: que vous choisissiez les chemins les plus défavorables ou les plus faciles, vous ne lirez pas la même histoire. Et attention, inutile de tricher, l'auteur, macchiavélique, a tout prévu et devinera vos manoeuvres. Il met entre vos main le destin de Lorenzo: jeune homme indécis quand la vie lui propose des choix modifiant son avenir. José-Luis Borges parle d'une bibliothèque infinie dans laquelle se trouveraient toutes les histoires du monde (thème cher à Pierre Raufast qui l'a déjà exploré dans "La variante chilienne").

      Dans ce nouveau roman, l'auteur joue encore une fois avec les structures narratives: une expérience de lecture amusante et rafraîchissante.


      Aux Forges de Vulcain - 20 euros

    • Elmet - Fiona MOZLEY

      En exergue de ce roman de Fiona Mozley, se trouve une présentation d’Elmet, dernier royaume celtique indépendant d’Angleterre, une mauvaise terre, un refuge au XVIIème siècle pour ceux qui souhaitaient échapper à la loi. À la lisière d’un bois, un père, John, une force de la nature, élève seul ses 2 enfants, Cathy et Daniel (le narrateur) dans une petite maison construite de ses mains. Comme dans un conte, la douceur (toute relative pour ces enfants grandissant en marge de la société, chassant pour se nourrir) est menacée par un propriétaire terrien qui impose son autorité mafieuse et un chantage odieux. La violence s’insinue peu à peu avant d’exploser, balayant tout sur son passage. Entre lutte des classes et conte celtique, un texte d’une puissance romanesque remarquable.


      Folio - 8.10 euros

    • Exécutions à Victory – S.Craig ZAHLER

      L’inspecteur Jules Bettinger a peut-être traité avec un peu trop de désinvolture la demande d’un de ses administrés, accessoirement plutôt fortuné, qui venait lui présenter sa requête. Sous le lourd soleil de l’Arizona, et très certainement partout ailleurs, être proche d’un politique influent peut avoir quelques répercussions sur un parcours professionnel et en l’occurrence, la sanction va vite tomber : mutation. Et pas n’importe où : Bettinger et sa famille sont priés de rejoindre la charmante ville de Victory, dans le Missouri, une cité glaciale où les pigeons morts jonchent les rues et dans laquelle on dénombre 700 criminels pour 1 policier. Autant dire que les journées (et les nuits) vont être longues sans compter le fait que Bettinger va vite intégrer sa nouvelle « position ». En effet ses collègues locaux semblent peu dotés du sens de l’accueil, le fait qu’il soit noir jouant peut-être également un certain rôle dans la posture. Bettinger, de par son vécu de flic expérimenté, va rapidement comprendre que quelque chose ne tourne pas rond, et ce même au sein de la police de Victory. L’avenir va lui donner rapidement raison : le massacres va débuter.


      Polar très très noir avec une première partie marquée par des échanges dynamiques, savoureux, débordant d’ironie et de sarcasmes entre des personnages dont le sens de la répartie fait merveille. Rapidement, la tension s’installe, le rythme s'élève et ne décélèrera pas avant la dernière ligne du roman. La violence s’abat, comme ces fameux pigeons morts qu’on trouve sur les routes et trottoirs de la cité. 


      S.Craig ZAHLER, déjà chroniqué pour son roman Dédale Mortel, nous entraine dans les rues de cette ville fictive en abordant tout de même des sujets sociétaux (trafic, armes, racisme) qui font la une des médias américains en ce début de 21ème siècle. L’auteur parvient à instaurer une ambiance particulière, soufflant le chaud et le froid, le suspens devenant haletant au fil de la lecture et la dernière partie du roman se fait en apnée. Oui, vraiment, l’inspecteur Jules Bettinger a peut-être traité avec un peu trop de désinvolture la demande d’un de ses administrés et il va s’en souvenir. Et le lecteur également.


      Gallmeister – 10 euros

    • Later – Stephen KING

      Dans ce roman, Jamie Conklin vit seul avec sa mère éditrice New-yorkaise. Jamie a la capacité de revoir les personnes décédées dans les heures qui suivent leur trépas et partage ce secret uniquement avec sa mère, bien que cette dernière reste tout de même circonspecte quant à cette supposée capacité. L'expérience  bien que traumatisante est plutôt bien gérée par l'enfant bien qu'il peine parfois à différencier les vivants des morts lorsqu'il déambule dans la rue. Ces derniers ont en effet  tendance à venir hanter le lieu de leur décès ou bien un endroit qui leur était cher lorsqu'ils étaient encore en vie. 


      Jamie va avoir l'occasion de démontrer ses capacités lorsqu'une de leur voisine disparaît brutalement et surtout quand sa mère va pouvoir bénéficier du talent de son fils pour achever à titre posthume le roman d'un de ces auteurs à succès. Par contre, les bienfaits du don ne sont plus les mêmes lorsque Jamie fait la connaissance de Kenneth Therriault, alias Thumper. Il s'agit d'un dangereux psychopathe qui a mis fin à ces jours après avoir dissimulé une bombe dans la ville. Le rituel de Chüd, déjà évoqué dans le roman « ça » sera peut être la seule solution pour exorciser le démon. 


      Pour ce qui est du rythme, de la fluidité et de l'efficacité de cette histoire, pas besoin de présenter l'auteur et son style inimitable! 

       

      Chronique d'un livre en anglais avec le plaisir de découvrir Stephen KING en version originale. Roman qui se prête très bien à l’exercice même pour ceux et celles qui n'ont pas un master en langue étrangère ! Beaucoup de dialogues avec des phrases courtes, bien entendu la présence d'un dictionnaire anglais/français est toujours appréciable mais le texte reste très accessible à la compréhension. 


      Le fait de lire en version originale est encore plus immersif et on passe un très bon moment avec un livre à considérer comme un bon thriller plutôt qu'un roman d'épouvante stricto sensu.


      Hard Case – 14,80 euros

    • Celui qui sait – Ian MCGUIRE

      1867, Manchester. Un flic anglais a été tué et trois irlandais sont jugés coupables et exécutés. Une tension de plus dans cette période troublée. Les Féniens – une société secrète composée de nationalistes irlandais qui prépare la guerre d’indépendance – ne peuvent pas laisser passer ce nouvel affront et sont donc plus que jamais sur le pied de guerre. Jimmy O’Connor fait partie de la police anglaise et de par ses origines irlandaises a conservé des contacts bien utiles pour infiltrer l'ennemie. Il apprend qu’un irlandais, vétéran de la guerre de Sécession américaine, va débarquer prochainement pour semer le chaos et se mettre au service de la fraternité. Le policier n’a malheureusement pas les coudées franches au sein de son commissariat, faisant l’objet de moqueries, de suspicion et de ressentiments de la part de ses « collègues » anglais. Il faut avouer que son passé n’en fait pas un élément exemplaire mais son engagement ne peut pas être pris en défaut. Jimmy voit également resurgir dans son existence un lointain neveu, lui aussi revenu d’Amérique. O’Connor va donc tâcher de limiter la casse en essayant de repérer le tueur américain avant qu’il ne fasse trop de grabuge, quitte pour cela à se servir des liens familiaux comme arme contre la menace nationaliste irlandaise. Et de plonger au cœur du conflit.

      Ambiance rappelant la série télévisée Peaky Blinders (avec cette couverture fortement inspirée du personnage de Tommy Shelby), ce roman nous plonge dans une période sombre de l’Angleterre et cette guerre sans répit entretenue avec les irlandais. Rues sinistres, sombres et humides, tavernes interlopes, espions et jeux carriéristes au sein des forces de l’ordre, l’histoire s’inspire de faits réels (attentat de Londres en 1867) avec la loi du Talion comme philosophie et son cortège d’exécutions sanglantes.


      10/18 – 14.90 euros.

    • Les pondeuses de l'Iowa - Deb Olin UNFERTH

      "A présent, la défense des droits des animaux, c'était moins une affaire de révolution que la continuation du capitalisme avec un supplément d'âme."

      Comment organiser le sauvetage de 900 000 poules d'un élevage industriel dans l'Iowa ? Un roman tragi-comique mêlant suspens et envolées burlesques, un manifeste pour la défense des animaux exploités, torturés pour nourrir l'humanité mais surtout enrichir quelques gros agro-industriels; c'est aussi une grande quête d'amour et de sens. Une histoire folle et magnifique !


      Grasset - 23 euros

    • Ainsi nous faisons la guerre - Joseph ANDRAS

      En trois récits, l'auteur questionne notre relation ambigüe (et contradictoire) aux être vivants que l'homme assujettit et asservit, clamant le nécessaire sacrifice aux noms de la science, du progrès, du bien-être.

      En 1903, c'est un chien qu'on expose, éventré, incisé( toujours en vie) pour qu'un professeur établisse la preuve que la pression salivaire est indépendante de la pression artérielle (!!!). Les suffragettes qui ont ébruité l'affaire seront malmenées, accusées de ne rien comprendre aux intérêts de l'humanité. Evidemment, ce qui se joue ici n'est rien d'autre que la lutte entre l'émancipation des femmes et la domination des hommes.

      En Californie, le Front de Libération des Animaux décide de sauver les macaques d'un laboratoire dans lequel on les aveugle à la naissance et qu'on équipe d'un sonar éléctronique pour étudier leurs réactions et leur adaptation à ce dispositif de substitution. L'homme trouve une justification à ces souffrances imposées à une autre espèce, les justiciers sont accusés d'être des terroristes entravant la marche du Progrès.

      Le dernier tableau est le plus boulversant : cette vache et son veau qui sautent d'une bétaillère en route vers l'abattoir dit toute la cruauté de l'être humain et finalement le peu d'humanité qui nous anime. N'a-t-elle pas conscience de tout ce que l'éleveur a fait pour elle, lui qui aime ses bêtes plus que tout? Elle a été exécutée par 18 policiers qui l'ont abattu sous un déluge de balles (70!).

      Les phrases sont fulgurantes, les images qu'elles engendrent sont implacables et dérangeantes. S'affranchir de la nature en la soumettant, en la dominant, en la dévorant, en la disséquant, voila l'humanité au sein de laquelle nous vivons. Où est le progrès quand il se conjugue avec sévices?


      Actes Sud - 9.80 euros


    • Combats et métamorphose d'une femme - Edouard LOUIS

      La vie de l'auteur est loin d'avoir été un long fleuve tranquille : après avoir raconté la violence à laquelle il a été confronté dès l'enfance et qu'il  a réussi à fuir grâce à des études brillantes dans son livre "En finir avec Eddy Bellegueule", Edouard Louis revient sur la vie étriquée de sa mère. 

      En partant d'une photo d'elle jeune et de ses souvenirs de vacances exceptionnelles (et uniques) qu'elle avait réussi à organiser, il tente de comprendre comment cette femme a failli passer, si elle n'avait eu un sursaut de révolte à 45 ans,  toute sa vie sous le joug de la pauvreté et de la domination masculine. Quel déterminisme a poussé cette femme à se marier à des hommes violents, mise à l'écart de la vie, humiliée et maintenue dans une misère ne lui permettant pas d'être attentive à ses enfants? 

      Pourtant un jour elle a fui et petit à petit s'est métamorphosée...


      Seuil - 14 euros

    • Les Maîtres Enlumineurs – Robert Jackson BENNETT

      La cité de Tevanne, dirigée par quatre grandes familles marchandes rivales, fonctionne en grande partie grâce aux bienfaits apportés par un mécanisme d’enluminures. Ces dernières permettent de donner une conscience aux objets marqués et ainsi permet de les utiliser de manière optimale ; par exemple, il suffit d’enluminer une carriole, lui laisser « penser » qu’elle se trouve en descente pour la voir s’animer…comme par magie ! Autant dire que la maîtrise de cet art est très recherchée, sans compter les effets bénéfiques à en retirer sur un champ de bataille par exemple (très efficace pour une lame qui a l’impression de peser 100 fois son poids lorsqu’elle rencontre le crâne d’un adversaire). 

      Sancia est une jeune voleuse à qui un truand connu de la place a confié la mission de dérober un objet mystérieux, se trouvant dans une boîte entreposée dans le port de la cité. Dotée elle-même de capacités magiques (elle parvient à ressentir les objets enluminés qui l’entourent), elle se met donc en quête de son objectif mais provoque en même temps un incendie qui ravage une bonne partie du port. Le Capitaine Grégor Dandolo du Guet maritime de Tevanne, fils d’une des familles de la cité, se lance immédiatement à sa poursuite. Découvrant la nature de l’objet dérobé, Sancia se rend rapidement compte qu’elle vient d’ouvrir la boîte de Pandore et que la situation peut prendre une ampleur insoupçonnée.

      Première partie d’une trilogie de fantasy par l’auteur de Vigilance (déjà chroniqué sur le site) et d’American Elsewhere (un roman que n’aurait pas renié Stephen King qui explore les univers parallèles) Les Maître Enlumineurs nous entraîne dans un monde où la magie règne et donc à des années lumières de notre quotidien. Ainsi, si vous êtes un peu lassé des polars scandinaves et de leurs inspecteurs taciturnes ou des romans dont le thème se rapproche de : « j’ai été abusé/traumatisé/manipulé par ma belle-sœur/mon canaris/un pied de table basse » foncez ! Et se dire qu’il y aura encore deux autres volumes ne rend la perspective d’évasion que plus enthousiasmante !

      A lire également du même auteur Vigilance Le Belial- 10.90 euros et American Elsewhere Le livre de poche -10.20 euros 


      Albin Michel Imaginaire – 24.90 euros.

    • Atomic film – Vivianne PERRET

      Duke Morrison, plus connu sous le nom de John Wayne, est mort le 11 juin 1979, emporté par un cancer de l’estomac, après avoir survécu à un cancer du poumon en 1964. Certains invoquent les nombreux paquets de cigarettes qu’il fumait quotidiennement à l’apogée de sa carrière pour expliquer ces pathologies. Certes. D’autres préfèrent s’intéresser à sa longue filmographie et plus précisément sur l’année 1953, date à laquelle il a tourné un long métrage intitulé Le Conquérant (pas son meilleur film d’ailleurs : John Wayne l’archétype du cowboy y joue le rôle d’un guerrier mongol…), dont les scènes extérieures ont été tournées à St Georges dans l’Utah, tout près des terrains d’essais nucléaires atmosphériques de l’armée américaine. Sur les 220 personnes composant l’équipe de tournage, 91 ont développé avant 1981 une forme de cancer. Intriguant ?


      Vivianne Perret, historienne et spécialiste des Etats-Unis, nous propose une plongée dans l’Amérique des années 50, obnubilée par la guerre froide et la perspective d’avoir à en découdre avec les communistes. L’occasion de croiser des stars (John Wayne donc, Susan Hayward – décédée d’un cancer-, Howard Hughes l’aviateur/producteur/milliardaire/mégalo/parano) et surtout de nombreux  anonymes (éleveurs, mormons, Indiens) victimes du cynisme et jusqu’au-boutisme de la Commission de l’Energie Atomique qui ne souhaitait voir aucun rapport entre les essais et leurs retombées sur la population locale. Ou quand la conjonction course à l’armement/guerre froide/ intérêts financiers a entrainé des milliers de malades et condamné des innocents, laissés pour compte de l’Histoire.

      Seul le temps et l’opiniâtreté des familles de victime auront pu faire éclater la vérité au grand jour. Un livre qui montre de manière glaçante la capacité d’un état à poursuivre, quoiqu’il advienne, ses plus noirs desseins. 


      La Manufacture de livres – 20.90 euros

    • Les somnambules - Chuck WENDING

      On pourrait dire  qu'en cette période, lire un roman traitant d'une pandémie n'est pas une bonne idée. Sauf que le roman Les somnambules (pavé de 1165 pages) est passionnant de bout en bout et qu'il peut ravir aussi bien les amateurs de SF post-apocalyptique que les lecteurs de polars. Sorti en juillet 2019 aux Etats-Unis, il est troublant de constater à quel point ce récit s'est révélé exact du point de vue politique, religieux et scientifique.

      L'étrange mal qui se répand dans cette histoire provoque une modification de l'état de conscience d'hommes et de femmes qui se mettent en marche tels des somnambules que l'on ne peut réveiller. Les stopper signifie les condamner à mort: ils explosent. Les "marcheurs" ne répondent à aucun critère de contamination logique et ne tardent pas à déclencher des réactions plus ou moins violentes à leur égard : méfiance, adoration, le gouvernement ne sait plus comment faire face. Les scientifiques dépêchés au chevet du "troupeau" reconnaissent très vite leurs limites. Dans l'ombre, les pouvoirs publics ont activé une intelligence artificielle, Black Swan, pour tenter de trouver une explication et un remède. 

      Nous allons donc suivre plusieurs personnages, les bergers, qui gravitent autour du troupeau qui progresse, imperturbable à travers le pays vers une destination inconnue. La tension monte, les rebondissements révèlent les caractères, le basculement vers la folie et le chaos approchent à chaque pas.

      On pense au Fléau de Stephen King (l'auteur le cite lui même) et ce roman s'avère brillant dans la façon de décrire la société américaine sur laquelle C Wending pose un constat lucide et prémonitoire (écrit avant le Covid et l'attaque du Capitol par des suprémacistes).

      Pas un ralentissement, pas une minute d'ennui tout au long des 1 165 pages. Un roman exceptionnel!


      Sonatine - 25 euros


    • Un jour viendra - Giulia CAMINITO

      C'est à Seria De'Conti, au début du xxème siècle que Guilia Caminito a choisi de raconter une histoire familiale inspirée de celle de son grand-père anarchiste. Dans ce petit village pauvre de la région des Marches, Luigi, le boulanger, élève à la dure les deux fils qui lui reste. Violante, sa femme, a le ventre maudit et la raison vacillante. Les autres enfants nés de ce couple ne survivent pas longtemps. Deux soeurs ont tout de même vécu pour poser leur empreinte avant de disparaitre elles aussi. Lupo, l'aîné, le fier, le rebelle, a reçu pour mission de protéger son cadet Nicola aussi blond et fragile que Lupo est sombre et solide. Accompagné de son loup apprivoisé, il secoue le village avec ses idées révolutionnaires et mécréantes. Il s'acquitte cependant avec application de sa tâche et les deux enfants grandissent, liés comme des jumeaux, entre douceur et dureté. 

      Au dessus du village et des champs brûlés par un soleil ardent, veille un couvent dirigé par la Moretta, une moniale noire, organiste douée dont la musique berce les âmes. Ce personnage inspiré de la vie de cette esclave soudanaise (*) qui a découvert la foi en Italie est lié à la famille Ceresa par un secret. La Grande Guerre, la grippe espagnole, balaient le pays et les hommes et un jour viendra où les frères vont devoir affronter les tourments de l'Histoire ainsi que le secret qui entoure la famille. 

      D'une écriture forte et poétique, l'auteure dresse un portrait sensible de cette Italie en route vers l'unification mais tiraillée entre monarchie et anarchie dans laquelle les propriétaires terriens essayent de maintenir leurs prérogativrs sur des paysans miséreux et exténués, terreau fertile au fascisme prêt à germer. 

      Une lecture fascinante. Il ne faut pas passer à coté de ce roman, chaque rebondissement vous bouscule et le ton est donné dès la scène inaugurale que l'autrice éclairera quelques chapitres plus loin sous un angle bien différent. 


      (*)A lire également Bakhita roman de Véronique Olmi 


      Gallmeister - 22.60 euros 

    • Leur âme au diable - Marin LEDUN

      Le nouveau polar de Marin Ledun épingle le milieu cynique et pourri par le fric du lobby du tabac. N'a-t-on pas entendu au mois d'avril dernier des rumeurs évoquant la protection accrue des fumeurs face au Covid? Ce n'est pas la première fois que des scientifiques exposent de fausses vérités, conclusions d'études tronquées, pour rassurer voire légitimer l'utilisation du tabac. Les profits sont tellement énormes et les intérêts tellement imbriqués (les hommes politiques n'étant pas les derniers) qu'il faut trouver d'autres angles d'attaque pour "fidéliser" de nouveaux "clients" et maintenir le niveau des ventes mis à mal par les augmentations de tarif et les campagnes de prévention.

      Le roman, fruit de cinq ans de travail, commence par un braquage de camions-citernes remplis d'ammoniac : cette substance, d'ordinaire utilisée dans les produits d'entretien, est ajoutée aux cigarettes pour rendre le fumeur encore plus dépendant (les trafiquants de cocaïne et de cracj ont même copié le procédé). L'affaire mettra vingt ans à trouver un dénouement. Le capitaine Nora ne sous-estimera aucune piste et mènera son enquête dans plusieurs pays d'Europe où s'organise la contrebande. Un travail fastidieux, parfois vain, que l'auteur restitue de façon remarquable, nous plongeant dans l'ambiance des années 80 à 2000.

      Un roman réaliste, des phrases courtes et percutantes, des révélations sur la mécanique implacable mise en place par les cigarettiers : on est accro!


      Gallimard Série Noire - 20 euros

    • Là où nous dansions – Judith PERRIGNON

      Très grand roman concocté par Judith Perrignon, dont l’action se déroule à Détroit. Une immersion plus particulière dans le quartier du Brewster Douglass Project, qui a été pendant de nombreuses années, la fierté et la promesse d’un futur radieux pour la communauté noire de la ville du Michigan. En toile de fond, il est question d’un corps, retrouvé abattu par balle dans la rue, et à qui Sarah, une légiste de la police, va devoir reconstituer l’identité. En attendant elle l’appelle Frat Boy et échange avec Ira, un flic de la vieille école, qui ne peut qu’établir le constat de la décadence de sa ville, dans laquelle les corps et les bâtiments sont souvent rendus à la condition de cadavre. Sa famille et lui ont pourtant connu les heures de gloire de la métropole déchue. Car c’est bien là, l’aspect le plus intéressant de ce roman à forte orientation documentaire : une plongée sociologique dans le capitalisme de l’après-guerre, des programmes immobiliers débridés, de la paupérisation puis de la gentrification qui va faire passer la cité de plus d’1.8 millions d’habitants en 1950 à environ 670 000 au début des années 2010. Comment cette citadelle industrielle puissante, où les plus grandes entreprises automobiles avaient leur siège, qui a été dans les années 60 le berceau d’un label musical mythique, la Motown, a pu connaître l’affront d’être mise en faillite en 2013, en ayant cumulé plus de 18 milliards de dollars de dettes ?

      En réalisant d’incessant allers-retours dans le temps, nous voyageons grâce à la plume virevoltante de l’auteure dans les différentes époques qui ont façonnées la ville. Du programme immobilier d’Eleanor Roosevelt en passant par l’essor des Suprêmes dans les années 60, apportant une immense fierté aux habitants des quartiers dont elles étaient issues, puis les premiers mouvements sociaux violents, la criminalité en forte hausse et la mise au banc progressive de la communauté noire…une chute dans le chaos. Frat Boy n’est finalement qu’une victime de plus de cette lente déchéance.

      Dans ce roman, Détroit devient aussi progressivement un personnage à part entière de l’intrigue, attaqué non par le biais d’une arme à feu comme l’a été Frat Boy, mais par la violence économique, le racisme, les dérives du modèle capitaliste. Elle a dû mettre un genou à terre, entraînant avec elle une population pourtant fière de son passé et de leur histoire commune.

      Depuis quelques années, Détroit va légèrement mieux. Bien entendu, nous sommes aux Etats-Unis, des entreprises alléchées par les programmes de défiscalisation ont aussi retrouvé un certain charme à la ville pour y faire leur business. Cependant, des quartiers se reconstituent, de nouveaux habitants viennent s’y installer, y développent des programmes d’autogestion ou collaboratifs. Peut-être un nouvel espoir et les premiers pas vers un nouvel âge d’or.


      Rivages – 20 euros

    • Les femmes d'Heresy Ranch - Melissa LENHARDT

      Colorado, 1873. Margaret Parker, devenue veuve, continue à faire tourner le ranch qu'elle avait créé quelques années plus tôt avec son mari. Douée pour dresser les mustangs, entourée de femmes au passé "douteux", sa réussite attise les convoitises. Quand elle refuse le mariage à un voisin, elle est dépossédée de sa propriété. Il lui reste les montures pour partir avec ses presque soeurs et un seul choix possible pour des femmes qui ont tout perdu dans l'ouet américain : se marier ou se prostituer. Refusant l'un et l'autre, elles prennent les armes pour se faire justice.

      Le gang Parker est né et leurs exploits commencent à défrayer la chronique au grand dam des gangs masculins. L'agence Pinkerton se lance alors sur leur piste. 

      Formidable récit d'aventures, Mélissa Lenhardt met en lumière des personnages aux caractères bien trempés. Inspiré de faits réels, on découvre dans ce roman la vie des femmes dans l'ouest américain, égratignant au passage quelques clichés tenaces véhiculés par les westerns. (Adaptation prévue en série par la MGM).

      Ne jamais jeter ce qui vous semble être de vieux papiers sans intérêt : c'est à partir d'un petit récit retrouvé dans un grenier que l'autrice, historienne, a pu retracer l'histoire de ce premier gang de femmes.


      Editions Le Cherche Midi - 23 euros

    • L'ange de Munich - Fabiano MASSIMI

       Le 18 Septembre 1931, le corps sans vie d'Angela Raubal est retrouvé dans un élégant appartement de Munich. Les circonstances restent bien mystérieuses : on conclue très (trop) rapidement à un suicide, la jeune femme se serait tiré une balle dans la poitrine suite à une dispute. Le probleme c'est que l'appartement et le pistolet appartiennent à Adolf Hitler et que des rumeurs courent sur la relation curieuse qui unissait Geli à "tonton Alf", rumeurs qui pourraient nuire à la carrière prometteuse d'un des hommes politiques les plus ambitieux d'Allemagne.

      C'est dans cette atmosphère tendue que l'inspecteur Siegfried Sauer, va mener 2 enquêtes : l'une officielle lui demandant de clore l'instruction en quelques heures, l'autre, en sous-marin, exigeant d'aller au fond de l'affaire pour découvrir la vérité.

      En mêlant personnages réels, documentation rigoureuse et fiction passionnante, Fabiano Massimi nous sert un polar incroyable, précis qui rend justice à un personnage victime malgré elle de la propagande nazie.

      Angela avait 23 ans.

      Editions Albin Michel– 21.90 euros.

    • La rivière en hiver – Rick BASS

      Huit courts récits proposés dans ce recueil de nouvelles concocté par Rick Bass, considéré comme l’un des écrivains majeurs de l’ouest américain.

      Avec pour sujet le plus souvent des personnages immergés dans la nature (que ce soit lors d’une chasse à l’élan qui tourne mal, lors de la pêche d’un poisson chat de 86 livres ou la recherche d’un sapin de Noël idéal) mais aussi le parcours plus heurté de protagonistes un peu largués (un père autant épris de ses filles que de la boisson lors d’un voyage, un commercial dans l’exploitation pétrolière avec des état d’âme devant une personne âgée qui ne veut pas céder ses terres), ce sont des petits moments de vie, qui peuvent paraître insignifiants, mais qui prennent toute leur puissance sous la plume de Rick Bass.

      Des petits textes qui restent en tête une fois l’ouvrage de 200 pages refermé, qui laissent un goût doux-amer agréable. 

      A lire également du même auteur les excellents « Le livre de Yaak » et « Les derniers grizzlys » tout deux édités chez Gallmeister.


      Editions Christian Bourgois – 20.50 euros.

    • En descendant la rivière - Edward ABBEY

      Plutôt qu'un roman "classique", on peut considérer ce recueil inédit en France d'Edward Abbey (auteur en autre de l'excellent Gang de la clef à molette) comme un ensemble de nouvelles, des petits essais ayant certes comme sujet commun les cours d'eau et leurs descentes comme l'exprime le titre, mais avec la volonté de pousser le lecteur à la réflexion plutôt que de vouloir assurer uniquement sa distraction.


      La nature, l'écologie, la gestion de la planète et de ses ressources par l'homme, ces notions ne sont pas encore très à la mode au début des années 80 lorsque sont écrits ces textes. Pourtant la marchandisation de l'environnement (prémices du tourisme de masse dans le grand Canyon avec des entreprises qui viennent monétiser et normaliser les descentes des cours d'eau jusque-là gratuites), le développement des énergies renouvelables (construction de barrages qui produisent certes des kwhs mais avec un impact très négatif sur la faune et la flore) sont déjà à l'oeuvre. Abbey en profite pour mettre à mal le mythique Thoreau qui en prend pour son grade (le "grand aventurier" dépeint plutôt comme un "bon pantouflard"). 


      Voici donc quelques thèmes abordés dans cet ouvrage paru en ce début d'année chez Gallmeister et c'est toujours un réel plaisir de retrouver l'humour teinté d'ironie d'Abbey et de constater sa préscience quant à la capacité de nuisance de l'homme. "Aucun des textes de ce recueil ne nécessite d'explication si ce n'est pour dire (...) qu'ils sont censés servir d'antidote au désespoir. Le désespoir mène à l'ennuie, aux jeux vidéo, au piratage informatique, à la poésie et autre vilaines habitudes". A l'heure des réseaux sociaux, des smartphones dépassés au bout de 18 mois, de la voiture électrique et du pétrole de schiste, on peut résolument penser que nous avons su nous montrer très inventifs en termes de mauvaises habitudes. Utilisons donc sans retenue l'antidote proposée par l'auteur, qui envisageait déjà notre survie passant par la relocalisation et les petites entités plutôt que l'amplification des mégapoles et des ensembles déshumanisés.


      A noter enfin que pour chaque exemplaire de cet ouvrage vendu, 1 euro est reversé à l'association Sea Shepherd vouée à la protection des écosystèmes marins et de la biodiversité.


      Gallmeister - 22 €

    • La nuit des orateurs- Hédi KADDOUR

      Rome - 1er siècle après J.-C.

      Sous le règne de Domitien, les sénateurs et toutes les personnes qui gravitent autour de l'empereur, craignent le faux-pas, la phrase malheureuse, le regard mal interprété qui les mettra en danger de mort. Publius Cornelius surnommé Tacite se trouve dans une situation délicate pour avoir plaidé une cause aux côtés de Pline : la conclusion du procès mené par ces 2 grands orateurs déplaît à Domitien qui soupçonne un complot.

      Mais l'empereur hésite à s'attaquer à un de ses plus proches conseillers. De plus, Tacite a épousé Lucretia, fille du général Agricola, dont l'intelligence, le courage et la volonté en font un atout à ne pas négliger. Elle n'hésite pas à se rendre sur le Palatin pour plaider la clémence pour son mari auprès du tyran et ce malgré les intrigues de la maîtresse de Tacite, Flavie. Au même moment on parle de légions venues du Rhin, marchant sur Rome pour y soutenir un complot républicain. Mais qu'y a t-il de plus important qui retienne l'attention des riches romains en cette fin de journée ? Un spectacle : la lecture publique de la nouvelle oeuvre littéraire du provoquant Pétrone.

      Un roman foisonnant qui se déroule sur quelques heures et vous entraîne dans les rues de Rome et dans les palais auprès de personnages calculateurs. 

      Que dire quand les mots ont le pouvoir de tuer ou de faire tuer, quand la tyrannie et l'irrationnel ont pris le pouvoir et que vous faites partie des gens de pouvoir ?


