Jacques, le narrateur, est persuadé d’une chose : il va être abattu. Il ne sait pas par qui, quand ni où mais il le sait. Il se sent observé, épié, et à chaque minute, il s’attend à ce que sa vie s’arrête aussi catégoriquement que la trajectoire d’une balle qui viendrait le faucher. D’où pourrait venir le tir ? d’en face de chez lui par exemple, sur un promontoire pour la chasse qui se trouve dans l’axe de la fenêtre de son bureau ? Jacques est donc dans l’attente permanente d’une chose qui lui semble inéluctable et c’est donc son quotidien, et un retour sur son passé qu’il nous expose au fil des 107 pages de ce court roman. Mais au fil de ces pages, nous sommes obligés de nous y résoudre : Jacques est peut-être entrain de nous raconter une histoire, son histoire, qui ne serait qu’un leurre…alors, va-t-on assister à la mort de Jacques en plus ou moins direct ou cette belle journée pour mourir va-t-elle s’avérer plus compliquée ?
Un roman « classique » de la maison d’édition indépendante « Le Dilettante » qui sait toujours trouver des textes dont l’originalité est la marque de fabrique. Une histoire plaisante, distrayante, bien menée avec cette épée de Damoclès qui pèse sur la tête de Jacques et dont la construction et la conclusion maligne en font un titre rafraichissant et malicieux.
Le Dilettante – 14 euros
Parution le 07 mai 2025
Polar historique et roman d'espionnage, Aslak Nore nous offre une histoire maîtrisée de bout en bout et explore les relations, pendant la Seconde Guerre mondiale, entre l'Allemagne nazie et la Norvège. Le norvégien Henry Storm, engagé dans la Waffen-SS sur le front de l'Est en Ukraine, en 1941, regrette son adhésion à un idéal qui lui a fait confronter les pires atrocités. Il rentre blessé à Oslo et tente de rejoindre la résistance pour laquelle la femme qu'il aime s'est engagée après son départ. A partir de là, la valse des espions, la manipulation, les mensonges, les faux semblants, mais également les carrières, les petits profits, tout se mêle à l'histoire en marche et révèle le courage des uns, l'égoïsme des autres. L'enjeu est la tentative de déjouer ou, à tout le moins, de ralentir la conception et l'utilisation d'une nouvelle arme que les allemands développent en secret sur la côte norvégienne: les fusées V2.
La galerie de personnages est fascinante, l'auteur joue avec nos nerfs et, dans un contexte géopolitique bousculé, nous entraîne dans la complexité des renseignements : espionnage, contre-espionnage, manipulations, agents doubles, alliances variables. On ne peut se fier à personne.
Roman immersif, inspiré de faits réels, Aslak Nore nous fait explorer les coulisses bien sales du régime nazi et les failles d'un système trop sûr de lui.
"Dans une guerre, rien n'est aussi efficace que la désinformation et le mensonge".
A lire également, sur l'histoire de la Norvège:
Le prix de la victoire de Carl Marlantes (après la guerre)
Les guerriers de l'hiver d'Olivier Norek (en 1939, guerre contre la Russie)
Le bruit du monde - 25 euros
La vie dont un enfant ne peut que rêver : une cabane retirée, une mère aimante qui partage son temps entre la confection de sirop et la traduction de poèmes chinois anciens, un chien dévoué et l’école un seul jour par semaine pour conserver un semblant de sociabilité. Telle a été la petite enfance de Frith, la narratrice de ce roman, qui se remémore une fois adulte tout ce qui l’a construit et ce qui a fait ce qu’elle est aujourd’hui. Elle vient tout juste d’apprendre qu’elle est enceinte et décide d’ouvrir un coffre légué par sa mère . A l’intérieur, les fameuses traductions des poèmes chinois, classés dans un ordre qui va lui faire revivre les évènements du passé, toutes les émotions et sensations qui vont remonter à la surface du temps. Au fil des pages, Frith va se remémorer sa rencontre avec Rosie, une femme qui a tenu une grande place dans leur vie, des moments simples comme les ventes de sirops d’érable « à la ville » ou des séances de nage dans une réserve d’eau préservée. Le fil de la narration fera aussi remonter des moments plus difficiles, ceux que même le temps ne peut totalement oblitérer.
La pommeraie est un roman plein de sensibilité, sur le rapport mère-fille, sur la mémoire des moments qui marquent et que les poèmes viennent sublimer. Un très beau texte sous forme de récit intimiste, parfois mélancolique, jamais larmoyant, mais plutôt lumineux et positif. Malgré les épreuves, celles finalement de toute vie, il ressort du dernier roman de Peter Haller l’impression d’aller se réfugier dans un petit coin de paradis, hors du temps. Apaisant.
Actes Sud – 22.50 euros
Le tout – Dave EGGERS
« Le tout » c’est le nom d’une super multinationale ; un peu comme si Google, Apple, Amazon et autres avaient opéré une fusion géante pour devenir une mégastructure qui pourrait se mêler, de A jusqu’à Z de la vie de ses clients et donc à celle de la quasi-totalité de l’humanité. Car mis à part quelques « Trogs » qui refusent le monde connecté et tout ce qui en découle, « Le tout » a les coudées franches pour étendre et développer son hégémonie.
Delaney Wells a grandi dans ce monde du « tout » et à présent adulte, ne souhaite qu’une chose : mettre à mal « Le tout » et quoi de mieux que de se faire recruter, de se mettre au service du « tout », d’y développer des concepts qui ne peuvent que lui nuire ? Mais dans les caractéristiques du « tout », il faut compter sur sa résilience, sur sa capacité à contourner les pièges et encore pire, comme tout bon judoka, de se servir de la force de son adversaire pour le combattre…
Roman d’anticipation bien que le terreau du « tout » soit déjà sous nos yeux et peut être déjà à l’œuvre : notations à tout va, algorithmes, assistance à outrance, volonté de correspondre à une norme, suppression (volontaire) du choix au profit du supposé « plus efficace » et donc « plus profitable », enfouir la réalité par le biais de photos parfaites et publications flattant l’ego. Mais aussi les réseaux sociaux comme juge de paix ou tribunaux officieux d’un monde rempli de justiciers et moralisateurs autoproclamés. De ce fait, « Le tout » fait partie des alternatives à un avenir radieux dans lequel l’humanité trouvera son salut. Aux dépends de quelques libertés mais est-t-il possible de faire autrement ? « Le tout » ne le pense pas…donc…
Dave Eggers poursuit donc le chemin tracé dans son précédent roman « Le cercle » dans lequel une entreprise déjà omniprésente endoctrinait ses salariés dans la perspective d’un monde idéal. Ici, la démonstration est poussée encore plus loin, visant finalement à la création d’un monde totalitaire sous couvert de bonheur et de vaincre ce qui pourrait faire du mal à l’individu. Et donc un peu plus de contrôle, de sécurité et si possible limiter les choix afin de favoriser l’uniformité. « Le tout » simple roman d’anticipation ou premier constat, et avertissement, sur la soumission de l’humanité à une entreprise ne souhaitant que son bonheur ? Pour de vrai ?
Gallimard – 26 euros.
Fans de Stephen King ou de Lovecraft, le nouveau livre de JB Del Amo est pour vous. Rendant hommage au roman horrifique, l'auteur nous plonge dans les années 90, au coeur d'une paisible bourgade, Saint-Auch, parmi les rêves et les désillusions d'une classe sociale confrontée à la dureté d'une vie plus subie que choisie, dans un quotidien déprimant de pavillons mal isolés, dont les façades se dégradent autant que les vies de leurs habitants.
Ça se passe dans la banlieue de Toulouse et pas dans le Maine mais pour la bande d'ados du quartier, la maison abandonnée au fond d'une impasse telle une bête tapie dans l'ombre attendant sa proie, l'attraction est trop forte. Cette maison envahie peu à peu leurs songes et leurs pensées et quand un de leur camarade se suicide de façon mystérieuse peu de temps semble-t-il après en avoir franchi le seuil, le mystère devient irrésitible.
Personne n'a l'air de savoir ce qui a pu s'y passer ni qui étaient les derniers propriétaires. Dans ce lotissement ordinaire, les gens ordinaires s'occupent de leurs affaires, pas de celles des voisins. Et derrière les murs des villas les drames ordinaires surviennent sans bouleverser le quotidien mais rendant l'atmosphère pesante : accident, maladie, suicide, si les adultes poursuivent leurs vies, les ados ressentent ces dangers avec l'incrédulité de la jeunesse face à la mort.
Evidemment, on ne vous dira pas ce qui arrive à qui entre dans cette maison, mais ces ados vont se trouver confrontés à un terrible dilemme : quels mensonges, quels reniements vont-ils devoir accepter pour protéger leur secret?
Gallimard- 23 euros
Parution 13 mars 2025
Voici le troisième tome de la série familiale de Pierre Lemaitre qui va nous faire de nouveau voyager. Après Saigon dans « Le grand Monde » nous allons visiter, dans une bonne partie du roman, la ville de Prague, en pleine période de guerre Froide, ce qui laisse augurer quelques sueurs du même type. Pas de surprise, la famille Pelletier va donc connaître de nouvelles aventures mouvementées qui vont nous pousser à tourner les pages encore et encore.