      Gallimard - 21 €

    • Ces orages-là - Sandrine COLLETTE

      Avec ce titre, on pouvait s'attendre à un  roman dans lequel les catastrophes écologiques allaient pousser les personnages dans leurs retranchements (cf. Et toujours les Forêts ou Après la vague) mais la catastrophe ici est psychologique. 

      Clémence a trente ans lorsque, dans un sursaut désespéré, elle parvient à fuir l'homme qu'elle croit aimer, qui a surtout étendu sur elle l'emprise d'une relation toxique. Pendant trois ans, elle a cru aveuglément aux paroles murmurées, hurlées, insidieusement plantées dans son esprit, trois ans pendant lesquels elle s'est effacée.

      Aujourd’hui, elle vit recluse, sans amis, sans famille,  dans une petite maison fissurée dont le jardin s’apparente à une jungle.

      Comment faire pour ne pas tomber et résister minute après minute à la tentation de faire marche arrière  ?

      Sandrine Collette nous offre un roman viscéral sur l’obsession, servi par l’écriture brute et tendue qui la distingue.

      "LE PLUS DUR N'ÉTAIT PAS DE PARTIR.

      LE PLUS DUR SERAIT APRÈS.

      MAINTENANT."


      Lattès - 20 €

    • L'évangile des anguilles - Patrik SVENSSON

      Histoire d'un père, d'un fils et de la créature la plus mystérieuse du monde animal.

      L'anguille est un mystère depuis la nuit des temps: son mode de reproduction, ses métamorphoses, sa longévité ont été sources de légendes et objet d'études passionnées. A ce jour, l'anguille garde encore des secrets qui la rendent fascinante. A travers ses souvenirs d'enfance, l'auteur nous raconte cette pêche très particulière qui le lie à son père avec lequel il partage cette étrange attraction pour cet animal capable de parcourir des milliers de kilomètres pour se reproduire, de vivre 50 ou peut-être 80 ans, de subir 3 ou 4 métamorphoses modifiant ses organes internes.; un animal aujourd'hui menacé par une pêche trop intensive comme de nombreuses espèces marines. 

      En parcourant l'histoire des recherches faites par des scientifiques de renom (dont Freud!), les moments partagés avec son père, Patrik Svensson nous livre un roman d'une précision toute scientifique et un émouvant témoignage sur la relation père-fils, une invitation aussi à garder notre regard d'enfant sur la nature et à continuer de s'émerveiller de ses miracles que nous devons préserver si nous voulons nous sauver nous-mêmes.


      Editions Seuil - 19.50 €


    • L'enfant de la prochaine aurore - Louise ERDRICH

      L'humanité régresse, l'évolution semble s'inverser: dans un monde crépusculaire, les rumeurs et les décisions incompréhensibles d'un gouvernement totalitaire et religieux bouleversent le vie de Cedar Hawk Songmaker. La jeune femme en quête de ses origines amérindiennes apprend qu'elle est enceinte. Cet état la met en danger: on exige des femmes prégnantes qu'elles se rendent dans des centres de naissance. Celles qui refusent sont traquées et emmenées de force, les personnes qui les aident sont arrêtées. Que se passe-t-il dans ces centres? Les bébés disparaissent, beaucoup de femmes également. Déterminée à protéger son enfant, Cedar fuit, cherchant refuge dans sa famille indienne, interprétant les signes de la nature comme des démonstrations du divin.

      Dans le futur inquiétant que nous invente Louise Erdrich, la liberté de procréation est devenu un enjeu politique: le contrôle de la population, les dénonciations nous plonge dans des Etats-(dés)Unis au seuil d'une rupture inéluctable. Comment interpréter le réel quand tous les repères disparaissent? Entre la servante écarlate et 1984, ce roman empreint de nostalgie pour un monde qui s'éteint, démontre que le pouvoir de l'imagination reste le rempart de notre humanité.


      Ed.Albin Michel - 22.90 €

    • Le duel - Arnaldur INDRIDASON

      Ragnar Einarsson est un jeune islandais de 17 ans, assez introverti, passionné de cinéma. En cette année 1972, son pays a les yeux tournés vers un plateau de 64 cases sur lequel va se dérouler la finale du championnat du monde d’échecs qui oppose le tenant du titre russe Boris Spassky à son fantasque challenger américain, Bobby Fischer. Autant dire que dans le contexte de guerre froide, le choc remet en cause les rapports de force géopolitiques et même l’univers symbolique se retrouve mis à contribution pour détenir l’objet de toutes les convoitises : la couronne mondiale. Ragnar quant à lui est très loin de cette euphorie et préfère se rendre dans son cinéma de quartier, à 17h, pour s’adonner à son engouement cinéphile. Depuis quelques temps, équipé d’un magnétophone, il s’est mis à enregistrer les bandes sonores de ses films préférés afin de les revivre une fois dans sa chambre. C’est à l’issue de la séance que l’ouvreur découvrira son corps, poignardé de deux coups de couteau directement au cœur. Plus aucune trace de son magnétophone.

      Dans ce polar, Arnaldur Indridason fait intervenir le commissaire Marion Briem, le futur mentor de son enquêteur habituel Erlendur Sveinsson, pour élucider ce crime mystérieux. Comme souvent dans la longue œuvre de l’auteur, des sujets importants lié à son pays sont traités (en l’occurrence dans ce livre les ravages de la tuberculose après la seconde guerre mondiale) tout en contextualisant son intrigue durant cette confrontation épique Spassky/Fischer. Bien entendu, l’évènement tiendra un rôle important dans le déroulement de l’enquête et une fois de plus les capacités psychologiques et intuitives des personnages seront sollicitées. 

      Un très bon roman dans lequel la réflexion et la sensibilité l’emportent sur l’action pure, avec une intrigue parallèle délicate et émouvante, sur fond de guerre froide et de domination idéologique mondiale.

      A lire également sur l’univers des échecs « Le jeu de la dame » (dont à a été tirée la série Netflix) de Walter TEVIS, collection TOTEM GALLEMEISTER (11.40 euros)


      POINTS- 7.90 euros

    • L'un des tiens - Thomas SANDS

      Certains livres vous marquent plus que d’autres ; certains par leur ton humoristique, d’autres pour leurs histoires à multiples rebondissements, d’autres fois ce sont les qualités d’analyse d’un enquêteur qui font la différence. Dans ce roman proposé par les Editions Equinox Les Arènes, c’est plutôt l’extrême noirceur qu’il va falloir affronter. Ce titre se hisse facilement à hauteur de « La route » de McCarthy ou « Et toujours les forêts » de Sandrine Colette qui ne peuvent pas être taxés de « tendres récits fleurs bleues ».

      C’est donc le virus H7N9 (encore un…) qui a fait des siennes et conduit l’humanité dans une chute vertigineuse entrainant pratiquement son retour à l’âge des cavernes. Certains disent que H7N9 aurait éclos sur les rives du Gange mais c’est bien en France que se déroule l’action du livre de Thomas Sands. Il nous donne l’occasion de suivre trois personnages principaux : Thimotée et Marie-Jean, deux frères auparavant unis qui ont vu leurs relations se distendre jusqu’au point de non-retour et Anna, une jeune fille à la beauté ravageuse, qui noie son mal-être en participant à des soirées post-fin du monde encore plus décadentes que celles qui pouvaient se dérouler avant l’apparition du virus. Tout trois survivent tant bien que mal dans un monde où l’essence n’est plus qu’un lointain souvenir, où les bandes sauvages ne font pas dans la demi-mesure pour faire régner la terreur parmi les survivants et où l’espoir est une notion plus qu’abstraite. Autant dire qu’à la lecture du roman, on ne se sent pas si mal lotis en ce mois d’octobre 2020 ! (C’est pour dire…)

      Ce roman très bien écrit, par son rythme, le développement des traits de caractère des trois personnages, nous entrainent dans les abysses avec un certain plaisir. Car oui, on peut aussi dire qu’un livre est une réussite lorsqu’il parvient à susciter une réaction « inconfortable » à sa lecture. Si après ces lignes vous préférez un livre Feel Good (car il y en a marre de ces histoires de virus…), vous pouvez passer votre chemin mais vous manquerez à coup sûr un livre à très forte dose émotionnelle.

      A noter, une fois n’est pas coutume, que le bandeau accompagnant le titre est plutôt bien choisi et ne trompe pas sur la marchandise : « un livre qui vous broie le cœur ». Tout simplement.


      Les Arènes - 15 €

    • Les désossés - François d'EPENOUX

      Dans un chalet luxueux et isolé, une famille et leurs deux employés se trouvent coupés du monde des semaines durant après des chutes de neige exceptionnelles, conséquence de la modification du climat. C'est presque une pièce de théâtre qui se joue: les personnages, à la limite de la caricature, mettent en place leur jeu, chacun laissant peu à peu deviner ses  secrets. Le père, business man sans scrupules et son garde du corps  au passé trouble, la mère complètement déconnectée de la réalité, la fille et son fiancé balourd et l'ensorcelante gouvernante forment un groupe aux réactions aussi inattendues qu'inquiétantes. 

      En dire plus sur ce court roman gâcherait le suspens. C'est sombre et épouvantable à souhait et François d'Epenoux, de son écriture précise et imagée, nous plonge dans les affres des choix à faire quand il est question de survie.


      Ed. Anne Carrière - 17.50 €

    • Des rêves à tenir - Nicolas DELEAU

      Dans un petit port de pêche, un groupe de jeunes idéalistes, les Partisans de la Langouste, cherchent à sauver cette espèce et avec elle, toutes celles menacées par une humanité vorace et destructrice. Lorsqu'un cargo, destiné à être démentelé, est détourné en Méditerranée par son capitaine qui le transforme en île d'asile et de fraternité, escale pour les migrants qu'aucun pays européen ne veut accueillir, ils sautent sur l'occasion de tenir leurs rêves en apportant leur aide sur le "Shame of Europe". 

      Un mystérieux personnage, Job, de retour au port après avoir disparu pendant 30 ans, soulève, par sa présence presque fantomatique, des questionnements sur soi-même et sur l’autre, sur l’absence, et sur ce qui nous rend dignes du nom d’hommes. Un roman aux allures de fable, empreint d'une douceur réconfortante.


      Grasset - 18 €


    • Vigilance – Robert Jackson BENNETT

      Vigilance est le nom du nouveau programme télévisé qui fascine les Etats-Unis en ce milieu du 21ème siècle. Le concept est très simple : filmer en direct une séance de tuerie de masse, organisée et planifiée par des équipes marketing pour qui seuls les chiffres d’audience importent. Une dotation en millions de dollars pour le gagnant et des clauses de non recours en justice pour les victimes. Localisation, casting du tueur, population touchée, rien n’est laissé au hasard. C’est ce scénario que doit planifier John Mc Dean, le producteur en chef de l’émission, avec pour objectif de faire toujours mieux que le précédent épisode. Et aussi fasciner l’audience pour rendre les spots publicitaires encore plus efficaces et attrayants en termes de retombées économiques pour la chaîne qui diffuse. Delyna, barmaid noire dans un bar anonyme est plus inquiète de la tournure que pourrait prendre ce nouveau moment de folie furieuse avec une population surarmée. Car Vigilance peut se passer n’importe où et à n’importe quel moment. Et ses effets peuvent s'avérer explosifs. A quelques minutes de ce nouvel épisode qui fait déjà frémir les réseaux sociaux, la fébrilité règne tant les enjeux paraissent élevés : une audience qui se doit d’être incroyable pour les uns et pour les autres, tout simplement survivre.

      Roman d’anticipation qui fait froid dans le dos tant le sujet développé semble crédible. Les USA ayant perdu de leur superbe face à d’autres nations (la Chine en tête) s’en remettent aux algorithmes et aux programmes informatiques pour contrôler les pulsions d’une population vieillissante. Armée jusqu’aux dents, marquée par la peur de l’autre, celle-ci n’envisage sa sécurité que par la détention et l’usage d’armes à feu. Il ne reste plus qu’à laisser le champ libre aux pulsions mortifères pour canaliser l’opinion et acheter la paix sociale.

      Chapitres courts, ambiance haletante, sentiment d’urgence, une violente dose d’adrénaline glaçante.


      Le Bélial - 10.90 €


    • L’affaire Dan Cooper – Pierre MIKAÏLOFF

      Le 24 novembre 1971, un pirate de l’air a obtenu une rançon de 200 000 dollars en menaçant l’équipage et voyageurs d’un Boeing 727. Une fois l’avion détourné et en possession de l’argent, il exige que l’avion redécolle et saute en parachute au milieu de nulle part. Depuis, personne ne l’a jamais retrouvé.

      Il s’agit d’une des plus légendaires affaires criminelles américaines qui petit à petit sombre dans l’oubli. C’est surtout 45 ans de la vie de Mark Anderson qu’il ne souhaite pas voir disparaître. Journaliste à la retraite il a toujours cherché, en vain, à connaitre le fin mot de l’histoire. Il se met donc en rapport avec son ami et successeur au journal, Kaminski, afin de lui présenter les dossiers qu’il a constitué tout au long de ces années. Peut-être que quelque chose lui échappe et Kaminski parviendra lui à élucider le mystère ? Et si la clé de l’énigme résidait dans le témoignage de Mlle Alexander qui était hôtesse dans l’avion à l’époque des faits ? Un problème se pose tout de même : cette dernière est atteinte d’une maladie neurodégénérative ce qui risque de limiter sa contribution.

      Pierre Mikaïloff s’approprie donc cette histoire vraie et lui donne une issue, ce qui n’a pas été le cas dans la réalité puisque l’enquête a été définitivement abandonnée le 12 juillet 2016. Le travail d’enquête du reporter Anderson fait la part belle à des potentiels pirates tout aussi crédibles les uns que les autres et chaque profil alterne avec un journal de bord de Dan Cooper lui-même. Et si l’auteur avait finalement débusqué le vrai pirate ? Vous le saurez à partir du 1er avril 2021 à débusquer dans le rayon polar de votre librairie préférée !


      La manufacture de livres – 19.90 euros

    • Avant elle - Johanna KRAWCZYK

      Carmen, 36 ans, assiste un matin à un suicide dans le métro parisien. Elle est à peine sortie de la brume alcoolisée de la veille, elle fonce dans un bar et plonge à nouveau dans l'oubli qu'elle cherche à obtenir. Pourquoi cette femme, fille de réfugiés argentins, au parcours universitaire brillant, s'anesthésie-t-elle ainsi? Les silences de son enfance, ceux de son père Ernesto, arrivé en France avec sa femme dans les années 80, fuyant une Argentine prise dans les soubresauts d'une révolution sanglante, ont favorisé chez leur fille, le goût du secret et de l'affabulation. La mort de sa mère alors qu'elle n'avait que 11 ans, l'enferme dans un monde aphone et incompréhensible, développant sa personnalité borderline.

      C'est la découverte de 7 carnets, journaux tenus par son père depuis 1943 jusqu'à sa mort en 2015, qui va révéler à Carmen,  son histoire familiale. Cependant, faire revivre les fantômes du passé n'est pas indolore: submergée, choquée par les faits rapportés dans les carnets, elle se demande si la vérité vaut de souffrir autant. Est-elle ce que ses parents ont fait? Que s'est-il passé dans ce pays et pourquoi a t-elle choisi de l'étudier au point d'en être spécialiste? La psychogénéalogie explique ces chemins tortueux que la vérité emprunte pour remonter à la surface au prix de souffrances que le corps hurle mais que l'esprit n'entend pas. Les secrets, même les mieux gardés, rongent comme l'acide et finissent par éclater au grand jour.

      Un court roman mais quelle puissance! On est happé par la violence des faits et les images insoutenables que l'autrice nous projette. L'épilogue nous percute et on sort complètement sonné par cette histoire.


      Editions Héloïse d'Ormesson - 16 euros

    • Petite- Edward CAREY

      1767, Berne. Anne Marie Grosholtz, "Petite" a 8 ans et se trouve orpheline. Elle est recueillie par le Dr Curtius, un excentrique sculpteur sur cire, qui l'initie à son art, dispensant ses connaissances anatomiques à une petite fille incroyablement curieuse et attentive dans un univers pourtant effrayant et repoussant. 

      Confrontés à des difficultés financières, ils s'exilent à Paris et s'installent chez la veuve Picot et son fils Edmond. La veuve est autoritaire et ambitieuse. Elle voit rapidement l'intérêt d'exploiter le talent de son locataire de docteur. Ensemble, ils transforment un ancien asile d'aliénés en hall d'exposition pour les têtes de cire. Petite est appelée à Versailles au service de Marie Antoinette. Elle lui prodigue des leçons et va même lui sauver la vie. Mais bientôt Paris entre en ébullition, la foule exige des têtes. Marie et Curtius vont traverser des temps mouvementés. 

      Illustré des dessins de l'auteur, ce roman nous entraîne dans les pas d'une orpheline hors normes qui deviendra plus tard la légendaire Madame Tussaud, créatrice du fameux musée de cire de Londres. 

      Gothique, décalé, mêlant macabre et merveilleux, "Petite" est un récit dans lequel la mort est sublimée et la vie fourmillante.


      Le Cherche Midi - 22 euros

    • L'inconnu de la poste - Florence AUBENAS

      2008, un assassinat d'une violence inouie est perpétré contre une postière de 42 ans dans un petit village tranquille de l'Ain : Montréal-la-Cluse. 

      Florence Aubenas nous plonge dans une enquête qui va durer 6 ans. Si dans un premier temps, les soupçons se portent sur Gérald Thomassin, un acteur, un marginal qui, de plus n'est pas un enfant du pays, rapidement la faiblesse des preuves rendent difficile son accusation. Il sera pourtant poursuivi, coupable idéal, emprisonné avant d'être relâché et mis hors de cause quand l'ADN retrouvé sur la scène du crime finira par parler.

      Cette enquête minutieuse a tout du roman noir mais pas que. C'est aussi le portrait d'une France rurale frappée par la crise, d'une population ancrée dans un territoire qui a pendant quelques belles années profité de l'essor de l'industrie du plastique avant de devenir un espace sinistré, usines abandonnées, chômage...

      Un roman vrai qui revient sur 10 ans d'une enquête aux multiples rebondissements.


      Editions de L'Olivier - 19 euros.


    • Le Doigt - Dalie FARAH

      Dans "Impasse Verlaine", roman d'une enfance entre deux mondes, Dalie, fille d'immigrés algériens, s'intègre vaille que vaille dans sa "banlieue" clermontoise avec sa "tête d'arabe" et une mère qui ne la protège pas, lui inculquant, à coups de serpillière, des principes d'un autre temps. En bon petit soldat de la République, elle cherche la reconnaissance de la mère Patrie en devenant une élève modèle. Professeur de lettres agrégée, bardée de son diplôme, de ses connaissances et de ses certitudes, elle monte au front chaque matin, persuadée qu'elle va sauver chacun de ses élèves de l'ignorance et d'un destin tout tracé par la société. Mais où se trouve le soutien de l'institution quand la violence surgit au collège? Comment les représentants de la République lui refusent-ils la protection qu'elle croyait légitime? 

      On ne guérit pas de son enfance et cette violence qui l'a toujours accompagnée, il semblerait presque qu'elle la provoque: c'est en tout cas ce qui lui est reproché quand elle est violemment giflée par un homme, devant le lycée, offensé par un geste qu'elle a eu l'audace de répéter. 

      Violence des hommes envers les femmes, des adultes envers les enfants, des ados envers les professeurs abandonnés par leur hiérarchie, Dalie Farah analyse avec froideur et une bonne dose d'auto-dérision, les agressions subies et l'inertie de l'Education Nationale, de la société en général, quand elle s'agace d'une injustice que l'administration voudrait cacher sous le tapis. Mais quand on a appris à faire le ménage avec Vendredi, on ne laisse pas de poussière sous le tapis.


      Grasset - 19 €

    • La brûlure - Christophe BATAILLE

      Dans ce texte très court, d'une poésie lumineuse, Cristophe Bataille, s'inspirant d'un fait réel, nous raconte l'amour, celui qui brûle sans répit malgré l'accident. L'accident c'est celui de Philippe, élagueur de son état : ce funambule aime son métier, défie la pesanteur, grimpe vers les sommets mais un jour, se heurte à un ennemi mortel, le frelon asiatique. Des centaines de piqûres qui le laissent suspendu entre la vie et la mort, brûlé jusqu'à l'os. La brûlure est le roman de cette chute et de cette traversée, racontées tour à tour par l'homme et la femme - rencontrée vingt ans avant, qui le soigne, l'attend et ne cesse de lui parler, d'évoquer des souvenirs, des images.

      Un texte puissant, brûlant, une ode à la nature et à l'amour.

      Grasset - 16 €

    • Les yeux de Milos - Patrick GRAINVILLE

      Dans ce nouveau roman de Patrick Grainville, membre de l'académie Française, le personnage principal, Milos, un jeune homme dans la vingtaine  que nous allons suivre sur près de 350 pages, est frappé d'une sorte de malédiction auquel son patronyme hellénique prédisposait peut-être : il est doté d'incroyables yeux bleus qui subjuguent, comme ceux d'un héros Grec frappé par les dieux, et qui ne laissent personne indifférent et notamment la gent féminine. Milos se sent même obligé de cacher ses yeux à la fois pour les protéger des rayons du soleil mais également pour ne pas être réduit uniquement à cette particularité.


      La première composante du roman va donc consister à le voir se débattre dans ses histoires amoureuses mouvementées et heurtées (attention, des passages assez « épicés » et plus qu’explicites) et la seconde, aborder sa passion dévorante pour la peinture et deux artistes en lien avec Antibes, sa ville de naissance : Nicolas de Staël et Pablo Picasso. Patrick Grainville va alors superposer les trajectoires de ces différents protagonistes, et même évoquer le personnage de l’Abbé Breuil, un ecclésiastique passionné d’histoire et qui a notamment participé au développement de l’étude de l’art préhistorique.


      L’écriture de ce roman est riche, travaillée, et nécessite une certaine attention pour assimiler et apprécier tous les détails abordés. Car c’est une plongée dans les travaux des trois personnages historiques à laquelle nous sommes conviés, au-delà des histoires amoureuses de Millos d’une conception plus classique. La lecture donnera envie de poser quelques instants le livre pour aller admirer les œuvres ou panoramas esquissés. Elle mettra également en avant les comportements amoureux des deux peintres (celle de l’abbé n’est pas abordée…) et notamment celle de Picasso que l’on découvre comme un minotaure, un homme jamais rassasié. 

       

      Un roman qui intéressera les passionnés de peinture de par son approche encyclopédique mais aussi les lecteurs appréciant les joutes amoureuses pimentées…


      Le Seuil - 21 €

    • Tu ne désireras pas – Jonathan MILES

      Il est question d’anxiété, d’excès mais aussi de beaux portraits de sujets caractéristiques de notre société occidentale, celle du toujours plus. Nous allons donc suivre, au rythme d’un découpage qui alterne pour chaque chapitre un personnage différent, des américains (qui de mieux pour symboliser les excès…) issus de milieux très différents mais qui ont pourtant en commun un rapport particulier avec la possession, sensée rendre heureux mais qui peut s’avérer le plus souvent extrêmement nocive. Ainsi, on découvrira deux jeunes gens, qui squattent un appartement à New York et qui justement s’essaient à la modération, empruntant la voie royale puisqu’ils se nourrissent exclusivement de ce qu’ils trouvent en (sur)abondance dans les poubelles. Un cinquantenaire, tout juste abandonné par sa femme volage, est le second personnage que l’on va voir s’échiner à retrouver un sens à sa vie, à faire réparer sa jeep préférée tout en devant composer avec un père, atteint d’Alzheimer qui oublie souvent, entre autres, que sa femme est décédée. Enfin, une famille nous ouvrira les portes de son foyer : au menu, détonnant, une mère quelque peu superficielle, veuve d’une victime du 11 septembre 2001, un nouveau beau-père businessman spécialisé dans le recouvrement de créances douteuses et une grande fille atteinte du SCI (syndrome du côlon irritable) …tout un programme.

      Jonathan Miles cible le point devenu central de notre belle humanité en ce premier quart du 21ème siècle : l’obsolescence programmée des biens, des personnes et la culture du jetable où chacun peut se retrouver à un moment donné avec le statut peu enviable de déchet. Et les déchets laissent des traces et pas toujours les plus belles. Ils peuvent parfois avoir aussi plus de valeur que ce que l’on pense…

      Roman qui aborde des sujets « lourds » avec tout de même un côté joyeux et drôle (certaines scènes sont assez truculentes), nous offre une galerie de personnages auxquels on s’attache très vite. On peut bien entendu lire entre les lignes une critique acerbe du mode de vie occidental, de l’écologie, avec la volonté de remettre l’humanité au centre du débat. Encore une belle découverte de la maison d’édition Toussaint Louverture, coutumière du fait.


      Toussaint Louverture - 24.50 €


    • Le bonheur est au fond du couloir à gauche- J.M. ERRE

      Michel H. est un éternel dépressif doublé d'un hypocondriaque insupportable. Le jour où sa compagne le quitte, il s'agit pour le moins d'une erreur mais pour inverser le cours du destin malheureux auqeul il ne veut plus se soumettre sans réagir, Michel décide de se reprendre en main pour reconquérir sa fiancée. Pour cela, il va employer un moyen radical : la lecture des traités de développement personnel qu'elle lui a laissé. Ils nous promettent les recettes du bonheur ; Michel H. part à la quête de cette félicité qui lui échappe depuis toujours et plonge dans les méandres de la littérature feel-good. Entre les intrusions de ses voisins et ses phobies irationnelles, Michel H. qui s'énorgueillit d'avoir les mêmes initiales qu'un célèbre écrivain aussi dépressif que lui, se lance donc dans une série de tentatives éperdues pour (enfin) retrouver la joie de vivre. 

      C'est absurde et loufoque, J.M. Erre se moque gentiment des travers de notre société : un livre drôle et malin, c'est assez rare pour être remarqué!


      Bvchet Chastel - 15 €

    • La vague montante – Marion Zimmer BRADLEY

      Alors qu’en 2021, Thomas Pesquet provoque l’enthousiasme de la population pour une expédition dans l’espace afin de réaliser des expériences coûtant des millions de dollars dont peu de personne finalement savent le réel objectif, dans la nouvelle de Marion Zimmer Bradley, les voyages dans l’univers sont devenus monnaie courante. Un vaisseau appelé Homeward s’apprête à revenir sur terre. Ses occupants sont les descendants d’explorateurs partis coloniser une planète appelée de manière originale « Terre II » il y a de cela un demi-millénaire. Du fait d’un continuum espace-temps favorable, l’équipage ne représente que la seconde génération des explorateurs et ces derniers sont encore conscients de ce que pouvait être la terre au départ de leurs parents. Essayant en vain de rentrer en contact avec la terre, le commandant décide de dépêcher une navette qui pourra par la suite guider l’énorme vaisseau amirale pour se poser. Le choc est assez rude pour eux quand ils atterrissent à proximité d’un petit village terrien. Malgré les six cents années qui viennent de s’écouler, la population et les conditions de vie ne semblent guère avoir évoluées. Pire, la technologie semble avoir régressée. Que s’est-il donc passé pendant tout ce temps et pourquoi la civilisation triomphante et conquérante qui a permis de mener la conquête spatiale a-t-elle cédé la place à ces rustres individus ?

      Nouvelle écrite au milieu des années 50, à une époque où le progrès technique et la technologie représentaient l’eldorado de toute nation moderne digne de ce nom (dont le développement du merveilleux nucléaire…), ce texte engagé interroge sur l’attrait du progrès, de son sens et de ses aboutissements. L’auteure a également intégré dans son récit une portée féministe avec un équipage composée de femmes fortes, décideuses, à une époque où la société paternaliste était encore bien encrée.

      Il est plaisant de voir s’opposer deux branches de l’humanité, deux conceptions de la vie qui se confrontent. D’un côté la certitude de la toute puissance et de la domination de l’objet sur l’homme et de l’autre une simplicité volontaire loin du toujours plus mortifère, emprise de sagesse et de retenue. 


      Le passager clandestin – 9 euros

    • La nuit du Jabberwock – Frederic BROWN

      C’est une nuit particulière que va connaître Doc Stoeger. Propriétaire et unique rédacteur du quotidien Carmel City Clarion, il est bien obligé de se rendre à l’évidence : il ne se passe définitivement jamais rien dans sa petite ville de Carmel City. Entre deux potins qui constitueront la majorité de son journal, il aime passer du temps à la taverne de Smiley en journée et le soir venu, après le bouclage, réaliser quelques parties d’échecs avec son ami Al Grainger, qui lui donne bien du fil à retordre. Il voue également une passion dévorante envers l’univers de Lewis Carroll et ses personnages tirés notamment d’Alice au pays des merveilles. 

      Un soir où, une fois de plus, l’actualité n’a pas été chamboulée par un évènement présentant un grand intérêt journalistique, on sonne à sa porte. Ce n’est pas Al mais un dénommé Yehudi Smith. Ce dernier vient solliciter Doc et lui propose de se rendre avec lui dans une maison abandonnée, présumée hantée…pour y chasser le jabberwock ! Cette proposition sortant de l’ordinaire s’il en est va être le premier bouleversement que va connaître Carmet City tout au long de cette nuit exceptionnelle.

      Publié dans les années 50, ce titre à ce charme désuet des romans policier « à l’ancienne », sans expert, sans scientifique, où il faut trouver un téléphone dans l’arrière salle d’un bar, même en situation d’urgence. Une époque où il est encore possible de vouloir passer une soirée tranquille chez soi, avec un verre de whisky et de préférence un bon livre et soudain voir apparaître l’inattendu, et non sous la forme d’une notification sur son portable ou un bandeau de chaîne d’info en continue.

      Alors bien entendu le rythme est différent, l’élucidations des crimes (car oui, il y aura de quoi écrire dans le Carmet City Clarion du lendemain !) peuvent porter à sourire en comparaison des procédés alambiqués appliqués aujourd’hui dans le roman policier moderne, mais au final, c’est une agréable nuit de lecture qui nous est proposée. Cela peut également donner l’idée d’aller jeter un œil de l’autre coté du miroir pour (re)découvrir l’œuvre de Lewis Carroll qui est un fil conducteur important du roman.


      Rivages/ Noir – 7.80 euros.


    • Nature humaine - Serge JONCOUR

      Le personnage principal du nouveau roman de Serge Joncour est Alexandre Fabrier, fils, petit-fils d'agriculteurs dans le Lot. L'histoire débute l'été 1976, été caniculaire, qui voit Alexandre aux prises avec des questionnements existentiels : malgré son amour de la nature, il se sent piégé dans cette ferme familiale qu'il sait devoir perpétuer malgré ces rêves d'ailleurs ou d'une vie plus confortable. Son sens du sacrifice, dont il a conscience, le rend amer vis à vis de ses sœurs qui, elles, s'émancipent de cette campagne si peu vivante à leurs yeux. Le père craint le départ de ce fils : il lui semble que la modernisation et l'engagement sur des voies plus rentables le retiendront plus que l'amour de la terre. Le modèle productiviste imposé par la PAC fait miroiter un avenir plus engageant : mais les crises sanitaires (veaux aux hormones, vache folle), l'emploi d'engrais, de pesticides tuant peu à peu les sols, les prix imposés par les grandes surfaces, la désertification des campagnes révèlent année après année, la rupture entre les hommes et la nature. Serge Joncour parcourt 30 ans de la vie d'une ferme française : de l'élection de François Mitterrand à l'explosion de Tchernobyl, de l'éveil de la conscience écologiste au consumérisme galopant, ce roman montre que le point de bascule a été atteint dans ces décennies et que nous nous sommes montrés incapables d'inverser la tendance. En ces temps de confinement dans nos appartements, la campagne apparaît comme un paradis idyllique : il serait grand temps de comprendre que nous sommes liés à cette nature que nous avons si peu respectée en voulant la dominer. 

      La grande force narrative de ce roman tient dans les détails de la vie à la ferme rythmée par le journal de 20h et la météo et les virées d'Alexandre à Toulouse attiré par les lumières de la ville et ses mirages, ses tentations de révoltes et de violence pour impressionner une jeune femme militante que les combats semblant les lier, finiront par éloigner. 

      Sagesse paysanne à méditer : « Les animaux c'est comme les hommes, faut pas que ça voyage, sinon ça ramène plein de saletés... »   


      L'auteur présente son livre: https://www.youtube.com/watch?v=kxUaW83uZco


      Flammarion - 21 €

    • La foire aux serpents – Harry CREWS

      On ne peut pas dire que la famille de Joe, lui soit d’un grand soutien moral ; entre sa sœur, folle, qui vit H24 devant son écran de télévision dans sa chambre, son père qui brutalise et « prépare » ses chiens pour des combats sanglants et meurtriers et enfin sa femme qui végète, ayant lâché prise après deux grossesses menées pratiquement dans la foulée, notre zéro n’est pas au mieux. Oui, oui zéro car malgré des qualités certaines pour le football qui auraient pu lui ouvrir les portes des plus grandes équipes du pays, Joe a tout fait foirer par son parcours scolaire médiocre. Tout juste vingtenaire, il doit se contenter de vendre un alcool frelaté dans un bouge dont la clientèle n’est pas non plus très reluisante. Mais il est certain que tout peut changer. La foire aux serpents, qui regroupe tous les déjantés de ce coin perdu de la Géorgie, va avoir lieu et Bérénice, son amour de jeunesse qui elle a pris la tengante pour continuer et réussir, elle, ses études et annoncée comme étant de retour. Certes elle reviendrait accompagnée de son nouveau petit ami mais pour Joe il s’agit d’un détail sans importance. L’essentiel sera de reprendre le contrôle de sa vie et de repartir de plus belle. Effectivement, il va y avoir de belles animations en marge de l’évènement tant attendu et autant dire que cela va saigner.


      Harry Crews est l’un des plus grands écrivains américains de roman noir et La foire aux serpents s’avère le meilleur exemple pour constater l’étendue de son talent. Une brochette de « cas » dans cette histoire se déroulant au milieu des années 70 avec un malaise et un mal être chez la plupart des paumés qui habitent son roman. Une plongée dans le noir, un noir profond et désespéré, un antidote au rêve américain qui déjà à cette époque battait sérieusement de l’aile. 


      Folio – 6.90 euros


    • Le ghetto intérieur - Santiago H AMIGORENA

      Vicente Rosenberg (grand-père de l'auteur) est arrivé en Argentine en 1928. Il avait promis à sa mère d'écrire régulièrement, promesse qu'il n'a pas tenue. Les années qui passent, la mariage avec Rosita, les naissances et l'impression de s'être libéré de l'emprise familiale lui fournissent une excuse facile pour ne pas répondre aux missives maternelles. Mais, à partir de 1940, les lettres qui parviennent sont alarmantes : un mur a été construit, Gustawa se réjouit que la rue dans laquelle elle habite se trouve dans le ghetto, elle n'a pas été obligée de déménager. Elle lui demande de lui envoyer un petit quelque chose : la faim est terrible, la violence inhumaine. La culpabilité commence à ronger son fils exilé. Il savait sans véritablement savoir ce qui se passait en Europe. Les journaux restaient tellement peu explicites sur les évènements, sur la solution finale. Comment, à 12 000 kilomètres, imaginer, se représenter un tel cataclysme. Vicente s'enferme dans le silence. Il n'a plus de mots, ni en yiddish, ni en allemand, ni en espagnol, un mutisme subi par sa femme et ses trois enfants, un silence transmis à l'auteur par ce grand-père qui a construit un mur autour de lui. Si loin qu'il soit de son pays, de sa mère, lui qui pensait être polonais, soldat, officier, étudiant, argentin, père n'est finalement plus que juif. 

      Roman/récit bouleversant, le ghetto intérieur est une reflexion déchirante sur l'exil et l'identité mais aussi sur ces souffrances dites et surtout non-dites dont héritent les générations suivantes. 


      Ce titre fait partie de la sélection Prix des libraires FOLIO.


      Folio - 7.50 euros

    • Les jours – Sylvain OUILLON

      Cet ouvrage, qui est finalement plus un essai historique qu’un roman au sans strict, nous invite à traverser le 20ème siècle en suivant deux familles (les grands-parents et arrières grands-parents du narrateur) en mettant en avant « leurs petites histoires » au sein de la « Grande Histoire ». Le récit débute ainsi au tout début du siècle, avec des personnages nés dans le dernier quart du 19ème siècle, puis les éléments s’enchainent : passage d’une société agricole et rurale à une société industrielle et urbaine, alternance de périodes fastes (1920/30, les années folles, 1950/70, les trente glorieuses) et les plus sombres (2nde guerre mondiale, guerre d’Algérie, crises économiques). 

      « Les jours » met également un coup de projecteur sur les derniers soubresauts du colonialisme puisque certains membres des familles vont s’installer à Madagascar, au Nord de l’Afrique, en Asie. L’occasion de voir le réel attachement de ces derniers à cette vie loin de la métropole qu’ils finiront par retrouver de manière volontaire ou plus ou moins forcée du fait des changements imposés par le mouvement irréversible de décolonisation. C’est aussi l’occasion de constater l’évolution technologique à laquelle ont dû s’habituer les protagonistes puisqu’à la naissance de la plupart, le téléphone, la voiture et l’avion n’étaient qu’à leurs balbutiements. Et que dire des changements de mœurs…

      Sylvain OUILLON alterne donc les souvenirs (composés des petits bonheurs mais aussi des grands malheurs) qui sont racontés le plus souvent à la première personne par les principaux acteurs. L’auteur recontextualise régulièrement pour ancrer ces faits dans les grands évènements de l’époque et donner du relief aux propos tenus (quand les membres de la famille parlent « d’indigènes » ou restent évasifs sur la situation des juifs pendant la seconde guerre mondiale). 

      Il s’agit donc d’un livre émouvant, dont il ressort une nostalgie teintée de fatalisme quant à la perception de l’individu dans une humanité qui avance et qui évolue, avec ou sans son adhésion. A l’issue de trois générations, il est déjà bien difficile de se souvenir des noms et histoires des arrières grands parents. Il ne reste alors que quelques poignées de souvenirs qui ne pèsent pas lourd face au passage du temps. 


      Ce titre fait partie de la sélection Prix des libraires FOLIO.


      Folio - 10.30 euros

    • La maison dans laquelle - Mariam PETROSYAN

      A titre énigmatique, intrigue qui ne l’est pas moins. Dès les premières pages, nous voici happés par cette maison et ses occupants. Du contexte, on ne connait que peu de chose, seulement une institution située probablement en ex-union soviétique dans les années 80/90. Pas de trace de portable ni d’internet entre ses murs. On comprend vite qu’il s’agit d’une sorte d’école/internat pour enfants handicapés (physiques et mentaux). Puis rapidement, c’est une chute libre dans l’espace-temps. 

      Nous découvrons alors une galerie d’adolescents, désignés par leurs surnoms dans la maison (l’Aveugle, Fumeur, Sphinx), et les petites/grandes histoires de leur quotidien, en réalisant des incessants aller-retours entre le passé et le présent. Cette approche déroutante l’est d’autant plus que certains ne portent pas le même surnom en fonction de l’époque à laquelle se situe l’épisode de vie qui est présenté. Et c’est bien en cela que réside l’intérêt de ce roman imposant et exigeant : assister à la répartition des rôles au sein d’un groupe d’enfants, à leurs interactions, leurs réussites et échecs dans un univers clos. L’action se déroule le plus souvent dans leur dortoir, laissé plus ou moins en auto-gestion par des adultes très peu présents, qui semblent dépassés voire effrayés par ces adolescents qu’ils ne peuvent plus comprendre.

      Le roman passe également par certains moments ésotériques, (on pense à l’institut ou Shining de Stephen King), tant le lieu semble avoir une influence sur ces enfants, comme une entité spéciale, un territoire mystérieux avec ses zones d’ombre et de mystère…ou qui le deviennent par le biais de l’imagination.

      Encore un ouvrage surprenant et atypique de la maison Toussaint Louverture, toujours habitée par la volonté de proposer une ligne éditoriale originale. Mariam Petrosyan nous invite à plonger dans les affres de l’adolescence et de la difficulté pour se construire avec/contre l’autre. Le handicape y est abordé de manière décomplexée, vite oublié au profit de personnalités charismatiques.  

      L’auteure nous est présentée comme ayant publié un seul roman, avoir travaillé sur ce dernier pendant dix ans et avoir attendu quinze autres années avant de le publier. Elle indique ressentir un grand vide depuis sa parution…peut être du même ordre que le sentiment ressenti après avoir tournée la dernière page de son livre.


      Edition TOUSSAINT LOUVERTURE - 15.50 €


    • Le cœur synthétique - Chloé DELAUME

      Adélaïde, 46 ans, vient de se séparer de son compagnon après 9 ans de vie commune : si la liberté retrouvée lui semble savoureuse, elle est persuadée de retrouver très rapidement un nouvel amoureux et une vie de couple. Ce schéma est le seul envisageable pour avancer et affronter le quotidien. Cependant, elle se rend compte  que les choses ne sont plus aussi simples : elle a vieilli, les candidats sont rares et ont un passé encombrant. Elle peut néanmoins compter sur son cercle d'amies dont les avis sur le célibat et la vie de couple divergent : elles s'efforcent néanmoins de soutenir Adélaïde qui souffre de la solitude et qui cherche dans chaque situation quelles sont ses chances de rencontrer l'homme idéal. Avec beaucoup d'humour, Chloé Delaume explore dans ce roman les relations entre les hommes et les femmes aujourd'hui et épingle les travers de la gent masculine  en matière de rencontres et techniques de drague. A travers le métier d'Adélaïde qui est attachée de presse, l'auteure fait une peinture au vitriol du milieu de l'édition : les conflits, la course aux prix, les clins d’œil à son propre travail comme experte en « autofiction expérimentale », tout est drôle et finement observé.

      La sororité, la solidarité entre femmes sont des thèmes qui restent au cœur des textes de l'auteure (cf « Mes bien chères sœurs » et « Les sorcières de la République ») et qu'on retrouve avec beaucoup de plaisir dans ce roman lucide et drôle. 


      Seuil - 18€

    • Les tentacules - Rita INDIANA

      Voilà un texte absolument inclassable : c'est un roman politique, écologique et décolonial où le fantastique côtoie un réalisme trash. L’autrice caribéenne Rita Indiana  mélange les styles et passe de l'argot le plus cru à un registre littéraire soigné pour nous embarquer dans un récit qui commence en 2027 dans une République Dominicaine sous dictature, ravagée par un virus (!), où toute vie sous-marine a disparu et où les résidences de luxe sont ultra-protégées par la robotique et une technologie très évoluée. On rencontre Alcide, adolescente pauvre employée de maison  d’Esther Escudero, une prêtresse de la Santería (religion populaire aux Caraïbes, d'origine africaine) qui cherche par tous les moyens à gagner suffisamment d'argent pour se payer du Rainbow Bright, une substance qui lui permettra de changer de sexe. L'autre personnage important c'est Argenis, un artiste dominicain raté : son histoire se déroule dans les années 90, et suite à une plongée (dans le cadre d'un programme de sauvetage de la barrière de corail) pendant laquelle il se frotte à une anémone venimeuse, il prend conscience de la vie de son double, contrebandier dans la flibuste au XVIIème siècle. Entre hallucination et sorcellerie vaudou, les voyages temporels des personnages nous entraînent dans un rythme surprenant et déconcertant, mettant l'accent sur les conséquences dramatiques des actions humaines mais également sur le pouvoir que nous détenons de réussir à changer le cours des choses. Ou pas.


      Rue de l'Echiquier - 17 €

    • Komodo – David VANN

      Direction l’île de Komodo pour Tracy afin d’y retrouver Roy, son frère ainé qui après avoir divorcé et mis de côté sa vie d’auteur à succès globe-trotter, a jeté son dévolu sur l’Indonésie et le projet d’obtenir un diplôme de moniteur de plongée. Accompagnée de leur mère, elle s’offre ainsi une semaine de vacances bien méritée, avec la découverte de la faune et de la flore marine locale en lieu et place de son "travail à temps plein". Après avoir abandonné son emploi salarié, il consiste à s’occuper de ses deux jumeaux âgés de 5 ans et de composer avec leur papa démissionnaire qui s’arrange pour être absent de la maison 18 heures sur 24 (et dont la fidélité laisse très certainement à désirer). Autant dire que Tracy est à fleur de peau et le fait qu’elle ne parvienne pas à comprendre pourquoi son frère cinquantenaire a tout gâché en sabordant son couple, ne joue pas la carte de l’apaisement. La perspective de passer un bon moment en famille, de se retrouver et de découvrir les splendeurs des profondeurs parviendront-elles à lui redonner un semblant de sérénité ? Manifestement, à la vue des premiers échanges, et dès les premières pages, c’est loin d’être gagné. Et les tensions ne vont qu'empirer…

      Roman qui porte sur la frustration et la charge mentale d’une mère de famille qui atteint le point de rupture. David Vann explore ce sujet de société de plus en plus abordé et reconnu et nous entraine avec talent dans des descriptions de plongées dans un univers paradisiaque, tout en mettant en opposition la sérénité des fonds marins et le tempérament explosif de Tracy. L’auteur entretien toujours une fascination depuis ses premières parutions (Sukkwan Island en tête) pour les relations familiales complexes, conflictuelles, orageuses et une fois de plus celles de son dernier roman ne dérogent pas à la règle. La rancœur, la peur de l’échec, l’épuisement mental sont des personnages à part entière dans cet ouvrage qui nous plonge dans les profondeurs de l’âme humaine et nous donne l’occasion de découvrir une femme qui flirte dangereusement avec les limites de la lucidité.


      Gallmeister – 22.80 euros

    • Funambule majuscule - Guy BOLEY

      Avant de publier son premier roman ("Quand Dieu boxait en amateur"), Guy Boley a été funambule. La lecture des "Vies minuscules" de Pierre Michon est une révélation, l'ouverture d'un horizon vertigineux, celui de la littérature. La rencontre, lors d'une séance de dédicaces particulièrement ratée (à part Guy Boley personne ne s'était présenté, véritable cauchemar pour un libraire!) a lié les deux hommes d'une amitié que les années n'érodent pas. Tous deux connaissent le vertige : l'un sur son filin tendu au dessus du vide et l'autre risquant au fil des mots de perdre l'équilibre. Dans cette lettre qu'il adresse à l'écrivain, il lui dit son admiration, il partage ses souvenirs et lui décerne le titre de "Funambule Majuscule".

      Réflexion sur la littérature et ceux qui la servent, Guy Boley se dévoile avec la force et la poésie qui avaient tant séduit dans son roman qu'il avait consacré à son père.  Ce texte est complété par la réponse de Pierre Michon.

      Petit livre merveilleux à lire, relire, offir à tous les amoureux de la littérature et aux jeunes écrivains (ajoutez "Lettres à un jeune écrivain" de Colum McCann pour un vademecum de base).


      "Quand Dieu boxiat en amateur"- Folio - 6.90 euros.

      "Vies minuscules" - Folio - 7.50 euros."

      "Lettres à un jeune écrivain" - 10/18 - 6.60 euros.


      Grasset- 6.50 euros

    • Kingdomtide – Rye CURTIS

      Cloris Waldrip, une femme âgée de 72 ans, réchappe miraculeusement d’un crash aérien alors qu’elle survolait le Montana, accompagnée de son mari. Ce dernier ainsi que le pilote n’ont pas eu sa chance. Elle se retrouve donc seule, au milieu de la montagne, plongée dans une forêt escarpée, à des kilomètres de la civilisation, sans nourriture ni aucun moyen de communication (nous sommes en 1986 et le téléphone portable ne fait pas partie encore du quotidien). C’est à la ranger Debra Lewis que revient la charge d’organiser les secours, bien que sa hiérarchie soit persuadée de l’issue fatale de l’accident et de la faible probabilité de retrouver des survivants. Affublée d’une équipe de « bras cassés », elle doit composer entre son amour immodéré pour le merlot (très bon semble-t-il mélangé au café) et une vie personnelle chaotique, n’ayant que peu d’indice sur l’emplacement de l’accident. Cloris de son côté, découvre la survie et la nature aride. Contrecoup de l’accident, elle se sent rapidement épiée. Et si elle n’était pas seule dans cette forêt isolée, réputée pour abriter des spectres (et même des criminels en chair et en os…) en quête d’oubli ?

      Roman original de par la narration assurée par Cloris, vingt ans après les faits, qui nous laisse nous concentrer exclusivement sur les personnages et non sur le sauvetage ou non de Cloris dont nous connaissons dès les premières lignes l’issue. D’un récit basique d’accident/survie/traque, Rye Curtis nous amène à la réflexion sur la résilience, la fatalité, l’acceptation de soi et la finitude dans la façon dont les différents protagonistes vont gérer la catastrophe et leurs parcours de vie respectifs. 

      Des personnages et dialogues qui font penser à ceux dont on peut se délecter dans les films des frères Cohen (Fargo par exemple), une nature sauvage et dangereuse, des rapports humains complexes. On peut encore parler de réussite pour la ligne éditoriale de la collection Gallmeister et la publication de ce premier roman de Rye Curtis.


      Gallmeister – 24 euros


    • Tu aurais dû t’en aller- Daniel KELHMANN

      Vous avez frissonné avec Shining de Stephen King ou devant l’adaptation de Stanley Kubrick qui a traumatisé de nombreux spectateurs ? Vous allez connaître le même genre de sensation dans cette version qui se rapproche fortement du prestigieux roman, avec une histoire modernisée et tout aussi oppressante.

      Un scénariste qui peine à développer la suite d’un succès cinématographique décide de passer quelques jours de vacances avec sa femme et sa fille dans une maison isolée située dans les montagnes allemandes. Peut-être pourra-t-il ainsi retrouver l’inspiration qui semble le fuir. Cependant, rapidement, les choses vont mal tourner. Quelle est cette tension palpable quand il échange avec les habitants du village ? Les nerfs sont mis à rude épreuve lorsque des mots mystérieux viennent s’intercaler dans son écriture et le malaise grimpe lorsqu’il commence à apercevoir des individus qui se promènent dans les pièces de l’étrange demeure. Ça y est ? Vous sentez venir l’angoisse ?

      Nous n’irons pas plus loin pour ne pas « divulgâcher » mais si vous êtes friand de conte fantastique vous serez comblé. Que se passe-t-il vraiment dans cette maison ? Folie créatrice ? Univers parallèle ? Ce roman très court (moins de 100 pages qui se prête parfaitement à la pression du récit) devrait vous donner quelques sueurs froides. Chiche de le lire un soir de pleine lune, lorsque le vent souffle dehors ?


      Actes Sud – 10 euros

    • Lëd - Caryl FEREY

      Tout est parti d'une blague. Ses éditrices proposent à Caryl FEREY de l'envoyer en voyage dans la ville "la plus pourrie de la planète". Il acceptera, en ramenera un carnet de voyage et la matière à son nouveau roman intitulé Lëd.


      Cette ville, c'est Norilsk, située au fin fond de la Sibérie. A travers la destinée de ses personnages, il en trace le portrait. Pollution et froid extrèmes, racisme, corruption des élites, désoeuvrement, une sorte de cul-de-sac de la Russie, où la population est condamnée à vivre sans espoir d'évasion.


      L'intrigue policière nous entraine dans ses bas-fonds, on en ressort asphixié. C'est dense, puissant, encore un coup de maître de Caryl Ferey.


      Pour approfondir la lecture sont disponibles également Norilsk en livre de poche (7.20 euros) et le DVD "Norilsk, l'étreinte de glace" chez L'Harmattan (20 euros)


      Les Arènes, collection Equinox - 22.90 euros.

    • Des diables et des saints - Jean-Baptiste ANDREA

      Sur des pianos mis à disposition du public dans les gares, un homme joue Beethoven. Ne lui demandez pas du Mozart ou du Chopin, non, c'est Beethoven uniquement mais il l'interprète de telle façon qu'il transporte ceux qui l'écoute. Il n'est pas célèbre, il pourrait l'être, mais il attend quelqu'un. Depuis longtemps. 


      C'est l'histoire de Joe, envoyé à 15 ans aux Confins, pensionnat catholique à la frontière espagnole. La maltraitance, monnaie courante dans cet orphelinat, le pousse à rejoindre un groupe bancal, la Vigie, qui se révolte à leur hauteur d'enfants : ils se donnent pour mission de défendre les lieux d'invasions imaginaires. Des plans d'évasion ne vont pas tarder à s'organiser. 

      Une nouvelle fois, dans ce 3ème roman, JB Andréa explore les blessures et les rêves de l'enfance et comment l'adulte reste marqué par cette période. Un roman émouvant, une écriture sensible et tellement vraie : il s'en dégage une émotion et une nostalgie évoquée avec beaucoup de poésie. 

      Une réussite !


      L'Iconoclaste - 19 €

    • Les danseurs de l'aube - Marie CHARREL

      Ce roman fait sortir de l'oubli Sylvin Rubinstein, prodige du flamenco, juif et résistant. Un destin incroyable que l'autrice met en miroir avec des personnages aux prises avec des difficultés à vivre plus actuelles.

      Dans les années 30, Sylvin et sa soeur jumelle Maria, ayant fui la révolution russe avec leur mère danseuse à l'opéra de Moscou, découvrent le flamenco dans un camp de gitans. Ils sont doués et leur art, leurs personnalités, la silhouette androgyne de Sylvin, les propulsent sur toutes les scènes d'Europe et même New-York est à leurs pieds. Ils ne cherchent pas à fuir lorsque les premiers pogroms se déclenchent, ne pouvant croire à l'effondrement du monde. Pourtant, ils se retrouvent enfermés dans le ghetto de Varsovie. Quand sa soeur disparait, plus rien ne rattache à la vie Sylvin sauf sa haine des allemands . C'est avec Kurt Werner, héros de la première guerre mondiale, anti-nazi, dirigeant un réseau de résistants au sein de la Wehrmacht qu'il va traverser la guerre, prenant part aux combats de l'ombre, le plus souvent déguisé en femme pour ne pas attirer l'attention. Et c'est en dansant qu'il perpétuera la mémoire de Maria après la guerre.

      En 2017, à Hambourg, Lukas, jeune homme peu sûr de lui rencontre la flamboyante Iva sur la scène ou se produisait Sylvin. Le road-trip dans lequel ils se lancent sera émaillé de combats contre l'incompréhension et l'intolérance : lui trop féminin, elle trop typée avec ses cheveux et sa peau sombre.

      Une histoire boulversante, des personnages portés par la nécessité vitale de danser, de s'exprimer à travers le flamenco. Des page magnifiques d'une rare intensité pour décrire les corps des danseurs, la vie et la mort qui se cotoient et parcourent leurs veines. 

      Le livre incontournable de cette rentrée d'hiver.


      Editions de l'Observatoire - 20 €


    • Le démon de la colline aux loups- Dimitri ROUCHON-BORIE

      Premier coup de coeur de cet hiver: un livre sombre traitant d'un sujet difficile, l'enfance maltraitée. A travers le récit-confession de Duke, jeune homme à l'enfance martyrisée, s'expriment tous les tourments d'une âme brisée qui cherche désespérémment la lumière et la rédemption. L'innocence et la violence se côtoient dans les tênèbres si profondes qu'il semble impossible que la moindre lueur ne les transperce et pourtant, grâce à l'écriture spontannée et singulière de Dimitri Rouchon-Borie, elles paraissent luire doucement. Quel bouleversement que ce 1er roman: je n'ai pu retenir mes larmes devant tant d'humanité et tant d'horreur. Un talent exceptionnel pour une lecture qui ne vous laissera pas indemne.


      Le Tripode - 17 €

    • Le seigneur des porcheries – Tristan EGOLF

      Nous faisons connaissance avec John Kaltenbrunner, le héros du roman, alors qu’il est âgé d’une quinzaine d’années, et le moindre que l’on puisse dire, c’est que la vie ne lui a pas vraiment fait de cadeau. Il doit grandir dans l’ombre de son père décédé avant sa naissance dans une éboulement de mine, un homme qui bénéficiait d’une aura et d’un charisme dignes de la statue du commandeur dans sa petite ville de Baker...enfin c'est la façon dont on l'a présenté. Une description rapide de la charmante bourgade ? un ramassis de consanguins, d’alcooliques, de gars plus ou moins (mais plutôt plus) louches. A l’école, ce n’est pas la panacée non plus puisqu’il est le souffre-douleur de ses « petits camarades ». A la maison, il trouve du réconfort auprès d’Isabelle, une vieille brebis acariâtre, dans l’élevage de ses poules (il est plutôt bon entrepreneur) mais également la conduite de son tracteur qu’il a surnommé Bucéphale. Quand sa mère tombe subitement malade et que la meute bien intentionnée de l’église méthodiste locale, spécialisée dans la récupération/vente de biens de personnes en fin de vie, vient rôder sur ses terres et dans sa propre maison, il sent la menace se rapprocher dangereusement. Après quelques péripéties (..), nous le retrouvons quelques années plus tard, embauché dans l’entreprise chargée de collecter les ordures de la ville. Il va alors donner la pleine mesure de son ressentiment et demander des comptes.

      Un roman au ton teigneux, hargneux et non dénué d’humour qui nous entraîne dans ce Midwest dévasté par la bêtise, la cupidité, le repli. Un livre sous forme de dénonciation du mode de pensée américain avec ses dérives environnementales, son mode de vie incompatible avec l’espérance de pouvoir maintenir la vie sur terre, sa capacité à voir le monde uniquement de manière étriquée, mais aussi son hypocrisie. Ah oui, petit détail, ce livre a été refusé plus de soixante-dix fois avant d’être édité aux Etats-Unis…surprenant, non ?

       « Le temps est venu de tuer le veau gras et d’armer les justes ».


      Folio – 9.70 euros    

    • Evasion – Benjamin WHITMER

      Colorado, fin des années 60. Une chasse à l’homme s’organise après que des détenus, ayant suivi un plan minutieux, aient réussi à s’échapper de la prison de Old Lonesome. Parmi eux, Mopar, un prisonnier tombé pour avoir abattu « accidentellement » selon sa version un membre de la police locale. Bad News quant à lui est aussi dangereux qu’un litre de nitroglycérine dans un milk-shake. Autant dire que le directeur Jugg et son personnel sont sur les dents. La presse, attirée par le côté dramatique de la situation, s’invite également à la fête en la personne de deux plumitifs avides de scoop et de monnaie trébuchante. Jim Cavey, un des gardiens, peu apprécié de ses pairs mais expert dans la traque, va mener les opérations…à sa façon. Ajouter à cela des surplus de dexedrine ramenés du Vietnam pour soutenir les troupes et vous avez tous les ingrédients pour embraser la paisible petite ville.

      On assiste dans ce roman à une traque trépidante dans laquelle on ne parvient plus au bout d’un certain temps, à différencier les supposés méchants des supposés gentils. Sur fond de racisme ordinaire tel qu’il pouvait exister à l’époque et de l’impossibilité de pouvoir gérer des hommes revenus détruits du conflit vietnamien, tout est en place pour que la situation devienne hors de contrôle.

      Benjamin Whitmer, déjà chroniqué pour son titre les Dynamiteurs, parvient à donner un rythme échevelé au combat que vont se mener des hommes qui se connaissent bien. On ne peut pas reposer le livre avant la 419ème page qui s’achève par cette phrase : « on survit et on espère seulement qu’on pourra s’accrocher à un bout de soi-même qui vaille qu’on survive ». Qui la prononce ? Pour le savoir, lancez-vous sans retenue dans la poursuite…


      Gallmeister – 11.10 €


    • Ce genre de petites choses - Claire KEEGAN

      En Irlande, les blanchisseries employaient (faisaient travailler!) jusqu'en 1996 des jeunes femmes enceintes qui n'avaient pas de foyer, à qui on enlevait l'enfant à la naissance. Dans ce roman, qui peut se lire comme un conte de Noël, Furlong, ayant eu la chance malgré l'absence du père, d'être élevé dans un foyer aimant, livre du bois dans un couvent. Une rencontre va bouleverser son quotidien et l'obliger à écouter son coeur.

      Une histoire tout en finesse et en délicatesse.


      Editions Sabine Wespieser - 15 €


    • Napoli mon amour - Alessio FORGIONE

      Le titre de ce roman est évocateur. Il s’agit bien d’aborder l’histoire d’amour du narrateur, Amoresano, avec la ville de Naples...mais pas seulement. A près de trente ans, il vit de nouveau chez ses parents après avoir parcouru les mers pendant six années. Il a donc repris ses habitudes dans sa chambre d’adolescent, mais sans travail fixe et sans revenus, ses ambitions sont limitées. Son quotidien consiste le plus souvent à traîner avec son ami Russo avec qui il partage la passion de la plongée. Sans relation fixe, il réécrit sa vie dans les nouvelles qu’il compose, y invitant notamment sa grand-mère adorée, décédée dix ans plus tôt. Il compte ses derniers euros, envisage même, la mort dans l’âme, de devoir trouver un emploi dans d’autres contrées. En attendant, il écluse des bières devant les matchs du Napoli et fulmine devant l’inconstance de ses performances. C’est justement un soir de match qu’il va chercher à amadouer cette fille qui a surgit dans la rue et qui ne veut pas lui donner son vrai prénom.

      Roman de moins de trois cent pages dans lequel on parcourt la ville de Naples, en passant du Castel Dell Ovo à la Piazza Dante. On déambule dans ces rues napolitaines typiques où on peut apercevoir ces familles vivre avec passion les soirs de match autour de la télé. D’un café à un autre nous suivons Amoresano dans sa quête de sens, dans son combat quotidien pour influer sur cette destinée endormie comme le Vésuve tout proche. 

      Un roman mélancolique avec de beaux moments de vie, dans lequel l’émotion et le désespoir s’affrontent et s’entremêlent. « L’amour n’est autre qu’une grosse hémorragie. Quelqu’un arrive, nous donne un coup de couteau et puis on se traîne, dégoulinant ».


      Denoël  – 20 €


    • Lonesome Dove episode 1 – Larry MC MURTRY

      Cette fin d’année a vu paraitre non seulement la biographie de Barack Obama (succès de librairie s’il en est…) mais également le troisième épisode du récit western ultime initié dans les années 80 : Lonesome Dove. L’occasion de (re)plonger dans le premier tome de cette série qui nous invite à faire connaissance avec une constellation de personnages hauts en couleur. Car c’est bien là le charme de cette série (3 épisodes sans compter un préquel) :  même le plus pitoyable cowboy ou la plus sordide fille de mauvaise vie se voit doté d’un charisme et d’une personnalité qui explosent au fil des pages.