Et tout le monde est là. Que ce soit du côté des patriarches de la famille, Louis et Angèle qui rentrés en métropole endossent le rôle de grands-parents que l’âge commence à titiller. Bien entendu, l’inénarrable Geneviève leur belle fille est toujours de la partie avec Bouboule qui va peut-être voir sa carrière décoller (enfin). C’est François surtout qui va devenir le personnage central de ce nouveau titre, qui flirt avec le roman d’espionnage, la période (fin des années 50) étant propice à la lutte des idées entre le bloc communiste à l’ouverture au monde plus que limité et l’occident qui commence tout juste à se vautrer dans la consommation débridée de la période des trente glorieuses.
Un avenir radieux est très certainement le tome de la série le plus orienté sur l’action, tout en continuant à développer une approche psychologique forte. Le personnage de Colette par exemple, fille souffre-douleur de Jean et surtout de Geneviève, apporte une approche et des réflexions très actuelles sur la condition féminine et son émancipation qui n’en est qu’à son balbutiement.
Un roman attendu, dans lequel il est agréable de plonger, pour y retrouver comme des vieux amis qu’on aurait perdu de vue, et qui nous reviennent comme si on ne les avait jamais quittés, tant le talent de Pierre Lemaitre à créer des personnages attachants, malgré les côtés plus que repoussant de certains, est grand.
Calman Levy – 23.90 euros
Parution le 21 janvier 2025
A bord du Spirit of Ulysse, navire de croisière en Méditerranée, une famille est réunie pour une semaine à un prix défiant toute concurrence: en effet, Joséphine, en qualité de chanteuse préposée aux animations, est à l'origine de ces "vacances". Ses parents et son plus jeune frère ont l'habitude de passer ensemble la journée du 8 juillet, date anniversaire de la mort de Baptiste, le fils aîné, qui a fait une chute mortelle lors d'une session d'escalade, vingt six anx plus tôt en 1998. Cette année, la réunion se fera dans cet antre de la consommation effrénée, ce poids lourd des mers brûlant des hectolitres de gasoil, piscines, salles de spectacle, bars où l'alcool coule à flot (prix non inclus) le tout couvert d'un joli discours de greenwashing... Joséphine en est bien consciente mais il faut bien manger. A la quarantaine, avec son statut d'intermittante, un contrat ne se refuse pas.
Sur le même bateau, Cédric, vieux beau dragueur et accessoirement élu en région, accompagne sa maîtresse de longue date, Laure, qui le tarabuste depuis des années pour qu'il quitte sa femme. Après quatre jours de navigation, Laure se suicide en sautant du bateau, sans explication.
Si Laure n'avait pas tenté de dire quelque chose à Joséphine juste avant son geste fatal, cette dernière n'aurait probablement pas été bouleversée outre mesure par l'évènement. Mais voilà: Joséphine est une rebelle, une provocatrice au verbe cru et corrosif et comme Cédric a eu la mauvaise idée de venir, après son tour de chant, la chauffer sous les yeux de Laure, elle ne peut s'empêcher de s'intéresser à cette femme qui l'a touchée. En remontant le fil de ses souvenirs, elle nous touche en plein coeur cette petite soeur orpheline de son grand frère adulé: son parcours chaotique et autodestructeur vient en contrepoint de la vision pleine d'empathie et de douceur de Guillaume, le père de famille. Le roman alterne entre les soubresauts de la vie de Joséphine qui bouscule le monde qui l'entoure et les tentatives émouvantes d'un père pour continuer à vivre sans comprendre ce qui a pu se passer ce jour-là.
Vincent Maillard nous offre des personnages tout en contrastes et on ne peut que rire des sorties sans filtre d'une Joséphine qui dynamite toutes les hypocrisies de notre époque. Il en profite pour dénoncer les dérives de notre société de consommation, l'arrogance des riches et plus particulièrement des politiciens, la machine à broyer médiatique. Un bel hommage à cette famille brisée qui tente malgré tout de rester unie. Mais c'est surtout un chouette polar bien construit autour de personnages attachants comme dans ses précédents romans. (L'os de Lebowski; Le smocking des orques)
Philippe Rey - 19 euros
A la fin de la seconde guerre mondiale, la Finlande paye chèrement ses prises de position, en s'étant alliée à l'Allemagne contre la Russie. Elle a perdu une partie non négligeable de son territoire en faveur du bloc soviétique et paye des réparations élevées Alliés.
C'est dans ce contexte que débarquent Arnie, américain d'origine finlandaise s'étant illustré pendant la guerre et sa femme, Louise, américaine pur jus, naïve mais entièrement dévouée à son mari et à la mission qui les attend sur place, à savoir le renseignement. Il n'y a plus d'ambassade américaine en Finlande mais une délégation qui oeuvre dans le feutré pour éviter que le pays tout entier bascule dans le giron de la grande URSS.
Lors d'une soirée diplomatique, Louise fait la connaissance de Natalya et de son mari Mikhail; malgré les conseils de prudence qu'ils ont dû intégrer aux Etats Unis lors de leur (trop) courte formation, une amitié semble naître entre les jeunes femmes. Leurs maris, que leurs vécus de soldats et quelques rasades d'alcool rapprochent, se lancent un défi sportif. Sans réfléchir aux conséquences d'un "combat" qui sera perçu comme celui de l'Occident contre la Russie soviétique, ils prévoient une course de ski de fond d'une dizaine de jours dans le Grand Nord. Et malheureusement, au lieu de rester discrète, Louise pense tirer profit de cette course pour son oeuvre caritative : trouver des fonds pour subvenir aux besoins d'un orphelinat. Au grand dam de Natalya qui elle, a bien compris le danger, en ce début de guerre froide, si son mari venait à perdre.
Que peuvent faire les deux femmes pour éviter la tragédie qui s'annonce tout en ménageant l'âme de soldat de leurs hommes qui de toute façon, sont presque introuvables dans l'immensité enneigée qu'ils traversent, chacun suivant son propre parcours jusqu'au point d'arrivée?
Quel plaisir de retrouver Karl Marlantes après son inoubliable roman "Faire bientôt éclater la terre" et son héroïne Aïno qui avait émigré aux Etats Unis au début du XXème siècle, à qui l'auteur fait un petit clin d'oeil dans ce nouveau roman.
Fresque historique et récit d'aventure, il nous plonge dans une période peu connue et glaçante de l'histoire de ce pays défendu avec courage par des habitants malmenés par les guerres. L'exercice diplomatique, la place des femmes dans les relations internationales, les dérives terribles du communisme, le tout plongé dans l'hiver finlandais et vous obtenez tous les ingrédients d'une lecture addictive.
Calmann Levy - 23.90 euros
Parution 2 janvier
Quand un grain de sable fait dérailler toute la machine! Bon, il s'agit tout de même d'un gros grain puisque c'est le chat qui s'est fait essorer dans la machine à laver; il n'a pas aimé, la machine non plus. En plus, c'est un jour important pour Freddie: son fils Lior a 18 ans aujourd'hui, il s'agit de faire les choses bien, qu'il soit content et fier de sa mère qui se démène au quotidien pour joindre les deux bouts. Pas facile car elle ne travaille pas mais demain c'est sûr elle va se présenter à Pôle Emploi. Pour se donner du courage, en cuisinant et rangeant l'appartement où elle rêve sa vie devant l'écran de sa télé, elle boit un petit verre en attendant son gosse qui a décidément de bien mauvaises fréquentations, une petite amie pas du tout à son goût... Pourtant, ils essayent tous les deux de se comprendre, ont régulièrement rendez-vous chez la psy. Freddie fait des efforts, beaucoup d'efforts, il faut que Lior s'en rende compte et y mette un peu du sien.
Dans ce roman divisé en deux parties, on découvre d'abord le point de vue de Freddie, la mère en guerre contre le monde entier, la famille, les voisins, les vendeuses, bref une plongée dans les pensées débordantes et les sentiments d'un personnage à la fois violent et troublant, déchirée entre envie de bien faire et flemme monumentale. La deuxième partie nous entraîne dans le quotidien de Lior, jeune homme lucide et désarmé face à une mère en perpétuel mouvement, instable, aux sentiments démesurés et en recherche d'amour inconditionnel.
Peu à peu, la situation s'envenime, Freddie dérape de plus en plus et le lecteur se doute qu'un drame terrible va être déclenché : mais est-ce que tout cela ne serait pas finalement qu'un accident?
Nous voilà bousculés par cette lecture qui commence comme une mauvaise farce et qui, peu à peu, nous fait partager l'intimité de personnages aux prises avec un quotidien écrasant et somme toute banal. Ce pourrait être l'histoire de nos voisins, de nos proches ou même la nôtre, l'histoire de gens ordinaires que la vie fracasse et qui ne trouvent que bien peu d'aide si ce n'est la très proche famille.
Un roman au suspens d'une parfaite efficacité, servi par une écriture dont la sobriété souligne la terrible banalité.
Et vous penserez bien à vérifier le tambour de votre lave-linge!
Editions du Panseur - 18,50 euros
Parution 9 janvier
Roman ado mais pas que.
Une fois n'est pas coutume, nous vous parlons ici de la rentrée littéraire d'hiver pour les ados, pour la bonne raison que le roman de Florence Hinckel a également, à notre avis, sa place en adulte.
Rappelez vous le conte de Hans Christian Andersen : les cygnes sauvages,dans lequel la princesse Élisa, a été chassée du royaume par son affreuse belle-mère. Elle doit retrouver ses onze frères transformés en cygnes et les délivrer du mauvais sort que la marâtre leur a jeté. Pour cela, elle doit rester muette jusqu'à ce qu'elle ait fini de tresser onze cottes de mailles avec des orties. Voici que l'autrice s'en empare pour raconter une toute autre histoire. Car pourquoi le monde décrit dans les contes est peuplé de femmes muettes, sacrificielles et qui ne vivent qu'au travers des hommes? Ou de sorcières méchantes et laides? Et si Andersen n'avait pas retranscrit correctement les histoires qu'on lui a confiées comme il a caché sa propre vérité?
C'est une approche résolument moderne que nous propose Florence Hinckel grâce à une écriture vive et à des personnages féminins forts et qui le font savoir.
En alternant les points de vue des différents personnages, une toute autre lecture des contes s'offre à nous, lecteurs lectrices, en espérant transmettre désormais une vision plus équilibrée des rôles masculins et féminins.
Ecole des loisirs collection Médium - 16 euros
Parution 12 février
Le mot de l'éditrice: « Marente de Moor nous amène au coeur des ténèbres de la forêt russe pour nous faire traverser la conscience d’une femme en colère et nous dévoiler son sombre secret. Un roman d’une puissance imaginaire rare, impossible à lâcher. »
C'est effectivement un roman ensorcelant et fascinant que nous donne à lire Marente De Moor. Quelque part à l'Ouest de la Russie, dans une petite ville complètement abandonnée à la lisière d'une forêt magnifique, vivent Lev et Nadia. Ils vivent ici depuis longtemps, en tant que biologistes qui avaient installé un laboratoire et un sanctuaire pour oursons orphelins. Mais les étudiants et les bénévoles ont déserté le lieu et la nature se fait de plus en plus envahissante. Les bâtiments tombent en ruines; Nadia maintient tant bien que mal un semblant d'ordre dans leur maison. Lev, plus âgé, perd quelque peu la tête et le poids des non-dits et des sacrifices commencent à peser lourds dans leur relation. Elle s'échappe auprès de ses animaux, en ayant l'impression qu'eux aussi la juge mais au moins ils lui "parlent". Elle attends le passage du train de marchandises, imaginant des conversations avec le machiniste.
Par petite touches, l'autrice dévoile peu à peu l'histoire de cette femme, de ses combats quotidiens, de ses enfants. Engluée dans une vie qu'elle subit, le lecteur subit avec elle les tracas et bientôt, se dessine une tragédie dont on perçoit les répercussions sur la psyché de Nadia.
"Les Grands Bruits est un jeu psychologique saisissant et un hommage sublime à la puissance de l’imaginaire."
Les Argonautes - 22.80 euros
Parution le 10 janvier 2025
Quand l'extrême droite arrive au pouvoir en Irlande, l'atmosphère s'alourdit sensiblement. Dire qu'Eilish n'a rien vu venir serait mentir mais que pouvait faire cette mère de famille, microbiologiste renommée, face au repli de son pays et à un quotidien peu à peu gangrené par la peur et la stupeur? Quand son mari, syndicaliste, est arrêté et disparaît comme plusieurs de ses camarades avant lui, Eilish garde l'espoir de le retrouver à sa sortie de prison. Et puis, il ne faudrait pas bouleverser les études des enfants, et il y a le bébé, la maison... Tout le talent de Paul Lynch se révèle dans la mise en place d'une atmosphère étouffante: les pages se succèdent, sans paragraphe, guillemets ou pause. Et quand la guerre civile se déclenche, on aurait aimé pouvoir conseiller à la mère de famille de fuir, de rejoindre sa soeur qui depuis le Canada, l'implorait de faire ce choix avant qu'il ne soit trop tard. Elle refuse de quitter Dublin malgré les lois meurtrières qui se mettent en place, restreignant les libertés autant que les approvisionnements en eau et en nourriture. Son fils aîné, encore mineur, est appelé au service militaire, elle décide de le cacher. Elle doit également s'occuper de son père qui commence à perdre la mémoire: lui aussi pourtant, lui enjoint de quitter ce pays devenu fou. Les scènes de bombardement dans les quartiers d'habitation font résonner très fort ce que subissent les civils en Ukraine ou en Palestine.
Un roman oppressant, suffocant avec lequel Paul Lynch, grâce au pouvoir de la fiction, nous plonge tête la première dans le marécage sombre et gluant d'un état subissant l'effondrement démocratique et, pour le coup, cela se passe en Europe. Dans cet enfer, pas de lumière, que de l'angoisse, des larmes, aucun espoir, pas de secours extérieur, pas de main tendue, le lecteur s'enfonce dans les ténèbres aux côtés d'Eilish qui court sous les balles pour du lait en poudre, pour retrouver son fils blessé, recharger un téléphone, passer d'une zone à l'autre sans nouvelles de son père, de son mari, de son fils aîné. Que sauver quand il est trop tard?
Albin Michel - 22,90 euros
La petite île de Makatea située en Polynésie française, est l’objet de toutes les convoitises, et son maire doit gérer une proposition particulière qui le met fortement dans l’embarras : l’installation d’une ville flottante, une prouesse technologique qui peut redorer le blason d’un site qui a connu de grandes heures lorsque le phosphate en était extrait. Mais depuis, l’ile est seulement habitée par une centaine de personnes et c’est par le biais d’un référendum que la population va devoir s’exprimer afin de savoir si son nombre va repartir à la hausse, ses infrastructures renaître et les dollars affluer. Mais aussi peser le pour et le contre sur l’impact non négligeable qu’aura le projet sur l’environnement (après que l’île ait déjà été fortement impactée (dévastée) par l’exploitation minière, sans parler des effets (nocifs) sur la santé des insulaires).
En parallèle, Todd Keane, un riche magnat de l’informatique, riche de millions de dollars raconte à sa plus proche compagne ce qu’a été sa vie et notamment ses jeunes années, avant de sauter dans le train en or de l’informatique, de l’internet et de sa future réussite. Une période où il côtoyait Rafi, un jeune noir issu d’une famille marquée par le destin et qui ne vivait lui que pour exceller, dans l’écriture et la poésie notamment. Tout d’eux s’adonnaient à l’époque aux jeux et notamment au Go, que l’on peut considérer comme une philosophie, tant les combinaisons et les stratégies dépassent l’entendement…au point de ne pas pouvoir être maîtrisé par un programme informatique ?
Enfin, il y Evelyne Beaulieu, qui petite fille a côtoyé le commandant Cousteau, expérimenté la plongée et qui depuis n’a pu vivre très loin de l’océan très longtemps. Une vie consacrée à l’étude, mais aussi à la contemplation d’un monde sous-marin riche de variété d’espèces et de coraux que l’intelligence humaine ne peut à peine envisager. Mais qui parvient tout même très bien à détruire…une vie de femme scientifique a une époque où il n’est pas bien vu de l’être, une vie qui nécessite aussi des sacrifices et dont sa famille a du faire l’expérimentation.
Après l’excellent Sidération qui abordait les traitements médicaux alternatifs, Richard Powers aborde dans son nouveau roman la situation cataclysmique de la planète et notamment de ses océans. Il s’intéresse également à l’impact de plus en plus important de l’informatique dans nos vies et de son effet non dénué de risque pour l’avenir de l’humanité. Cette humanité qu’il expose comme sous un microscope par le biais des relations amicales, amoureuses, sur fond de rivalité, de rancœurs qui peuplent son roman, peut être comme une métaphore sur la capacité de l’homme à vraiment exceller quand il est question de destruction…
Actes Sud – 23.80 euros.
Parution le 5 février 2025
Folio - 8.50 euros
« Le Prince de New York » est une histoire de corruption et de rédemption. Mais pas n’importe laquelle : celle qui gangrène la police de New York dans les années 70. Robert Leuci se voit ainsi comme « un prince » de la justice quand, en tant qu’inspecteur plutôt bien considéré par sa hiérarchie, il va accepter le rôle de justicier et faire tomber les pourris qui gravitent autour de lui. Mais pas uniquement les petites mains ; il sera question d’entraîner dans cette chute ceux qui sont aux manettes, les personnes se trouvant tout en haut de la colonne de décision et qui profitent tout autant du ruissellement que peut entraîner le partage d’un butin de drogue ou les largesses d’un mafieux qui ne veut pas être inquiété, laissant trainer quelques billets au passage. Mais lorsqu’on veut endosser le rôle de chevalier blanc, il faut être soi-même irréprochable. Et est-ce vraiment le cas de l’inspecteur Leuci ?