      C’est donc avec plaisir que l’on découvre le quotidien de Woodrow Call et Augustus Mc Crae entourés de leur fine équipe aux noms exotiques (Pea Eye, Deets et autre Bolivar…). Ces deux anciens Texas rangers, après une carrière bien remplie à pourchasser les indiens et mexicains, se sentent bien à l’étroit dans le ranch et la petite société qu’ils ont créée. La perspective de reprendre la route et de convoyer un troupeau mexicain volé jusqu’au Montana dans l’optique accessoirement d’y faire fortune, les sort de leur torpeur et relance la machine quelque peu enrayée. Le retour de Jack Spoon, lui aussi ancien ranger, séducteur devant l’éternel et faisant preuve de bien peu de fiabilité, va venir pimenter cette nouvelle épopée. Un sheriff et son adjoint, July Johnson et Roscoe Brown, ne tarderont pas eux non plus à prendre la route…

      Mc Murtry, connu également comme le scénariste du film multirécompensé « Le secret de Brokeback Mountain » nous engage donc dans cette aventure épique, une sorte de chant du signe pour ces cowboys aventuriers de la deuxième partie du 19ème siècle. Un beau récit de compagnons, unis face à la nature aride et violente, dans laquelle les serpents et les orages soudains s’avèrent tout aussi dangereux que les derniers indiens en recherche de scalps. 

      Une plongée divertissante et entrainante avec tous les ingrédients pour partir chevaucher pendant quelques heures dans cette Amérique fantasmée, dangereuse, aride, au charme révolu. 


      Gallmeister – 12 €


    • Broadway - Fabrice CARO

      Les personnages des romans de Fabrice Caro sont frappés d’une malédiction merveilleuse : leur capacité à « se mettre en boucle » à propos d’un sujet et de nous faire rire en élargissant leurs soucis sur toutes les petites choses insignifiantes de l’existence qui gravitent autour. Ainsi, dans son précédent livre, le discours, c’était un maudit SMS de sa compagne et la perspective d’avoir à prendre la parole lors d’un mariage qui faisaient « dégoupiller » son personnage principal. 

      Dans Broadway, Axel le héros (du quotidien…) n’est pas en reste : 

      - Comment doit-il interpréter ce courrier de la CPAM le sensibilisant au cancer colorectal alors que la procédure est habituellement appliquée aux personnes âgées de 50 ans et qu’il n’en a que 46 ? 

      - Comment gérer la nécessité d’avoir une discussion avec Tristan, son fils âgé de 14 ans, qui s’est fait prendre au collège à dessiner deux de ses professeurs dans une position scabreuse ?

      A partir de là, tout s’enchaine : ce sont des réflexions poussées sur la sortie paddle prévue de longue date avec des vrais/faux amis et repoussée péniblement, le voisin très gentil avec qui il faut tenir un agenda pour fixer les apéros, les peines de cœur  de sa fille de 18 ans pour qui Axel est prêt à tous les sacrifices, la prof du dessin de Tristan qui est charmante…et que dire de cette magnifique batterie qui dort au fond du garage depuis 25 ans comme une promesse d’une autre vie laissée en suspens. Ne serait-il pas temps de tout envoyer enfin en l’air ?

      Fabrice Caro en livre c’est comme Fabcaro en BD : on sourit, on s’esclaffe devant toutes ces petites failles, faiblesses que l’auteur se fait un malin plaisir à nous mettre sous les yeux pour mieux nous renvoyer à notre propre indigence parfois, toutes ces petites lâchetés qui ne font pas beaucoup de mal mais qui mises bout à bout… 

      Un livre qui fait du bien en ces temps troublés et dans lequel on trouve peut-être la phrase philosophique la plus censée au monde : « N’espère rien et tu seras exaucé : tu n’auras rien ! ».

      A lire également : Le discours/Open Bar/ Zaï zaï zaï/Formica…enfin tout FabCaro !


      Gallimard - 18 €

    • Le dernier dragon sur terre - Eoin COLFER

      Prenez les alentours de la Nouvelle Orléans et ses marais. Ajoutez Squib, un jeune garçon d’une quinzaine d’années un peu fouineur, qui réalise des petits boulots pour le diner local afin d’aider financièrement Elodie, sa mère célibataire, qui croule sous les dettes et doit le plus souvent travailler de nuit à l’hôpital. Saupoudrez le tout du constable Regence Hooke, qui rêve de partager l‘existence d’Elodie qui elle, ne peut pas le pifer ; cet ancien militaire assez sanguinaire et allumé, arrondit ses fins de mois en participant à un trafic de drogues chapeauté par un mafieux de la Nouvelle Orléans, Ivory Conti. Admirez le travail, vous avez sous les yeux tous les ingrédients pour un bon vieux polar qui va très certainement sentir la boue et le sang.

      Là où les choses s’emballent, c’est lorsque vient se greffer à cette intrigue Vern, un dragon de plus de 2 mètres, un peu mélancolique, un peu esseulé, qui aime par-dessus tout la vodka que lui fait parvenir son « ami » Waxman, un vieux énigmatique vivant lui aussi dans une cabane des marais. Bien entendu, et pour sa tranquillité, Vern cherche à se cacher de l’humanité, mais fruit de l’époque, il aime tout de même regarder les séries à la télé, et plus surprenant s’habiller avec des tee-shirts Flashdance. Autant dire que lorsque tout ce beau monde va rentrer en contact, les étincelles ne seront pas uniquement créées par le dragon !

      Mélange improbable de fantasy, de roman noir, de film d’action, auquel s’adjoint une bonne dose d’humour corrosif, on passe un très bon moment de lecture ‘plaisir’ avec cette histoire qui nous emporte à cent à l’heure, comme sur les ailes du dernier dragon sur terre. 

      L’auteur Eoin Colfer, connu jusqu’alors pour ses romans jeunesse (Les Aventures d’Artemis Fowl) parvient à créer une véritable empathie avec ses personnages (même avec Vern alors que ce dernier, nous vous le rappelons porte des tee-shirt Flashdance !) et nous emmène loin, très loin des thèmes assez anxiogènes du moment. 

      On dévore alors ce livre avec le même plaisir que le ferait un alligator se régalant d’un touriste présomptueux en plein cœur du bayou !


      Pygmalion - 21.90 €

    • Les Bukoliques - Cédric MELETTA

      Voici une biographie sympathique pour découvrir ou redécouvrir de manière originale l’auto-proclamé ‘vieux dégueulasse’ : Charles Bukowski.

      Dans cet ouvrage, pas d’ordre chronologique, pas de rappel sur l’enfance heureuse ou non du sujet principal, mais une ballade dans l’existence d’un auteur par comme les autres et pourtant revendiquant sa normalité. 

      On commence ainsi par l’épisode qui l’a rendu célèbre en France et son passage dans Apostrophe, émission culte de Bernard Pivot dans laquelle Hank avait écumé quelques bouteilles de blanc et commençait à se montrer entreprenant envers feu Catherine Paysan, ce qui lui avait valu le non moins célèbre ‘Bukowski, je vais te foutre mon poing dans la gueule’ de Cavanna.

      Il est donc plutôt judicieux que l’auteur débute par ce passage car il désamorce d’emblée le côté folklorique du personnage pour déambuler par la suite au fil de son existence, en amenant petit à petit un homme plus complexe que celui retenu par le plus grand nombre. Ainsi, en abordant les différents métiers qu’il a exercé avant de devenir célèbre avec sa plume, en se plongeant dans sa bibliothèque mais aussi  dans sa discothèque idéale, en évoquant sa passion pour les femmes, son addiction aux champs de course, ses combats de boxe de rue lorsqu’il était plus jeune, on peut entrevoir derrière le cliché un homme cultivé, doté d’un goût certain, ne se limitant pas aux litres d’alcool qu’il avait l’habitude d’écluser quotidiennement. On découvre un humain hédoniste, appréciant ses steaks aux haricots verts autant que sa vodka 7up mais aussi un vrai auteur, reconnu surtout pour ses poèmes dans un premier temps et sur le tard pour sa prose, dont il vivait plutôt bien. Cédric Meletta aborde également la fascination qu’il provoquait sur la gente féminine, malgré un physique que l’on qualifiera d’atypique…

      Pour un homme qui reconnaissait ne s’intéresser à presque rien, Bukowski nous a tout de même laissé un bon nombre de textes qui ont marqué leur temps de par leurs visions acides sur l’être humain et la société. Cette biographie, ponctuée de clins d’œil à la pop culture, rend donc hommage au vrai Charles Bukowski et non pas aux différents personnages qu’il s’était créé. Peut-être eût-il fallu, comme le faisait remarquer judicieusement le Docteur Ferdière lors du passage d’Apostrophe, « mettre un fond de vin, mettre de l’eau dedans ! » dans son verre pour que nous gardions une toute autre image de lui plutôt que celle véhiculée année après année par les bêtisiers télé.


      Editions du Rocher - 18.90 €

    • Bénie soit Sixtine - Maylis ADHEMAR

      Sixtine, jeune fille élevée dans une famille très pieuse, rencontre Pierre-Louis Sue de La Garde au cours d'un mariage. Elle voit en lui l'époux idéal: ils partagent des valeurs chrétiennes qui règlent chaque détail de leurs vies. Très vite, ils se marient avec l'approbation des deux familles, sommés de faire des enfants en grand nombre: Sixtine accueille sans réserve ce devoir familial. Mais dès la nuit de noces, elle comprend que la résignation et la soumission aux injonctions de son mari, de sa mère et de sa belle-mère seront son lot quotidien. N'imaginant pas regimber contre l'ordre établi, elle subit sa première grossesse sous les regards critiques des deux futures grands-mères.

      Quelques semaines avant l'accouchement, un évènement dramatique va la sortir de sa torpeur et de l'emprise exercée par le groupe religieux fondamentaliste qu'elle avait épousé en même temps que Pierre-Louis. 

      Premier roman inspiré du vécu de la jeune auteure, "Bénie soit Sixtine" se sert des ressorts du thriller psychologique pour dénoncer les dérives d'un milieu replié sur lui-même répandant des idées rétrogrades dont l'extrême-droite se fait le relais.

      Captivant. 


      Julliard - 18€

    • Des jours sauvages - Xabi MOLIA

      L'auteur a écrit cet ouvrage AVANT l'épidémie que nous subissons aujourd'hui et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il a eu une prémonition.

      L'Europe est ravagée par une grippe mortelle extrêmement contagieuse et foudroyante. Une centaine de personnes embarquent sur un ferry avec l'espoir de s'éloigner du foyer de contagion: une tempête, un naufrage sur une île inconnue et inhabitée, le groupe doit gérer l'urgence. Mais l'urgence n'est pas la même pour tous: certains veulent immédiatement construire une embarcation et repartir, certains estiment qu'il faut attendre les secours, d'autres enfin, voient dans ces circonstances, la possibilité de commencer une nouvelle vie, loin des contraintes et loin de la maladie, car on ne sait rien de l'évolution du monde pendant ces mois à l'écart de la civilisation.

      Sont-ils les derniers survivants? Quelle organisation mettre en place pour gouverner cette parcelle d'humanité quand la violence se déchaîne? Une galerie de personnalités fascinantes dans lesquelles on cherche à se projeter: dans ces conditions terribles, quel camp choisir?

      Un roman palpitant ou une préfiguration de notre monde de demain. 


      Seuil  - 19€

    • Yougoslave - Thierry BEINSTINGEL

      Comment raconter une histoire familiale sur plusieurs générations et rendre hommage à tous ses ascendants quand ceux-ci ont vécu dans un pays qui aujourd'hui n'existe plus ? Thierry Beinstingel s'attelle avec brio à cette tâche et remonte le temps sur les bords du Danube, sur les traces de Franz son arrière arrière arrière grand-père, né en Autriche en 1791, qui participa à la ruée vers l'Est, de colons germaniques sur des terres gagnées sur l'Empire Ottoman. Ce ne sont pas moins de 6 générations d'une famille qui sont évoquées dans ce livre: véritable quête familiale et historique, ce récit est celui des origines mais c'est également le roman de l'Europe centrale et en particulier de la Yougoslavie que l'on voit naître puis disparaître.

      « Des vies de peu » voilà ce que dit l'auteur de ses ancêtres. Ce livre était en gestation depuis 2018, quand l'âge du père de Thierry Beinstingel lui a fait prendre conscience de l'urgence de récolter ses souvenirs. On ne peut qu'être admiratif de ces femmes et de ces hommes qui surmontent toutes les difficultés, les guerres, les déplacements, la faim, la pauvreté ; ils vivent, font des enfants et ont foi en un avenir meilleur pour leur descendance. Un texte qui entre en résonance avec l'actualité des migrations aujourd'hui et qui soulève un problème de langage : si le père de l'auteur a connu un exode de 7 années, il était considéré comme une personne déplacée :  aujourd'hui on dit migrants, où sont les personnes ? 

      Un très grand roman généalogique !


      Fayard - 24 €

    • Crénom, Baudelaire! - Jean TEULÉ

      Après Rimbaud, après Verlaine et Villon, le talentueux Jean Teulé ne pouvait laisser de côté le terrible Baudelaire. Le poète, sous la plume aiguisée  de l'auteur impertinent, dévoile son insupportable caractère ne se pliant à aucune règle et surtout pas à celles de la bienséance. Jouisseur, dandy délirant, recherchant dans les médicaments et les drogues, la brume hallucinogène lui permettant de poser des mots, et quels mots, sur la beauté mais aussi sur l'horreur et l'ignoble: il nous jette ses vers en pleine figure. C'est cette vie bouillonnante que retrace Jean Teulé, ces moments fulgurants et la misère dans laquelle il vivait pour pouvoir continuer à se procurer ses produits auxquels il était addict; l'amour et la haine qu'il vouait à cette mère par qui il s'est senti trahi, sa fascination pour la beauté extra-ordinaire.

      Un sacré bon roman!


      Ed. MIALET BARRAULT- 21 €

    • M, l'enfant du siècle - Antonio SCURATI

      Ce roman développe l’ascension d’un fils de forgeron, ayant fui son pays pour échapper au service militaire, syndicaliste et journaliste profondément ancré à gauche qui, au tournant des années 1920, va devenir en six ans le puissant chef fasciste d’un gouvernement italien en pleine tourmente : Benito Mussolini.

      Composé de chapitres courts romancés puis ponctué de documents d’archives (affiches, tracts politiques, correspondance privée, discours), Antonio Scurati est parvenu à reconstituer dans son livre cette époque troublée de l’après première guerre mondiale et brosser le portrait d’un Mussolini qui n’est pas encore devenu le puissant Duce. L’auteur nous fait découvrir un être brut, d’apparence calme en public mais très sanguin en privé, qui a bien besoin de sa maitresse Margherita Sarfatti pour percer dans un milieu qu’il connait peu et qui se méfie de lui. Petit à petit, il parvient à maîtriser les codes et devient un requin redouté dans un océan de politiques obnubilés par leurs carrières et leurs querelles de clochers.

      Dénué de tout scrupule, Mussolini n’hésite pas à se servir des mécanismes vieux comme le monde pour parvenir à ses fins : manipulation, trahison, violence. C’est surtout ce dernier levier qui choque dans cet ouvrage : le climat de terreur que Mussolini et ses hommes vont instaurer dans le pays. Sans réelle résistance, il va se développer un tel sentiment d’impunité au sein des chemises noires fascistes que même l’horrible assassinat d’un député de l’opposition – Giacomo Mattéoti ne conduira pas à la chute de leur système destructeur.

      Dans ce premier livre de 800 pages (l’auteur a prévu une tétralogie), Scurati nous invite donc à plonger dans les eaux troubles des premières années du règne de Mussolini, tristes prémisses d’une tragédie qui ne se terminera qu’à sa mort en 1945.

      M, l’enfant du siècle a été lauréat du prix Strega (équivalent du prix Goncourt) en 2019, ce qui n’est pas usurpé au vu de la qualité littéraire de l’ouvrage et du formidable travail d’historien réalisé.


      Les Arènes - 24.90 €

    • Ohio - Stephen MARKLEY

      Voici un roman qui peut être considéré comme un véritable portrait d’une certaine jeunesse américaine. De photographie, il en sera question tout au long de ce livre, comme un fragile repère pour cette bande de lycéens qui entraient dans l’âge adulte au moment du 11 septembre 2001 et que l’on va suivre jusqu’aux années Trump, quand leurs idéaux et rêves se seront heurtés à la dure réalité. 

      Autant dire que le constat est sévère. Pourtant dans cette petite ville de l’Ohio où tout le monde se connait, chacun tient et peaufine son rôle et tout devrait bien se passer : les garçons jouant dans la ligne offensive de l’équipe de football de la ville, chargés d’alcool et de testostérone, le beau gosse blond poète à ses heures et adepte des substances inspiratrices, les filles groupies des garçons, dans la superficialité et la fourberie et les autres filles qui n’ont pas les épaules solides et qui finissent comme proies. 

      Le temps faisant son office, on retrouvera ces différents personnages confrontés à la guerre en Irak, aux échecs tant amoureux que professionnels, aux rêves d’émancipation ou d’élévation sociale restant lettre morte. Mais aussi et surtout à une violence tant physique que morale qui n’épargnera personne.

      Formidable fresque d’une population à la fois rurale et urbaine, complètement perdue et autocentrée, on ressort de ce livre choqué par ce que peut proposer à ses enfants cette Amérique ultra-violente, intolérante et déchirée. L’auteur parvient à faire une synthèse des comportements de cette génération désemparée qui peut très certainement expliquer en partie la prise de pouvoir de Trump, milliardaire présentateur de télé-réalité, comme leader d’une nation qui surévalue l’apparence et qui cache les pires atrocités. 

      Un ouvrage passionnant pour cette dimension sociologique mais aussi pour la capacité littéraire de Stephen Markley qui parvient parfaitement à nous balader entre les différents protagonistes, les différentes époques sans que l’on ait à faire le moindre effort. Tout est fluide. Il réussit même à instaurer une certaine empathie pour les personnages les plus monstrueux. Un très grand roman pour un auteur âgé seulement de 35 ans.


      Albin Michel - 22.90 €

    • Consoler Schubert - Sandrine WILLEMS

      Voici un livre émouvant qui retrace les existences, à deux siècles d’intervalle, de Marie-Jeanne, une dentellière élevée chez les sœurs au milieu du 20ème siècle et Franz Schubert, le célèbre compositeur emblématique du courant ‘Lied’ (des poèmes chantés par une voix accompagnée le plus souvent par un piano). Leurs points communs ? des sentiments tourmentés et une certaine propension à la mélancolie.

      Habitant une petite bourgade d’Ardèche, entourée par la nature, Marie Jeanne tout juste majeure rencontre Clément, le bibliothécaire local. Les premiers échanges sont purement littéraires, chacun trouvant l’occasion de se dérober tout en se sentant profondément attirés l’un par l’autre. La musique devient rapidement un nouveau sujet de connivence ; Marie Jeanne chante, Clément joue du piano. Le lien avec Schubert et alors établi. Le plus dur commence pour eux : vont-ils parvenir à jouer le lied qui unira leurs vies ?

      De manière parallèle au récit principal, l’auteure revient sur la courte carrière (il est mort à 31 an) plus qu’agitée de Schubert, de ses difficultés à percer dans son cercle musical et plus généralement à se sentir à l’aise au milieu de ses congénères. On découvre alors un musicien angoissé, remettant constamment en doute son talent, se perdant dans une vie de débauche qui le mènera à son destin tragique. 

      C’est un morceau à quatre mains (Marie Jeanne, Clément, Schubert, la narratrice) qui nous est proposé dans ce roman, qui aborde avec une réelle pudeur l’expression des sentiments. Sandrine Willems, de par ses expériences de psychologue et de philosophe, parvient à donner une amplitude à son texte dont le sujet de l’histoire d’amour contrariée pourrait paraître somme toute fort banale. « Personne qui comprenne la douleur de l’autre et personne qui comprenne la joie de l’autre. On croit toujours aller vers l’autre et on ne va jamais qu’à côté. » La musique peut venir jouer le rôle de catalyseur, favoriser le rapprochement des êtres ou tout du moins les accompagner sur les chemins tumultueux de la vie.


      Les Impressions Nouvelles - 15 €

    • Clint et moi - Eric LIBIOT

      Cet ouvrage est un livre de fan mais pas uniquement écrit pour les fans. Eric Libiot a travaillé à l’Express, au magazine Première et dès sa jeunesse s’est découvert deux passions : le cinéma ET Clint Eastwood. Une fois devenu adulte, il a pu, grâce à son métier, vivre de son analyse des films et surtout approcher à plusieurs reprises le monstre sacré du cinéma mondial âgé aujourd’hui de 90 ans. 

      Tout en abordant brièvement ses productions mythiques en tant qu’acteur (« Le bon, la brute et le truand » en tête) il a choisi de s’intéresser à la carrière de réalisateur d’Eastwood, en se servant des films pour revenir sur ce qui se passait précisément en parallèle dans sa propre vie. 

      Il parvient à rester objectif, mentionnant aussi bien les réussites que les films plus poussifs, situation inévitable sur une période d’activité frisant les 50 ans (« Un frisson dans la nuit » date de 1971 et «Le Cas Richard Jewell » de 2020). 

      Dans toutes ses créations, la frontière est mince entre Clint et ses personnages. Libiot précise que c’est au spectateur de faire la part des choses selon sa propre conscience. En effet, Clint Eastwood est souvent frappé de clichés (machisme, pro-arme, nationalisme…) que l’auteur conçoit parfaitement mais qu’il souhaite dépasser. Pour lui Clint est tout d’abord un fou de cinéma et l’amplitude des sujets abordés dans ses films laissent entrevoir une palette de points de vue rendant son analyse passionnante.

      La lecture prend également une tournure plus émotionnelle quand l’auteur aborde sa fierté d’avoir pu approcher la légende, mais aussi lorsqu’il tisse un parallèle avec son propre père, décédé, qu’il avait vu un jour déguisé en Clint. Il était le seul à lui trouver une certaine ressemblance…

      Un livre écrit par un passionné, engagé quant à l’approche du cinéma et plus généralement du monde de la culture. Par exemple, l’auteur trouve que le journalisme culturel « souffre d’un laisser-aller consistant à courir après le succès en imaginant donner au lecteur ce qu’il souhaite. Il faut plutôt lui offrir ce qu’il n’imagine pas’.

      La production littéraire souffre aussi parfois de ce symptôme. Eric Libiot en ayant écrit ‘Clint est moi’ se contente de donner au lecteur des pistes pour profiter de ses films. A lui d’imaginer le reste.


      JC Lattès - 19€

    • Anne de Green Gables - Lucy Maud MONTGOMERY

      Ce titre (ou plutôt sa traduction "Anne de la maison aux pignons verts) rappellera forcément des souvenirs à certaines d'entre vous. Quel plaisir de retrouver ce personnage dont l'histoire avait enchanté mon enfance: une petite orpheline de douze ans arrive chez un frère et une soeur qui attendaient un garçon pour les aider aux travaux de la ferme située sur l'île-du-Prince-Edouard. Sa plus grande inquiétude lui vient de ses cheveux roux et de ses tâches de rousseur qu'elle tient pour responsables de tous ses malheurs. Cette petite fille volubile, à l'imagination galopante,  est débordante d' énergie et son enthousiasme est communicatif: on sourit à ses réparties empreintes de naïveté, mais surtout de pragmatisme qui, dans cette communauté, passe pour de la rébellion. Mais loin de la décourager, Anne (avec un E s'il vous plaît) affirme peu à peu son caractère et touche le coeur de toutes les personnes de son entourage.

      Cette nouvelle traduction, pour ce titre vendu à plus de 60 millions d'exemplaires dans le monde, est "un hymne à la joie, à la persévérance et au pouvoir de l'imagination." Si vous ne connaissiez pas Anne Shirley, précipitez-vous sur ce premier tome de ses aventures, vous serez charmés par cette héroïne féministe et romantique: on sort de ce roman comme d'une parenthèse enchantée, prêt à s'émerveiller de la beauté et de la magie de la nature, "un élan à vivre pleinement nos amitiés et nos passions." Il serait dommage de le cantonner à la littérature enfantine!


      Dans cette édition sont inclues une biographie de l'auteur et une postface de Margaret Atwood qui salue le génie de ce livre qui ne tient pas dans son réalisme mais dans le "triomphe de l'espoir".


      Monsieur Toussaint L'Ouverture - 16.50€

    • Fille - Camille LAURENS

      Résumé de l'éditeur:

      FILLE, nom féminin

      1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.

      2. Enfant de sexe féminin.

      3. (Vieilli.) Femme non mariée.

      4. Prostituée.


      Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen.

      « Vous avez des enfants? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles », répond-il.

      Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?

      L’écriture de Camille Laurens atteint ici une maîtrise exceptionnelle qui restitue les mouvements intimes au sein des mutations sociales et met en lumière l’importance des mots dans la construction d’une vie.


      J'ai retrouvé avec grand plaisir l'écriture ciselée et la force d'évocation de Camille Laurens: un livre qui résonnera forcément dans le coeur de toutes les filles nées et élevées dans les années 60, 70.


      Gallimard - Coll. Blanche - 19.50€

    • Nickel Boys - Colson WHITEHEAD

      Colson Whitehead remporte pour la 2ème fois le prix Pulitzer avec ce roman (égalant Faulkner et Updike). Il continue d'explorer l'histoire de l'Amérique et ses problèmes raciaux qui semblent ne jamais pouvoir être résolus. Il s'inspire de l'histoire (réelle) d'une maison de correction dans la Floride ségrégationniste des années 60. Suite à une erreur judiciaire, Curtis Elwood, pourtant promis à un avenir universitaire, se retrouve enfermé dans cette institution dans laquelle la couleur de peau est un motif supplémentaire de punitions violentes et de tortures physiques et morales. Les surveillants dont le racisme obsessionnel sert d'alibi, laissent libre court à leurs pulsions les plus dégradantes: les victimes sont innombrables et le silence autour de ces agissements est protégé par toute une ville. La découverte d'un cimetière dans les années 2000 va permettre à l'auteur de s'emparer de cette histoire et de rendre une sépulture littéraire à tous ces innocents.

      « Le roman de Colson Whitehead est une lecture nécessaire. Il détaille la façon dont les lois raciales ont anéanti des existences et montre que leurs effets se font sentir encore aujourd’hui. » Barack Obama


      Roman précédent: "Underground railroad"


      Albin Michel - 19.90€

    • Mangeterre - Dolores REYES

      Voilà un objet littéraire qui nous arrive d'Argentine. 

      L'héroïne de ce roman a un don de voyance qui se révèle quand elle mange la terre foulée par des victimes. Et elles sont nombreuses dans ce pays et ce sont autant de mères qui supplient Mangeterre de retrouver leur enfant. Mais comment ne pas considérer ce don comme une malédiction quand il vous exclut ou fait de vous une cible. Dans un premier temps, elle voudra repousser son pouvoir, mais dans ce pays où les femmes sont les premières victimes de la violence, de la misère et de l'injustice, leurs appels à l'aide vont éveiller en elle un instinct de solidarité. 

      Un roman brutal et sensible, un hommage à la douleur des femmes. Inclassable et ensorcelant.


      L'Observatoire - 20€

    • Le Dit du Mistral -Olivier MAK-BOUCHARD

      Ce livre est une pépite! On va aimer le faire partager. C'est une immersion dans le Lubéron, pays de calcaire, de légendes, de vent fada; une histoire d'amitié et d'attachement à la nature et à ses lois. Après un gros orage, deux voisins aux vies radicalement opposées, vont jouer aux archéologues amateurs sous le regard du Hussard, un chat vagabond; pendant plusieurs mois, côte à côte, ils vont remonter le fil de l'histoire de ce coin de Provence mêlant faits réels et contes de fées. 

      Chaque page de ce roman est un enchantement: chaque pierre, chaque grotte, chaque sentier et même les brins d'herbe ont une histoire à raconter et c'est avec une plume chantante et envoûtante que l'auteur nous entraîne dans ce coin de Paradis voulu par les Dieux.  

      On sort de cette lecture avec du soleil plein les yeux et l'envie d'aller faire un tour au pied du mont Ventoux.


      Le Tripode - 19€

    • Bombes - Dominique DELAHAYE

      Le mois de décembre à Lyon est marqué par la Fête des Lumières. Au départ fête religieuse pour remercier la Vierge Marie d’avoir sauvé la ville de la peste en 1643, au fil du temps, le 8 décembre est devenu surtout une attraction géante. Depuis quelques années, on peut même parler de grand barnum à base de stands de restauration liquide et solide sur fond de spectacles son et lumières.

      Greg est un jeune grapheur de talent qui se plait à retranscrire dans ses créations son animosité envers ces démonstrations marchandes/religieuses. Bien entendu, cela déplait à une certaine partie de la population, notamment des individus qui n’hésitent pas à frayer avec l’extrême droite la plus violente.

      Tout se joue lors d’une expédition nocturne dédiée au graph. Greg et son ami Choukri viennent juste de débuter leur activité sur un pont lorsqu’ils sont pris à partie.  En ce 5 décembre, à 2h05, le cours de leur existence vient de basculer. En parallèle, et sans qu’ils puissent s’en douter, Salif un soignant d’origine malienne et Emilie, une jeune marginale débrouillarde, vont aussi être happés d’ici quelques heures par cette folle journée qui vient tout juste de débuter.

      Dominique Delahaye, auteur qui connait bien notre région, parvient parfaitement à retranscrire la panique et l’enchaînement d’évènements dictés par le jusqu’au-boutisme. L’histoire se déroulant peu de temps après les évènements du Bataclan, c’est dans une atmosphère délétère que se joue la tragédie. Le roman très sombre, aborde de manière fine les notions de liberté d’expression, l’extrémisme, la haine de l’autre mais aussi le rôle que peuvent avoir les médias dans la perception d’un évènement.

      Un livre de 200 pages qui date de quelques années déjà mais dans lequel il est bon de se replonger. Le titre « Bombes » désigne alors aussi bien les outils nécessaires à l’expression des grapheurs que les personnes qui sombrent dans l’obscurantisme des plus abject.


      La Manufacture des Livres - 15.90 €

    • Un américain en enfer - Melvin VAN PEEBLES

      Abe est un jeune noir vivant en Géorgie au début du 20ème siècle. Il n’aura pas le temps de profiter du fameux ‘rêve américain’ car il meurt à 27 ans après avoir vu sa courte existence jalonnée de violence, de séjours en prison et de travaux au bagne.

      Tout naturellement, il se fait refouler à l’entrée du Paradis (par Jésus en personne), et est expédié tout droit en enfer, manière de rester dans la continuité de son parcours. A sa grande stupéfaction, les limbes qu’on lui impose s’avèrent un vrai havre de félicité : les conditions du lieu sont beaucoup plus clémentes pour les noirs que les blancs (l’enfer des uns devenant le paradis des autres).