Le roman de Robert Daley, tiré d’une histoire vraie, au-delà d’aborder les « magouilles policières », démontre les difficultés psychologiques que Leuci doit surmonter, son rôle de balance le mettant en danger, et insiste sur le sentiment de corps des membres de la police : un coéquipier est sacré et le voir tomber s’avère compliqué. Il se retrouve donc entre le marteau et l’enclume, et au fil de l’enquête, sa propre vie tourne au cauchemar éveillé.
Un très bon roman noir qui n’a rien à envier à un titre d’Ellroy quant au nombre de personnages (et pour leur noirceur également) et qui voit son intérêt décuplé par son authenticité. A noter que Robert Leuci, celui de chair et de sang, après son passage dans la police, a connu une carrière…d’auteur de romans policiers ! Il y développait les thèmes de la corruption et des violences policières. Comme une façon surement de boucler la boucle…
Le Typhon – 23 euros
Disparition d'enfants dans les Adirondacks, au nord est de l'état de New York. C'est l'été, nous sommes en 1975, et le camp Emerson, au bord d'un lac, est l'endroit rêvé pour les enfants (de familles très aisées) pour passer quelques semaines dans la nature en compagnie de jeunes de leur âge. La réputation de ce camp n'est plus à faire et il affiche complet chaque saison et ce, pour une bonne raison: on y apprend aux ados à survivre en pleine nature, en toute sécurité, et leur séjour se termine avec une "épreuve" en groupe pour appliquer les instructions apprises avec des encadrants expérimentés. Quand Barbara disparaît quelques jours avant la fin de la colonie de vacances, l'ambiance bascule. En effet, cette disparition en rappelle une autre, quinze ans plus tôt. Et problème : il s'agit de la fille Van Laar, la famille propriétaire des lieux et dont la maison se trouve à deux du camp, qui ont également perdu un fils dans des circonstances non élucidées jusqu'à ce jour. Les deux affaires semblent se faire écho et la tension monte graduellement au fur et à mesure des détails et fausses pistes dont l'autrice parsème son roman.
Liz Moore nous balade entre les époques, variant les points de vue et empilant les témoignages et les portraits de personnages. Loin de nous perdre (malgré l'épaisseur du livre), elle nous happe et nous entraîne au cœur de cette nature inquiétante car au camp, la première règle apprise et répétée mille fois est : "si vous vous perdez, asseyez-vous et criez".
Dans ce contexte, une jeune inspectrice, sous l'oeil goguenard de ses collègues masculins, va faire ses premières armes.
Bref, c'est tellement addictif, que vous aurez l'impression d'avoir passé vos vacances dans ce camp.
Buchet Chastel - 24 euros
Depuis toujours Patch se prend pour un pirate ; ce jeune garçon, borgne, se plait à arborer des cache-œil en fonction de ses humeurs, résolument aventurières (il aime par exemple chaparder et commettre de menus larcins). Sa meilleure amie s’appelle Saint, une jeune fille qui aime les abeilles et la musique. Adolescents dans les années 70, un peu en marge tout de même des enfants populaires de leur école, ils vivent l’existence classique de petit américain, dans une communauté tranquille nommée Monta Clare. Un médecin serviable, un shérif qui n’est pas débordé, et pourtant tout va changer lorsque Patch va disparaître sans laisser de trace et que des découverts macabres vont venir assombrir le quotidien de la petite ville sans histoire, au point d’en faire la une des journaux nationaux. Saint ne va pas s’en laisser compter et tout tenter pour retrouver son seul ami, et cela même si tous les autres semblent avoir abandonnée l’idée de le retrouver.
Voici un solide roman de plus de 800 pages publié par les éditions Sonatine du jeune auteur anglais Chris Whitaker. Ce dernier maîtrise l’art d’enfermer le lecteur dans une histoire qui s’étale pourtant sur une trentaine d’années, sans le perdre en route. Les personnages sont habités, charpentés pour tenir le rythme sur le long terme. Les chapitres courts et nerveux (il y en a plus de 260 !) donnent une dynamique de lecture soutenue.
Au cœur de son livre, il sera question de courage, d’amitié indestructible, d’abnégation, de persévérance mais aussi d’une certaine forme de dévouement extrême dont feront preuve plusieurs personnages de l’intrigue. L’auteur a su créer de beaux moments de partage, de traiter avec tact et sensibilité les rapports familiaux qui se nouent naturellement (la relation de Patch avec sa mère « dépassée » et de Saint avec sa grand-mère aimante) et de ceux qui se créent avec d’autres personnes extérieurs au cercle intime (le personnage de Sammy, un galeriste haut en couleurs pour Patch et Nix le shérif taciturne du côté de Saint).
Il serait dommage de se laisser intimider par la densité du roman : ce dernier est particulièrement entraînant, passionnant du fait des rebondissement d’une intrigue bien ficelée. Les centaines de pages s’enchainent facilement avec le plaisir de se retrouver au cœur d’une histoire qui tient la route jusqu’à la dernière page.
Sonatine – 25.90 euros
Ce premier roman, est en lice avec neuf auteurs pour le Prix des libraires que 1200 professionnels décerneront d’ici le 14 mai.
Sous la forme d'un conte, l'autrice nous place dans les pas d'Hazel, jeune fille qui, après une enfance solitaire et silencieuse, se rebelle contre l'autorité d'un père gendarme, d'une étroitesse d'esprit qui rapidement confine au ridicule.
Le déclic a lieu quand Hazel, suivant son père lors d'une nouvelle affectation sur un nouveau poste à Ici, au bout du bout d'une vallée montagneuse habitée par des personnages dont on devine que l'isolement et la consanguinité n'ont guère aidé à développer une intelligence remarquable, fait la rencontre d'une vieille femme rejetée, puis d'une ourse accusée et emprisonnée injustement.
L'enquête qu'Hazel entend mener va la conduire sur la voie d'une libération salutaire dans une nature plus accueillante que toutes les habitations du village.
Tout en images facétieuses, en mots évocateurs et cocasses, le roman d'Émilie Devèze nous raconte avec espièglerie une émancipation écoféministe.
Editions du Sonneur - 14 euros
Impossible de ne pas penser à Raspoutine en voyant la couverture du dernier roman de Christophe Sièbert. L'auteur s'est en effet inspiré du mystique et guerisseur Russe pour son personnage Nikolaï le Svatoj -Le Saint - qui est à l'origine un attentat dévastateur à Mertvecgorod, une ville de la RIM, un minuscule Etat coincé entre la Russie et l'Ukraine.
Avant cela, Christophe Siébert va nous ballader dans le temps, revenant sur des évènements qui ont poussé "Le Saint" à commettre l'irréparable avec un effet dévastateur qu'il ne pouvait même pas imaginer. Au programme des oligarques, des sociétés occultes et des passages très très épicés.
Ce roman est à la fois dérangeant par son contenu et en même temps passionnant tant il mélange habillement les genres (SF, roman sociétal, critique politique) et se lit d'une seule traite.
Un titre original et dans la lignée des ouvrages proposés par les éditions "Au Diable Vauvert" : inclassable.
Au Diable Vauvert - 24.50 euros
La situation est tendue au sein de la famille de Rob. Mère de deux filles, Annie dont elle est plus proche et Callie, la préférée de son mari volage Irving, chaque jour amène son lot de frictions. C’est donc souvent les disputes et les cris qui rythment le quotidien du foyer et pire : Callie commence à développer un comportement bizarre, voire malsain : ami imaginaire, crise d’hystérie, violence envers les animaux (on trouve beaucoup de cadavres aux abords de la maison) mais surtout depuis quelque temps envers sa propre sœur. Alors que cette dernière est clouée au lit avec la varicelle et qu’Irving ne pense qu’à assister à la fête des voisins (surtout du fait de la présence de la voisine…) Rob décide de faire un break et d’emmener Callie dans un coin isolé du désert Californien. Destination Sundial, le ranch dans lequel Rob a été élevée en compagnie de sa sœur jumelle Jack. Un lieu mystérieux connu pour les expérimentations scientifiques qui y ont été réalisées. Et dans lesquels la famille de Rob a joué un rôle. Faire remonter à la surface les évènements de la jeunesse de Rob lui permettront-ils de retrouver sa fille ou bien scelleront-ils les derniers espoirs de pouvoir connaître une vie de famille normale ?
Dans son nouveau roman, l’autrice explore les liens mère-fille tout en consacrant une bonne partie de l’intrigue à la violence. Comportement inné, volontaire, involontaire maîtrisable, génétique, son histoire va tour à tour explorer toutes ces alternatives, au service d’un thriller psychologique à forte tendance horrifique (il sera beaucoup question de chiens, de coyote, en chair et en os voire fantômes…).
Il est certain que Catriona Ward maîtrise son sujet quant à sa capacité à nous emmener dans les tréfonds, les coins cachés et sinistres de l’esprit humain. Un roman dans la lignée de « La dernière maison avant les bois de la même autrice : angoissant et dérangeant à souhait !
Sonatine – 23 euros
L'auteur nous emmène aux îles Feroé, cette île-état qui autorise le massacre en règle de globicéphales et autres dauphins et cétacés sur leurs plages qui se changent en champs de bataille baignant dans le sang. Massacres inutiles puisque la chair de ces animaux est impropre à la consommation tant elle est chargée de pesticides et autres métaux lourds. Caryl Ferey s'empare de cette soi-disant tradition pour dénoncer le désastre écologique global à travers un polar noir, prophétique et engagé.
Après Okavango dans lequel le petit garçon, qui avait un temps souhaité devenir tueur de braconnier, avant de devenir écrivain pour notre plus grande chance, plaçait l'intrigue de son roman dans une réserve africaine pour mieux nous faire comprendre les méandres du trafic d'animaux (très très lucratif), Caryl Ferey nous entraîne dans le sillage des équipes de Sea Shepherd qui risquent leurs vies pour celles des baleines face à des bateaux géants défendus par des gouvernements complices inféodés au capitalisme: la démocratie n'est plus qu'une marionnette au service des profits de quelques grandes entreprises.
Sur l'île, bien sûr, tout n'est pas si simple : il n'y a pas d'un côté les méchants pêcheurs et de l'autre les défenseurs forcenés de la nature et de la biodiversité.
L'enquête va nous faire découvrir le quotidien des Féroïens, les enjeux planètaires à l'oeuvre quand il s'agit de faire de l'argent pour fournir du saumon aux tables du monde entier. (vous n'en mangerez plus après la lecture de ce roman!)
Polar immersif, violent, trépidant comme les rafales de vent qui souffle sur les landes de cette île méconnue. Il nous interroge sur notre rapport au monde, celui que nous laisserons à nos enfants : auront-ils le bonheur de rencontrer une baleine à bosse dont les chants et la compréhension de son environnement dépasse largement nos connaissances.
Du grand, très grand Ferey!
Gallimard Série Noire - 20 euros
Parution avril 2025
1942 - Les Etats-Unis, sous le choc de l'attaque de Pearl Harbour, bascule dans la guerre. Pour soutenir l'économie et l'effort de guerre, les stars d'Hollywood, sous la houlette de la très engagée Bette Davis, mettent la main à la pâte. Les vedettes font des tournées dans tout le pays pour lever des fonds et, à Hollywood, une cantine ouvre ses portes. Il s'agit d'un lieu où les stars vont accueillir des soldats en permission ou de jeunes recrues sur le départ et de leur offrir un moment hors du temps en compagnie des plus grands noms du cinéma ou du spectacle. Des étoiles ordinairement inaccessibles qui là, vont leur servir à boire, signer des photos, faire le show, gratuitement (et la plonge).
Nous retrouvons la détective privée Vicky Mallone (cf "Hollywood s'en va en guerre") qui vient enquêter sur la mort d'une photographe de plateau, retrouvée, le crâne fracassé, dans le coffre d'une voiture. Elle travaillait sur le film dans lequel tourne Savannah Ford, rivale de Carole Lombard auprès de Clark Gable. L'affaire se corse car l'avion qui ramenait Carole s'est écrasé et des menaces de mort avait été proférées par la starlette. Dans quelle mesure est-elle liée à la jeune photographe? Que faisait un jeton de la Hollywood Cantine dans la voiture accidentée? Vicky Mallone, toujours aussi portée sur les cocktails (vous aurez quelques recettes) et sur les amours qualifiées de déviantes par la très puritaine société américaine, aura bien du mal à démêler les fils de cette intrigue pour notre plus grand bonheur. Des plateaux de tournage aux bars sordides de Hollywood, OBC explore le microcosme du monde du cinéma, ses travers de toutes sortes, ses vies brisées, ses paillettes et son maquillage, la place des femmes réduites bien souvent aux rôles de potiches sans cervelle (la vaisselle et le service à la cantine, peu d'hommes s'y salissait les mains!). Beaucoup d'alcool, de poudre blanche, de cachets, beaucoup d'argent et de larmes et malgré tout, un élan patriotique remarquable autour de personnalités marquantes.
Un roman basé sur des faits réels (la Hollywood Canteen a bien existé), que l'auteur nous restitue avec brio et humour : les personnages réels ou imaginaires sont parfaitement crédibles et l'enquête, avec ses multiples rebondissements, vous tient en haleine jusqu'à la dernière page.
Gallimard Série Noire - 19 euros
Parution 15 mai 2025
Amoureux du cinéma noir et blanc et des stars d'Hollywood, ce polar est pour vous !
En septembre 1941, les Etats-Unis de Roosevelt, gagnés par le mouvement isolationniste et antisémite America First, freinent des quatre fers à l'idée de l'intervention des américains dans le conflit européen, bien que le président, lui, y soit très favorable. Ainsi que beaucoup des vedettes de l'époque comme on va le voir dans ce roman. En commençant par tourner des films dénonçant le nazisme et ses horribles conséquences. Mais, Lala, l'actrice principale du prochain film tourné en faveur de la guerre, est victime d'un chantage : si cela se sait, la formidable machine de propagande cinématographique qu'est Hollywood pourrait se voir disqualifiée.
C'est là qu'intervient Vicky Mallone, détective privée, au physique avantageux, au verbe haut et à l'assurance qui se mesure au nombre de cocktails qu'elle déguste régulièrement (et attention, la recette doit être respectée!). Avec l'aide d'Arkel,vieux fédéral bougon et d'Errol Flynn en personne (quand il est sobre!), elle va devoir démêler l'écheveau d'intrigues, de manipulations, d'intérêts qu'ils soient politiques ou économiques et se fier à son instinct et à sa formidable capacité de déduction pour déjouer, tout en finesse (« Mon colt 45 est chambré en une munition de fort calibre, du genre qui évite au gus qui la reçoit d'avoir à se relever pour vous remercier de votre attention. ») .
Avec ce polar astucieux truffé de références historiques et cinématographiques, Olivier Barde-Cabuçon nous entraîne dans une enquête entre stars et nazis.
Folio - 9 euros
Voici un roman atypique dans lequel de nombreux dessins sont intégrés dans la narration. Ils tiennent une place importante dans cette histoire qui débute avec un jeune étudiant se prenant de passion pour un ancien blog dans lequel le créateur expose sa vie et notamment la future naissance de son enfant.
Trois dessins notamment sont postés , paraissant tout à fait classiques pour accompagner les propos du créateur et pourtant...le dernier message du blog est le suivant :"aujourd'hui, je vais cesser d'alimenter ce blog. Pourquoi? parceque j'ai percé le secret de ces trois dessins. Je ne pourrai jamais comprendre les souffrances que tu as endurées (...) je ne peux pas te pardonner".
Le reste du roman est alors une succession de personnages qui vont essayer de comprendre la signification de ces dessins, mais aussi d'autres, et vont subir une histoire solide, effrayante par de nombreux aspects et surtout très intelligement menée.
Un thriller japonais étonnant et mystérieux, tout comme l'est Uketsu son auteur qui se distingue par son anonymat, apparaissant masqué lors de ses prestations publiques...
Une belle découverte pour un ouvrage qu'on lit d'une seule traite.
Seuil - 19.90 euros
Roman court mais au contenu intense. Maintes fois abordé, que se passe-t-il à la disparition d’un être ? Du côté de vivants, on assiste à la fameuse période de deuil, avec ses étapes, ses passages à vide, ses rechutes. Mais quand on se place du côté du défunt, que peut on ressentir et percevoir sur la minute, l’heure, la semaine, le mois, l’année, et toute la vie de ceux qui restent ?
Dans Après, le narrateur est justement celui qui vient de disparaître et dont on va voir la famille évoluer après son décès. Il va donc nous emmener vers les grandes réflexions sur le deuil mais aussi sur le quotidien, celui qui reste, celui qui est imposé aux vivants et qui prend une teinte particulière vue de l’autre côté.
Un roman aux phrases courtes et simples, sans jérémiade ni apitoiement. La réalité brute traitée de manière sensible et humaine sur la souffrance et le temps qui s'écoule : « ça ne passe pas, ça s'espace ».
Le Tripode – 16 euros.
Parution le 16 janvier 2025
Voici la suite attendue du titre "Dans la forêt" paru en 1996. Eva et Nell survivent toujours dans un coin de nature, retirées de la civilisation et c'est donc Burl, le fils d'une des héroïnes qui s'exprime à la première personne dans ce nouveau roman.
On peut parler d'expression car ce dernier, vivant loin de tout autre être humain que "ses mères" a développé un vocabulaire et un phrasé qui peut être un peu déroutant au départ. Mais bien vite, on prend l'habitude au rythme et à la diction particulière pour s'apercevoir que contrairement à ses mères, Burl est attiré par le monde et souhaiterait rencontrer "des gens".
Cependant, Eva et Nell ne voient pas cette envie d'émancipation d'un très bon oeil, les expériences qu'elles ont connues auparavant ne leur laissant que peu d'espoir sur la nature humaine...et sur l'humanité qui subsiste.
Bien entendu, le quotidien de cette famille recroquevillée va être bouleversée...