      Malgré ce clivage, il se lie d’amitié avec Dave, un homme blanc qui est mort scalpé pendant la conquête de l’ouest. Tous deux profitent des largesses de Satan qui, entre deux parties fines, donne la possibilité à ses pensionnaires d’accéder à une solide éducation (car, c’est bien connu, le savoir c’est le pouvoir de se rendre malheureux, ce qui rentre très bien dans les normes de l’endroit). Ils acquièrent ainsi des connaissances et une culture qu’ils ne pouvaient même espérer lors de leur passage sur terre. Les deux hommes, se sentant mieux armés pour affronter la vie, vont demander une dérogation au gérant des lieux pour être réintégrés parmi les vivants. A eux enfin l’accès au REVE ! Ou pas…

      Roman de critique sociale, dont la première parution date de la fin des années 70, écrit par un auteur aux multiples casquettes (cinéaste, acteur, compositeur, écrivain ayant même participé à l’aventure Hara Kiri avec Cavanna), il s’agit bien d’une satire avec beaucoup de dérision. La ségrégation raciale fait l’objet d’une description à la fois violente et cynique. Une farce qui prend toute sa pertinence quand on sait que son auteur est lui-même noir. Quant au fameux mythe du rêve américain, on dira pudiquement qu’il est à géométrie variable.

      Des thèmes brûlants, toujours d’actualité en 2020, présentés de manière intelligente et maligne, preuve s’il en est qu’il est possible d’aborder des sujets sérieux sans tomber dans la sinistrose. 


      Wombat - 22 €

    • Le sang ne suffit pas - Alex TAYLOR

      Dans ce western crépusculaire, nous sommes dès les premières lignes embarqués dans l’atmosphère générale du livre qui va courir sur 300 pages : Reathel accompagné de son chien, débarque en plein hiver près d’une cabane isolée dans laquelle sont retranchés un homme et une femme. Cette dernière est sur le point d’accoucher. Autour de la cabane rôde une ourse bien décidée à ne pas manquer l’occasion de se rassasier. L’action se déroule en plein territoire Schawnee, une tribune indienne séculaire qui impose encore sa loi au village proche et dont les habitants doivent se soumettre à des exigences extrêmes et immorales pour espérer un semblant de paix. Reathel ne sait pas encore qu’il vient de débarquer en enfer. Au bout de seulement quelques pages, le lecteur lui le sait.

      Dans ce roman, nous sommes très loin de la nature idyllique et de l’homme vivant en harmonie avec elle. Ici, tout est dangereux : les hommes indiens ou blancs (pas de surprise), le climat, la faune, l’environnement. La menace et la violence sont présentes pratiquement à chaque page mais ces dernières sont canalisées par un vocabulaire riche et précis, incarnées par des personnages charismatiques et complexes. La lecture n’en devient que plus addictive. 

      L’histoire telle qu’elle nous est racontée donne pour une fois un rôle de prédateur sérieux à cette tribu indienne menée de manière implacable par son chef Black Tooth. Une sorte de dernier baroude d’un peuple qui sait la partie bien mal engagée mais qui met un point d’honneur à vouloir faire mal physiquement et moralement à ces colons venus occuper leurs terres. L’occasion d’assister à toutes les horreurs dont l’homme est capable, dans son infinie créativité.

      Plongez donc sans hésitation dans la Virginie du 18ème siècle avec ce roman publié par la maison Gallmeister, spécialisée dans la littérature américaine de qualité, proposant dans son catalogue des auteurs prestigieux comme David Vann, Pete Fromm ou Larry Mc Murtry. Avec Alex Taylor, la relève est assurée.


      Gallmeister - 23 €

    • Le cycle de Pendragon - Stephen LAWHEAD

      En prévision du film Kaamelott qui devrait sortir cet été, il est grand temps de replonger dans la légende et se remettre en mémoire les nombreux personnages qui gravitent autour du roi Arthur !

      Entre 1987 et 1997, Stephen R Lawhead s’est penché sur cette source inépuisable qui depuis le Moyen-Âge a fait couler beaucoup d’encre. Bien entendu, nous sommes loin de la version d’Alexandre Astier dans laquelle par exemple le personnage de Merlin ne brille pas vraiment par ses performances (dixit Arthur/Astier « Merlin, il sait déjà pas monter des blancs en neige, alors préparer une potion de polymorphie... Permettez-moi d'avoir des doutes »).

      C’est par l’aspect fabuleux, enchanteur, que Lawhead s’est réappropriée la légende. L’auteur a pris comme origine la rencontre entre la civilisation de l’Atlantide et celle Bretagne pour aboutir à une relecture originale, bien différente de celle proposée par Chrétien de Troyes par exemple.

      Bien entendu, les cinq volumes contiennent leurs lots de scènes de batailles épiques mais ce sont surtout les caractères, la psychologie, le cheminement des personnages qui est à souligné. La chronologie permet de comprendre les ramifications, les liens tissés au fil du temps entre les différents protagonistes.  L’auteur s’intéresse à des personnages moins connus (notamment Taliesin) et fait le lien entre la chute de l’Empire Romain et le développement du Christianisme.  

      C’est donc un plaisir de (re)plonger dans cet univers merveilleux où la magie se mêle à l’histoire et dans lequel les ambitions paraissent bien difficiles à « amalgamer » (comme le dirait Perceval chez Astier : « ouais, c’est pas faux ! »).


      5 tomes parus au Livre de Poche (Taliesin; Merlin; Arthur; Pendragon; le Graal) de 7.60€ à 8.70€

    • Les dynamiteurs -Benjamin WHITMER

      Denver, Colorado, en plein milieu des Etats-Unis en 1895. Cora et Sam sont deux adolescents qui s’occupent tant bien que mal d’une bande de jeunes enfants abandonnés. Ils défendent courageusement leur territoire (une usine désaffectée) de l’intrusion des « Crânes de Nœud » comme ils appellent les adultes, pour la plupart des vagabonds qui viennent troubler leur quotidien.

      C’est au cours d’une de ces attaques qu’ils reçoivent l’aide inattendue d’un colosse monstrueux : Goodnight. Ce dernier, tel un Double-face dans Batman, a la moitié de son corps brûlé et ne s’exprime plus que par des grognements et par écrit lorsqu’il souhaite vraiment s’épancher. Recueillie par les enfants après avoir laissé quelques plumes dans le combat, ces derniers voient débarquer Cole, un autre « Crâne de Nœud », personnage trouble et arrogant, qui dit connaître Goodnight et souhaite l’enrôler pour accomplir ses basses œuvres. L’ambition de Cole est tout simplement de rééquilibrer la gestion des affaires louches de la ville et de tirer sa part du lion des différents trafics (notamment les jeux). Même si Cora s’y oppose ouvertement, Sam va petit à petit rentrer dans le jeu des deux adultes et tenir un rôle important dans les événements malheureux qui ne vont pas tarder de se produire.

      Ce roman aborde aussi bien la lutte des classes que la recherche de reconnaissance et de pouvoir. L’Amérique dépeinte est brute, violente. La pauvreté y est intraitable et laisse sur le carreau ces enfants au dépend de nantis, puissants et organisés, qui savent manœuvrer sur fond de magouilles où la loi du plus fort reste celle des gagnants.

      Par conséquent lecture violente, avec des scènes d’une précision chirurgicale pour dépeindre les règlements de compte et actes désespérés tout au long du livre. On peut trouver entre les lignes également une certaine fatalité quant à la capacité de pouvoir sortir d’un modèle, quand les dés sont pipés du départ, même les sentiments comme l’amitié et l’amour ne peuvent résister.


      Ed. Gallmeister- 24.20 €

    • Le crépuscule et l'aube - Ken FOLLETT

      Les 848 pages du dernier roman de Ken Follett nous entrainent en 997 dans le sud de l’Angleterre, une centaine d’année avant l’époque des piliers de la terre, le chef d’œuvre de l’auteur. On retrouve des similitudes dans la construction de son nouveau récit dans lequel nous allons suivre sur une décennie les pérégrinations d’une bande de personnages hauts en couleur comme l’auteur en a le secret de fabrication. 

      Edgar, un jeune constructeur de bateau, va voir son existence vite basculer dès les premières pages lorsque son village est détruit par un raide viking. Il va devoir repartir à zéro et réinventer sa vie, aider en cela par un esprit débrouillard et astucieux. Ragna quant à elle, est la fille d’un noble français, qui pour le meilleur et le pire, va tomber amoureuse d’un anglais Wilwulf, et va devoir composer avec les deux frères de celui-ci, loin d’être des enfants de chœurs (bien que l’un des deux fasse partie du clergé). Elle devra s’habituer à une nouvelle culture et se forger un caractère indestructible. Eltred lui n’est pas enfant de chœur non plus mais un modeste moine. Sa principale motivation et de servir sa communauté et développer la diffusion d’un objet encore peu fréquent : le livre. Bien qu’issus d’horizons diamétralement opposés, le destin va réunir ces êtres au tournant du millénaire. 

      L’aspect historique étant travaillé avec soin, on se laisse emporter par des intrigues qui viennent se superposer avec rythme et fluidité. Comme souvent chez Ken Follett, les « gentils » sont vertueux et les « méchants » de vrais vrais mais alors vrais méchants ! C’est très certainement ce qui participe au plaisir de lecture, dans cette envie de toujours vouloir tourner la page, puis d’enchainer sur le chapitre suivant et ce jusqu’à cette maudite page 848 !

      Laissez-vous emporter pour l’an de grâce 997 : de l’héroïsme, de la vaillance, de la douleur, du chagrin, de la résilience, de la manipulation, de la fourberie, de la violence, nous ne sommes pas à l’Age des Ténèbres pour rien.


      Ed. Robert Laffont- 24.50 €

    • Avant les diamants - Dominique MAISONS

      L’univers du cinéma est plus particulièrement d’Hollywood est violent, sans pitié. Il peut se comparer à un champ de bataille et l’armée américaine, en ce milieu des années 50, pense donc avoir légitimement son mot à dire. McCarthy mène déjà une lutte sans merci contre le communisme mais il est toujours préférable de conserver une longueur d’avance sur la menace.

      Le Major Buckman, accompagné de l’agent Annie Morrison, sont chargés de dénicher un producteur assez malléable et manipulable et suffisamment cupide pour accepter de composer avec la mafia omniprésente dans le milieu du cinéma. Le but ? mettre en chantier des films susceptibles de semer la bonne parole de « l’American way of life » tout en créant un contre-pouvoir face aux grands studios. Bien entendu, il sera nécessaire de jongler avec la ligue de vertu catholique et sa faculté de censure ou avec les mafieux de la côte ouest qui, entre guerre d’égo et de pouvoir, souhaiteront garder le contrôle de leur terrain de jeu. Les petits travers de chacun, tournant autour de la vanité, de l’appât du jeu, du gain et de la « chair fraiche » viendront pimenter le tout pour rendre la démarche hautement explosive.

      Dominique Maisons est bien un auteur français mais son style et la façon de mener son intrigue rappelle fortement les auteurs américains qui sont habituellement maîtres en la matière. Il nous propose une vision très sombre des studios hollywoodiens, qui s’apparente à celle développée dans l’œuvre d’Ellroy et son Quatuor de Los Angeles (‘Le Dahlia Noir’, ‘Le grand nulle part’, L.A Confidential, White Jazz). 

      Le scandale Harvey Weinstein qui a défrayé la chronique à la fin des années 2010 n’est qu’une suite malheureusement logique de ce qui pouvait se passer soixante-dix ans auparavant. Les acteurs, mais surtout actrices, étaient traités comme des objets dont les producteurs/agents/mafioso se délectaient et pouvaient décider, d’un claquement de doigt, de sublimer ou au contraire de détruire à jamais les carrières. 

      L’histoire proposée par l’auteur incorpore également des personnages ayant réellement existés (Gable/Flynn/Lamar), apparaissant comme des dinosaures usés dans un milieu qui va de plus en plus loin dans l’horreur alors que les « procédés » qu’ils ont connu à leurs débuts étaient pourtant déjà loin d’être tendres.

      Un roman qui vient désacraliser le cinéma américain et remettre en cause son approche culturelle au profit de ses côtés obscures : manipulation des masses et maximisation des profits. Tous les moyens sont bons pour y parvenir, même les plus odieux.


      La Martinière - 21.90 €

    • Buveurs de vent - Franck BOUYSSE

      C'est par une légende que Franck Bouysse ouvre son nouveau roman et c'est dans ce genre qu'il place des personnages tourmentés, habitants d'une vallée sombre barrée d'une usine hydro-électrique qui emploie la grande majorité des hommes et des femmes de la petite ville voisine, ville et usine dirigées par un homme mystérieux, une sorte de créature quasi mythologique, malfaisante et venimeuse. Ce tyran mégalo dont on ne connaît pas le passé, dont on ignore les desseins, fait régner une ambiance de servitude apeurée autour de lui. Dans cette vallée, près d'un viaduc auquel ils aiment se suspendre, vivent 4 gosses aux prénoms bibliques, enfants d'une espèce de folle de Dieu qui aurait voulu asseoir à sa table les douze apôtres et de son mari, un taiseux à la main leste. Le grand-père vit là également, seul allié discret des enfants, en particulier de la petite fille qu'il a rebaptisée Mabel. Franck Bouysse va mêler les drames intimes des personnages aux soubresauts collectifs, de l'émancipation de Mabel qui entraîne des réactions en chaîne aux émois de Marc, le nez collé dans les livres, des remords du vieil Elie aux aventures et infortunes de Luc, le simplet, qui se prend pour Jim Hawkins de l'île au trésor. 

      C'est âpre, c'est sombre, comme cette vallée au nom sauvage: le Gour noir. De la grande littérature !


      Albin Michel - 20.90 €

    • L'autre Rimbaud - David LE BAILLY

      Ce livre est une enquête dans les archives de la famille Rimbaud. La photo de la couverture est célèbre: ce communiant au regard qui défie l'objectif, c'est le poète. Ce qu'on ignorait, c'est que sur la photo originale, figurait son frère, Frédéric, d'un an son aîné et qu'il a été volontairement effacé par Isabelle, leur petite soeur, héritière des droits et de tout ce qui concerne Arthur. 

      Avec beaucoup d'habileté, l'auteur nous plonge dans l'âpre campagne des Ardennes aux côtés de ces 2 frères dont l'enfance fusionnelle semblait être un rempart à la dureté d'une mère acariâtre, abandonnée par son mari, fille d'agriculteurs ayant une revanche à prendre sur la vie. Puis leurs chemins se sont séparés: l'un est devenu un poète génial, l'autre a été considéré comme un raté, un balourd sans intelligence. Pourquoi et comment est née cette volonté d'effacer l'existence de ce personnage? Qui était-il réellement ce domestique comme il se présentait lui-même? Qui était véritablement le rebelle de la famille: Frédéric qui a plusieurs fois fait intervenir la justice contre sa mère pour obtenir l'autorisation de se marier ou Arthur, qui après quelques années d'errance et de fulgurances littéraires, s'est transformé en négociant avare et critique, rejoignant en cela l'intransigeance maternelle? 

      Ce roman est une révélation sur le personnage mythique de Rimbaud, une enquête dans laquelle l'auteur s'interroge sur les liens fraternels et la transmission du roman familial.

      A ne pas manquer!


      L'Iconoclaste - 19 €

    • Art nouveau - Paul GREVEILLAC

      C'est l'histoire d'un architecte visionnaire qui voulait laisser son empreinte dans un monde en pleine effervescence. Lajos Ligeti est bien décidé à faire carrière à Budapest: il quitte Vienne en 1896 porté par son rêve de bâtir une ville moderne dans cette capitale vieillotte. Mais la concurrence est rude et ses créations de béton ne trouvent guère d'adeptes malgré les nombreux projets en cours. Son statut d'étranger et de juif lui valent de la méfiance voire du rejet mais il s'obstine, inspiré par sa muse Katarzyna et épaulé par un maître d'oeuvre dévoué. Il bâtit bientôt dans toute l'Europe et sera décoré par l'empereur François Joseph. Les tumultes de l'Histoire balaieront son oeuvre.

      Après "Maîtres et esclaves" (Folio) qui nous plongeait dans l'histoire des artistes peintres de la Chine de Mao, Paul Greveillac nous entraîne dans l'Europe d'avant 1914 et nous emporte dans cette euphorie créatrice et, comme ce jeune architecte, on occulte (plus ou moins) que ces pays sont au bord du précipice. 


      Gallimard - 20€

    • Betty - Tiffany McDANIEL

      Betty est la sixième enfant d’une famille qui vient de s’installer dans l’Ohio et qui va rapidement se heurter à son nouvel environnement ; en cette période d’après-guerre, il est loin d’être évident de se sentir intégré lorsque la mère de famille est blanche et que le père est Cherokee. Comme souvent ce sont les enfants qui sont les plus touchés par la cruauté et la bêtise ordinaire. 

      Betty a donc recours à l’écriture pour anesthésier ses blessures, qu’elles proviennent de l’école où l’attitude de ses camarades est loin d’être affectueuse ou des comportements de sa propre famille qui cache de noirs secrets.

      L’histoire débute quelques années avant la naissance de Betty et nous donne l’occasion de la suivre de sa petite enfance jusqu’à sa sortie de l’adolescence. Ecrit à la première personne, le quotidien n’en est rendu que plus vivant et émouvant, qui plus est dans ce contexte loin d’être idyllique.

      Ce roman est également un hommage à l’art, à la poésie, chaque enfant développant son propre univers, sa passion, nourrissant ses rêves pour contourner les difficultés de l’existence. Le père de Betty est d’ailleurs un modèle en ce sens puisque toujours fortement attaché à ses racines indiennes. Il déploie une philosophie de vie où la simplicité, la nature et les valeurs humaines basées sur le respect du vivant doivent permettre de triompher de tout. Malheureusement cela ne suffit pas toujours.

      Ce deuxième roman de l’auteure est donc un bel ouvrage sur l’enfance, sa cruauté, mais aussi la perte d’une certaine innocence quand les faits de vie s’accumulent. Un constat sans appel sur une société américaine déjà pleine de certitudes mais bâtie sur des fondations humaines bien fragiles.


      Gallmeister - 24.60€

    • Les graciées - Kiran MILLWOOD HARGRAVE

      Norvège 1617. Dans un petit village non loin du cercle polaire, 40 hommes périssent en mer lors d'une tempête: ne restent plus que les femmes qui ont assisté, impuissantes, à la catastrophe. Elles apprennent à s'organiser pour survivre, mais, se montrer capables d'assumer des tâches habituellement réservées aux hommes éveillent les soupçons de l'inquisiteur Absalom Cornet chargé d'enquêter sur les activités vraisemblablement démoniaques de ces femmes livrées à elles-mêmes. 

      Inspiré d'un fait réel.

      1er roman d'une jeune auteure de 30 ans, romancière poétesse anglaise, saluée par la critique outre-Manche.


      Robert Laffont - Coll. Pavillons - 20€

    • Louis veut partir - David FORTEMS

      Premier roman très fort d'un tout jeune auteur (24 ans) sur la relation manquée entre un père et son fils. L'histoire s'enracine dans les Ardennes: Pascal, le père, est ouvrier et Louis, son fils, fait sa fierté. C'est un enfant puis un ado studieux, calme, passionné de littérature. Si la mère est absente, ils semblent mener tous les deux une vie paisible jusqu'au suicide incompréhensible de Louis. Accablé, Pascal cherche une explication: la lecture d'un SMS sur le portable de son fils va l'obliger à aller à la rencontre de ce jeune homme qu'il connaissait finalement si peu, si mal. Ce roman sur l'absence tragique de communication dans une famille est également un tableau juste et percutant d'une région défavorisée du nord de la France où le déterminisme social a fait son nid.


      Robert Laffont - Coll. Pavillons - 17€

    • Trois étages - Eshkol NEVO

      L'écrivain israélien Eshkol Nevo s'intéresse à un immeuble de Tel-Aviv où des hommes et des femmes cherchent un sens à leur vie. Trois étages, trois histoires, trois personnages en proie l'un à la paranoïa, le second au sentiment d'abandon, le dernier à la culpabilité. L'écrivain décortique les existences, les dysfonctionnements familiaux. Chacun à sa manière cherche une issue, qui à son obsession, qui à sa solitude, qui à son manque.

      Trois histoires distinctes qui nous brossent aussi un portrait de la vie israélienne : la rue et ses révoltes antigouvernementales, les vergers aux portes de Tel-Aviv, et plus loin le désert et les kibboutz. Une comédie douce-amère captivante.

      « L’essentiel, c’est de parler à quelqu’un. Sinon, sans lui, l’individu n’a aucune idée de l’étage où il se situe, et il est condamné à tâtonner désespérément dans le noir, dans la cage d’escalier, pour trouver l’interrupteur » (p.344)


      Folio - 8.50 €

      Traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche

    • La nuit du bûcher - Sandor MARAI

      On ne maîtrise jamais complètement son art. Il faut toujours veiller à s’améliorer, ne pas se reposer sur ses lauriers et c’est bien ce que compte faire un jeune Espagnol, le narrateur, lorsqu’il arrive à Rome en 1598. Il y restera 18 mois, le temps de parfaire ses techniques. Son métier : inquisiteur.

      Tout en approchant le microcosme catholique Romain, il va devoir apprendre une nouvelle langue et découvrir une procédure « industrialisée » de la mort, codifiée et extrêmement efficace. Les bourreaux torturent, les « confortatori » accompagnent les hérétiques dans leur dernières heures, manière de s’assurer qu’ils ont bien avoué et se sont repentis de leurs prétendus péchés, avant le spectacle ultime : le bûcher, apothéose de la « giustizia », qui permet de sauver l’hérétique de ses démons. L’homme du peuple, lui, assiste euphorique à la mise à mort…en gardant en tête qu’il pourrait très bien se retrouver sur la scène lors de la prochaine représentation.

      Ce roman écrit par Sandor Marai, auteur hongrois du début du 20ème siècle (qui a dû faire face à la répression communiste…) met en avant la formidable machine de destruction qu’était l’Inquisition. Dotée d’une indéniable capacité à imposer la terreur (il n’était pas rare qu’un hérétique soit dénoncé par des individus soudoyés par la Sainte Organisation), à profiter (on pouvait parfois éviter le bûcher et être condamné à la prison à vie à condition de faire sonner les pièces d’or…), à manipuler (les confortatori, souvent les laïques issus de la société civile comme on les appellerait aujourd’hui, étaient très choyés…) et bien sûr à détruire les prétendus hérétiques, tout ce système faisait bien vivre une caste et représentait un pouvoir important, voir central, au sein des pays. L’objectif, sous couvert de protéger du Mal, était bien entendu de conserver l’ascendant sur le peuple et maintenir ce dernier sous le principe : « fait ce qu’on te dit, ne pense pas ».

      Suivant cette logique, on assiste dans ce roman aux dernières heures de Giordano Bruno, frère dominicain et philosophe ayant vécu à cette époque, accusé d’avoir commis le crime d’héliocentrisme.  Il est resté 7 ans entre les mains de l’Inquisition, sans pour autant se repentir.

      Un livre d’environ 280 pages qui vaut pour sa solidité historique et qui nous plonge dans ces dernières années d’obscurantisme avant les premières lueurs de la Renaissance : ses peintres, ses sculpteurs, ses auteurs et surtout ses avancées scientifiques que même l’Inquisition ne pourra plus combattre.


      Livre de poche - 7.40 €

    • La guerre du pavot - R.F. KUANG

       Depuis des siècles, deux pays s'affrontent : l'empire Nikara et l'île Mugen. Le contexte n'est pas sans rappeler la guerre sino-japonaise des années 30. Rin, une jeune orpheline, bien décidée à ne pas se laisser marier à un vieillard, étudie d'arrache-pied pour réussir le concours qui lui ouvrira les portes de la prestigieuse académie militaire de Sinegard formant les futures élites de l'Empire. La réussite au concours d'entrée n'est qu'une étape, peut-être la moins douloureuse du parcours sur lequel la jeune fille s'engage. Elle va plier son corps et son esprit à la discipline de fer de cette école de l'excellence ; les mutilations et les drogues vont éprouver son courage et l'éveiller à ses pouvoirs chamaniques. La guerre larvée éclate à nouveau : l'académie est dissoute et les élèves, tout juste formés, sont nommés dans les différentes provinces, chacune devant participer à l'effort de guerre et faire face à l'ennemi. Les dissensions entre les chefs de province ne facilitent pas la cohésion et Rin, considérée comme un élément exceptionnel, rejoint les sicaires de l'Impératrice.

      Premier volet d'une trilogie, ce roman original peut évoquer, au moins dans sa première partie, les meilleurs épisodes de Harry Potter, cependant, on est très rapidement plongé dans un univers plus sombre et plus violent (horreurs de la guerre, trafic de pavot, tortures). L'auteur interroge nos consciences sur les notions de vengeance, de revanche et d'héritage culturel d'un peuple quand l'anéantissement semble inéluctable. 

      Un roman impossible à lâcher, hypnotisant ! 


      Actes Sud - 24 €

    • Le jour où Kennedy n'est pas mort - R.J. ELLORY

      Dans ce roman policier, John Kennedy a traversé sans encombre Dealey Plaza le 22 novembre 1963. Sa garde rapprochée, menée par son frère Bobby, s’échine à préparer un programme susceptible de prolonger son bail à la Maison Blanche. Pour cela, en cette année 1964, il lui faut tout d’abord réussir à remporter l’investiture démocrate ce qui ne sera pas forcément une mince affaire.

      Mitch Newman a lui aussi l’esprit bien occupé. Il vient d’apprendre la disparition de son amour de jeunesse, Jean Boyd, une journaliste retrouvée suicidée. Cette fin tragique ne lui convient pas. La culpabilité de l’avoir abandonné quinze années auparavant pour couvrir en tant que photographe de guerre le conflit en Corée ne fait qu’envenimer les choses. Sollicitant l’entourage de Jean, il apprend que cette dernière travaillait sur un décompte de voix suspect autour de l’élection de JFK en 1961. Un voyant rouge s’allume dans son esprit. Il décide donc de mener son enquête et fini par apprendre que Jean était elle aussi présente à Dallas en novembre 1963. 

      On retrouve alors avec plaisir des personnages historiques mêlés à ceux de la fiction dans un monde alternatif tout à fait plausible. L’auteur parvient à faire ressortir cette atmosphère pesante et à rendre concevable l’irruption dans la Grande Histoire d’un reporter photographe désespéré, prêt à tout pour découvrir la vérité.

      Le personnage de JFK a déjà été le protagoniste de nombreux titres avec succès (« 22/11/63 » de S King, la trilogie « Underworld USA » de J Ellroy). L’uchronie proposée par Ellory utilise une voie originale en remettant dans un contexte politique troublé, la véritable situation de Kennedy au milieu de son mandat : une santé plus que précaire, des décisions hasardeuses (Baie des Cochons, rapports de force avec N Khrouchtchev) et surtout des scandales de mœurs, tacitement acceptés par son entourage, comme véritables bombes à retardement. Une fuite en avant dont le 22 novembre apparaît finalement comme une suite logique dans ce chaos ambiant. Comment auraient été gérés les conflits sociaux, les tensions ethniques ou la guerre du Vietnam si l’attentat n’avait pas eu lieu ? JFK disposerait-il alors aujourd’hui du même statut iconique ?


      Sonatine - 22 €

    • Le noir entre les étoiles - Stefan MERRILL BLOCK

      Magnifique découverte que ce roman empreint de poésie et d'une intensité rare. L'auteur place au centre de son histoire, Oliver, un ado de 17 ans immobilisé depuis 10 ans dans un coma consécutif à une de ces tueries dans un lycée dont les États-Unis, et le Texas en particulier, sont familiers. Autour de lui, sa famille se délite : son père, artiste raté sombre dans l'alcoolisme, sa mère, obstinée, veut garder espoir,  refusant que son fils soit débranché malgré la routine et le montant des frais médicaux, et son frère qui fuit le Texas et l'ombre trop pesante de son aîné. Miraculeusement, un nouvel examen révèle des signes d'activité cérébrale chez Oliver et la famille se réunit à son chevet en espérant enfin obtenir des réponses à leurs questions, le déroulé de la fusillade n'ayant jamais été élucidé. 

      Un texte sensible et d'une humanité profonde sur les relations familiales qui explore des thèmes forts : l'acharnement thérapeutique, le port d'armes et les tueries de masse, le racisme... une histoire américaine. Un grand roman inoubliable !


      Albin Michel - 22.90€

    • Qui a assassiné Mozart? et autres énigmes musicales - E.W. HEINE

      Elvis Presley, Kurt Cobain ou Michael Jackson ne sont que les dernières « rockstars » dont la disparition a donné lieu à des supputations folkloriques. A l’époque de la « grande musique », la mort ou les turpitudes de compositeurs entrainaient également des interrogations quant aux réelles causes de leur chute, comme si leur statut pouvait les empêcher de se révéler de simples mortels et les mettre ainsi à l’abri des considérations désespérément humaines. Est-ce normal de mourir à 35 ans comme Mozart à la fin du 18ème siècle ? L’argent et la musique font-ils bon ménage ? A-t-on une meilleur hygiène de vie lorsqu’on joue du clavecin plutôt que de la guitare électrique ?

      Cet essai ne s’intéresse pas uniquement au cas Mozart et aborde également « les dossiers » de Haydn, de Berlioz, de Paganini et de Tchaïkovski. Il s’avère agréable à parcourir et très instructif avec une remise dans le contexte historique pour chaque musicien. Il détaille la façon dont ils étaient perçus, l’impact de leur entourage, mais aussi les doutes et fêlures qu’ils pouvaient connaître. Mozart, toujours lui, était très loin d’être dans les meilleurs conditions tant matérielles que psychiques au moment de sa disparition. Par respect du personnage, est-ce que la thèse de l’assassinat ne valorise pas mieux son trépas ?

      Ce petit recueil permet donc de « désacraliser » les mythes, de rendre un visage humain à ces hommes que leurs chefs d’œuvre ont transformés au fil du temps en légendes. Comme le dit la locution latine, Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris (Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière).


      Les éditions du sonneur - 15€

    • Dans la vallée du soleil. Andy DAVIDSON

      Travis Stillwell est déboussolé. Il se réveille un matin couvert de sang. Soulagement : ce n’est pas le sien. Sur les draps, des traces pouvant se rapprocher d’une empreinte de main féminine. Inquiétude : il est seul dans sa caravane aménagée. Affolement : qu’a-t-il bien pu se passer ?

      Il démarre sa voiture, prend la route et trouve refuge chez une jeune veuve qui vit avec son fils dans un motel décrépit de ce coin perdu du Texas. Étant devenue la gérante par la force des choses, elle parvient tout juste à joindre les deux bouts grâce au restaurant du complexe mais l’état général des équipements laisse fortement à désirer. Travis ne pouvant pas payer son séjour, ils trouvent un arrangement : il s’occupera des travaux urgents en contrepartie de l’hébergement gratuit.

      La situation reviendrait plutôt à la normale pour lui si seulement il se souvenait de ce qui s’est passé lors de cette nuit sanglante. Et comment interpréter ce rêve qui le hante depuis, dans lequel une jeune fille au teint pâle s’adresse à lui ? D’ailleurs est-il certain qu’il s’agit bien d’un rêve ?

      Premier roman de ce jeune auteur, on peut imaginer qu’il ne va pas s’arrêter en si bon chemin. D’une intrigue somme toute très classique, il va progressivement vous emmener dans les songes de Travis qui, vous vous en doutez, se transformeront rapidement en cauchemars, entraînant avec lui la veuve et l’orphelin.

      Comme toujours chez Gallmeister, le style et la qualité de l’écriture sont au rendez-vous. Nous n’en dirons pas plus de l’intrigue si ce n’est qu’il y aura du sang et des larmes, voire beaucoup des deux ! 