On retrouve avec plaisir les personnages, 15 ans après les évènements de "Dans la forêt" et Jean Hegland nous interpelle sur un monde d'après, avec toujours ces interrogations sur le genre humain : y-a-t-il encore des bonnes personnes et même quand tout a été détruit, qui va triompher entre le mal et le bien?
Gallmeister - 23.90 euros, parution le 15 janvier 2025
Attention : le froid et la faim n'auront littéralement plus de secrets pour vous après la lecture de ce roman.
L'autrice nous entraîne à la suite d'une jeune fille, échappée d'une colonie anglaise dans un territoire qui deviendra les États-unis; nous sommes au tout début du XVIIème siècle. Dans sa course pour fuir un éventuel poursuivant, nous sommes au cœur de ses pensées et de son monologue intérieur : le bébé dont elle avait la garde alors qu'elle même n'est à peine plus qu'une enfant est mort dans ses bras, de faim et/ou de maladie comme la quasi totalité des colons venus s'installer sur une terre qu'on leur a promise pleine de richesses mais qui s'avère ingrate et que les autochtones défendent violemment.
Pour cette jeune fille, enfant trouvée dont le nom a varié en fonction de son âge et de l'intérêt que lui portait sa maîtresse, cette fuite est une rébellion, une désobéissance salvatrice. Les épreuves qu'elle va devoir traverser sont inimaginables tant la nature, qui plus est en hiver, ne donne que peu de répit aux êtres humains. Apprendre à se débrouiller, à se nourrir, à ne pas mourir de froid, à échapper aux prédateurs, à éviter tout contact avec les hommes, chaque étape, chaque sensation est décrite avec une poésie remarquable même dans les situations les plus cauchemardesques. Le corps devient le seul bien à sauvegarder et chaque "succès" une victoire sur la mort.
Roman d'aventures, fabuleux récit à la limite de l'hallucination d'une survivante ce texte est également une magnifique ode à la beauté sauvage d'une nature à jamais perdue. Haletant, captivant et sans pitié.
Éditions de l'Olivier - 23,50 euros
Parution 3 janvier
Le corps d'une jeune femme, Paiotoka O'Connor, est retrouvé en haut d'une montagne à Nuku Hiva, dans l'archipel des Marquises. Le lieutenant de gendarmerie Tepano Morel, en poste à Tahiti, est envoyé sur place pour mener l'enquête. Secondé par Poerava Wong, qui connaissait bien la victime, Tepano découvre l'envers du décor paradisiaque, entre chômage endémique et violences intra-familiales.
Voilà le résumé rapide du nouveau polar de Marin Ledun. Mais les romans de l'auteur contiennent toujours bien plus que l'intrigue policière : après "Free Queens" qui nous plongeait dans l'immonde trafic d'êtres humains par l'industrie de la bière au Nigéria, nous voyageons jusqu'à Henua Ènana, la Terre des Hommes, véritable nom de l’archipel des Marquises. Si les images de cartes postales sont présentes, on va surtout découvrir toutes les problématiques d'une île soumise aux règles financières du tourisme, aux difficultés pour la jeunesse d'envisager un avenir sans quitter leur terre, aux traffics qui en découlent bref, une immersion complète dans l'univers des îliens bien loin, comme on peut le constater aujourd'hui avec Mayotte, des préoccupations de la France métropolitaine. La condition des femmes et les questions environnementales font aussi partie intégrante du scénario noir à souhait : on en redemande.
Gallimard série noire - 19 euros
Parution 13 février
Dans ce premier volume d'une série qui s'annonce passionnante, nous faisons la connaissance de Thomas More, un enquêteur dont la vie est nimbée de mystère. Nous le découvrons en 1870, après la défaite de Sedan, prisonnier dans la presqu'île d'Iges avec tout un bataillon de soldats en déroute. Commissaire impérial de la Sûreté, il est convoqué par le roi de Prusse dans l'entourage duquel un crime a été commis. Accompagné, comme il se doit, d'un "adjoint" et ami, l'intendant Seligmann, il déjoue les ficelles grossières du meurtre pour lequel on les a extirpés du camp de prisonniers, puis au retour, dénoue le mystère d'un assassinat qui aurait pu rester impuni en temps de guerre dans le chaos d'une foule de vaincus désorganisée et affamée.
Si en chemin, une nouvelle énigme se présente à eux, en l'occurence les incendies de plusieurs églises, l'esprit de déduction de Thomas More se déploie et, malgré les apparences qui pointaient un coupable logique, la résolution de l'affaire démontrera qu'il faut voir au-delà et ne négliger aucun détail.
Sa mission accomplie, notre enquêteur rejoint la Grande Chartreuse, lieu pourtant rigoureusement fermé à tout visiteur, ajoutant un parfum de secret à la personnalité de More.
Si les enquêtes sont, somme toute, assez classiques, l'intérêt réside dans le personnage énigmatique de Thomas More et bien entendu dans l'écriture rigoureuse et dans l'évocation d'une époque par un auteur remarquable. La parution des différents tomes sont prévues de manière rapprochée et c'est heureux car on s'attache rapidement aux acteurs de ce feuilleton.
Gallimard – 19 euros
Fin du XIXÈME siècle. Fanette, jeune fille sérieuse et ambitieuse comme on peut l'être quand on sort ses sabots de la bouse des vaches pour être placée dans un château de campagne comme bonne, se trouve enceinte. Fille-mère. Honteuse. Silencieuse. Elle revient au village alourdie d'une petite Cécile, d'une bâtarde. Le déshonneur est tel qu'il se propage de génération en génération fondant un mythe familial ancré dans l'inconscient : la pensée que Cécile pourrait bien être d'ascendance aristocratique. Cette pensée magique va pousser chaque maillon de la descendance à viser l'excellence dans le but de s'extraire de sa classe d'origine et de monter les échelons de la réussite. Le film du peuple, ce sont tous ces récits dont les familles héritent, ces histoires plus ou moins cachées, ces murmures qui atteignent les oreilles des enfants, ces sacrifices acceptés en regard d'un avenir à conquérir, d'un embourgeoisement revanchard. Tout cela raconté avec une écriture précise comme le script d'un film qui zoomerait sur les personnages d'une famille, qui, en devenant transfuges de classe, colorent en bleu les racines de leur arbre généalogique.
Les éditions du Sonneur - 15 euros
Un ancien président de la République a bien des difficultés pour s’adapter à sa nouvelle vie, dans laquelle l’exercice du pouvoir et de tout ce qui le compose s’éloigne de plus en plus. Pourtant, à plus de soixante ans, il pourrait être bien occupé en étant à la fois grand père et père d’une jeune fille de trois ans qu’il a eu avec sa femme, de vingt ans sa cadette, épousée au début de son quinquennat et pour laquelle il a tout quitté. Finalement, il semble ne trouver le salut que par sa consommation de plus en plus déraisonnable d’alcool. Son épouse n’est pas au mieux non plus, le voyant de plus en plus s’enliser, alors que pour elle non plus la situation n’est pas des plus simple. Elle a vu sa carrière d’actrice s’arrêter du jour au lendemain lorsqu’elle a épousé le président et depuis, rien. Mais une opportunité à ne pas manquer se présente : un réalisateur lui propose le rôle principal dans un film sur la violence faite aux femmes. Deux petits bémols tout de même : le susdit réalisateur est connu pour ne pas être très tendre lors de ses tournages et le film qu’il souhaite réaliser est tiré d’un roman…écrit par la première femme du président. Autant dire que le retour dans la lumière ne va peut-être pas être si idyllique, pour un peu qu’elle tombe sous le charme du réalisateur en question…
Présenté ainsi, « La guerre par d’autres moyens » peut paraître prévisible, tant les situations et les personnages peuvent paraître quelque peu « cliché ». Cependant, l’autrice parvient à consolider son histoire en traitant de belle manière un trait commun de la plupart de ses personnages : leur mal-être. En effet, chacun est plus ou moins enfermé dans une bulle, comme plombé que ce soit par le sentiment de ne plus être utile, celui de ne plus exister dans le regard des autres ou tout simplement de ne pas être au bon endroit au bon moment. A noter également que le sujet de la violence à l’encontre des femmes, qu’elle soit physique ou morale, est traité avec tact, sans enfoncer les portes ouvertes.
Enfin, il est toujours plaisant dans ce genre de titre de s’amuser à imaginer ou découvrir celles et ceux qui ont pu inspirer l’autrice, sachant que toute ressemblance n’est pas forcément fortuite…
Gallimard – 22 euros.
Au-delà de ma fascination somme toute courante pour la vie de Diana , j’ai trouvé dans le roman de Christine Orban, une profondeur inédite.
Evidemment le fait de parler à la première personne du singulier et non de parler « sur » elle comme c’est toujours le cas, l’immersion dans les pensées de cette gosse qu’on aura manipulée de la plus insidieuse et insupportable façon, invite à une réflexion moins superficielle. Peut-être que nos regards et nos jugements ont évolué face aux comportements inacceptables d’un homme protégé par son rang, par son sang. Il n’y a pas d’apitoiement : Diana reconnaît sa sidération et ce terme, depuis #metoo , apporte enfin une signification à l’apparente docilité qu’elle affichait. Si les photos ont été maintes fois commentées, le fait d’être dans la peau de la victime, qui reconnaît son consentement (non éclairé), change radicalement la perception de la douleur et des tourments endurés.
L'autrice fait régulièrement référence à un personnage de fiction "Mademoiselle Else" d'Arthur Schnitzler: jeune Viennoise, issue de la bourgeoisie, Mademoiselle Else apprend par courrier que son père est menacé de prison pour dette. Pour le sauver du déshonneur, sa mère lui demande dans cette lettre de solliciter un riche marchand d’art, afin de récupérer la somme demandée. Il propose un marché à la jeune fille : il accepte de prêter la somme nécessaire, mais à la seule condition que la jeune fille se dévête devant lui. Un parallèle bouleversant du "marché" dont Diana était l'objet que l'autrice file jusqu'à la conclusion. (et le livre se termine avant l'accident).
Vous l'aurez compris, j’ai beaucoup aimé : c’est bien tourné, c’est prenant comme un huis clos psychologique et c’est une analyse sans concession des héritages d’un autre temps que la condition féminine continue malgré tout à subir, par loyauté, par habitude, par politesse...
Albin Michel - 19.90 euros
Parution 01/04/2025
Constance va voir sa vie bouleversée. Tout d'abord, elle va assister à un accident mortel et va devoir "gérer" le fautif et surtout la victime puis son existence va complètement lui échapper. Elle qui rêvait de partir loin, un peu paumée dans sa vie, va voir ses plans remis en question lorsque tout va se déliter : le quotidien avec son conjoint, les relations déjà compliquées avec son fils et encore plus avec son voisinage. Et pour couronner le tout, un mystérieux nouvel arrivant, Lucas, qui va malheureusement pour elle, tomber éperdument amoureux d'elle...pour le pire.
Présenté comme cela, le titre de Sébastien Gendron ressemble à des millions d'autres sauf que...le sien est drôle! Le personnage bien névrosé de Constance n'a rien à envier à celui de Lucas et la quirielle de voisins tous plus hypocrites et sournois les uns que les autres. Il va aussi être question d'un python (d'où le titre) qui viendra régulièrement tourmenter les habitants de la petite localité, généralement lors de leur passage aux toilettes...
Un roman noir (car oui, il y a tout de même des gens qui meurent dans ce livre) mais parsemé d'humour noir et de passages dont on ne peut que se souvenir...
Gallimard - 20 euros
Deuxième parution dans cette collection Ciels Australs des éditions Synchroniques consacrée aux écrivain.e.s australien.ne.s , "La petite fille blanche" raconte les conséquences des lois dites de "protection" des Aborigènes.
Odette Brown élève Sissy, sa petite fille, que sa propre fille a abandonnée, quittant sa région natale et le périmètre autorisé autour de la ville petite rurale de Deane. Cela fait 13 ans qu'elle est sans nouvelle de Lila mais l'inquiétude grandit avec l'arrivée d'un nouveau chef de la police qui décide d'appliquer rigoureusement la loi qui autorise les services sociaux à arracher les enfants aborigènes à leurs familles pour leur donner une éducation et un avenir. Et c'est d'autant plus vrai pour les petits à la peau claire : un nuancier de couleur de peau prouvant l'injection de sang blanc dans l'arbre généalogique, autorise tous les actes de "protection" à l'égard d'enfants que les blancs estiment perdus s'ils restent dans leur tribu.
Dans l'Australie des années 60, Odette Brown va devoir ruser et faire preuve d'un courage extraordinaire pour que l'amour ne soit pas piétiné par des règlements inhumains. Formidable roman dont on sort à la fois révolté et apaisé : révolté par tant d'injustice et les conséquences terribles de la volonté d'aculturation imposée par les blancs catholiques et apaisé par la force des figures féminines qui au travers de l'Histoire s'efforcent, avec une abnégation remarquable, à maintenir les liens familiaux.
Tony Birch, universitaire et militant aborigène, est l'un des auteurs les plus populaires d'Australie.
Synchronique éditions - 22 euros
Quelle joie de retrouver l'univers merveilleux d'Olivier Mak-Bouchard!
Pour ce nouveau roman, direction la Californie (eh oui, on quitte le soleil de la Provence pour celui du Golden Gate) où nous allons faire la connaissance du narrateur, un veuf mélancolique, et de son chat PKD (pour Philip K. Dick). (Il y a toujours un chat!!) S'il vit dans un quartier privilégié, c'est que la première partie de sa vie a été particulièrement facile mais aujourd'hui, pour continuer à vivre dans cette maison remplie des souvenirs de sa femme, il travaille, à l'âge de la retraite, comme bibliothécaire à l'université de Berkeley et surtout, il loue une chambre à un ou une étudiant.e. Cet arrangement, en plus de lui procurer un apport financier plus que bienvenu, lui permet de rencontrer des jeunes qui partagent sa solitude et dont les sujets d'études deviennent des centres d'intérêt qui le sortent de sa routine. Quand la chambre se libère, il fait le choix, parmi les candidats ravis d'habiter à quelques pas de l'université, de June, jeune femme solaire et déterminée. Ils s'apprivoisent peu à peu et lorsque June perd sa grand-mère, c'est naturellement que le bibliothécaire offre son aide pour vider le lieu de vie des grands-parents. Parmi les souvenirs de ce couple americano-japonais, il se trouve un sabre d'une grande valeur. Celui-ci va pousser nos protagonistes dans une quête inattendue.
La galerie de personnages tout aussi surprenants les uns que les autres sont autant d'hommages à la littérature, au cinéma, à la philosophie, aux aventuriers. Car dans ce court roman, vous rencontrerez tour à tour Jack London, Michel Foucault ou encore Francis Drake. Et c'est là toute la magie de l'auteur que de décrypter notre monde avec une finesse et une tendresse infinie. On se laisse bercer par l'imagination et l'énergie incroyable de ce texte: légendes amérindiennes, voyages chamaniques, c'est loufoque, c'est drôle, c'est beau. On quitte à regret les personnages et l'ambiance de ce livre : le rêve américain est-il mort? Pas encore à lire Olivier Mak-Bouchard, n'en déplaise à Mickey Crump ;-)
Le Tripode - 20 euros
Envie de vous plonger dans un grand (et bien épais) roman historique? Vous l'avez trouvé! Ann-Marie McDonald, d'une écriture généreuse (+ de 800 pages), nous offre une histoire qui réussit à rester captivante jusqu'à la fin, meublée de rebondissements complètement inattendus.
Le « Fayne » du titre est un vaste domaine dans les landes, à la frontière (contestée) entre l’Écosse et l’Angleterre. Une terre qui rappelle celle des sœurs Brönte, et qui est quasiment le personnage principal du roman : landes battues par les vents, tourbières mystérieuses, dangereuses, demeures glacées aux allures fantomatiques.
C'est dans ce décor que grandit Charlotte Bell, orpheline de mère et chérie par son père qui l’a isolée du monde extérieur durant toute son enfance en raison de sa « condition », une faiblesse, semble-t-il, mortelle. Cependant pour son 12ème anniversaire, il lui "offre" un précepteur. En raison de son intelligence remarquable, il est convaincu qu'elle mérite d’obtenir une éducation habituellement réservée aux garçons, avec, à la clé, une inscription à l'université. Cependant le passé de Charlotte et de la famille Bell est peuplé de fantômes, en premier lieu celui de sa mère morte en la mettant au monde. Ils vont sortir de l’ombre comme une succession de poupées russes.
Tous les personnages sont remarquablement incarnés et on quitte à regret l'univers de Fayne.
Les recherches de l'autrice, dont on devine le travail en profondeur, notamment sur la gynécologie et le traitement de l'hystérie (mal féminin ayant conduit à toutes les maltraitances), lui permettent d'aborder des thèmes d'une grande modernité en plein XIXème siècle: la place des femmes dans la société, leur mise sous cloche dès lors que des questions d'héritage et d'honneur sont abordées, l'identité sexuelle ou la maltraitance du monde médical envers ces sous-êtres à qui il manque un organe déterminant... Ce livre est également bourré d'humour, on le répète, c'est un bonheur de lecture.