      Gallmeister - 25€

    • Un jour viendra couleur d'orange - Grégoire DELACOURT

      Il est beaucoup question de couleurs dans le nouveau roman de Grégoire Delacourt: on commence avec le jaune de la France révoltée. Le jeune Geoffroy, 13 ans, vit dans un monde qu'il ordonne en chiffres et en couleurs. Son père est incapable de supporter cet enfant différent que sa mère surprotège, espérant pour lui un monde meilleur. On rencontre également Djamila, 15 ans, que ses grands frères veulent protéger de la convoitise des hommes. Et la violence éclate partout: dans les appartements où les filles sont enfermées, dans les relations père-fils quand le père exige un acte prouvant la loyauté de l'enfant, sur les ronds-points envers les automobilistes "insensibles" aux revendications des gilets jaunes.

      L'amitié improbable entre Geoffroy et Djamila pourra-t-elle faire renaître un espoir d'humanité? 

      Alors, peut-être, comme l’écrit Aragon, «  un jour viendra couleur d’orange (…) Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront » 


      Grasset - 19.50€

    • Les aérostats - Amélie NOTHOMB

      « La jeunesse est un talent, il faut des années pour l’acquérir. »

      Ange, 19 ans, est étudiante en philologie à Bruxelles. En répondant à une petite annonce, elle se retrouve à donner des cours de français à Pi, jeune suisse de 15 ans, passionné par les maths et les aérostats, mais peu enclin à la lecture et que son père voudrait voir réussir dans cette matière. Mais les grands auteurs le rebutent, d'autant plus que sa dyslexie ne lui rend pas les choses faciles. Le père, très (trop) présent donne carte blanche à la jeune femme pour éveiller cet ado aux charmes indispensables de la littérature. 

      On ne peut guère en dire plus sans en dire trop car, comme toujours, le roman est court, l'écriture précise: Ange c'est Amélie et c'est son amour de la lecture et de la littérature qu'elle cherche à nous transmettre. Vous allez retourner à vos classiques!


      Albin Michel - 17,90€

    • Les villes de papier, une vie d'Emily Dickinson - Dominique FORTIER

      Qui était Emily Dickinson  ? Plus d’un siècle après sa mort, on ne sait encore presque rien d’elle.

      Elle est née et décédée dans la même maison, ne s'est jamais mariée, n'a pas eu d'enfants et a passé les dernières années de sa vie cloîtrée dans sa chambre. Elle est l'auteure de centaines de poèmes qu'elle a refusé de publier. Dominique Fortier retrace cette vie repliée sur son monde intérieur, si riche qu'elle ne ressentait pas le besoin d'en sortir. De la fillette imaginative à la "femme en blanc", elle a évoqué par des bribes de phrases ou des esquisses, un monde invisible à tous sauf à elle: chaque lieu qu'elle a habité l'a emplie de sensations, de réflexions sur la vie. Créer des mondes sans sortir de son jardin est sûrement la plus belle définition de ce qu'est un écrivain. 

      "Dans les livres il y a d'autres livres, comme dans un palais des glaces où chaque miroir en réfléchit un second, chaque fois plus petit, jusqu'à ce que les hommes ne soient pas plus grands que des fourmis.

      Chaque livre en contient cent. Ce sont des portes qui s'ouvrent et ne se referment jamais." 


      Un livre touchant et délicat.


      Grasset - 18.50€

    • Grace - Paul LYNCH

      Entre 1845 et 1852, l'Irlande plonge dans un épisode terrible: la Grande Famine qui fera plus d'un million de morts et plusieurs millions d'émigrés. Dans un paysage glacial et apocalyptique, Grace est jetée sur les routes, habillée en garçon, par une mère épuisée mais qui dans un sursaut, cherche ainsi à protéger sa fille de la concupiscence de l'homme à qui elle loue la masure qui l'abrite elle et ses enfants. Commence alors pour la toute jeune fille un long voyage dans un pays en ruine. Elle ne croise sur les routes que des fous hébétés pour lesquels elle est une proie et des mendiants hallucinés, des "suceurs de pierres" qui lèchent les cailloux pour tromper leur faim. 

      Elle va apprendre à survivre et devenir une femme dans cet univers chaotique non dénué d'une certaine beauté, cruelle et glaciale. Paul Lynch nous fait un portrait tout en ombre et lumière de cette adolescente, de ses rêves et de son ardeur à vivre malgré la mort qui rôde. Un récit bouleversant et une héroïne inoubliable.


      Livre de poche - 8.70 €

    • Ténèbre - Paul KAWCZAK

      En 1890, Léopold II roi de Belgique mandate au Congo, un brillant géomètre, pour matérialiser le tracé exact de la frontière qui mettra fin aux tensions entre les colonisateurs, avides de s'emparer des diverses richesses de ce pays conquis, et apportera le "Progrès" aux populations autochtones. (Pour rappel: 10 millions de morts en 20 ans et combien de mains coupées!)

      Sur le papier, cela semble aisé, comme il avait été facile de découper la carte de l'Afrique à grands coups de ciseaux loin des moustiques, du climat et des maladies. Sur place, la mission prend un tour plus dramatique et plus cruel, chaque homme se révélant être un monstre ordinaire. Le géomètre s'adjoint les services d'un majordome chinois, personnage trouble et troublant, tatoueur et bourreau de son état, spécialiste dans l'art de la découpe humaine et d'un équipage de travailleurs bantous, esclaves ou presque, révoltés silencieux du Fleur de Bruges pénétrant par le fleuve un pays exsangue. Fascination morbide et érotique, oscillations entre fantasme et réalité, le roman de Paul Kawczak est remarquable, foisonnant, impossible à lâcher: une puissance évocatrice qui vous donnera la fièvre!


      Relire "Au cœur des ténèbres", de Joseph Conrad (1899) pour mesurer le talent de Paul Kawczak.

      Et bien sûr, "Congo" d'Eric Vuillard et "Congo, une histoire" de David van Reybrouck pour se souvenir de ce crime contre l'humanité.


      La Peuplade - 23 €

      Lauréat du prix des lecteurs de L'Express/BFMTV 2020

    • L'usurpateur - Jorn Lier HORST

      Le temps et la solitude jouent un rôle important dans ce roman policier ayant pour personnage principal William Wisting, inspecteur taciturne d’une cinquantaine d’année, veuf, père de deux grands enfants devenus adultes, vivant seul dans une petite ville de Norvège.  

      Wisting est plutôt déstabilisé en apprenant qu’un proche voisin a été retrouvé mort devant sa télé allumée. La singularité du drame vient du fait que cela faisait bien quatre mois que l’homme n’était plus de ce monde et il a fallu une facture d’électricité impayée pour que son corps soit enfin découvert. Dans le même temps, l’inspecteur doit faire face à un deuxième décès, plus mystérieux celui-là, avec un individu retrouvé mutilé dans la forêt. Il semble bien que sa mort remonte également à plusieurs mois. Son identité et la raison de sa présence sur le territoire demeurent inconnues. Seule certitude : dans sa poche a été découvert un papier portant les empreintes d’un tueur en série recherché par le FBI.

      L’intrigue va alors se scinder entre l’enquête menée par William Wisting sur le cadavre retrouvé dans la forêt et le travail préparatoire de sa fille Line, journaliste, qui a décidé d’écrire un article sur la disparition dans l’indifférence la plus totale du voisin isolé. Petit à petit, une connexion va s’établir entre les deux affaires et venir chambouler ce petit coin tranquille de Norvège.

      Roman policier dans lequel l’analyse, l’approche sociologique et la dimension psychologique l’emportent sur la violence et sur les scènes sanguinolentes. L’auteur Jorn Lier Horst est un ancien officier de police et son écriture, la façon dont il amène les éléments de l’enquête, s’en ressent très certainement et apporte ainsi un cachet d’authenticité à l’histoire. Un bon moment en perspective pour les lecteurs qui préfèrent la réflexion à l’action et qui apprécient l’ambiance, souvent glacée, des polars scandinaves.


      Folio - 8.50€

    • Franck Sinatra dans un mixer - Matthew McBRIDE

      Quand on prénomme son chien Franck Sinatra c'est que déjà quelque chose ne tourne pas rond. Son propriétaire détective, ex flic qui abuse des drogues va se retrouver plongé dans une affaire de braquage où il jouera à la fois le rôle d'enquêteur et celui de voleur. Tout le monde prendra des coups. Et le chien aussi...




      Gallmeister Totem - 8.80€

    • La gitane aux yeux bleus - Mamen SANCHEZ

      Un jeune aristocrate anglais a disparu à Madrid. C'est le fils d'un riche éditeur londonien qui, très inquiet, vient demander à l'inspecteur Manchego d'enquêter sur cette affaire et de retrouver le jeune homme dont le dernier message provient semble-t-il d'une boîte de flamenco. Il était venu à Madrid pour faire un audit des comptes de la société de son père, éditeur d’un magazine littéraire, et plus vraisemblablement la fermer l'antenne espagnole du magazine et licencier les salariées, 5 femmes liées par une amitié indéfectible. Cinq femmes de caractère qui n'entendent pas qu'Atticus se débarrasse d'elles si rapidement. 

      Une galerie de portraits drôles, savoureux à souhait, des péripéties attendrissantes et des passages touchants bref, un roman joyeux et entraînant. 


      Mercure de France - 21.80€

    • La maîtresse du peintre - Simone VAN DER VLUGT

      Simone van der Vlugt, s'appuyant sur une documentation historique et des sources sérieuses, met en lumière une facette peu reluisante d'un artiste intouchable : Rembrandt. 

      Geertje Dircx, jeune femme d'origine modeste, veuve, sans enfant, entre au service du peintre et de sa femme en tant que nourrice de leur fils Titus. L'épouse est phtisique et décède peu de temps après, laissant à la jeune femme la charge de la maison et des enfants. Une idylle naît ; le maître et la gouvernante vivent une liaison scandaleuse durant plusieurs années. Le temps passe, Geertje a quelques problèmes de santé, une nouvelle servante est embauchée : elle est jeune, belle, elle plaît à Rembrandt. Malgré les promesses, le peintre jette sa maîtresse à la rue. Elle tente de faire valoir ses droits mais dans une ultime trahison, l'artiste, sur la foi de faux témoignages, la fait enfermer 12 longues années dans une maison de correction pour femmes. Présentée par les biographes de Rembrandt comme une profiteuse et une déséquilibrée qui aurait tout fait pour escroquer le peintre, Geertje sort enfin de l'ombre et ce roman redonne sa place à une femme réduite au silence. Passionnant et formidablement raconté !


      Philippe Rey - 20€

    • Richesse oblige - Hannelore CAYRE

      Hannelore Cayre récidive, pour notre plus grand plaisir, et nous a concocté un roman noir aussi percutant que « La daronne ». A travers l'exploration de l'arbre généalogique d'une famille bretonne avec une greffe parisienne, Blanche de  Rigny se découvre héritière d'une fortune dont elle ignorait l'existence. Ce personnage, amoindri par un accident de jeunesse, ne se déplaçant qu'avec des béquilles, se trouve de ce fait, mis à l'écart de la société, comme si son corps abîmé ne pouvait contenir un esprit aiguisé et particulièrement cynique. L'injustice et encore plus l'abdication  fataliste face à celle-ci l'insupporte : elle cite Flaubert « le peuple accepte tous les tyrans pourvu qu'on lui laisse le museau dans la gamelle » et, par ses actes,  à la limite de la légalité, se donne les moyens de conquérir une richesse qu'elle estime légitime et méritée. Elle va donc enquêter sur cet ancêtre, Auguste de Rigny dont elle porte le nom mais autour duquel flotte un mystère dont le point de départ est un tirage au sort, en 1870, tirage qui désignait les appelés sous le drapeau : il fallait tirer un bon numéro mais, moyennant finances, les fils de bonne famille malchanceux se cherchaient un remplaçant pour effectuer le service militaire à leurs places et, en l'occurrence à cette date, pour partir à la guerre. Et Blanche va élaguer les branches pourries de son arbre familial avec méthode et en restant fidèle à sa vision désabusée mais ô combien lucide, du monde qui l'entoure, un monde de mensonges, de magouilles, d'exploitation. Un livre porté par une écriture leste non dénuée d'humour, noir bien sûr. 


      Métailié - 18€

    • Robert Mitchum, L’homme qui n’était pas là - Lelo Jimmy BATISTA

      C’est un acteur atypique que nous propose de découvrir ce livre. Robert Mitchum détestait la célébrité et n’aspirait qu’à vivre en paix…et d’aller à la pêche. 

      « J’ai très vite appris que lorsqu’on raconte une histoire plus excitante que la réalité, on fout la paix à la réalité. Et j’aime assez qu’on me foute la paix ». Ainsi débute le livre, par une citation de l’acteur qui en dit long sur son état d’esprit. Comment être une star mondialement connue et exécrer à tel point la célébrité ? La solution pour lui passait par une consommation non raisonnable d’alcool et de s’arranger pour n’être que rarement au bon endroit au bon moment. Dès son enfance, Mitchum trouvera une échappatoire par l’écriture, notamment de poèmes, mais sans jamais, au grand jamais, devoir supporter la reconnaissance. Toute sa vie aura alors l’aspect d’une fuite en avant, comme aspiré dans le vide.

      Cette biographie donne l’occasion de découvrir les premiers pas familiaux du jeune Robert, sa famille éclatée, les chemins de traverse pour essayer de s’en sortir puis de se lancer, comme par accident, dans cette carrière d’acteur hollywoodien tellement éloignée de sa personnalité. Une constante pendant sa vie, la recherche de la liberté, de la tranquillité, avec l’alcool et des moments de folie douce qui lui ont permis de côtoyer tout le showbiz de l’époque mais également les plus belles femmes (Marylin Monroe, Ava Gardner entre autres).

      On retient de cette lecture l’image d’un homme émouvant de par ses ratés (nombre de ses films ont été de sombres loupés) et pourtant le patronyme de Robert Mitchum fait bel est bien partie des mythes éternels de cet Hollywood du milieu du 20ème siècle.  « Toutes ces histoires sont vraies – l’alcool, la baston, les filles, tout. Inventez-en d’autres si ça vous chante ».


      Capricci Stories - 11.50 €

    • La fiancée du danger, mademoiselle Marie Marvingt - Michèle KAHN

      Le nom de Marie Marvingt ne vous dit sans doute rien ; en tout cas, il m'était totalement inconnu et pourtant, quel destin que celui de cette femme, grande sportive dans plusieurs disciplines (natation, cyclisme, ski, patinage, alpinisme) dans lesquelles elle collectionna les récompenses (17 records mondiaux) et les exploits. Exploits parfois non homologués comme avec ce Tour de France dont elle effectuera seule toutes les étapes, quelques heures avant les champions de l'époque (1908) : les femmes n'étaient pas autorisées à concourir, une femme à bicyclette pensez-vous ! Quelle indécence! Elle l'a terminé ce Tour, quand bien des hommes ont abandonné (36 coureurs sont arrivés contre 114 au départ).

      Très tôt consciente de devoir se battre pour faire reconnaître aux femmes leurs capacités équivalentes à celles des hommes, elle pourra compter sur le soutien indéfectible de son père dans toutes ses activités. Née dans le Cantal en 1875, elle fréquentera l'école allemande (sa mère étant d'origine lorraine) avant de s'installer à Nancy. Elle étudiera la médecine, obtiendra un brevet de pilote d'avion (3ème femme au monde) et bataillera pour mettre en place l'aviation sanitaire. Journaliste à ses heures, elle sera décorée de nombreuses fois pour son courage et son engagement pendant les 2 guerres mondiales. 

      Cette pionnière de l'aviation, qu'on surnommait la fiancée du danger, avait pour devise « savoir, vouloir, c'est pouvoir ». Elle parlait 4 langues, donnait des conférences, fréquentait du beau monde mais elle est restée seule et c'est oubliée de tous qu'elle s'éteint à l'âge de 88 ans (en 1963) dans le plus grand dénuement. Elle aura relevé des défis jusqu'à la fin de sa vie, puisqu'elle obtient son brevet de pilote d'hélicoptère à 84 ans et pilotera le premier hélicoptère à réaction du monde l'année suivante. 

      L'auteur s'est appuyée sur des documents d'époque dont de très nombreux articles de presse ; elle a brodé librement son roman autour des faits réels de la vie de celle que les américains considérait comme la femme la plus extraordinaire depuis Jeanne d'Arc. 

      Soyons réaliste, si un homme avait réalisé ne serait-ce que la moitié de la liste des exploits de Marie Marvingt, son nom ne serait jamais tombé dans l'oubli. Ce roman de Michèle Kahn fait resurgir du passé cette héroïne exemplaire.


      Le Passage - 19€

    • La possibilité du jour - Emilie HOUSSA

      En 1947, la jeune Aurore quitte Nice et sa famille d'industriels bourgeois pour rejoindre un beau G.I. rencontré au moment de la la libération. Elle fait ses adieux à ses parents, sans regrets, imaginant une vie plus libre que sa mère qui se sacrifie au bien-être des hommes de la maison avec une abnégation proche de la servitude. L'avenir lui paraît plein de promesses mais arrivée à destination, sa belle-mère lui annonce que le beau Martin ne l'a pas attendue. Sans repère, elle refuse pourtant de faire demi-tour et décide de tenter de vivre sa vie dans ce nouveau pays. Son parcours qui la conduit du fin fond du Midwest à New York puis à Montréal traverse les soubresauts de l'histoire: les combats pour les droits des femmes, la lutte pour l'égalité civique et la liberté de chacun. 

      Un roman sous forme de journal intime, confession d'une mère à son fils grandi trop vite: toute une vie à se construire et à s'instruire (la littérature et l'art deviendront son moteur) dans un livre d'une grande douceur et d'une grande force. Un très beau portrait de femme.


      Les éditions de l'Observatoire - 20€

    • Nirliit. Juliana LEVEILLE-TRUDEL

      Direction le Grand Nord Québécois pour la narratrice qui chaque année, comme de nombreux saisonniers, vient travailler dans cette région du Nunavik et s’occuper des enfants d’un village de 1 500 habitants, Salluit.

      Au fil du temps, elle est devenue le témoin privilégié de la décrépitude du peuple Inuit, que la distance ne met plus à l’abri des écueils de notre monde moderne.

      Aux problèmes sociaux, en particulier chômage et précarité entrainant violence et alcoolisme, s’ajoute le comportement autodestructeur de ses membres. Ils se retrouvent ainsi écartelés entre un monde de traditions séculaires et celui proposé par notre modèle occidental en fin de course.

      Le Grand Nord Québécois est donc devenu au fil du temps un territoire de chasse pour certains saisonniers du sud qui viennent y déchirer les derniers liens, bouleverser la population dans son travail, dans ses rapports sociaux, parachevant ainsi une œuvre destructrice.

      La première partie du roman est consacrée à Eva, à qui s’adresse la narratrice, l’occasion d’un bilan sans concession de la situation de son village, comme une radiographie faisant apparaître aussi bien les fractures matérielles que spirituelles de sa communauté.

      La seconde partie a pour personnage principal le fils d’Eva, Elija, dont la situation personnelle est symptomatique : il subit de plein fouet les contrecoups de ce qu’est devenu le quotidien, ses propres sentiments se retrouvant parmi les victimes du chaos ambiant.

      Roman sombre qui peut être lu comme un véritable témoignage sur la situation de cette région du globe, vendue comme un petit coin de paradis enchanteur et promue dans l’imaginaire collectif comme source d’aurores boréales pour clichés Instagram conformistes.

      C'est aussi l’occasion pour l’auteure de rendre hommage à un langage, à des paysages, laissant entrevoir une lueur d’espoir pour l’avenir si le peuple Inuit parvenait à se réapproprier son propre destin.

      Ce roman fait partie de la sélection du prix Folio des libraires.

      à lire en parallèle: "Payer le terre" la BD reportage de Joe SACCO (voir dans la section BD)


      Folio - 6.90€

    • Angélus - François-Henri SOULIÉ

      1165 entre Carcassonne et Narbonne. Jordi de Cabestant, Maître tailleur de pierres, vient de commencer des chantiers pour sublimer deux abbayes locales lorsqu’il est entraîné malgré lui dans un enchainement de morts violentes. Deux de ses hommes ont été retrouvés suppliciés.

      Les destinées religieuses et seigneuriales étant fortement liées, Raimon de Termes,  jeune chevalier fraichement adoubé, est missionné par les ecclésiastiques pour découvrir le ou les responsables de ces meurtres.

      Dame Alois et ses compagnons, se revendiquant « purs » chrétiens, connus pour leur aversion envers les idées de l’Eglise, font figure de parfaits suspects. En ces temps obscurs, il est également tout à fait possible que le Diable ait souhaité s’inviter à la fête macabre.

      Dans la lignée du « Nom de la Rose » ou des « Piliers de la terre », le lecteur plonge en terres Cathares au moment où le faste et les machinations de L’Eglise catholique se heurtent aux réalités d’un peuple qui ne se retrouve plus dans les querelles d’égo et dans l’indécence étalée au grand jour. Les considérations matérielles l’emportant bien souvent sur la moralité, il faut plutôt rechercher dans l’âme sombre des hommes pour résoudre le mystère.

      François-Henri Soulié adopte un vocabulaire et des tournures de phrases telles qu’on imagine pratiquées au Moyen-Age. Ce qui peut paraître déstabilisant au départ favorise finalement l’immersion dans l’histoire. Le roman étant habillement découpé en courts chapitres et faisant la part belle aux traits d’esprit et aux belles envolées, l’envie de tourner les pages s’en trouve décuplée. Le récit très documenté peut également s’apprécier pour l’analyse du contexte de cette période qui a vu l’avènement de l’Inquisition et donné lieu à de violentes persécutions.


      10/18 Coll. Grands Détectives - 15.90€

    • Modifié - Sébastien CHAUZU

      Martha, canadienne âgée d’une quarantaine d’années, exerce le métier de détective privée, le plus souvent pour le compte de sa famille fortunée avec laquelle elle entretient des rapports tendus. Elle essaie en parallèle de composer au quotidien tant bien que mal avec Allan, son conjoint, les deux bichons de ce dernier (des ‘bnichons’ car ils entretiennent à ses yeux une relation fusionnelle avec leur propriétaire) et surtout Allison, sa belle-fille, qu’elle déteste et qui le lui rend bien. 

      ‘Modifié’, tel est le nom sous lequel se présente un jeune adolescent que Martha a découvert frigorifié sur la route au retour d’une soirée arrosée. Affublé d’un bonnet à oreilles de chien et d’un tee-shirt trop petit, ce dernier a deux passions : les chasse-neiges (les grattes) et déblayer les allées. Pour le reste, il se montre très peu loquace mais semble apprécier la compagnie de Martha…à son grand désespoir.

      Dans la foulée de cette rencontre impromptue, Martha doit mener l’enquête sur le meurtre d’un professeur du lycée de son neveu Daniel. Problème : ce dernier est peut-être impliqué. 

      Tous les ingrédients sont donc réunis pour que le caractère misanthrope de Martha soit conforté !

      Dans ce premier roman, l’intrigue policière sert surtout de prétexte à l’exploration des relations distendues entre Martha et ses proches, à mesurer l’impact que va avoir dans son existence l’irruption de ce jeune ‘différent’.

      Une histoire légère sur la forme avec un sujet de fond pourtant délicat qui s’apprécie pour son côté déjanté et son originalité. Beaucoup d’humour noir et de cynisme dans les dialogues, qui peuvent être qualifiés de joutes verbales, et pourtant une émotion qui s’installe au fur et à mesure autour de ces personnages finalement tous un peu perchés…


      Grasset - 20€

    • Et toujours les Forêts - Sandrine COLLETTE

      Si vous êtes adeptes des récits postapocalyptiques, que vous avez aimé par exemple « La Route » de Cormac McCarthy ou que vous adorez tout simplement les romans noirs, vous serez happé par le dernier titre de Sandrine Collette.

      Le personnage principal, Corentin, a connu une enfance mouvementée. Après avoir été abandonné par sa mère, il a été confié à son arrière-grand-mère paternelle qui habite un hameau appelé les Forêts. Il va alors grandir sous son œil attentionné et même parvenir à nouer quelques liens d’amitié au cœur de ce coin de nature. Une fois plus âgé, il doit le quitter afin de poursuivre ses études dans la Grande Ville. Il y découvre une autre existence et expérimente les fêtes et excès de la vie étudiante dans une grande métropole. C’est au cours d’une de ces soirées qui entraîne les fêtards au cœur de catacombes, qu’une explosion retentie à la surface. Le monde vient de vaciller et Corentin va devoir endurer ce nouveau coup du destin.

      Roman très sombre de par son sujet, le salut de l’humanité étant mis en péril, l’histoire va entrainer ses protagonistes dans des phases de profonds découragements mais aussi laisser apparaître quelques lueurs d’espoir au milieu de la peur et de l’inconnue.

      Avec un rythme rapide, les phrases et chapitres courts s’enchaînent. L’histoire donne l’occasion au lecteur d’aborder la fragilité de l’espèce humaine, l’impact écologique, la résilience, en étant guidé par Sandrine Collette qui lui laisse cependant des plages de libertés dans sa compréhension de l’intrigue. Chacun peut alors développer sa propre réflexion sur la précarité de notre monde, ce que nous lui imposons, sur notre relation à la nature et à l’écosystème. Sur nos rapports humains également…

      Déjà auteure de nombreux romans et nouvelles, Sandrine Collette s’est vue décerner le Grand Prix RTL Lire 2020 pour cet ouvrage.   


      JC Lattès - 20€

    • L'America. Michel MOUTOT

      Avec ce 3ème roman, Michel Moutot (reporter à l'AFP)  explore à nouveau l'histoire de l'Amérique. On embarque depuis la Sicile, en 1902, avec Vittorio, jeune pêcheur qui fuit la vindicte d'un chef de clan mafieux : Salvatore Fontarossa. Il a juré de venger l'honneur de la famille : sa fille Ana a été déshonorée par Vittorio et, crime impardonnable, il a, en légitime défense, abattu le frère de celle-ci, son héritier appelé à devenir le prochain capo, venu le punir de son forfait. Malgré les sentiments naissants entre les deux amants et un enfant à venir dont il ignore l'existence, Vitto doit fuir et mettre le plus de distance possible entre lui et les hommes de main de Fontarossa dont l'influence s'étend bien au-delà des frontières italiennes. De Naples à New York, puis à La Nouvelle-Orléans, à San Francisco et à Monterrey, « L'America » retrace le parcours d'un homme qui se construit une nouvelle vie dans un pays en plein essor. 

      L'auteur nous entraîne dans un passionnant roman d'aventure et d'amour, particulièrement bien documenté, sur les pas des émigrants partis tenter leur chance en Amérique : si le pays offre de formidables opportunités, la violence empreinte d'un racisme exacerbé, nous rappelle quelles épreuves tous ces aventuriers ont eu à surmonter. En ce début du XXe siècle, le nouveau monde qui se bâtit offrira-t-il une deuxième chance aux amants siciliens ?


      Ciel d’acier, récompensé par le prix du Meilleur Roman des lecteurs de Points en 2016, et Séquoias, prix Relay des Voyageurs en 2018. 


      Seuil - 21€ 

    • Quand Dieu boxait en amateur. Guy BOLEY

      Le Dieu évoqué dans le titre de ce roman est le père du narrateur. Il s’agit de rendre hommage au simple parcours de vie de cet homme, à présent disparu, rendu exceptionnel par les mots de son fils.

      Tour à tour forgeron, boxeur amateur, passionné d’opérette ou comédien de second rang, le roman éclaire la trajectoire de ce modeste citoyen dans la France de l’après-guerre. 

      Sans être un héros, ce père a toujours cherché à s’élever, à exceller et donner ainsi une autre dimension à son existence banale, allant chercher pour cela le supplément d’âme qui transcende.

      C’est par sa soif de culture, sa curiosité, développées alors qu’il était encore enfant, qu’il est parvenu à s’extirper d’un quotidien soporifique. 

      Ce sont également les liens d’amitié, l’ambition, la recherche de reconnaissance qui lui ont donné la volonté de triompher dans les combats de sa vie, sans pour autant malheureusement éviter les échecs et les drames.

      Court récit à l’écriture simple, épurée et poétique, il s’agit d’un ouvrage émouvant sans être larmoyant. Il exprime le respect mais aussi peut être les regrets vis-à-vis de ce Dieu qui se révèle finalement terriblement humain.

      Ce roman fait partie de la sélection Folio Prix des libraires. 


      Folio - 6.90€

    • Trinity - Louisa HALL

      15 juillet 1945, Los Alamos, Nouveau-Mexique. Robert Oppenheimer, brillant scientifique et créateur de la bombe atomique, attend le lancement de l’essai nucléaire Trinity.

      Un agent du FBI, une journaliste ou encore sa secrétaire particulière témoignent de celui qu’il était. À travers sept récits s’élabore par petites touches le portrait d’un homme de l’ombre qui a transformé le destin de l’humanité. Trinity explore les confins de la culpabilité, son influence sur les corps et les esprits. Ici, les histoires personnelles des narrateurs se mêlent à l’histoire mondiale, et les fantômes des victimes des bombes d’Hiroshima et Nagasaki surgissent à chaque page.

      En interrogeant le rapport entre réalité et fiction, intime et universel, Louisa Hall compose un grand roman sur le monde terrifiant engendré par l’arme qui aurait dû en finir avec toutes les armes.


      Gallimard - 21 €

    • Le cœur converti - Stefan HERTMANS

      Rouen, 1088. Vigdis a 17 ans, elle a les cheveux blonds et les yeux bleus de son père viking, elle est chrétienne et attend un mariage qui permettra à sa noble famille de s'élever à un rang encore plus enviable que celui dans lequel la jeune fille est élevée.

      Au retour de l'église, elle va croiser le regard sombre de David Todros, jeune jésuite érudit, fils du rabbin de Narbonne, venu étudier dans la yeshiva installée dans l'une des plus importante communauté juive du Moyen-Age. La curiosité et une attirance réciproque, mais condamnée d'avance entre ces deux êtres que tout oppose, vont jeter sur les routes les deux jeunes gens : leur relation interdite est le point de départ du voyage de Vigdis qui la mènera jusqu'en Egypte, à chaque instant poursuivie par les chevaliers de son père, dont l'honneur est en jeu.

      Premier arrêt de courte durée à Narbonne où Vigdis est mariée à David : elle devient Hamoutal et la prosélyte reçoit les premiers enseignements de sa nouvelle religion. Rapidement, ils sont à nouveau obligés de fuir et partent se réfugier dans un petit village du Vaucluse, Monier, où vit une petite communauté juive. C'est dans ce village que l'auteur va commencer son enquête et c'est là que le récit prend toute son ampleur : car c'est une enquête historique que Stefan Hertmans va entreprendre, en reprenant étape par étape, le cheminement de Vigdis/Hamoutal après avoir découvert que le village dans lequel il vit une grande partie de l'année depuis 20 ans, a été le théâtre d'un massacre (perpétré  contre les juifs mais également contre les habitants) par les premiers croisés en 1096. Il s'appuie sur un document unique retrouvé au Caire, dans une synagogue, étudié et traduit à Cambridge (dont on trouvera un large passage dans le livre) : une lettre de recommandation pour protéger la mère éplorée, qui après le meurtre de son mari, est persuadée de retrouver ses 2 enfants, enlevés par les chevaliers, à Jérusalem. 