Flammarion - 24,90 euros
Washington, DC, années 1970. Un jardinier prénommé Chance, homme naïf et simple, coule une vie tranquille à prendre soin du jardin de l'homme qui l'a recueilli enfant. Sans passé, sans histoire, il se contente du calme d'une propriété dans un quartier de la capitale. Il vit loin du monde, ne sort jamais, n'est jamais monté dans une voiture. Sa seule distraction est la télévision, qu'il regarde de façon compulsive et avec fascination. A la mort du vieux monsieur qui l'employait (un arrangement sans contrat) il est mis à la porte de ce hâvre de paix. Mais que faire quand on ne sait rien faire, quand on n'a ni identité ni existence prouvée dans cette ville, dans ce pays, dans ce monde. Par hasard, et il fait bien les choses, Chance est heurté, dans la rue, par un véhicule dont la conductrice, Eve Rand, l'accueille à son domicile pour le soigner. Chance rencontre le mari d'Eve, Benjamin Rand : très âgé mais influent, les deux hommes semblent s'apprécier et Ben goûte surtout les mots pleins de bon sens qui sortent de la bouche de Chance. Rand reçoit la visite du président des États-Unis et il s'empresse de lui présenter son nouvel ami Chance qui prend part à la discussion donnant son avis quand on le lui demande. Ces propos infusés comme des proverbes d'analyse politique font mouche auprès du président qui s'extasie de la simplicité et de la force des quelques phrases prononcées par Chance. En réalité, elles n'étaient qu'orientées jardinage. Rapidement, les médias s'emparent du phénomène : le jardinier voit sa notoriété atteindre des sommets et ses déclarations considérées comme un oracle dont les paroles doivent être absolument suivies.
C'est une fable à l'humour noir que les Editions du Typhon nous offre en ce début d'année, fable qui résonne d'autant plus avec notre époque tant les apparences, en politique, prennent le pouvoir alors que derrière celles-ci, s'ouvre le vide le plus sidéral!
Editions du Typhon - 20 euros
Cinq ans après la parution du "Consentement" , Vanessa Springora revient avec un roman tout aussi personnel. Car l'histoire qu'il narre commence justement en pleine promotion de son premier roman, moment compliqué au regard du sujet qu'elle abordait (l'emprise du romancier Gabriel Matzneff alors qu'elle n'était qu'une jeune adolescente).
Un coup de téléphone lui annonce la mort de son père avec qui elle avait coupé quasiment tout contact depuis de nombreuses années. La police lui demande de venir reconnaître le corps car il est décédé chez lui, seul et depuis plusieurs jours.
Comme il faut libérer l'appartement qu'il habitait d'abord avec sa mère, puis seul depuis la mort de celle-ci, l'autrice s'arme de courage et d'autant de sacs poubelle pour vider le taudis que le petit deux-pièces était devenu.
Les découvertes qu'elle va faire vont bousculer le peu de certitudes qu'elle avait sur cet homme. Des photos porno d'hommes, son père était-il homosexuel? Et puis une photo qui est pour l'autrice, un véritable électrochoc : celle de son grand-père, en 1944, qui arbore une tenue d'escrime portant à l'épaule un symbole nazi. "J'ai l'impression d'être entrée dans une dimension parallèle, de m'être perdue dans une fête foraine lugubre..." écrit Vanessa Springora en entamant son enquête sur ses origines familiales cachées. De qui est-elle la fille et la petite-fille? D'où vient ce patronyme de Springora qui est particulièrement rare?
Tout commence en Tchécoslovaquie, pays disparu aujourd'hui, pays découpé, que les guerres ont particulièrement bouleversé d'où est originaire Josef ce grand-père dont le portrait a bouleversé l'autrice qui se souvient pourtant de la douceur de cet homme quand elle était enfant, des rudiments de tchèque qu'il avait voulu lui inculquer. Un homme présenté comme un héros, un réfugié tchécoslovaque ayant déserté la Wehrmacht, arrivé en France pour fuir le stalinisme.
Ce récit-enquête mêle la grande et la petite histoire et Vanessa Springora excelle à rappeler l'ineptie du nazisme avec un humour qui semble vouloir allèger le sujet auquel elle s'atèle. Sujet qui va bien plus loin que la seule histoire de sa famille, c'est aussi une histoire de non-dits, de filiation et de réflexions sur la transmission du patronyme. Réflexion qui renvoit aux fantômes de l'Histoire qui, malheureusement, façonnent encore notre présent et éclaire les liens entre patriarcat et fascisme.
Grasset - 22 euros
Parution 2 janvier
Cinq ans après la parution du "Consentement" , Vanessa Springora revient avec un roman tout aussi personnel. Car l'histoire qu'il narre commence justement en pleine promotion de son premier roman, moment compliqué au regard du sujet qu'elle abordait (l'emprise du romancier Gabriel Matzneff alors qu'elle n'était qu'une jeune adolescente).
Un coup de téléphone lui annonce la mort de son père avec qui elle avait coupé quasiment tout contact depuis de nombreuses années. La police lui demande de venir reconnaître le corps car il est décédé chez lui, seul et depuis plusieurs jours.
Comme il faut libérer l'appartement qu'il habitait d'abord avec sa mère, puis seul depuis la mort de celle-ci, l'autrice s'arme de courage et d'autant de sacs poubelle pour vider le taudis que le petit deux-pièces était devenu.
Les découvertes qu'elle va faire vont bousculer le peu de certitudes qu'elle avait sur cet homme. Des photos porno d'hommes, son père était-il homosexuel? Et puis une photo qui est pour l'autrice, un véritable électrochoc : celle de son grand-père, en 1944, qui arbore une tenue d'escrime portant à l'épaule un symbole nazi. "J'ai l'impression d'être entrée dans une dimension parallèle, de m'être perdue dans une fête foraine lugubre..." écrit Vanessa Springora en entamant son enquête sur ses origines familiales cachées. De qui est-elle la fille et la petite-fille? D'où vient ce patronyme de Springora qui est particulièrement rare?
Tout commence en Tchécoslovaquie, pays disparu aujourd'hui, pays découpé, que les guerres ont particulièrement bouleversé d'où est originaire Josef ce grand-père dont le portrait a bouleversé l'autrice qui se souvient pourtant de la douceur de cet homme quand elle était enfant, des rudiments de tchèque qu'il avait voulu lui inculquer. Un homme présenté comme un héros, un réfugié tchécoslovaque ayant déserté la Wehrmacht, arrivé en France pour fuir le stalinisme.
Ce récit-enquête mêle la grande et la petite histoire et Vanessa Springora excelle à rappeler l'ineptie du nazisme avec un humour qui semble vouloir allèger le sujet auquel elle s'atèle. Sujet qui va bien plus loin que la seule histoire de sa famille, c'est aussi une histoire de non-dits, de filiation et de réflexions sur la transmission du patronyme. Réflexion qui renvoit aux fantômes de l'Histoire qui, malheureusement, façonnent encore notre présent et éclaire les liens entre patriarcat et fascisme.
Grasset - 22 euros
Parution 2 janvier
Australie, 1901 : Miles Franklin, vingt ans, fille de fermiers du bush, parvient contre vents et marées à faire publier son premier roman, un texte remarquable d’insolence et de fougue, qui connaît un immense succès dans le monde anglo-saxon. Alors qu’elle cherche à garder l’anonymat sous un pseudonyme masculin, son identité est révélée et les préjugés misogynes de son époque la heurtent au plus profond.
C’est seule et sans le sou qu’elle s’embarque pour l’Amérique, où l’attend une vie de luttes au service des plus faibles et d’engagements féministes. Elle y noue mille amitiés avec des personnalités d’une stupéfiante modernité, et des amours tourmentés.
Mais jamais Miles Franklin n’abandonne sa passion d’écrire ni ne renonce à ses rêves.
Folle d’une liberté durement conquise, guidée par sa générosité et son sens de l’humour, elle connaîtra de multiples aventures à travers l’Europe, avant de retrouver sa terre natale et de tenir une formidable revanche, en jouant un dernier tour aux critiques qui disaient sa verve tarie et son génie disparu.
Miles Franklin est aujourd’hui l’écrivaine la plus célèbre des Antipodes. Durant ses quatre ans d’enquête, Alexandra Lapierre l’a suivie sur tous les théâtres de son exceptionnel destin.
Flammarion - 23 euros
Parution 22 janvier
Le bandeau de couverture du nouveau roman de Sophie de Baere, une photo d'enfant sur les genoux d'une femme dont le visage a été déchiré, ne cache pas que le thème abordé sera la filiation. Et effectivement, quand Colette revient dans le Morvan qui l'a vu naître après de nombreuses années d'absence, elle a bien l'intention de lever le voile sur une histoire familiale compliquée et tabou.
Mais comme souvent, la vérité va bien plus loin que ce que Colette pouvait imaginer. La France rurale d'après guerre jusqu'à la fin des années 60 n'était pas un lieu d'épanouissement pour les femmes : soumises aux diktats du chef de famille, aux regards malveillants des villageois qui, par le qu'en dira-t-on, imposent aux filles leur conduite en validant ou non leurs amours, elles doivent faire preuve d'un courage et d'une volonté surhumaine quand leurs choix s'avèrent non conformes à la bienséance. Les maisons maternelles pour "filles-mères" sont là pour leur rappeler qu'elles ne disposent pas de leurs corps. Malgré les carcans, les passions éclosent et le vent de la révolte souffle pour Marthe, Colette et les autres. L'histoire des femmes n'a jamais été de tout repos!
Un roman touchant et sensible sur une époque pas si lointaine pendant laquelle les femmes étaient encore bien souvent réduites au silence. Silence qui par ricochet a franchi les générations et connaît encore aujourd'hui des répercussions douloureuses.
JC Lattès - 21,50 euros
Parution 5 février