      L'auteur nous entraîne dans un univers chaotique, au milieu de populations malmenées, affamées, sur les traces d'une femme en exil, guidée par l'espoir. L'émotion de l'auteur est palpable quand ses pas rejoignent exactement ceux de Vigdis, sur le parvis d'une église ou devant un paysage qu'elle a traversé. Les faits et sources authentiques renforcent le récit de cet amour tragique et nous dévoilent un monde au final si peu éloigné du nôtre concernant les questions de religion et les violences faites aux femmes et aux minorités. Un très grand roman


      Trad. du néerlandais par Isabelle Rosselin

      Folio - 8.50€

    • Noir canicule. Christian CHAVASSIEUX

      Eté 2003, la canicule s’est installée en France. Les médias commencent à parler d’un cataclysme sanitaire. En monopolisant l’actualité, cet épisode climatique cache pourtant d’autres crises plus intimes. 

      Marie et Henri, couple d’anciens agriculteurs du Massif Central, se préparent à prendre la route pour le sud, destination qui parait bien exotique pour des personnes qui n’ont pas l’habitude de s’éloigner de leur ferme familiale. Pourquoi décider d’une telle expédition par cette chaleur alors qu’Henri semble agonisant ? C’est Lily qui doit assurer le périple dans son taxi climatisé, offrant ainsi un peu de répit aux deux retraités au milieu de la fournaise ambiante. Entre la gestion de sa fille en pleine découverte des affres de l’adolescence et sa vie personnelle mouvementée, l’esprit de Lily est lui aussi en ébullition : sa propre existence vient de prendre une tournure inédite. La mort, qui joue les premiers rôles en ce mois d’août, va-t-elle avoir l’audace de s’inviter au voyage ?

      Récit d’environ 200 pages, l’action se déroule sur une période courte, une journée, et décuple ainsi l’effet d’urgence. Il faut s’attendre à des rebondissements, à l’apparition d’autres acteurs qui devront eux aussi composer avec leurs démons. 

      De cette intrigue, empreinte semble-t-il de normalité, le roman entraîne le lecteur sur une voie plus paradoxale, l’invitant à se servir du contexte apocalyptique et du profil de ses personnages pour le pousser à l’introspection sur son propre chemin de vie, à la considération de sa propre finitude.

      Le style de Christian Chavassieux donne la part belle au développement des réflexions des protagonistes avec une approche subtile, accessible et de manière moins stéréotypée que le ferait un véritable polar.

      Il reste une certitude à l’issue de cette lecture : depuis 2003 les canicules s’enchaînent et l’Humanité ne semble pas plus apaisée.


      Phébus - 14 €

    • Une machine comme moi. Ian McEWAN

      L’univers des robots est inépuisable. Que ce soit dans les romans d’Isaac Azimov, de Philip K Dick, dans les essais de Georges Bernanos, le sujet fascine autant qu’il effraie tant son impact sur l’évolution de l’humanité est de plus en plus important, la machine s’accaparant au fil du temps une place centrale et inéluctable.

      Ian Mc Ewan, romancier britannique, plonge dans cette formidable source d’inspiration et par le biais de l’uchronie, nous transpose dans les années 80 au Royaume-Uni. Dans cette réalité alternative, le monde dispose d’une technologie équivalente à celle dont nous bénéficions aujourd’hui mais aussi d’avancées que nous n’avons pas encore « explorées ».

      Alan Turing, grand artisan de la victoire des alliés pendant la seconde guerre mondiale en ayant aidé à décrypter la machine Enigma des nazis, n’est pas mort dans les années 50. Il est devenu une célébrité de premier plan dans la communauté scientifique, influant dans les avancées technologiques. Le développement et la commercialisation d’une petite série d’humanoïdes (appelés Adam et Eve…) en est la résultante et l’aboutissement. 

      Charlie, le personnage principal du roman, décide de céder à cette nouvelle mode élitiste et suite à un héritage, réunit l’argent lui permettant de devenir l’heureux propriétaire de « son » Adam, nouveau compagnon qui ressemble au moindre détail à un être humain. L’arrivée de ce robot coïncide également à la période où Charlie se rapproche de sa voisine taciturne, Miranda, vivant au-dessus de son appartement. Adam devient alors une composante incontournable de leur relation et lorsqu’un enfant vient rejoindre le trio, tous les éléments sont réunis pour que la situation prenne une tournure bien humaine, avec ses complications et son lot de tourments existentiels. C’est lorsqu’Adam se met à prendre des initiatives personnelles que leur histoire commence véritablement à dégénérer…

      Ce roman, parsemé d’humour noir, peut être apprécié par les lecteurs de science-fiction traditionnelle mais également par ceux s’intéressant aux sujets d’éthique ou de philosophie, tant ces univers peuvent être liés. L’intérêt est aussi le fait de pouvoir s’amuser des évènements historiques manipulés par l’auteur pour donner cette réalité alternative parfois surprenante. Enfin, l’utilisation de l’uchronie permet de réfléchir aux rapports homme/machines si ces dernières passaient à la vitesse supérieure, ne se contentant plus uniquement, lorsque nous les sollicitons par la voix, de nous indiquer la température extérieure de notre salon ou l’itinéraire de nos trajets…


      Gallimard - 22€

    • Trois concerts - Lola GRUBER

      Clarisse est une enfant renfermée, peu sociable, dans son monde. Développant des facultés de mémorisation remarquables, la musique lui apporte alors un cadre, un schéma mental qui permet de canaliser son comportement, se rapprochant parfois d’une certaine forme d’autisme. Sa famille, à la fois soulagée et enthousiaste, se résout à l’accompagner dans cette voie et dès l’âge de 7 ans, la confie à Viktor un ancien grand virtuose qui a payé au prix fort l’exercice de son art. 

      A base de rigueur, de pression psychologique, cet étrange professeur misanthrope et complexe, prend en charge l’éducation musicale de Clarisse pendant plusieurs années. Cette instruction se traduit par une sorte de mimétisme entre Clarisse et son mentor, que ce soit dans l’exécution des morceaux ou dans leur rapport à l’autre. Le violoncelle devient donc l’instrument de prédilection de Clarisse, un prolongement de son être.

      Au fil de l’histoire, Clarisse doit prendre son envol et se heurter à la réalité moins romantique du milieu musical. Ainsi, au travers des concours, des concerts « alimentaires », elle doit apprendre à faire face aux jugements sur son art et son expression et comment les gérer au mieux. C’est à cette occasion qu’elle rencontre Rémy, critique musical aiguisé et rusé, avec la perspective de donner une nouvelle direction à sa vie tant professionnelle que personnelle. Cependant, comme un axe magnétique, le personnage de Viktor n’est jamais très loin. La partition des trois concertistes peut alors fusionner.

      Roman passionnant écrit à la deuxième personne, l’auteure a réussi à faire coexister l’aspect mécanique et émotionnel de la musique. Elle parvient à créer un pont entre la partition musicale et celle qui guide l’existence de ses personnages. Ce récit est aussi un voyage dans des œuvres qu’il donne envie d’écouter de manière plus approfondie et met en avant les difficultés pour sublimer le talent théorique par la gestion de l’émotion. 

      Ce livre aborde enfin et surtout les limites qu’il est nécessaire parfois d’atteindre. L’expression de l’art peut devenir chaotique, un catalyseur négatif des sentiments, la recherche de la perfection ou de la reconnaissance devient alors une formidable source de destruction.

      Prix Alain Spiess 2019

      Prix Pelléas Radio Classique 2019

      Prix AFD-Littérature Monde 2019


      Phébus - 24€

    • La seule histoire - Julian BARNES

      Années 60, dans une petite ville au sud de Londres: Paul 19 ans tombe amoureux de Susan 48 ans, mariée, 2 filles adultes. Ne s'embarrassant pas du respect des convenances, ils vivent cet amour comme une évidence, jusqu'à emménager ensemble. Cette histoire racontée avec beaucoup de pudeur et de distance par l'auteur, ne sauvera pas Susan, si enjouée les premières années, de ses démons intérieurs: elle glisse peu à peu dans l'alcoolisme et dans la folie sous le regard de son amant d'abord persuadé que ses sentiments vont la sauver. Las! Son dévouement se mue en découragement et c'est un regard désabusé qu'il porte sur l'amour, sur cette histoire, la seule (dans le sens, la seule qui mérite d'être racontée) qui aura des implications sur toute son existence. Si dans la première partie, l'auteur adopte le "je" pour raconter la beauté et la pureté des sentiments (et la sélection qu'en fait sa mémoire), il interpelle le lecteur avec le "vous" dans la 2eme partie, nous prenant à témoin du quotidien usant les sentiments les plus profonds. Il impose une distance dans la dernière partie, pourtant la plus poignante, avec la 3eme personne du singulier, pour décrire l'après, la vie de Paul sans Susan. Un roman doux-amer dans lequel on se love et qu'on quitte à regret. 

      Ce titre fait partie de la sélection Prix folio des libraires 2020


      Folio - 8,50€

    • La machine Ernetti - Roland PORTICHE

      L'incroyable secret du Vatican

      Mars 1938. Le physicien italien Ettore Majorana disparaît au large de la Sicile. Avec lui, le projet secret sur lequel il travaillait depuis des années.

      Autonme 1955. On retrouve par miracle les notes du physicien disparu. Elles inspirent au père Ernetti une idée folle : construire une machine à voir dans le temps. Un Chronoviseur.

      Sur ordre de Pie XII, le prêtre plonge deux mille ans en arrière. L'objectif est simple : prouver l'existence du Christ.

      Commence alors une course folle entre le Vatican, la CIA, le KGB et le Mossad. Car ce que le père Ernetti va découvrir, en pleine guerre froide, pourrait changer l'ordre du monde.

      Ce roman est basé sur une histoire vraie.

      parution 3 juin


      Albin Michel  Versilio - 21.90€

    • Washington Black. Esi EDUGYAN

      Nous sommes au début des années 1830 dans les Caraïbes, plus précisément sur l’ile de la Barbade, à quelques années de la fin de l’esclavagisme pratiqué dans cette colonie Britannique. 

      Washington Black est un jeune garçon de 11 ans exploité dans un champ de canne à sucre. Sans véritable famille, il doit se soumettre aux tâches épuisantes de son quotidien et composer avec le sadisme et la cruauté de son propriétaire. 

      Sa vie se trouve bouleversée lorsqu’il est débauché par le frère de son maître, Titch, scientifique arrivant d’Angleterre qui souhaite mettre en œuvre son projet de ballon dirigeable révolutionnaire : « Le Fendeur de nuages ».

      A partir de ce tournant, Washington Black entrevoit un nouvel horizon, développe des aptitudes jusqu’alors insoupçonnées qui le rendent rapidement indispensable aux yeux de Titch. 

      Devant quitter l’île de manière précipitée, il s’engage dans un parcours d’exploration du monde et voit se dessiner une existence bien éloignée de celle qu’il pouvait imaginer. A travers les aventures de ce jeune personnage attachant, l’auteure nous entraîne ainsi sur la voie de la liberté, de l’émancipation du corps mais aussi de l’esprit.

      A la fois récit d’aventure à la Jules Verne et roman initiatique à la Dickens, les pérégrinations de Washington Black nous donnent l’occasion d’évoquer les évolutions scientifiques et culturelles qui marquent le 19ème siècle, mais surtout d’assister à son point d’orgue : la fin progressive de l’esclavagisme à travers le monde.

      Ce roman fait partie de la sélection Folio Prix des libraires. 

      Folio - 8.50€

    • Rien dans la nuit que des fantômes. Chanelle BENZ

      Certains faits ne doivent pas resurgir du passé. Lorsque Billie reçoit en héritage la maison de sa grand-mère dans laquelle est décédé son père il y a une trentaine d’années, elle cherche à faire le jour sur des contradictions, des zones d’ombre sur cette mort que personne ne semble plus vouloir aborder.

      Billie est métisse et dans cette région du Mississipi, la disparition d’un poète Noir comme l’était son père, peut poser des questions légitimes, qui plus est lorsque les conditions de cet évènement restent opaques.

      Ainsi, devant le silence des témoins de l’époque, de sa famille, Billie doit redoubler d’abnégation pour recueillir des informations et ainsi reconstituer le puzzle. Cette recherche tourne même à l’obsession pour elle qui, alors âgée de 4 ans, était présente lors du décès de son père ; malheureusement, l’évènement reste flou dans sa mémoire…seules quelques images incomplètes lui reviennent en boucle.  

      Le roman de Chanelle Benz consiste en une plongée dans cet état du Mississipi, l’un des plus conservateurs et pauvres des USA, dans lequel l’esprit de clan entretien une chape de plomb. Cet effet est surmultiplié lorsqu'est abordée la condition raciale. Tout est alors bon pour que la vérité reste celle souhaitée par la communauté et ce, quel qu’en soit le prix à payer. Ceux qui viennent menacer cet équilibre peuvent alors être considérés comme ennemis et traités en conséquence…


      Seuil - 21€

    • L'envol du moineau - Amy BELDING BROWN

      Inspiré de faits réel, un récit, poignant, tragique et édifiant.

      Colonie de la baie du Massachusetts, 1672. Mary Rowlandson vit dans une communauté de puritains venus d’Angleterre. Bonne mère, bonne épouse, elle s'applique au quotidien à mettre en pratique les règles strictes de sa communauté. Elle essaye d'étouffer les élans qui la porte vers ceux qui souffrent mais qui, par leur comportement, sont mis à l'écart. Elle étouffe mais ne veut pas l'admettre. Tout est bouleversé lorsque des Indiens attaquent son village et la font prisonnière. Mary doit alors s'adapter au quotidien souvent terrible de cette tribu en fuite, traquée par l’armée. Contre toute attente, c’est au milieu de ces « sauvages » qu’elle va trouver une liberté qu’elle n’aurait jamais imaginée. Les mœurs qu’elle y découvre, que ce soit le rôle des femmes, l’éducation des enfants, la communion avec la nature, lui font remettre en question tous ses repères. Et, pour la première fois, elle va enfin pouvoir se demander qui elle est et ce qu’elle veut vraiment. Pourra-t-elle retourner à une vie normale après son rachat par les anglais?

      Cette magnifique épopée romanesque, inspirée de la véritable histoire de Mary Rowlandson, est à la fois un portrait de femme bouleversant et un vibrant hommage à une culture bouillonnante de vie, que la « civilisation » s’est efforcée d’anéantir.

      L'occasion de relire, en Petite Bibliothèque Payot, le récit de Fanny Kelly "Ma captivité chez les Sioux", document exceptionnel paru en 1871.


      10/18 - 8,80€

    • L'épidémie - Åsa ERICSDOTTER

      Le charismatique Premier ministre Johan Svärd n’a qu’un seul objectif en tête : faire de la Suède le pays le plus sain d’Europe. Et le plus mince. Sa promesse de campagne repose sur une idée précise. Il veut éradiquer l’obésité, considérée comme une maladie et une menace pour l’économie.

      L’Épidémie est le roman glaçant du basculement vers le totalitarisme, annoncé par le nuage noir du populisme qui assombrit le ciel de notre humanité.


      Actes Sud - 23€

    • Le détour - Luce D'ERAMO

      Italie 1944. L’autrice, fille de dignitaires fascistes, rejoint volontairement un camp de travail Allemand. Elle a 19 ans. Elle cherche la preuve que ce qu’on raconte sur l’Allemagne nazie est faux, que le troisième Reich tient ses promesses. Sans surprise, ce qu’elle constate une fois sur place va évidement faire s'effondrer ses illusions. De cet éveil de sa conscience, Luce d’Eramo en fait une arme de survie, et devient résistante. Elle étonne par sa force et sa détermination mais dans les camps, le statut de Luce intrigue… Collabo ? Infiltrée ? Déportée à Dachau après avoir tenté une révolte, son parcours surprend et interpelle car sur le chemin qui la ramène à ses parents, elle se débarrasse de ces papiers d'identité et s'infiltre dans une colonne de prisonniers déportés.

      Le Détour est un récit fascinant, un témoignage puissant et immersif: la mécanique nazi est analysée d'un point de vue différent et courageux.

      La mémoire a ses détours que l'auteure va emprunter: un travail d'écriture sur 25 années, une introspection sur sa vie de femme, paralysée suite à un bombardement qui reprend ses études de philosophie, se marie, a un enfant... Un livre incontournable.


      Le Tripode - 25 €

    • Servir les riches – Alizée DELPIERRE

      Alizée Delpierre est une sociologue qui a enquêté pendant plusieurs années sur des sujets tels que la domesticité, les grandes fortunes, les travailleurs immigrés. Le propos de son livre n’est pas à charge mais cherche à établir un constat des rapports ambigus qui s’instaurent entre les employeurs « riches » (on entend par ce terme au minimum des millionnaires, voire milliardaires) et leurs employés. Une étude sur la façon dont traitent ceux qui emploient parfois une dizaine de subalternes pour effectuer les taches que le commun des mortels se contente de réaliser par lui-même (s’occuper des enfants, des tâches ménagères, de la cuisine). Alizée Delpierre a rencontré des membres des deux parties, confronté leur ressentis, chacune ayant des aprioris, éprouvant de la méfiance, parfois de la rancœur envers l’autre camp. Et pourtant s’installe aussi parfois une symbiose qui laisse à penser aux employés qu’ils font « partie de la famille » et des employeurs que ce sont « de bons patrons » (ces derniers reconnaissant la difficulté pour trouver « la perle rare » n’hésite pas à offrir des salaires « en or » - à relativiser aux vues des exigences et du temps effectif de travail - à leur personnel, les enfermant ainsi dans une sorte de prison dorée). Mais la frontière reste mouvante : après avoir reçu un sac Vuitton ou un parfum Chanel, il est tout à fait possible que le même salarié soit licencié quelques jours plus tard pour un fait anodin, une parole malheureuse, un comportement jugé choquant.


      L’essai s’appuie donc sur de nombreux témoignages, majoritairement de femmes (car ce sont « les patronnes » qui gèrent le plus souvent le personnel, ce dernier étant composé à plus de 80% de femmes) pour donner une visibilité à la relation « maître/domestique » en 2022. Cette dernière consiste bien souvent à exiger un rythme de travail effréné, des journées de 15h, une progressive emprise de l’employeur qui coupe l’employé de sa famille ou de ses proches. Mais les employés savent aussi jouer avec les codes des riches, activer des mécanismes pour si possible parvenir à se placer dans de meilleures conditions et obtenir ainsi des revenus inespérés pour des personnes issue de milieux sociaux à des années lumières de leurs employeurs. Il s’agit aussi pour certains simplement de pouvoir rester en France, du fait de leur situation administrative complexe, en profitant des réseaux de leurs auto-proclamés « bienfaiteurs ».


      « Servir les riches » permet de découvrir un monde encore bien caché derrière les murs des appartements du 16ème arrondissement de Paris ou des châteaux de province. Un univers de domination matérielle, souvent mentale, des processus également de résistance qui se mettent en place entre deux classes sociales diamétralement opposées. Une lecture qui permet de se rendre compte que la cohabitation peut exister pour le meilleur et parfois le pire et que les domestiques, tels qu’ils pouvaient exister dans les romans du 19ème siècle, sont toujours à pied d’œuvre chez les nantis historiques et nouveaux riches du 21ème siècle. 


      La Découverte-20 euros.

    • Génération zombie, Enquête sur le Scandale des Antidépresseurs - Ariane DENOYEL

      Plus d’un Français sur dix est sous antidépresseurs. La plupart du temps, ce sont des « ISRS », de la famille du Prozac, du Deroxat, du Zoloft... Des médicaments souvent peu efficaces, et surtout – cette enquête le démontre – qui peuvent être très dangereux : émotions anéanties, tendances suicidaires, pulsions de violence, voire de meurtre. Sans parler d’autres effets indésirables graves, comme l’impuissance et la perte de la libido. À toutes ces personnes, on dit pourtant : « C’est la dépression qui vous fait ça, pas l’antidépresseur. »

      C’est faux.

      Pour cette enquête, Ariane Denoyel a recueilli les témoignages des victimes de ce naufrage sanitaire, aggravé par la crise du Covid-19. Médecins et spécialistes du monde entier dénoncent enfin dans ce livre, preuves à l’appui, un scandale public.

      En dévoilant les coulisses de l’industrie pharmaceutique, l’organisation douteuse de nombreux essais cliniques et les choix partiaux des revues scientifiques, l’autrice brise le mur du silence. Et met au jour une catastrophe de santé publique.


      Fayard - 20 euros

    • Internet ou le retour à la bougie – Hervé Krief

      Faire un compte rendu de lecture d’un essai portant sur les méfaits d’internet sur notre condition d’être humain et justement le publier sur un site internet n’est-il pas faire preuve d’une certaine schizophrénie ? Ou n’est ce pas justement démontrer dans quelle orientation les technologies ont pris le contrôle sur nos existences qui fait qu’aujourd’hui, il est plus simple et naturel de donner à lire une chronique de livre pour qu’il soit accessible sur un écran ? Hervé Krief, musicien de formation, développe tout au long de cet essai ce grand écart qui nous est imposé entre nos aspirations humaines et la technique qui est devenue incontournable. Dans notre quotidien, internet et les GAFAM qui le dirige, ne sont que le prolongement des décisions industrielles de la fin du XIXème et du début du XXème siècle qui ont vu l’humain disparaître petit à petit au profit de la technique. Ce choix politique, développé par des industriels soucieux de rentabilité aux dépends de tout ce que pouvait amener l’humain à savoir le savoir-faire et sa sensibilité individuelle, semble devenu un principe sur lequel il est impossible de revenir et de remettre en question.

      Ce livre ayant été écrit en 2019, son propos résonne de manière encore plus criante après l’épisode covid en cours depuis un an et demi, et son cortège de télétravail, de téléconsultations, et d’application anti-covid. L’auteur nous donne ainsi une base de réflexion, notamment sur notre engouement pour les nouvelles technologies si nous avions à supporter tout ce qu’elles impliquent en termes de pollution et de traitement humains dégradants, si ces derniers avaient lieu sur notre territoire. Hervé Krief fait également appel aux grands auteurs qui ont déjà œuvré sur le sujet technologique il y a parfois plus de 40 ans (Charbonneau, Ellul, Semprun) pour étayer son propos et démontrer que la problématique s’est posée dès l’apparition du miracle informatique. Mais aussi qu’elle a été volontairement ignorée, privilégiant le profit et la rentabilité et laissant l’être humain constater des dégâts s’aggravant au fil du temps.

      On peut lire enfin cet essai comme une critique, un plaidoyer envers la logique gestionnaire qui a transformé notre monde en une série de chiffres et de données. Hervé Krief s’est ainsi délibérément opposé à faire référence à toute information statistique, comme une ultime résistance, même si on sent un certain fatalisme quant à l’issue de l’humanité dans un tel univers, surtout en cette période de décomptes mortifères liés à l’épidémie de Covid et de frénésie sondagière pré-électorale. 

      A noter qu’à la librairie Un monde à soi, vous pouvez toujours également trouver nos impressions de lecture sur un petit morceau de papier, tout simple, disposé sur la couverture des livres…


      Ecosociété – 8 euros.

    • J'ai vu naître le monstre, twitter va-t-il tuer la démocratie? - Samuel LAURENT

      Twitter est devenu une machine de guerre médiatique où les idées fusent, où les opinions se forgent. Mais quelles idées et quelles opinions?


      Le réseau Twitter qui n'est utilisé "que" par environ 4 millions de personnes, sert surtout de caisse de raisonnance à une certaine catégorie de personnes (isues des médias, du monde politique) qui se sert des tweets pour créer l'actualité et orienter de manière souvent subjective l'opinion. Une fois l'idée lancée, elle devient le sujet tendance et donc réputé consensuel, qui va toucher l'ensemble de la population. Le meilleur exemple donné par l'auteur et la notion de laïcité, qui revient comme un serpent de mer dans le traitement de l'actualité et qui pourtant ne génère pas un engouement "naturel" de la part des citoyens, ayant pour beaucoup, d'autres chats à fouetter.


      L'auteur Samuel Laurent, ancien responsable des Décodeurs au sein du quotidien Le Monde, nous présente également le côté obscure du réseau : les dégats provoqués lorsqu'une contre-opinion soulevée ne plait pas et que le système met en route ses ramifications pour punir (insultes et menaces de mort ) le récalcitrant à la "bonne pensée", c'est à dire celle qui ne peut et ne doit être remise en cause...


      Les Arènes - 19 euros.

    • Blue pour l'homme blanc - James BALDWIN

      James Baldwin est un écrivain afro américain mort en 1987 , auteur de romans , de nouvelles ,  de théâtre  de poésie et d'essais. 


      Il  évoque dans son livre les meurtres des noirs américains commis par les blancs, les arrestations sans motifs valables,  sans preuves concrètes. Cela l'a énormément affecté en tant que noir, mais aussi du fait de l'assasinat de personnes de son entourage proche.  Il évoque  la différence entre l'Amérique blanche et l'Amérique noire. Les blancs ne considéraient pas les noirs , la conviction raciste restait bien ancrée dans les esprits (notamment dans le sud du pays). De nombreux crimes ont été commis sans aucun remords. Il cite des noirs américains dont l'histoire a marqué les gens, comme par  exemple celle d'Emmett Till  qui agé de 14 ans ,  a subit une fausse accusation d'une femme blanche, Carolyn Bryant. Cette dernière  l'a accusé de lui avoir fait des avances et de l'avoir violé. Il a été battu à mort par deux hommes blancs qu'elle avait embauché et son corps à été rétrouvé totalement méconnaissable. 


      Dans les années 60, beaucoup de jeunes noirs américains ont manifesté contre la discrimination à leur égard. Au niveau de l'education scolaire , il y avait énormément d'injustice pour l'accès à l'éducation ce qui ne favorisait pas l'épanouissement des noirs. Ces derniers vivaient constamment dans la peur. Ils avaient énormément de pression sociale du fait de leur conditions de vies et de l'injustice généralisée ( logement dans les quartiers défavorisés , violences policières , lynchages arbitraires ,meurtres.)


      Essai boulversant qui présente l'injustice et l'horreur d'une époque qui n'est malheuresement pas terminée.


      Zones - 14 euros

    • Lettres de Burn-out – Jean Luc COUDRAY/ Dictionnaire amoureux de l’inutile – François et Valentin MOREL

      A priori, on pourrait penser à la vue de ces titres qu’il va s’agir de nouveaux recueils humoristiques comme il en existe beaucoup. Mais après lecture, on préfèrera évoquer plutôt la poésie, la méditation et l’introspection soupoudrées d’esprit plutôt qu’une franche gaudriole qui tache.


      Ainsi dans l’ouvrage de Jean Luc Coudray, il se cache très souvent derrière les objets des lettres un fond beaucoup plus sérieux, voire assez acide du sujet traité. On citera par exemple « Un con envisage de ne plus être con » ou « Un enfant évacue ses parents » pour étayer le fait que le texte n’est pas écrit uniquement pour chatouiller les zygomatiques mais va plus loin dans l’aspect existentiel (on aurait pu évoquer également « un arbre refuse de pousser » ou « Dieu laisse tomber le cosmos »).

      Il s’agit d’une lecture parfaitement complémentaire au dictionnaire élaboré par les Morel (père et fils) dans la collection « Dictionnaire amoureux… » chez Plon. Même si le ton humoristique est plus recherché, il est également possible d’envisager sa lecture comme un moyen de cogiter sur notre quotidien, sur nos certitudes et les petits riens de la vie. Ainsi, au fil des pages, on s’intéressera aux sujets aussi légers que l’accent circonflexe, le développement personnel ou la paréidolie (l’illusion d’optique consistant à reconnaitre des formes dans les nuages par exemple) et des thèmes plus délicats (l’hésitation, les numéros de téléphone des disparus) amèneront également de belles sources d’approfondissement.

      Plutôt qu’appréhender ces livres de manière classique, il est préférable d’aller picorer des mots ou lettres titillantes (« Un éditeur se débarrasse de la qualité » ou la définition de « Esprit d’escalier ») pour profiter pleinement des textes et éviter l’effet d’accumulation.

      Et comme souvent on pourra compter sur Victor Hugo, cité dans le dictionnaire amoureux, pour exprimer le ressenti à l’issue de ces lectures : « Il faut de l’inutile dans le bonheur. Le bonheur, ce n’est que le nécessaire ».


      Lettres de Burn-out – Jean Luc Coudray – Wombat – 16 euros

      Dictionnaire amoureux de l’inutile – François et Valentin Morel- Plon – 25 €

       

    • La collection disparue - Pauline BAER DE PERIGNON

      L'histoire commence avec une liste griffonnée à la hâte par un cousin de l'autrice : elle ne le connaît pas plus que ça et surtout pas plus que son grand-père, Jules Strauss, un collectionneur d'art à qui aurait appartenu cette liste de tableaux, des chefs-d’œuvre impressionnistes, Renoir, Monet, Degas. Ces œuvres sont exposées aujourd’hui dans les plus grands musées du monde. Ce livre est une enquête familiale sur les traces de cet aïeul dont l'histoire a été oubliée plus ou moins volontairement par la famille : pourquoi la transmission ne s'est pas faite, comment mener cette enquête ? On suit le cheminement de Pauline Baer de Perignon du Louvre au musée de Dresde, des archives de la Gestapo au ministère de la Culture : elle ne connaît pas l'histoire de sa famille, elle n'est pas historienne de l'art et tâtonne de découvertes en déceptions, sur les traces de sa famille, juive, spoliée. Une histoire riche en émotion, une démarche nécessaire mais complexe : que comprendre des silences familiaux, comment agir face aux législations ? La restitution participe-t-elle de la réparation ? Autant de questions que l'autrice se pose sans forcément apporter de réponses ; elle aura en tout cas levé le voile sur son histoire familiale. Un livre captivant. 


      Stock - 20 €

    • Confessions d'un chasseur d'opium - Nick TOSCHES

      Nick Tosches, disparu en 2019, n’est pas uniquement un auteur de romans policier de qualité (La religion des ratés, La main de Dante) ou biographe de talent (celles de Dean Martin ou Jerry Lee Lewis). Il sait également manier les mots pour nous présenter sa quête des paradis interdits avec la drogue la plus légendaire du milieu littéraire : l’opium.

      Mais attention, pas n’importe quelle sorte d’opium : l’opium d’exception, de prestige, qu’on ne consomme pas n’importe comment, celui qu’on pouvait apprécier lors de son heure de gloire au 19ème/début 20ème siècle. L’occasion pour l’auteur de vilipender le monde moderne, son aseptisation progressive qui le rend si consensuel et factice. Nick Tosches veut connaître l’extase ultime et pour cela recherche la noblesse du produit et le formalisme en adéquation.

      L’auteur est prêt à tout, même pour cela à plonger dans les endroits les plus sordides. C’est une virée entre Shangaï, Hong Kong, la Thaïlande qui nous est proposée dans ce court texte (environ 80 pages) édité chez ALLIA, maison d’édition spécialisée dans les textes oubliés ou peu connus.

      Il s’agit donc d’un périple aussi bien historique que géographique, très pointu, sur le poison opiacé au fil du temps avec une tonalité désabusée non dénuée d’humour froid et ironique. L’opium présenté comme un remède ultime à la vacuité du monde contemporain, le prix à payer étant le risque de tomber dans un enfer beaucoup plus redoutable. Nick Tosches a fait son choix : « Je suis contre les drogues, elles tuent. Et pourtant je suis né pour fumer de l'opium.»


      Editions Allia - 6.20€

    • Ces guerres qui nous attendent (2030-2060) – RED TEAM

      Voici un livre hybride, qui navigue entre l’essai et le récit de science-fiction. Le fait que le ministère français des armées et que l’université de Paris Science et Lettres aient participé au projet tend à faire pencher la balance du côté de l’essai ou tout du moins une analyse à prendre au sérieux avec des composantes qui peuvent faire penser aux concepts développés dans l’univers de la science-fiction. La Red Team, qui a été constituée pour l’occasion, regroupe des auteurs de romans noirs, de SF bien sûr, des chercheurs, des dessinateurs. Il leur a été demandé de présenter une réalité plausible avec un horizon d’une quarantaine d’années. Il suffit de se pencher sur les œuvres de SF du 20ème siècle (avec des auteurs comme Azimov par exemple et sa robotique) pour légitimer cette orientation tant « la vision » des auteurs est parfois troublante.


      Au programme des festivités qui pourraient nous attendre : la naissance d’une « nation pirate » liée aux effets néfastes du réchauffement climatique et la montée des eaux, des frontières redécoupées suite à la main mise de nations sur d’autres, la manipulation des images et donc de l’information utilisée de manière à influencer les décideurs ou maillons importants des chaînes de décision, et bien entendu le développement d’armes à fort potentiel létal, prenant petit à petit la place de l’arme nucléaire comme épouvantail et moyen de pression. La conquête spatiale n’est pas en reste avec pourquoi pas un rôle important à jouer par la France grâce à son emplacement stratégique de Kourou en Guyane.


      Une lecture qui interpelle et qui ne peut laisser insensible tant les sujets développés paraissent tout à fait plausibles. Le délabrement environnemental de la planète couplé à des choix stratégiques de milliardaires (le dirigeant de Facebook et son métavers ou celui de Tesla avec ses lubies spatiales) peuvent facilement amener l’humanité au chaos. Et faire des conflits du 21ème siècle ceux qui pourraient régler une fois pour toute la domination de l’espèce humaine sur la Terre.


      Equateurs – 18 euros.

    • Sur quoi repose le monde – Kathleen Dean MOORE

      Le « nature writing » est né aux Etats-Unis au 19ème siècle et a connu ses heures de gloire avec des auteurs tels que Henri David Thoreau, John Muir et plus proche de nous Jack London ou Edward Abbey. Il est plaisant de découvrir une autrice contemporaine qui vient dépoussiérer le genre. Spécialiste de l’éthique environnementale, philosophe et militante, Kathleen Dean Moore vient teinter ses récits de concepts menant à la réflexion, donnant l’occasion de se poser quelques questions existentielles telles que la prétendue domination autoproclamée de l’homme sur le vivant et surtout de constater l’empreinte mortifère qu’il est en train de laisser sur la planète.

      Quand les grands anciens ne faisaient que sublimer la majestuosité des sites et de la faune, à la rigueur parfois sa rudesse, aujourd’hui toute personne qui souhaite s’intéresser au sujet ne peut ignorer que la planète et l’être humain sont entrain de se mener un combat sans merci, et qu’en tout état de cause, et d’autant plus en situation de légitime défense, ce n’est pas le bipède qui l’emportera. L’autrice insiste donc sur l’aspect moral qui devrait nous mener à considérer la Terre comme un parent, une entité dotée de sa propre intelligence et sensibilité. Il serait nécessaire alors de développer et mettre en pratique « le CARE », terme qui était devenu à la mode il y a de cela quelques années par les adeptes du greenwashing politique et autres concepts marketing fumeux, et ainsi se montrer attentif et s’occuper de notre environnement sans lequel nous ne pourrons pas survivre.


      Bien entendu, l’ouvrage se compose de pages plus contemplatives, de belles descriptions, avec notamment les récits de nuits sur l’île de Pine Island en Alaska, l’émerveillement ressenti devant une pluie d’étoiles filantes, la redécouverte d’un cours d’eau et de sa biodiversité, débarrassé d’un barrage qui le défigurait. Également marquant, l’hommage au cycle de la vie avec ces tortues qui reviennent inexorablement pondre leurs œufs sur les plages de l’Oregon où elles sont nées…et qui sont gênées par l’activité humaine, son bétonnage et ses spots lumineux plus que néfastes à la survie des écosystèmes.


      Une lecture engagée, dotée d’un sens moral sans pour autant se montrer culpabilisante avec une autrice qui croit encore en l’être humain pour une prise de conscience salutaire. « Regarder le monde, c’est regarder les êtres aussi bien que les lieux (…) Nous n’avons pas seulement besoin du milieu naturel pour notre survie, nous dépendons affectivement de lui. Nous sommes tous liés à lui de mille manières insoupçonnées »


      Gallmeister – 22.80 euros

    • Gagner aux échecs (même quand on débute) - Kevin BORDI

      Dans le prolongement de l'engouement provoqué par la série Netflix, Le jeu de la Dame (tiré du roman éponyme écrit par WalterTevis dans la collection Totem de Gallmeïster), voici le livre parfait pour tout apprenti joueur qui rève de maitriser l'échiquier comme Beth Harmon!


      Au programme plus de 450 diagrammes commentés pour découvrir les astuces, les tactiques, les stratégies pour progresser et se familiariser avec l'univers infini des échecs.


      D'un accès ludique et moderne, loin des ouvrages rébarbatifs et austères, ce manuel s'avère parfait pour accompagner les premiers pas du joueur et idéal pour les débutants.


      Hoëbeke - 20 euros


    • Un parrain à la Maison Blanche – Fabrizio CALVI

      A présent que Trump doit (normalement…) quitter la scène politique mondiale, il est intéressant de se pencher sur ce livre de Fabrizio Calvi, journaliste d’investigation français, spécialisé dans les affaires de crime organisé et les services secrets. Autant dire qu’avec le personnage de Trump, il a trouvé un sujet fédérateur et surtout la lecture de ce livre nous laisse encore plus inquiet quant à la situation démocratique d’une nation qui a pu avoir un tel personnage à sa tête pendant quatre longues années.

      Issu d’une famille ayant fait fortune dans l’immobilier (Fred, son père, n’était pas non plus un modèle de vertu), ce récit débute sur les premiers pas de Trump, jeune trentenaire passionné par l’édification de tours, et si possible la plus grande du moment. Pour cela, tout est envisageable comme frayer avec les grandes familles mafieuses de New-York pour s’assurer que les chantiers ne connaîtront pas de difficulté de personnel, s’asseoir sur les normes environnementales (transporter l’amiante des déblais dans des camions ouverts et aller les déverser dans l’océan…), anticiper les ventes des appartements alors que rien n’est signé, faire appel à papa quand les finances ne suivent pas. Bref faire ce que Trump a reproduit pendant son mandat de président : communiquer à outrance, dire le plus souvent n’importe quoi, mépriser l’environnement et terminer ses argumentations en se présentant comme le meilleur. Après les tours viendra son engouement pour les casinos, notamment à Atlantic City, où il ne restera de son passage que des faillites et des projets mort-nés. Et puis encore après la télé-réalité puis la politique…

      L’étude de Calvi est surtout pertinente par la mise en lumière des « énergumènes » qui gravitent autour de Trump et notamment celui qui a été son éminence grise pendant de nombreuses années : Roy Cohn. C’est lui qui a assuré l’impunité de Donald qui n’avait ainsi pas de problème avec la mafia mais plus surprenant ni avec le FBI. De là à penser qu’un accord secret existerait entre l’ex-Potus et les G-men ? On comptera aussi parmi son entourage des personnages aussi peu recommandables que Sémion Mogilevich, peu connu du grand public mais l’un des plus dangereux malfrats russes ou le plus médiatique Jeffrey Epstein…que du beau monde.

      Le livre aborde enfin les relations ambiguës et surprenantes que Trump a pu avoir avec les banques et notamment la Deutch Bank (à un moment son endettement auprès de ce seul établissement s’élevait à plus de 300 millions de dollars (!!!)) mais aussi le nombre impressionnant de mafieux russes qui résid(ai)ent dans sa tour de New York. Ajouté à cela son étrange entêtement à vouloir à tout prix construire une de ses tours à Moscou… On peut imaginer que l’ours mal léché américain n’est finalement devenu, du fait de ses méfaits l’ayant rendu corvéable et redevable, qu’une marionnette entre les mains de ses kamarades russes. 

      Les chefs d’accusation, une fois la Maison Blanche quittée, devraient pleuvoir sur la perruque de Donald. Il devrait cette fois ne pas s’en sortir à moins que…


      Albin Michel - 20.90 €

    • Disparaître dans la nature -Evan RATLIFF

      Attention, livre atypique puisque la mise en page implique de le lire à l’endroit et à l’envers pour découvrir les deux récits ! Dans le premier, Evan Ratliff, reporter américain, nous expose l’expérience d’un salarié américain inquiété par la perspective de voir son entreprise découvrir qu’il a détourné quelques milliers de dollars (40 000…une broutille), qui a souhaité disparaître en simulant sa propre mort (laissant au passage femme et enfant sur le carreau).

      Dans le deuxième, l’auteur lui-même a mis au défi ses lecteurs de disparaître pendant un mois et de pouvoir passer à travers les mailles du filet de ses poursuivants (en bon challenge américain, une dotation de 5 000 dollars pimentait l’opération…). Au programme, fausses identités, transformations physiques, manipulation des réseaux sociaux et des adresses IP. A-t-il pour autant réussi à déjouer la traque de ses poursuivants eux aussi hyperconnectés ?

      Petit ouvrage d’une conception originale avec une couverture intrigante, dont le contenu interpelle sur la capacité de notre monde 2.0 à rendre très difficile la volonté d’un individu de tout plaquer. Il est fort à parier que de nombreux romans qui abordent le changement d’identité s’avéreraient difficile à écrire en 2020. Edmond Dantès serait-il devenu le comte de Monte Cristo s’il avait créé une story Instagram pour immortaliser son passage au Château D’if ?

      La magie informatique est passée par là... heureusement pour la littérature, elle n'est apparue qu’à la fin du 20ème siècle.


      Marchialy - 17€

    • Qui a fait le tour de quoi? L'affaire Magellan. Romain BERTRAND

      Dans "Civilizations" (Grasset), paru l'an dernier, Laurent Binet imagine une Europe colonisée par les Incas. Quelques mois plus tard, Romain Bertrand, historien spécialiste de l'Indonésie, remet à son tour en cause le mythe européen des grandes découvertes. Et il s'attaque à la figure de proue: Magellan. Servi par une documentation impressionnante, il s'emploie à démontrer que les espagnols et les portugais n'ont pas ouverts les grandes voies maritimes du commerce des épices; les nefs ibériques tenaient de la barquette face aux jonques javanaises ou aux boutres des maîtres arabes de la navigation. Ces mers qu'on présente comme ayant été bravées par les seuls européens, ont été sillonnées par ces peuples bien avant. 

      Magellan n'a pas fait le tour du monde: il est mort, plus de 3000 km avant, sur une île, pour des raisons bien plus prosaïques que celles qu'on nous a contées. D'ailleurs, il apparaît, au cours de cette enquête, qu'il n'avait certainement pas l'intention de faire le tour du monde mais bien de contourner le traité passé entre les rois d'Espagne et Portugal sur le partage des terres découvertes. Alors qui fut le premier? L'esclave malais de Magellan, les quelques marins survivants de cette expédition (dont un français)? Et d'abord, ils ont fait un tour du globe mais le tour du monde sûrement pas: ces "découvreurs" cherchaient les honneurs et la richesse, mais en aucune façon aller à la rencontre d'autres civilisations en respectant leurs cultures et leurs savoirs. Pour cela, il leur aurait fallu descendre de leur "hauteur" de "civilisés" et s'abaisser au niveau des "sauvages". Un ouvrage passionnant qui déplace le point de vue et qui nous rappelle, s'il en était besoin, que la littérature n'est pas l'apanage des Occidentaux: l'Asie aussi sait tenir la plume et elle n'a pas attendu notre "éclairage" pour se développer dans tous les domaines.


      Editions Verdier - 14.50€

    • La terre des femmes: un regard intime et familier sur le monde rural. Marie SANCHEZ

      Maria Sanchez, vétérinaire de campagne du côté de Cordoue, écrivaine et poètesse, nous livre ici un témoignage fort à la mémoire d'une campagne paysanne où le rôle prépondérant des femmes est resté et reste encore si peu reconnu. C'est une réflexion pleine de finesse, une enquête généalogique racontant l'histoire des femmes de sa famille renonçant à l'éducation et à l'indépendance pour travailler la terre, nourrir les animaux et prendre soin des leurs. C'est un manifeste féministe et un hymne à la nature : elle nous parle de la relation indéfectible entre l'homme, l'animal et la nature. Une invitation à renouer un lien authentique avec la terre, un appel à la sauvegarde d'un monde rural menacé. Texte singulier dans lequel l'auteure sonde également les racines de son travail d'écriture. A lire, à relire et à ne jamais oublier. Et ne zappez pas, à la fin de l'ouvrage, la note à propos de la couverture.


      Rivages - 18€

    • Mélancolie du pot de yaourt: méditation sur les emballages. Philippe GARNIER

      "Que sont ces étranges objets qui flottent dans nos mémoires et dérivent à la surface des océans?"

      Les emballages ont envahi notre vie quotidienne: ils sont là pour nous séduire, provoquer l'envie d'acheter le produit qu'ils contiennent mais passé ce court instant de séduction (qui tient presque de l'hypnose), ils deviennent indésirables, il faut les jeter et pour eux commence une seconde vie qui s'apparente à l'éternité. Le packaging ou l'art des promesses de l'emballage nous amène aujourd'hui à une réflexion ambiguë autour de la non-toxicité: malheureusement l'emballage purement écologique n'existe pas. Avec un brin d'humour, cf. le chapitre: tentative d'autohypnose devant un paquet de chips bio "à l'ancienne", l'auteur nous invite à prendre conscience de la façon dont ces objets ont modelé nos sensibilités et envahi nos espaces mentaux.


      Premier Parallèle - 15€

    • Libres d'obéir: le management, du nazisme à aujourd'hui. Johan CHAPOUTOT

      Le management d’entreprise est loin d’être un concept récent. On peut légitimement considérer qu’à partir du moment où l’être humain a été placé sous l’autorité d’un autre pour exécuter une tâche, il a été nécessaire de créer et d'adopter un cadre commun. Par conséquent, des méthodes ont dû être pensées pour optimiser les comportements et ainsi atteindre l’objectif recherché de manière optimale.

      Cet essai de Johann Chapoutot oriente la réflexion sur la façon d’exercer cette gestion de la « ressource humaine » en faisant un parallèle qui pourra choquer : il existe des similitudes entre les méthodes nazies (chaîne de commandement, auto régulation de la structure face à un cadre étatique, culte de la réussite à tout prix) et des techniques appliquées dans la gestion des entreprises modernes.

      En s’intéressant plus particulièrement à l’approche de l’ancien officier SS-Oberführer et membre du parti nazi puis formateur (!!!) en management du personnel, Reinhard Höhn, ce livre nous décrit des passerelles, des cheminements intellectuels parfois troublants. 

      Bien entendu l’auteur se garde bien de procéder à des raccourcis dangereux et fait la part des choses entre une idéologie politique antisémite et meurtrière et le fonctionnement d’une structure économique qui ne suit pas la même logique destructrice. 

      Cependant, comme le montre la médiatisation de certains faits récents et reconnus par la justice, des pratiques managériales modernes peuvent aussi entraîner des dérives humaines et l’équilibre parait parfois bien précaire.

      Cet essai apporte ainsi un œil critique et objectif, qui permet de mesurer l’impact mental du management sur l’ensemble des individus (« managers » et « managés ») qui accompagnent l’entreprise dans sa recherche de performance calibrée.

      Du même auteur: parution en juin de "La loi du sang: penser et agir en nazi" dans la collection Tel Gallimard


      France Inter émission  La grande H.   https://www.youtube.com/watch?v=CjmH2fCVUyM


      Editions Gallimard - 16€

    • Les couleurs de l'ombre - Khaled MILOUDI

      Lauréat du prix Blaise Cendrars 2016, Khaled Miloudi nous livre avec talent le récit de sa vie.


      Khaled va subir une jeunesse à la dure : coups, séquestrations et en parallèle une éducation aux armes de la part de son père, ancien militaire. Terrible enfance ou se forgera son destin. Paradoxalement c'est son courage et son honneur qui lui feront faire son premier séjour en prison. S'ensuivirent des braquages et au final plus de 25 ans passés derrière les barreaux.


      La découverte de l'écriture et de la poesie le sauvera du suicide, les mots seront son évasion.


      Equateurs - 18 euros

    • Marilyn, les amours de sa vie - Michel SCHNEIDER

      La collection "les amours de sa vie" des éditions NAMI fait le lien entre une personnalité hors du commun et un écrivain: pour cet opus, Marilyn Monroe se raconte sous la plume de Michel Schneider, psychanalyste et auteur de "Marilyn, dernières séances" (2006, prix Interallié). Il revient dans cet abécédaire personnel, sur le portrait de la star, de la femme brisée, de la petite fille naïve, sur ses vérités, celles camouflées sous les paillettes, celles qui apparaissent quand les lumières sont éteintes. Elle les exprima dans ses séances de psychanalyse, dans des interviews, dans des correspondances. Parmi les entrées de ce dictionnaire, au milieu des hommes qui ont marqué sa vie, on trouve des mots comme bonheur, livres, mère ou Zelda Zonk relevant d'une question qui l'a hantée toute sa vie: qui était Marilyn? Accompagnés de photos, les textes mettent en lumière une personnalité solaire, impressionnant ses interlocuteurs par sa gentillesse, attirant malheureusement des personnages mal intentionnés, détruisant peu à peu sa confiance en elle. Et les ombres qui planaient sur elle depuis l'enfance ont fini par l'emporter. 

      Un livre-hommage, une déclaration d'amour à celle qui en a tant manqué et une leçon qu'elle nous transmet: non seulement on meurt de na pas être aimé, mais on n'est pas vivant si l'on n'aime pas.


      Nami - 24.90 euros

    • Lucky Luciano, testament – Entretiens avec Martin A.GOSCH et Richard HAMMER

      Al Capone est très certainement le nom qui vient le premier en tête quand on évoque la mafia américaine de la première moitié du 20ème siècle, bien aidé en cela par les films ou livres qu’il a inspiré et qui sont entrés dans l’inconscient collectif (Scarface). Pourtant, le vrai Boss, celui qui a créé l’Organisation, qui a inspiré Le Parrain plus que Capone (qui n’était finalement qu’un simple mafieux de Chicago), était né à la fin du 19ème siècle en Sicile sous le patronyme de Salvatore Lucania. Comme beaucoup d’Italiens partant s’installer aux Etats-Unis pour fuir la misère après la première guerre mondiale, il changea de nom et devint au fil du temps Charly Luciano. Puis, une fois sa légende établie, Charly « Lucky » Luciano, surnom lié à sa faculté à rester vivant lorsque les balles fusaient et que les règlements de compte n’étaient pas des plus tendres. Ce fin stratège sut d’une part profiter du formidable tremplin de la prohibition pour assoir son activité et par la suite de ses capacités à fédérer et avancer ses pions pour prendre le pouvoir d’une activité plus « licite », celle des jeux d’argent (Las Vegas et les casinos de Cuba). Il sut aussi arroser comme il se doit les politiques avec l’intention de les rendre redevables et pourquoi pas tirer le gros lot en s’attirant les faveurs d’un futur président ?


      Comme souvent lorsqu’on lit l’histoire d’un mafieux, tirée de confidences narrées par le principal protagoniste, on se surprend à ressentir une certaine empathie envers un homme qui se présente comme un « self-made man », ayant été présent au bon endroit au bon moment et qui se reconnait quelques modestes qualités de leader. On est surtout frappé par la capacité à minorer les éliminations et meurtres perpétrés, laissant à penser que ce mode expéditif était vraiment utilisé en ultime solution et décidé de manière concertée. Le cahier central de photo de l’ouvrage laisse tout de même transparaître que de nombreux « cas » ont été solutionnés de manière plutôt abrupte, ne serait-ce que les deux chefs mafieux, Joe Masseria et Salvatore Maranzano, qui se trouvaient sur la route de Luciano (et qu’il sut trahir tour à tour…).


      Le livre « Lucky Luciano, testament » présente de manière chronologique le parcours du patron de la pègre tel qu’il veut le présenter, mais ne laisse pas pour autant de côté les aspects moins reluisants de son existence. On est ainsi frappé par sa solitude, sa pression quotidienne pour échapper à la police, à la justice, savoir arroser tel politique pour toujours avoir un coup d’avance sans être assuré de parvenir à ses fins. Ainsi, Luciano aura finalement passé plus de temps expatrié en Italie, à des milliers de kilomètres de son royaume de New York dont il fut le Roi (et où il a côtoyé la fine fleur de la société, composée de politiques et de chefs d’entreprise de premier plan…) et se verra petit à petit isolé, dépassé par ses anciens compagnons d’une part et par les nouveaux entrants, le marché du vice s’axant principalement à partir des années 60 sur la drogue qui n’était pas dans la culture des « mafieux à l’ancienne ». 

      Alors que Capone mourait à 48 ans des suites de la syphilise, Luciano a été terrassé en 1962 à l’âge de 64 ans par une crise cardiaque. Un an plus tard, le président des Etats-Unis allait être abattu à Dallas. Certaines thèses laissent à penser que l’Organisation aurait pu être impliquée. Celui qui faisait parler de lui à l’époque était Sam Giancana, lui aussi né en Sicile et qui « connaissait » bien le clan Kennedy. Il mourut quant à lui assassiné en 1975…  


      La manufacture de livres – 22.90 euros

    • Remèdes à la mélancolie – Eva BESTER

      « La mélancolie, c’est le bonheur d’être triste » disait Victor Hugo. Eva Bester a fait de cette maxime une réalité chaque dimanche matin entre 2014 et 2021 dans son émission « Remède à la mélancolie » sur France Inter. Au programme, une heure de discussion à bâtons rompus sur le spleen, sa gestion mais surtout de discussions autour de l’Art.

      La présentatrice échangeait alors avec son invité sur le livre, le film, le morceau musical, la peinture qui lui permettaient de surmonter « le bourdon » et devenir même une source de joie. Ce recueil ressorti cette année après sa première parution en 2016, donne l’occasion de se pencher entre autres sur les écrits de Cioran (grand spécialiste du mal-être et d’aphorismes pro-suicide…qui mourra de vieillesse), des titres de Frederic Dard ou les chroniques d’Alexandre Vialatte parues dans le quotidien La Montagne. Le cinéma et la musique ne sont pas en reste, abordant aussi bien le film « The Big Lebowski » des Frères Cohen que l’œuvre de Schubert et « La jeune fille et la mort » dont le titre est déjà tout un programme.

      On croisera tout au long des pages des extraits des échanges radiophoniques, où se succéderont des écrivains tels que Daniel Pennac, Frederic Beigbeder, Boris Cyrulnik ou Joann Sfar. Les autres domaines artistiques ne seront pas oubliés avec par exemple Bertrand Blier, Vladimir Cosma ou Philippe Starck. 

      Le sous-titre de cet ouvrage est « La consolation par les arts ». Il s’agit bien comme le dit Eva Bester dans son introduction de profiter et de tirer parti « des mouvements de l’âme, de l’esprit et du corps (…) agréables et sans effets néfastes. Ce sont les mouvements vers l’art et tout ce qui fait sortir de soi : l’action, le beau, la création, autrui ».

      Un livre qui donne des idées de lecture, de film, de musique, et donc de nombreux moyens de consolation. Et puis garder en tête que comme le disait Alfred Capus « tout fini par s’arranger…même mal ».


      Autrement – 18 euros

    • Le diable sur la montagne – Thierry LENTZ

      L’Obersalzberg est un charmant quartier de Berchtesgaden situé en Haute Bavière, à la frontière qui sépare l’Allemagne de l’Autriche. Doté d’un panorama exceptionnel, cet emplacement situé à plus de 1700 mètres d’altitude a toujours été prisé pour sa beauté et le sentiment de paix qui s’en exhale, un petit jardin d’Eden pour les artistes ou simples vacanciers qui venaient s’y ressourcer dès la fin du 19ème siècle. Au tournant des années 1920, ce sont d’autres pensionnaires qui ont petit à petit pris possession du lieu :  Adolf Hitler et ses « faisans dorés » (dignitaires nazis). Au départ, quelques chalets vont être rachetés, puis des réquisitions plus ou moins forcées conduiront à l’édifice d’un parc immobilier dont le point d’orgue sera l’aménagement du Berghof, la résidence secondaire du führer, là où il vécut le plus longtemps pendant la seconde guerre mondiale. C’est ici qu’il aimait, comme le présentait la propagande, se ressourcer tout en œuvrant pour l’accomplissement de son projet de Reich millénaire. Dans les faits, il y mena surtout une vie de riche oisif. Le « travail » était délégué le plus souvent à ses dévoués subordonnés, prêts à tout pour contenter le chef. Hitler avait pris l’habitude de ne pas se lever avant 11h et se coucher à 4h après une journée de promenade, de repas lourds (bien que végétariens…) et de discussions interminables tournant aux soliloques soporifiques et dénués du moindre intérêt, même aux dires des plus endoctrinés. 

      Outre l’aspect architectural et historique du lieu richement documenté, Thierry Lentz aborde également l’entourage du führer, le centre névralgique de l’organigramme nazi. On y retrouve notamment Martin Bormann, un individu peut être moins connu que les Himmler, Goebbels et autres Goring, mais qu’on peut considérer comme l’éminence grise qui sut transformer un modeste lieu de villégiature en une riche forteresse nazie, tout en plaçant ses pions au service de ses ambitions personnelles. Le Berghof devint alors le lieu où il fallait être vu, qui comptait, avec Eva Braun comme maîtresse de cérémonie. Elle aimait immortaliser les moments supposés idylliques passés sur la terrasse, dans les faits un rassemblement de psychopathes qui se détestaient les uns les autres mais prêts à tout pour profiter des largesses du régime mortifère.

      Un essai passionnant qui dévoile le monde parallèle dans lequel vivaient ces hommes et femmes composant la suite d’Hitler, occupés à s’aménager et profiter d’un petit coin de paradis (les œuvres d’arts et les bouteilles de grands crus étaient au rendez-vous, solidement protégés dans des bunkers) alors que le monde était à feu et à sang, l’Humanité traversant sans aucun doute l’un des moments les plus tragiques de son histoire.

      Depuis, une grande majorité du complexe a été détruit, par des bombardements tout d’abord puis par les autorités pour éviter que le site devienne un lieu de pèlerinage pour les nostalgiques du IIIème Reich. Le tourisme reprend ses droits et il n’est pas rare de croiser tout de même quelques individus à la recherche de reliques. Comme le mentionne l’auteur, « sauf à barrer les routes ou à exiger on ne sait quel brevet pour les gravir (…), on ne peut et on ne pourra jamais punir une montagne ».  

      Mais on doit se souvenir que le Mal absolu peut s’inviter même dans les plus beaux écrins.

      Tempus – 9 euros

    • Roy Cohn, L’avocat du diable – Philippe CORBE

      Pour continuer dans la littérature abordant le sulfureux futur-ex-président des Etats-Unis, cette biographie va nous plonger dans les sombres pratiques de l’un de ses mentors : le terrifiant Roy Cohn.

      Cet avocat Newyorkais a servi de modèle au jeune Donald pour calibrer son rapport au monde des affaires et plus généralement aux autres. Pour cela, une ligne directrice : « tout s’achète, tout se vend, les juges, les politiques, les syndicats, tous ! ». Et une manière de fonctionner que son jeune protégé a tout à fait intégrée : « nie, floue, nie, mens, nie, tu t’en fous de la loi, il suffit de savoir qui est le juge, sans vergogne, sans pitié, sans honte ».

      L’homme s’est fait connaître jeune pour avoir accompagné la croisade de Mc Carthy contre le communisme dans les années 60, avec pour premier fait d’arme une participation active (et honteuse) à la condamnation à mort d’Ethel Rosenberg pour espionnage. Il a, par la suite, frayé avec le magnat australien des médias Rupert Murdoch (futur créateur de Fox News (…)) pour faciliter son implantation en Amérique, et également avec Ronald Reagan pour l’accompagner sur son chemin vers la Maison Blanche. Roy Cohn, bien que décédé en 1986, avait déjà dans un coin de la tête d’installer Trump dans le bureau ovale. Non par amitié mais toujours pour garantir sa vie de débauche et maintenir son sentiment d’impunité.

      Ce livre est très complémentaire à celui de Fabrizio Calvi « Un parrain à la Maison Blanche » car il permet de mieux comprendre les méthodes appliquées par Trump. Ce dernier a toujours cherché par la suite à retrouver un personnage aussi machiavélique pour couvrir ses arrières, mais aucun n’a remplacé le diabolique Roy Cohn. 

      A la lecture de cet ouvrage, on ne peut qu’imaginer avec effroi la capacité de destruction extraordinaire qu’aurait pu avoir ce maléfique duo.


      Grasset – 22 €

    • La vraie vie est ici. Voyager encore? Rodolphe CHRISTIN

      Après un "Manuel de l'antitourisme" et "L'usure du monde", l'auteur revient sur  les ravages du tourisme et les effets délétères de son industrie. Hasard ou prémonition, le livre est paru début mars au moment où la planète entière se confinait et limitait sévérement ses déplacements. 

      "Le but visé par l’industrie touristique consiste à transformer une expérience existentielle forte en produits banalisés – et marchands – accessibles au plus grand nombre. Cela suppose des conditions spécifiques, des territoires aménagés pour faciliter les transports et atténuer la charge physique comme psychologique de l’expérience. Et aussi de modéliser la réalité pour la rendre attractive, divertissante, accueillante pour des quantités importantes de visiteurs. Ce processus a rendu possible l’invention du tourisme de masse, qui est le résultat de toutes les formes de tourisme existantes. Cette emprise du tourisme est d’autant plus consensuelle que ce secteur représente une source de profits pour les régions concernées. L’immense majorité des territoires souhaitent devenir attractifs d’un point de vue touristique et se transforment pour y parvenir. Ainsi les lieux ne sont plus le résultat d’une Histoire, ils résultent d’une ingénierie qui les met en scène et les organise."

      A l'heure où on fait même la queue après avoir payé une fortune pour gravir l’Everest, il est temps d'avoir une réflexion approfondie sur notre désir d'évasion: qu’y a-t-il derrière la consolation touristique, sinon le constat plus ou moins conscient d’un mal être Ici ? Un appel à remettre en cause notre hyper-mobilité actuelle. 


      Ecosociété - 12€

    • Toute la vie devant nous. Anna HOPE

      Pour ceux qui n'auraient pas encore découvert la collection Tracts chez Gallimard (qui met en ligne gratuitement des textes de réflexion par des auteurs très divers, sur la situation que nous traversons actuellement), allez vite lire le très beau et très sensible texte d'Anna Hope.

      A télécharger sur simple inscription à l'adresse ci-dessous:

      https://tracts.gallimard.fr/fr/products


      Gallimard - Collection Tracts  0€


      Nouveau roman d'Anna Hope: "Nos espérances" paru en mars

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